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Solitude de Cézanne

Sollers (Cézanne, Parménide, Heidegger), 1991. Pleynet 2007.

D 17 juillet 2017     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Philippe Sollers : « Cézanne est un révolutionnaire. »

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« Quant à moi, je dois rester seul, la roublardise des gens est telle que jamais je ne pourrai m’en sortir ; c’est le vol, la suffisance, l’infatuation, le viol, la mainmise sur votre production, et pourtant la nature est très belle. »

« Personne n’aurait imaginé que Cézanne vaudrait aussi cher. »

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France Culture consacre du 17 au 21 juillet 2017 une série d’émissions à « Cézanne, absolument » par Martin Quenehen (avec la participation de Philippe Sollers).
1. Sur le motif. - 2. Madame Sainte-Victoire. - 3. La vérité en peinture.
4. Zola, "mon ami, mon frère". - 5. Cézanne n’est pas mort !

A noter que se tiennent cet été deux expositions : l’exposition Portraits de Cézanne au musée d’Orsay (jusqu’au 24 septembre [1]) et, me signale Dominique Brouttelande, une exposition Cézanne, Le chant de la terre à la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny, en Suisse (jusqu’au 19 novembre).

Cézanne devant l’atelier des Lauves, Aix en Provence [2] Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Première mise en ligne le 27 décembre 2006. Version actualisée à l’aide des interventions radiophoniques de Sollers lors de l’émission « Cézanne absolument », en 2017, qui reprennent ou nuancent son propos de 1991.

La conférence de Sollers Solitude de Cézanne, prononcée en 1991 à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, à l’invitation de Marcelin Pleynet, titulaire, à cette époque, de la chaire d’esthétique, est reproduite dans le numéro d’octobre 2006 de l’excellente revue en ligne Ironie.

Sollers y aborde, face aux tableaux du peintre (pas leur photographie ou leur reproduction) la question de la solitude fondamentale propre à l’expérience intérieure/extérieure de Cézanne. Et aussi celles des rapports entre Eros et Thanatos. Eros et Logos. Eros, Logos, Ethos ("une vraie éthique" pas la "moraline").

Il est beaucoup question de Heidegger et de Parménide. Vous pouvez vous reporter à La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin qui date également de 1991.

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Solitude de Cézanne

« Précisément, ce que la parole a de propre, à savoir qu’elle ne se soucie que d’elle-même, personne ne le sait. »

Cette conférence va essayer de répondre aux tableaux et pas aux photographies que vous venez de voir, des tableaux.

Le titre s’explique tout seul par cette lettre de Cézanne à son fils du 28 septembre 1906, très peu de temps avant sa mort : « Quant à moi, je dois rester seul, la roublardise des gens est telle que jamais je ne pourrai m’en sortir ; c’est le vol, la suffisance, l’infatuation, le viol, la mainmise sur votre production, et pourtant la nature est très belle. »

Qu’est-ce que la « nature » pour Cézanne et comment se sent-il seul avec la « nature » ? C’est le sujet d’aujourd’hui.

[« Précisément ce que la parole a de propre, à savoir qu’elle ne se soucie que d’elle-même, personne ne le sait. »]

J’ai écrit au tableau cette phrase de Novalis pour annoncer la couleur, à savoir que je vais parler en me préoccupant uniquement de la parole que je prononce. Pour charger un petit peu cette phrase de Novalis, je vais la faire résonner en fonction de Heidegger – bien sûr –, qui la commente de la façon suivante :

« La parole est Monologue : la parole seule est cela qui, à proprement parler, parle. Et elle parle solitairement. Pourtant, ne peut être solitaire que ce qui n’est pas seul ; pas séparé, pas isolé, pas sans aucun rapport [3]. »

C’est une pensée étrangement paradoxale mais évidente aussi, qui veut dire que celui qui est dans le maximum de rapports est vraiment seul ; que la pensée séparée, isolée, n’arrive pas à être solitaire.

