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« L’écrit est insubmersible » (suite)

Philippe Sollers, Michel Serres, Frédéric Beigbeder

D 17 août 2007     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Tablette de Fara (terre cuite, Musée du Louvre)

Dans un entretien pour la revue Médias N° 11, décembre 2006, Philippe Sollers déclarait « l’écrit est insubmersible »
pileface en a rendu compte ici.

Voici aujourd’hui la suite de cet entretien, le point de vue de Michel Serres pour qui les nouvelles technologies constituent une vraie coupure dans l’évolution des médias. Bien que de la même génération, d’un côté Philippe Sollers est resté fidèle au stylo, mais s’agit-il de fidélité ou de crispation conservatrice face à une évolution technique — ordinateur/internet — non adoptée et par suite non maîtrisée ? Par contre, Michel Serres enseignant dans une université américaine l’a adoptée naturellement et déclare volontiers qu’il s’agit là d’une révolution du niveau de celle qui a fait passer l’homme du paléolithique au néolithique. Voici, ici, en contrepoint de celui de Sollers, l’entretien qu’a eu aussi Michel Serres avec Yves Harté et Pierre Veilletet pour la revue Médias N°11.

Nous avons également ajouté une réflexion de Frédéric Beigbeder sur le même sujet, extraite d’un entretien avec Joseph Vebret pour la revue Le magazine des Livres N° 5, juillet/août 2007 . Notons toutefois qu’il ne s’agissait pas d’un entretien dédié à l’évolution des médias comme c’était le cas pour Philippe Sollers et Michel Serres, mais dans le cadre de propos à l’occasion de la publication de son nouveau livre « Au secours pardon ». Le sujet n’y est donc pas développé comme pour ses aînés, mais il nous a semblé intéressant d’ajouter ce point de vue, même partiel, d’un témoin de sa génération, génération de transition, avant la suivante, la génération mutante née avec un ?il-écran et une oreillette.


Michel Serres : « Avec Internet, on nous arrange la vie »

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Philosophe et historien des sciences, académicien, Michel Serres a été l’un des tout premiers, avec la série des « Hermès » (cinq tomes de 1969 à 1980) à réfléchir sur la société de communication. Il dresse ici un plaidoyer en faveur des nouvelles technologies, qui inaugurent, selon lui, une rupture aussi grande que celle de l’invention de l’écriture.

Entretien réalisé par Alain Barbanel et Daniel Constantin

Quels sont vos rapports avec les médias ?

J’ai vu, non pas l’origine, mais le développement de la radio. Puis, la télévision est arrivée dans les foyers français à partir des années 1950. À l’âge adulte, j’ai connu l’immense développement des nouvelles technologies, de l’ordinateur au Net, en passant par le fax. Toute ma vie a donc été accompagnée par l’évolution des médias modernes. Quand j’étais jeune, entre l’agrégation de philosophie et la thèse, à la sortie de l’École normale, j’ai écrit cinq livres sur Hermès, le dieu de la communication, des messagers, des traducteurs, des transporteurs de messages et des relations entre les hommes. À cette époque, c’était plutôt mal vu dans le monde philosophique parce qu’il était entendu que le dieu de la philosophie était Prométhée, dieu du travail, de la production. J’ai été le premier à dire que la révolution contemporaine, c’est la communication et non pas la production. Hermès a été mon dieu. J’ai par ailleurs écrit un ouvrage sur les anges, sur le parasite, comme obstacle à la communication, et je viens de sortir un livre sur les ponts, comme média et relation entre deux rives. Le point central de la philosophie que j’essaie de construire tend finalement vers la relation et les médias, dans l’existence et dans la production philosophique.

Vous avez été l’un des premiers intellectuels français à porter un jugement optimiste sur le développement des nouvelles technologies.

