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Les quarante ans du jeune homme vert

D 4 février 2017     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Vingt ans après, quel miroir tend à notre époque le Journal d’un quadragénaire de la fin des années 1990, devenu un académicien des années 2010 ? Quels étaient alors les personnages publics, les événements privés, les bonheurs et les déboires d’un écrivain français ? Avec la patine du temps, on y trouve les portraits savoureux de figures alors rencontrées au fil d’une intense activité journalistique, tels Woody Allen, Isabelle Huppert, Philippe Sollers, Frédéric Mitterrand, Claudia Cardinale, Jean Paul Gaultier ou Alain Juppé. Ils tournent toujours dans notre actualité, mais étaient-ils les mêmes il y a vingt ans ? Cette année-là, Marc Lambron publiait chez Grasset 1941, roman sur les débuts du régime de Vichy. Engagé dans la bataille des prix d’automne, l’ouvrage cristallisa polémiques et passions en plein procès Papon. Au jour le jour, on suit dans Quarante ans les spasmes déclenchés par cette brûlure de la mémoire française, en même temps que l’on découvre le témoignage sans précédent d’un auteur jeté dans les jeux du cirque d’une rentrée littéraire. Au cœur intime de ce Journal, loin des tumultes parisiens, il y a le dialogue poignant que l’auteur engage avec son père dans les derniers mois de son existence. C’est un livre de deuil, c’est un livre de vie.

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Marc Lambron se souvient de 1997

Pascal Louvrier

On quitte le journal de Marc Lambron, consacré à l’année 1997, comme on quitte l’auteur, après avoir dîné avec lui au Balzar, à regret. Même sur le chemin du retour, il vous apprend quelque chose, il vous montre par exemple le petit immeuble où est mort Restif de la Bretonne. Il fait froid, c’est l’hiver, et la nuit n’est pas sympathique. Mais on tarde à le quitter, lui, l’écrivain qu’on lit depuis son premier livre, L’impromptu de Madrid, roman à l’allure morandienne, de quoi nouer une vraie complicité littéraire. C’est assez cruel de se replonger dans le passé. Surtout pour la plupart des personnalités qu’on y croise. Il y a tant d’oubliés, tant de grands talents broyés par notre présent survolté et futile. Il y a tant de petits marquis des médias terrassés par un Alzheimer collectif.

Le Goncourt manqué

Qui se souvient, en effet, du prix Goncourt 1997, du titre du roman, comme du nom de l’auteur, ce petit homme à barbe et lunettes, gai comme un notaire de province ? Lambron aurait mérité le Goncourt pour 1941, un roman ambitieux qui ose évoquer une période douloureuse de notre histoire, Vichy et la Collaboration. Mais comme c’était un sujet clivant, pour reprendre le vocabulaire de 2017, on a préféré récompenser un bouquin gentillet, politiquement correct. Ce qui est bien avec Lambron, c’est qu’il est trop intelligent pour qu’on puisse le berner. Il n’y a qu’à voir ses yeux malicieux dans son visage de bouddha blagueur né à Lyon un 4 février pour s’en convaincre. Parce que le romancier avait fait des recherches pour 1941. Il avait lu les mémoires de témoins de l’époque. Il avait exhumé des petits détails qui en disent long sur le « squat » qu’était cette bonne vieille ville thermale. Ionesco était à Vichy, Chaban-Delmas avait travaillé quelques mois auprès de Pierre Pucheu, secrétaire d’État à la Production industrielle, Michel Debré, le « père » de la constitution de la Vème République, s’y trouvait également. Lambron avait énervé ceux qui veulent que les tiroirs ne débordent jamais. Ce qui explique que les gaullistes, jamais, n’interrogèrent François Mitterrand sur les trous noirs de son passé. Il y avait les Résistants et les Collabos. Point final.

Eh bien, non, en particulier en 1941, la réalité était différente. L’écrivain avait écrit un livre remarquable. Trop remarquable. Il fallait donc le dézinguer, pas mal, pas trop, pour que la polémique l’empêche d’obtenir la récompense suprême, et puis qu’après, on oublie ce roman d’un virtuose de la langue française, qui utilise la satire comme d’autres les mensonges idéologiques.


