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Martin Heidegger, Parménide

D 7 février 2011     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le Parménide est le cours que Heidegger fait lors du semestre d’hiver 1942-1943 à l’Université de Fribourg-en-Brisgau. C’est donc au moment où la catastrophe mondiale est à son comble que Heidegger décide de traduire et de commenter, au « commencement » de la pensée, le Poème didactique de Parménide et d’aller à la rencontre de la « déesse "Vérité" » « en personne ».
Le texte n’a été publié qu’en 1982 dans l’édition Klostermann des oeuvres complètes de Heidegger. Il est publié pour la première fois en français.

Présentation

« Notre pensée d’aujourd’hui a pour tâche de penser de manière encore plus grecque ce qui fut pensé de manière grecque », confiait Heidegger dans son dialogue avec un interlocuteur japonais.
Cet effort livre à l’ensemble de ce cours sur Parménide son itinéraire propre, au fil d’une méditation de la pensée grecque qui fait appel autant à Homère, Hésiode, Pindare, Sophocle et Platon qu’au Poème de Parménide. Réaccomplissant le voyage du penseur jusqu’à la demeure de la déesse qui l’accueille, au seuil du Poème, il introduit en même temps à ce qui forme le coeur de la pensée de Heidegger, c’est-à-dire le rapport de l’être à l’homme et de l’homme à l’être.
« Le dialogue avec Parménide ne prend pas fin », notait Heidegger au terme du texte consacré au penseur grec dans les Essais et conférences, « non seulement parce que, dans les fragments conservés de son Poème, maintes choses demeurent obscures, mais aussi parce que ce qu’il dit mérite toujours d’être pensé. Mais que le dialogue soit sans fin n’est nullement un défaut. C’est le signe de l’illimité qui préserve, en lui-même et pour la pensée qui revient vers lui, la possibilité d’une mutation du destin. »

Début de l’Introduction

§ 1. La déesse « Vérité ». Parménide, I, 22-32

a) Connaissance commune et savoir essentiel. Le renoncement à l’interprétation courante du Poème à travers l’attention prêtée à l’appel du commencement

[...] Parménide et Héraclite, contemporains dans les décennies entre 540 et 460, ainsi se nomment les deux penseurs qui dans une unique coappartenance, au début de la pensée occidentale, pensent le vrai. Penser le vrai signifie : faire l’épreuve de celui-ci en son essence et, dans une telle épreuve de son essence, savoir la vérité du vrai.
D’après la chronologie, deux mille cinq cents ans se sont écoulés depuis le début de la pensée occidentale. Ce qui fut pensé dans la pensée de ces deux penseurs n’a pas été altéré par l’écoulement des années et des siècles. Qu’il soit ainsi demeuré intact et ait été préservé des destructions du temps ne tient toutefois nullement à ce que le pensé que ces penseurs eurent à penser ait subsisté en soi, en quelque lieu situé hors du temps, comme ce que l’on dit « éternel ». Bien plutôt, le pensé de cette pensée constitue précisément ce qui est proprement historique, ce qui précède, et par là prépare toute l’histoire ultérieure. Ce qui précède ainsi et détermine toute histoire, nous le nommons l’initial. Parce qu’il ne réside pas en arrière dans un passé, mais devance ce qui est à venir, l’initial toujours à nouveau s’offre proprement en partage à une époque.
Le commencement est ce qui, dans le déploiement d’essence de l’histoire, se montre en dernier lieu. Pour une pensée, toutefois, qui ne connaît que la forme du calcul, la proposition « le commencement est ce qui est dernier » demeure un non-sens. Tout d’abord certes, à son début, le commencement fait son apparition en demeurant voilé d’une façon qui lui est propre. De là vient le fait remarquable que l’initial tende à passer pour l’imparfait, l’inachevé, le grossier. Il est aussi appelé le « primitif ». Se fait jour dès lors l’opinion selon laquelle les penseurs antérieurs à Platon et Aristote seraient encore des « penseurs primitifs ». Assurément, tout penseur du début de la pensée occidentale n’est pas pour autant un penseur du commencement, un penseur initial. Le premier penseur initial se nomme Anaximandre.
Les deux autres et, avec lui, les seuls, sont Parménide et Héraclite. Que nous distinguions ces trois penseurs comme les premiers penseurs initiaux, précédant tous les autres penseurs de l’Occident, suscite un soupçon d’arbitraire. Aussi bien ne disposons-nous en effet d’aucun argument qui suffise à fonder immédiatement ce qui vient d’être affirmé. Il est nécessaire pour cela que nous parvenions tout d’abord à entrer dans un rapport authentique à ces penseurs initiaux. C’est ce qui doit être tenté dans le cheminement de ce cours. [...]