Mettons de côté pessimisme ou optimisme. Je vois, dans les nouvelles technologies, une coupure beaucoup plus profonde que toute autre. Quand on prend un peu de recul historique, on est capable de dire : « Ça c’est nouveau, et ça ne l’est pas parce qu’on l’a déjà vu. » Or, les nouvelles technologies constituent une vraie coupure. Pour quelles raisons ? Aujourd’hui, vous m’interviewez, vous utilisez deux techniques : l’enregistrement et la prise de notes. Au Moyen Âge, Albert Le Grand faisait un cours à la Sorbonne. Les étudiants étaient debout les mains dans le dos. Il n’y avait pas de technologies... C’est encore davantage le cas avec Socrate et ses disciples, ou les apôtres de Jésus-Christ qui ne prenaient pas de notes... Pourquoi ? Pour une raison très simple : ils avaient de la mémoire, une mémoire terrible. Il n’y avait pas de livres, il fallait donc qu’ils sachent Homère par c ?ur et ils le savaient ! Ils étaient capables de réciter un texte à la virgule près. Nous avons besoin aujourd’hui de prendre des notes. Nous avons perdu la mémoire parce qu’elle est passée ailleurs : de la tête à l’objet. J’appelle ça l’externalisation de la mémoire. Avec les nouvelles technologies, votre ordinateur devient votre tête. Du coup, c’est une coupure aussi importante que l’écriture, qui a permis d’inventer l’histoire. C’est donc gigantesque ! Nous sommes passés à un autre temps, qui n’a probablement rien, ou très peu, à voir avec celui qui le précède.

En quoi ces nouvelles technologies de l’information changent-elles profondément notre rapport au monde ?

On peut commencer par dire des banalités : avec Internet, le monde se rétrécit et, dans le même temps, il devient plus rapide... Mais, prenons un exemple : autrefois, en guise d’adresse, on donnait les coordonnées de son domicile. Le mot adresse était donc un repère dans l’espace bien déterminé au sein duquel nous bougeons. Aujourd’hui, on donne son numéro de téléphone portable ou son adresse e-mail. On ne s’est pas aperçu que désormais l’adresse n’est plus référée à l’espace. Avant, on vivait où l’on pouvait se déplacer, où l’adresse physique permettait le repérage galiléen ou cartésien de l’espace euclidien. Tan- dis qu’aujourd’hui, si je vous appelle sur votre portable, vous pouvez très bien être en Estonie et moi en Californie. Si je vous envoie un e-mail, je ne sais pas où vous êtes. L’espace dans lequel nous vivons et pensons n’a plus rien à voir avec l’espace d’autrefois. C’est la même chose pour les rapports entre télévision et nouvelles technologies. La télévision est le cours magistral d’autrefois, tandis que les nouvelles technologies sont l’interaction perpétuelle. Vous voyez la différence : ou je fais un cours devant dix, cent, trois millions de personnes, ou on discute ensemble. Ou je conduis la voiture, ou je suis le passager. Devant la télévision, vous êtes le passager, devant votre ordinateur, vous êtes le conducteur. Ce n’est pas le même média. Et pas seulement d’un point de vue réception/action, c’est un engagement dans un cas et un abandon dans l’autre. La télé est un média un peu archaïque. Elle ressemble à ce que nous faisions de plus ancien à l’université.

Que répondez-vous à ceux qui regrettent la perte de la culture du livre, de l’écriture ?

Cette espèce de sanglot sur le passé ressemble curieusement au professeur de la Sorbonne qui parlait latin et qui voyait l’arrivée de l’imprimerie comme une perte de pouvoir, puisque tout le monde pouvait avoir des livres ! Je suis du côté de Montaigne, de Rabelais. Les autres du côté du professeur de Sorbonne... Socrate disait déjà que c’est terrible d’écrire parce que rien ne vaut la parole vivante... Nous changeons de support. Et, dans le même temps, nous changeons de contenu.

Ces nouveaux contenus ne vous déconcertent pas ?

N’oubliez pas qu’il n’y aurait pas d’astrophysique, de physique nucléaire, de biochimie, d’océanographie, de vulcanologie sans l’ordinateur ! Il a tout de même permis 70% des sciences contemporaines. Sans lui, vous ne pouvez rien faire en sciences humaines : des bilans, des recensements à l’échelle de la planète... La complexité des calculs est telle aujourd’hui - la quantité d’informations se compte par téra maintenant - que l’ordinateur est devenu le centre même de la recherche scientifique.

Mais la Toile peut aussi représenter la pire des choses.

