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Collaborations

D 11 février 2014     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

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Otto Abetz et Philippe Pétain se serrant la main en novembre 1941. © CDJC

Collaborations

Réalisation : Gabriel Le Bomin
Commentaire : Grégory Gadebois
Productrice : Patricia Boutinard-Rouelle
Production : Nilaya Productions
Participation : Centre national du cinéma et de l’image animée, Direction de la Mémoire, Patrimoine et Archives, Planète +, France Télévisions
France, 2013, deux épisodes.

« Des images dramatiques, qui n’en finiront jamais de nous glacer le sang. Pas de témoignages, pas de commentaires ni de reconstitutions, ou très peu : juste le récit nu, limpide, juste la vérité des faits, implacable. »

Première partie

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Deuxième partie

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Un doc tout en images d’archives

C’est une période pourtant connue que nous n’en finissons pas de redécouvrir. Des visages qui nous sont familiers mais qui, sans cesse, nous révèlent quelques vérités supplémentaires. En retraçant pas à pas l’histoire de la collaboration de Vichy avec l’Allemagne nazie, l’excellent Gabriel Le Bomin nous fait revisiter ces heures sombres de notre Histoire qui ont révélé ce qu’il peut y avoir de plus vil dans l’homme : l’ambition aveugle, le cynisme, la cruauté. En un mot, l’absence d’humanité. Certaines thématiques, certains propos évoqués ici trouvent un étrange écho dans le trouble climat de la France d’aujourd’hui...

Outre son talent — il est en particulier l’auteur d’un film magnifique sur la guerre de 14-18, les Fragments d’Antonin —, la force de Gabriel Le Bomin tient dans la richesse des archives, souvent inédites, qu’il parvient à rassembler. Comme ces images, saisissantes, de Hitler en 1940 contemplant par le hublot de son avion cette France vaincue qu’il s’apprête à asservir. Séquence forte encore le 22 juin 1940, dans la clairière de Rethondes, là même où fut actée la capitulation de l’Allemagne en 1918. Le Führer a exigé que ce nouvel armistice soit signé au même endroit, dans le même wagon. Juste avant la cérémonie, on le voit toiser la statue du maréchal Foch, le vainqueur de la Grande Guerre, ne cherchant pas à masquer sa jubilation.

Nous voici à Vichy, où s’est installé le gouvernement de Pétain. Nous suivrons ce vieux soldat perdu depuis les premiers jours jusqu’à la chute. Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne, écrit : "Toute la France se trouve encore dans un état d’irrésolution politique. Le nouveau gouvernement fait figure de pont de secours branlant au-dessus d’un gouffre menaçant." "Je souhaite la collaboration entre nos gouvernements", lui répond Laval, le vice-président du Conseil. Il est le premier à utiliser ce mot. On connaît la suite. Pétain et Laval vont engager une collaboration d’Etat avec l’Allemagne, au-delà même des exigences de l’occupant. A Vichy, dans l’ombre du Maréchal, c’est le défilé des ambitieux, les basses manoeuvres, la surenchère dans l’infamie. Darnand, Doriot, Papon, Bousquet, Déat, Henriot, Brinon, la liste est longue de ces incarnations d’une France maudite. Peu à peu s’instaure un antisémitisme d’Etat conforme à l’idéologie nazie. Avec la création de la LVF — Légion des Volontaires français contre le bolchevisme — pour la première fois des Français vont mourir pour le IIIe Reich "La LVF détient une part de notre honneur militaire", ose Pétain.

En juillet 1942, Laval propose de déporter aussi les enfants juifs. Le cynisme, ici, le dispute à l’égarement. Les Allemands sont si stupéfaits de cet excès de zèle qu’ils mettront dix jours à donner leur accord ! Pour assouvir son ambition, Laval, « qui semble avoir perdu le coeur et la raison », balaie tout ce qui a fait sa vie jusqu’alors. L’ex-avocat des pauvres s’est perdu dans ses rêves de grandeur. On assiste, médusé, à l’effondrement d’une conscience. Sur les images, son visage aussi se durcit. Les rafles de juifs vont provoquer un basculement de l’opinion. En novembre 1942, en Afrique du Nord, l’amiral Darlan, chef des armées et dauphin désigné de Pétain, change brutalement de camp après le débarquement américain à Alger, engageant les troupes françaises d’Afrique aux côtés des Alliés. A Toulon, ce sont les images terribles du sabordage de la flotte. Suivront le STO, la création de la milice. Vichy est devenu un Etat milicien où la machine répressive tourne à plein régime pour sa seule survie.

Avril 1944. Pétain est à Paris. a ses côtés se tient un Laval pétrifié. Devant eux, une marée humaine acclame le vieux Maréchal. Les mêmes qui, quelques semaines plus tard, feront un triomphe au général de Gaulle... Car l’heure des comptes approche, et tout ce petit monde va se replier à Sigmaringen. En France, c’est le temps de l’épuration, des exécutions sommaires, des femmes tondues. Le temps de la Haute Cour de justice aussi, chargée de juger 108 personnes, dont Pétain, ce chef tout-puissant accusé de "crime contre la sûreté de l’Etat, haute trahison, intelligence avec l’ennemi". Images pathétiques de ce vieillard écoutant l’acte d’accusation. Lui, le héros de la Grande Guerre, le sauveur de la patrie, incarne à jamais le déshonneur de son pays.

Ce qui fascine, ici, c’est de constater à quel point, déjà, les caméras étaient partout, filmant sous différents angles les scènes publiques comme certains moments plus intimes. Gabriel Le Bomin nous propose l’Histoire en images. Des images dramatiques, qui n’en finiront jamais de nous glacer le sang. Pas de témoignages, pas de commentaires ni de reconstitutions, ou très peu : juste le récit nu, limpide, juste la vérité des faits, implacable. Nous assistons à la dérive fascinante de tant d’hommes emportés par leur propre aveuglement dans le chaos de l’Histoire où ils perdront jusqu’à leur âme, restant à jamais l’incarnation de "cette France qui fit honte à la France". Le dernier poilu est mort et les ultimes survivants de la Seconde Guerre mondiale s’éteignent peu à peu. Lorsque la mémoire s’efface, restent les traces ultimes : les images, films ou photographies. Au tribunal de l’Histoire, elles auront toute leur place.

Richard Cannavo, Télé Obs.

Diffusé le lundi 10 février à 20 h 45 sur France 3.

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