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Quark sollersien par Yann Moix

D 17 novembre 2011     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

La collection « L’infini », de Philippe Sollers, est un accélérateur de particules. Un cyclotron littéraire. Ces particules sollersiennes (elles semblent toutes issues de la cuisse de Femmes et participent à la guerre du goût, une des guerres les plus violentes de tous les temps) se nomment Stéphane Zagdanski, Marc-Édouard Nabe, Valentin Retz, Raphaël Denys, Cécile Guilbert, Yannick Haenel, François Meyronnis, Sandrick Le Maguer ou David di Nota. Et aujourd ?hui Jean-philippe Rossignol.

La particule élémentaire sollersienne, sorte de quark de la littérature (le mot « quark » est issu de Finnegans Wake) [1], est intelligente, surcultivée et marginale. Elle vénère Watteau, Monk, Joyce, Artaud, Stendhal, Lautréamont, Rimbaud, Genet, Saint-simon, les gnostiques, Proust, Céline, Billie Holiday, Bernard Dubourg, Venise, New York (villes parfois remplacées par Florence et Berlin), la Kabbale, Artaud contre la Kabbale.


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Vie électrique , roman sollersien, sollersisé, et même roman-sollers (on est évidemment prié de laisser toute « intrigue » au vestiaire), est un manuel de survie pour temps de barbarie. Sans la moindre cuistrerie, l ?auteur nous propose de traverser des pays qui sont généralement (par les universitaires, les cuistres, les idiots) considérés comme des oeuvres. On ne dira jamais assez que Tolstoï n ?est pas russe mais est une Russie possible, la seule Russie qui compte, la seule Russie réelle surtout. « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, c ?est la littérature », dit Proust.

Vie électrique est une de ces torches qui viennent éclairer ces recoins-là, oubliés des financiers, des spécialistes de la dette, des dirigeants politiques, des sportifs, des acteurs de cinéma, des réalisateurs, des consommateurs. Nous croisons ici, dans cette Galerie des Offices livresque, les plus grands vivants actuels, tous des « passeurs du temps ». Italo Svevo, justement, qui comme Gombrowicz travailla dans la banque, dont le génie a jailli de la médiocrité absolue de sa condition flétrie de petit employé de banque.

Rossignol nous fait entendre sa voix, et elle tombe à pic : « Je ne suis pas capable de conquérir quoi que ce soit. Je ne veux rien conquérir. Je veux avoir et garder sans effort. Je renonce volontiers, je renonce sans hésitation. » Déclaration (qu ?on ne s ?y trompe pas) absolument subversive, là où ce qui doit se conquérir, c ?est soi justement, son propre goût, sa subjectivité : où se rencontre-t-on soi-même ? Dans l ?art. La « réalité », comme disent les athées athéistes modernes et modernistes, n ?est faite que pour que nous nous y dissolvions. Sollers et ses particules savent qu ?est athée non pas celui qui ne croit pas en Dieu, mais celui qui se prend lui-même pour un dieu. Qui se propose lui-même comme dieu à lui-même. La littérature (chez Rossignol, outre les dieux idoles sollersiennes déjà cités, Thoreau, Faulkner, Larbaud, Fitzgerald, Burroughs, Brinkmann, Zabrana ?), mais aussi la musique (Parker, Bach, les chanteuses de jazz), mais aussi la peinture (Rossignol est notamment fasciné par le Gilles de Watteau, qu ?on peut admirer au Louvre) existent pour nous arracher à ce pathétique écueil. Pas parce que le poète, comme chez les Parnassiens, est au-dessus de ça ; mais parce que lui seul sait dire le monde présent. Nul n ?a mieux dit la crise de 1929 que Paul Claudel.

Yann Moix
Crédit : Le Figaro 17/11/2011

Vie électrique de Jean-philippe Rossignol,
Gallimard, « L ?infini », 174 pages, broché et version numérique.

Eléments biographiques sur l’auteur

Né en 1979, Jean-Philippe Rossignol signe avec Vie électrique son premier roman.

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Le bulletin Gallimard : Rentrée littéraire 2011 (pdf)


[1La théorie des quarks a été formulée par le physicien Murray Gell-Mann, qui s’est vu décerner le prix Nobel de physique en 1969. Le mot quark provient d’une phrase du roman Finnegans de James Joyce : « Three Quarks for Muster Mark ! » (note pileface)