La Bibliothèque nationale aussi ! On y trouve « Mein Kampf ». Si vous dites que le livre est propre et que la Toile est sale, je ris ! On dit que Gutenberg a commencé par imprimer la Bible, mais on ne dit jamais quel a été le second ouvrage qu’il a imprimé. Tout le porno y est passé ! Et le violent aussi. Et il y en avait plein les bibliothèques ! Tous les médias sont à la même enseigne. Le premier à avoir dit ça, c’est Ésope au Vie siècle avant Jésus-Christ : « La langue est la meilleure et la pire des choses. » Tous les médias sont la meilleure et la pire des choses. Je peux vous dire avec la langue que je vous aime, comme je peux vous dire que je vous déteste. C’est vrai de la Toile, mais c’est aussi vrai du livre qu’on pleure... Il y a aussi des livres avec des recettes pour se suicider et pour rendre les hommes esclaves et serviles. Cet argument n’est pas nouveau.


Au quotidien, vous nourrissez-vous beaucoup des médias ?

Non. Je travaille le matin et je m’interdis toute relation avec l’extérieur de 5 heures du matin à midi. Je cherche de l’information plus que du spectacle. Or, il y a aujourd’hui beaucoup plus de spectacle que d’information. Lorsque je suis entré à l’Académie française, j’ai eu à faire l’éloge de mon prédécesseur, le ministre Edgar Faure. Je suis donc allé à l’Ina pour consulter les bandes de radio et les stocks d’émissions de télévision dans lesquels était intervenu Edgar Faure. C’était au moment où la télévision naissait. Les premières années, Edgar Faure apparaissait sur l’écran, plein visage, pendant que le journaliste, hors champ, lui posait des questions ordinaires. Devant ces émissions, j’ai pris énormément de notes parce qu’il y avait beaucoup d’informations. Deux ans après, le journaliste rentrait dans la lucarne et il n’y avait plus que la moitié du temps de l’information donnée par le ministre. Deux ans encore plus tard, c’était un talk-show, avec six personnes de plus : la moitié d’Edgar Faure divisée en six. Si bien que, peu à peu, je ne prenais plus de notes. À la fin, c’était un spectacle où Edgar Faure tirait sur sa pipe, et ne faisait pratiquement que cela, il n’y avait plus d’information. Cette recherche a récapitulé pour moi l’essentiel de l’histoire du média télévisé. En cinq à six ans, l’information avait disparu pour céder la place à un autre objectif, relevant plutôt du spectacle que de l’information. J’avais sous les yeux un homme qui avait eu l’habitude de dire beaucoup de choses et qui ne disait plus rien...

Le spectacle a donc tué l’information ?

Ne prenez pas ça pour une critique, je n’ai rien contre le spectacle. Que la politique ou que les médias deviennent du spectacle, c’est acquis depuis Louis XIV. Versailles était le lieu de l’opéra-bouffe du pouvoir. Si l’on vient nous annoncer, main tenant, qu’il y a une femme nue dans la pièce à côté, on ne va pas forcément se déplacer. Si, en revanche, on nous annonce qu’il y a deux personnes qui s’y battent à mort, nous allons courir. Pourquoi ? Parce qu’il y a des gens qui s’entretuent et que c’est cela qui nous attire. L’essence du spectacle, la prière de l’Occident. Les téléspectateurs s’arrêtent, s’immobilisent devant une idole, regardent le déchirement de l’autre. Acte profondément religieux. Notre société est de part en part religieuse, mais d’une religion de la plus haute Antiquité. Ce qui fait un magnifique paradoxe : avec des techniques électroniques de pointe, nous produisons des contenus qui doivent probablement dater de trois ou quatre millénaires. Un phénomène très intéressant !

À propos de religion, que vous inspirent les récentes affaires du pape, des caricatures ou du professeur de Toulouse ?

