4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » THEMATIQUES » Les influences et références » Joyce dans "Fleurs"
  • > Les influences et références
Joyce dans "Fleurs"

octobre 2006

D 15 avril 2007     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans le numéro de février 2007 de Tribune juive, Sollers déclare : " Fleurs est mon dernier ouvrage. Je cite d’emblée le Cantique des cantiques."
D’emblée ? Oui et non.
C’est vrai, passé le prologue, dès la page 25, il est bien question du Cantique des cantiques.
Et suivent (le livre adopte volontiers une approche d’apparence chronologique) : le Roman de la rose, Dante, Angélus Silésius, Ronsard, La Bruyère, Voltaire, Rousseau, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Colette, Proust, Genet, Ponge...

Une exception pourtant : Joyce.

Car c’est bien lui — et aucun autre — le premier écrivain qui ouvre Le grand roman de l’érotisme floral. Est-ce un hasard ?
Plutôt, une fois de plus, une façon de mettre en avant l’importance de l’auteur d’Ulysse et de Finnegans Wake.

Nous sommes en 1933, une année dont on se souvient lourdement en Europe. James Joyce est à Zurich, il s’apprête à subir une opération de l’oeil droit. Il écrit à Louis Gillet cette phrase stupéfiante : " Ce qu’apportent les yeux n’est rien. J’ai cent mondes à créer, je n’en perds qu’un. "

Joyce s’occupe, à ce moment-là, du dixième chapitre de Finnegans Wake, celui du travail des enfants à la maison, qui fait de l’histoire de Dublin une histoire universelle. En juillet, il demande à son secrétaire Paul Léon de lui retrouver une note dans un carnet qu’il a laissé à Paris. Il s’agit d’une phrase magnifique d’ Edgar Quinet avec laquelle il avait un jour étonné John Sullivan en lui la récitant, boulevard Edgar-Quinet, le long du cimetière Montparnasse :
" Aujourd’hui, comme au temps de Pline et de Columelle, la jacinthese plaît dans les Gaules, la pervenche en Illyrie, la marguerite sur les ruines de Numance, et pendant qu’autour d’elles ces villes ont changé de maîtres et de noms, que plusieurs sont entrées dans le néant, que les civilisations se sont choquées et brisées, leurs paisibles générations ont traversé les âges et sont arrivés jusqu’à nous, fraîches et vivantes comme aux jours des batailles. "
C’est la seule citation littérale et en clair, en français donc, que fait Joyce dans Finnegans Wake. Il ne donne pas le nom de Quinet mais sa conception florale de l’Histoire (j’insiste : en français).

Qui lit encore Quinet, le grand maître à penser de la République laïque ? Qui rouvre son livre sur les jésuites de 1848 ? Sa Création, inspirée de Darwin, de 1870 ? Son Esprit nouveau de 1874 ? En revanche la Quinétie est bel et bien une plante, genre d’hélianthée, dont on connaît plusieurs espèces croissant en Australie. Notons juste au passage qu’en 1874 et 1875 Rimbaud existe et écrit.

Du beau français balancé classique en plein coeur de Finnegans Wake ? Juste avant, dans la marge, on lit : " Mais maintenant elle est Venus ". Et, plus loin, toujours dans la marge, Also spuke Zerothruster, où Ainsi parlait Zarathoustra et son éternel retour se laissent ironiquement entendre. Et puis des exclamations : " Margaritomanchie ! Hyacintheux, pervenchant à la perversion ! Fleurs. Nuages. "

Et aussi : " Dormir à la belle eau, tisonner le feu, secouer la poussière de la terre, rêver à celui qui me donnerait des ailes de ses boucles au vent. Plus tard : messe sera dite par nos lavandières, étrange merveille des ténèbres comme cette malépine dans le champ des fées que fréquentait la fleur homosauvage de Wilde. "

Où on entend Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été.

Tous les chemins mènent Arôme.

Il n’empêche qu’une note en bas de page, pour la citation de Quinet, vise à détruire (comme toujours avec Joyce) l’interprétation lyrique ou romantique :
" Traduire ce chafouin en turc, teague, tigre, c’est bien mon fils et toi Thady, papa, lèche le style, c’est ça avec ta fesse pulpeuse. "

Mais écoutons Molly Bloom, Molly Fleur, à la fin d’Ulysse :
" et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand j’étais jeune fille et une Fleur de montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m’a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu’un autre et je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m’a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l’ai attiré sur moii pour qu’il sente mes seins tout parfumés oui et son coeur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui. "

Floraison, défloraison : ce oui (yes) de vierge est le plus célèbre de la littérature mondiale. On comprend qu’Ulysse ait été longtemps interdit aux Etats-Unis (mais il l’est toujours plus ou moins sous une forme invisible).

En écrivant son livre, Joyce n’a pas pu ne pas penser au dixième chant de l’Odyssée, quand le héros d’endurance, au mille tours, détours et inventions, s’achemine vers la grande demeure de Circé "riche en drogues". Là, ses compagnons, transformés en porcs, sont retenus prisonniers. Hermès lui apparaît alors sous la forme d’un adolescent gracieux à la baguette d’or, et lui donne la fleur qui le protégera des enchantements de la déesse magicienne :
" Le dieu fulgurant me passe son remède. Il le retire de la terre et m’en indique la nature. C’est une herbe à racine noire, avec une fleur comme du lait. Les dieux l’appellent molu. Les mortels ont du mal à l’extraire mais les dieux peuvent tout. "

Fleurs, Dieux, Femmes : voilà l’équation globale.

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document