Marc Lambron : 1941 par ina

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La comédie humaine

Pas dupe, Lambron, sur le système et ses petites manigances. Il balance : « Mon profil est celui de l’excellence républicaine, mais la notion de mérite est largement dépassée depuis quelques années au profit de celle de la paupérisation. Serais-je kiosquier ou gardien de cimetière, le compassionnel jouerait. Ce n’est pas le cas : même si je n’ai hérité de rien, le poujadisme semi-cultivé m’imputera à charge ce que j’ai conquis – quelques peaux d’âne, de la mobilité, un peu de liberté. » On pourrait ajouter quelques critères incontournables pour obtenir le profil parfait des Goncourt à venir…

Philippe Sollers apparaît dans ce journal, à plusieurs reprises. Lui aussi, il connait le système de l’intérieur. Ainsi : « Lorsqu’un article vous flingue, la photo d’illustration est toujours prise de loin. » Alors quand on fait la couv’ d’un hebdomadaire, c’est bingo ! Sollers, encore, qui déclara un jour à Lambron : « J’ai armé Hallier comme une grenade à fragmentation qui devait éclater dans la main de la gauche. » Il avait lui-même essayé avec ses Folies françaises. En vain, car trop crypté. Jean-Edern Hallier, fou aveugle du roi Mitterrand, mort en vélo, sur une route de Deauville, après avoir bu un Viandox, comme chaque matin, au bar du Normandy.

Le sphinx, la tsarine, et l’oiseau à bec vif

François Mitterrand est également présent. Il ne nous quittera pas, il nous avait prévenus. Lambron le rencontre pour la première fois en 1992. « Lui, très pharaon extralucide : ‘’Je vous connais.’’ Réponse : ‘’Moi aussi, monsieur le Président.’’  » Il y a du Saint-Simon dans ces propos rapportés. Puis Mitterrand parle des livres qu’on lui envoie chaque année et qu’il offre à la bibliothèque de Nevers, en ajoutant : « Il y en a 12 000. Il y en aura 15 000 à la fin. » Lambron comprend que Mitterrand, pourtant très malade, ira jusqu’au bout. « Curieux monarque qui comptait le temps en livres », souligne le duc de Lambron.

Alain Juppé fait plusieurs apparitions. L’analyse psychologique de l’homme battu aux primaires de la droite tient la route. La conclusion du romancier : « S’étant construit contre ceux dont il procède, il s’est construit une identité machinique, un nouveau corps, une novlangue d’où il gomme tout affect. » Il y surtout l’image obsédante de sa mère, surnommée La tsarine, qui bloque l’empathie qu’il convient d’avoir quand on joue le jeu des urnes. Au soir du premier tour des primaires, Juppé, carbonisé, ne peut s’empêcher de poser l’index sur ses lèvres pour demander à la salle, ses petits écoliers électeurs, de la fermer. À la fin de l’année 1997, Lambron note, à propos du maire de Bordeaux : « Pas la meilleure de sa vie. Mais il a une femme, une fille, un noyau d’amour. » Rien à changer fin 2017.


Marc Lambron répond aux questions de Léa Salamé par franceinter

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D’autres portraits sont croustillants. Le trait est mordant, le mot juste, c’est plein d’humour, sans méchanceté, ça n’en est que plus féroce. Un exemple, pour le plaisir : « Michel Onfray, oiseau à bec vif perché sur une ligne à haute tension. »

Et puis, il y a la nostalgie de ceux qui ne sont plus. Pudique, Lambron évoque la disparition de son père, qui suit celle du frère. 1er mai. « Papa est mort à 21h50, entouré par sa femme, sa sœur, son fils. » L’enfant est désormais adulte, il est face à sa propre mort. Il lui faut devenir immortel. Vingt ans après, c’est chose faite. Lambron, revêt l’habit vert, il est académicien. En 1997, il rapportait cette phrase de Mauriac à propos de l’Académie : « Quand je longe ces couloirs, je vois trois mots se peindre en lettres de feu sur les murs : prostate, prostate, prostate. » Le même Mauriac qui déclarait à Nourissier : « Et ça vous plait, quand une dame vous met en plus un doigt dans le derrière ? »

Causeur

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Marc Lambron, Quarante ans, Grasset, janvier 2017.