Le pape Benoît XVI a fait une leçon d’agrégation où il a cité un texte de 1423. Je l’ai lu avec attention et d’ailleurs je ne lui aurais pas donné une très bonne note parce qu’il se trompe un peu sur les questions touchant aux rapports entre Dieu et Raison. Mais la question n’est pas là. Cette leçon d’agrég’, si je l’avais faite à la Sorbonne, les étudiants auraient pris des notes, y compris les intégristes. Parce qu’il y a une grande différence entre le savant et le politique. Le savant peut dire qu’Untel, en 1423, a dit ceci ou cela. Le politique ne peut pas le dire. Or, le pape n’est pas un prof de Sorbonne, il est politique. Comme l’a écrit Weber, il y a des choses que dit le savant, il y a des choses que dit le politique. Et le politique ne peut pas tout dire. Aujourd’hui, nous sommes, en plus, dans la correction politique, ce que j’appelle « l’effet soutien- gorge ». Vous savez ce que c’est que le soutien-gorge ? Au XIXe siècle, on ne disait pas la bite, la vulve, on disait le ventre, le bas-ventre. On ne disait pas le ventre, on disait l’estomac. On ne disait pas l’estomac, on disait le c ?ur. Les organes remontaient. La pudeur faisait qu’on n’avait pas de seins mais une gorge. D’où le soutien-gorge au lieu du soutien- seins. Nous sommes dans une période où l’on fait en politique ce que nos ancêtres ont fait sur le sexe : il ne faut pas dire. J’ai vu récemment une représentation du « Cid » où avait été supprimé le terme Maures parce que le Cid a tué des Arabes et que ce n’est pas correct !

Où placez-vous le journalisme, entre le savant et le politique ?

Le média est plutôt du côté du politique que du savant, pour une raison de représentation, de violence... Vous faites un cours à trois cents personnes, ce n’est déjà plus tout à fait un cours. Vous faites un cours à cinq mille personnes, ce n’est plus pareil. Vous agissez sur des masses extraordinairement importantes. Comme la politique, les médias c’est la tragédie, la terreur et la pitié. Aristote le dit. Et naturellement les directeurs de télévision ont tous lu Aristote ! La télévision, c’est la terreur et la pitié. Si vous faites une analyse sérieuse des mots et des images qui sont le plus employés à la télévision, ce sont ceux et celles de cadavre qui arrivent en tête, et de loin. C’est le tragique, c’est la mort, qui priment dans le vrai spectacle. Les médias sont en fait une religion polythéiste, païenne - les religions païennes sont les religions du sacrifice - qui nous parle tout le temps et uniquement de la mort. Nous avons oublié le monothéisme et nous sommes revenus à un polythéisme archaïque, fondé sur le sacrifice humain. C’est ce qui fait de l’audimat. Les journaux télévisés de midi et du soir sont aujourd’hui sont vraiment sujets au changement d’échelle qu’implique le nombre. Quand on s’adresse à des millions de personnes, il y a violence, c’est inévitable. Le politique ne peut donc pas parler comme le savant. Il a une bombe sous les pieds en permanence. Les nouvelles technologies engendrent plutôt une sorte de dispersion. Il y a un réseau très ramifié, pas de capitalisation, pas de concentration. Le mot réseau dit bien ce qu’il veut dire.

La presse écrite est en crise aujourd’hui. Pensez-vous que les nouvelles technologies participent à sa disparition ?

Je sais que la presse écrite est mal en point. Je suis un auteur de livres, j’en ai écrit quarante-cinq ou cinquante. Le livre aussi est en mauvaise posture et même peut-être plus gravement. Vous avez vu les chiffres récemment, les gosses entre 14 et 25 ans ont quasiment abandonné la télé. Ils sont tous devant l’ordinateur. Qu’il y ait un lent changement de support, c’est possible, de la même manière que le support oral a laissé la place à l’écrit. Mais je peux démontrer, en tant qu’historien des sciences, qu’au moment où l’on a inventé l’imprimerie, où l’on a perdu totalement le « manuscrit » - c’est-à-dire la fonction d’écrire-, on a inventé la science moderne parce qu’on n’avait plus besoin de cette mémoire encombrante. Lorsque Montaigne dit : « Je préfère une tête bien faite qu’une tête bien pleine », il dit qu’il a les livres et qu’il n’a plus besoin de les avoir dans sa mémoire. Il dit que la tête n’est plus pleine et que du coup, elle devient intelligente, elle peut inventer. Quand j’écris mes livres et que je vais sur la Toile pour trouver la date de naissance de Descartes que j’ai oubliée, ça me prend une ou deux minutes, alors qu’auparavant, pour chercher ces renseignements. J’y passais ma vie. Je suis obligé d’être intelligent. C’est pour cela que les gens pleurent ; il n’y a plus d’excuses, ils sont obligés d’être intelligents ! Tragique !

L’accès à cette nouvelle mémoire est encore très sélectif. La fracture numérique existe et semble encore colossale...

Je reviens du Pérou. Je suis passé dans des petits villages des Andes où il y a des cybercafés. Ces cafés, dans les montagnes du Pérou, sont tellement utilisés que les lettres du clavier de l’ordinateur étaient effacées. L’illettré, c’était soudainement moi : je n’avais plus les lettres sur mon clavier. Les autres continuaient comme s’ils les avaient. Ils étaient plus « lettrés » que moi. Et l’on parle de fracture numérique ! Les Indiens Quetchua n’ont pas d’écriture. Avec les nouvelles technologies, ils sont en train de rattraper un retard de quatre mille ans ! Il faut être parisien pour ne pas voir ça et en pleurer ! La grande fracture vient de l’écriture et des historiens qui ont exclu les gens sans écriture. Elle n’est pas comblée.

Vous pensez réellement que le Net va remplacer le livre ?

Il n’est pas complètement sûr qu’un support détruise son précédent. Nous avons écrit, ça ne nous a pas empêchés de parler. Nous avons imprimé, ça ne nous a pas empêchés d’écrire. Nous disposons des nouvelles technologies, ça ne nous empêche pas d’imprimer, nous avons même tous une imprimante. Il est vrai que dans les technologies ordinaires, le moulin électrique a supprimé le moulin à vent. Mais là, ce n’est pas complètement sûr puisque les anciennes technologies de communication perdurent. Il y aura sans doute quantité de dégâts, mais je ne suis pas complètement sûr que le livre soit mort. J’ai écrit vingt livres sans Toile et vingt livres avec. Eh bien, le soir, j’avais auparavant le tennis-elbow ! Maintenant, c’est fini. J’ai passé vingt ans à quatre pattes dans les dossiers et la poussière à la recherche d’un article écrit autrefois... Maintenant, je n’ai qu’à appuyer sur un bouton et j’ai l’article. Il vaut mieux une pelle mécanique qu’une pelle à main. C’est la première fois qu’on nous arrange la vie. Avant, on n’arrangeait que la vie des ouvriers du chantier de mon père. Maintenant, on arrange la mienne, je ne vais pas m’en plaindre. Vous n’arriverez pas à me faire pleurer !

Michel Serres
Entretien avec Yves Harté et Pierre Veilletet
Revue Médias, N°11, déc. 2006




Frédéric Beigbeder : « La littérature a peut-être perdu la guerre du temps »

F.B. [...] Personnellement, je pense qu’il y a peu d’écrivains en France. La proportion se voit avec les traductions. Qui est traduit à l’étranger ? Quels écrivains américains ou russes sont traduits en France ? Assez peu.

Cela expliquerait la crise de la lecture ?

F.B. Entre autres. Mais il y a beaucoup d’autres raisons. La concurrence des activités qui sont plus accessibles : le cinéma, la télévision, la musique... C’est plus facile d’écouter une chanson. Pour lire, il faut faire un effort qui demande de la concentration, du silence et du temps. Ce sont des choses rares aujourd’hui. Vous savez, je suis assez pessimiste sur l’avenir du livre, il n’est pas impossible que l’objet disparaisse à court terme. Si l’on nous avait dit il y a dix ans que les gens cesseraient en 2007 d’acheter des disques, nous ne l’aurions pas cru. Or, c’est arrivé. La même chose peut très bien arriver au livre d’ici quelques années. Les gens n’ont plus le temps, ils sont sur « myspace » ou « youtube » toute la journée, ils téméchargent des vidéos, zappent sur 250 chaînes, écoutent leur iPod, envoient des sms et des mails avec leurs portable, jouent au videogame et pendant ce temps-là les librairies sont vides. Je connais beaucoup de jeunes qui ne lisent absolument pas. La littérature a peut-être perdu la guerre du temps.

[...]
<u
Frédéric beigbeder
propos recueillis par Joseph Vebret (extrait)
Le magazine des Livres, N°5, juillet-août 2007 - « L’énigme Beigbeder, saltimbanque ou écrivain ? » p. 13

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