2017. « Travailler sans le souci de personne. »

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Cézanne, La mer à l’Estaque, 1879.
Musée Picasso. Photo A.G., 24-01-17. Zoom : cliquez l’image.
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Cézanne, Cinq baigneuses (1877-78) et Le château noir (1905).
Musée Picasso. Zoom : cliquez l’image.

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Heidegger
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

2017. La montagne Sainte-Victoire.

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J’étais l’autre jour au musée Picasso, seul, il faisait très beau, et une fois de plus ce qui m’a frappé, c’est, dans l’une des salles, la présence de trois Cézanne, qui sont là sur le mur parmi les œuvres de Picasso, dans le musée Picasso. Ces Cézanne-là provoquent chez moi une émotion immédiate, que je vais donc essayer d’expliquer, puisque Cézanne est un peintre, mais finalement je ne vais pas vous parler de peinture, je vais essayer de préciser ce qu’il en est de l’expérience intérieure de Cézanne, de l’expérience extérieure de Cézanne, ou extérieure comme intérieure, ou intérieure comme extérieure, sur laquelle il a été extrêmement prolixe, précis, employant des termes que nous avons aujourd’hui à analyser parce qu’ils ne peuvent plus être les nôtres, par exemple, « nature ». Bref, ces trois tableaux de Cézanne au musée Picasso résonnaient sur les murs à la fois comme une source affirmée par Picasso, on le sait, comme une fondation – « Cézanne, c’est Dieu  », pour Picasso et Matisse (Dieu : pourquoi ? quel Dieu ?) –, et aussi comme une sorte de reproche, de monstration secrète que peut-être la peinture de Picasso, aux yeux mêmes de Picasso, n’était pas obligée de devenir Picasso. Comme si Picasso avait voulu manifester, en gardant jalousement ses Cézanne, que quelque chose même chez ce fondateur divin de la peinture pouvait être oublié pendant qu’on exploitait ce qu’il avait pu découvrir.

Cézanne comme reproche à la peinture dite moderne. Cézanne comme récusation possible de tout l’art moderne, qui pourtant lui doit tout. C’est une question. Et dans la grande misère actuelle de la marchandise d’art, dans le cirque qu’est devenu l’art, je crois qu’on peut se poser la question, en tout cas devant ces Cézanne au musée Picasso, protégés par le musée Picasso, protégés par Picasso, exhibés parmi ses propres œuvres par Picasso comme sa source, et quelque chose qui peut être un reproche parce que le père tué a autre chose à dire que ce qui s’est passé dans son meurtre. Dans ce bleu – inouï – de Cézanne, j’ai entendu quelque chose que je voudrais vous dire.

Par exemple, pour prendre les choses vraiment là où on fait semblant d’être ; par exemple, j’ai toujours trouvé étrange que Freud ait mis dans un rapport de symétrie Éros et Thanatos, le désir, le sexe, et la mort. Comme s’il s’agissait, platoniciennement d’ailleurs, de deux jumeaux éternels luttant l’un contre l’autre à égalité, sans qu’aucun puisse jamais remporté une victoire définitive. Ce fantasme platonicien de Freud, je dis tout de suite platonicien parce que nous allons essayer de dire que Cézanne – vraiment, c’est prouvable – perce cette couche éternellement platonicienne de la pensée et du discours, et va vers autre chose. Vers qui Platon a tué. Il a un nom, ça s’appelle Parménide, et la question va être celle de l’être.

Donc ce fantasme platonicien de Freud, cette symétrie entre Éros et Thanatos, cette symétrie mythique – tous les mythes fonctionnent par complémentarité, on le sait, on devrait le savoir – vient signer ce que Freud lui-même appelait le malaise dans la civilisation, c’est-à-dire ce qu’il nous faudrait appeler aujourd’hui, je suppose que vous en serez d’accord, non plus un malaise mais une catastrophe. En art. D’où ce discours ardu.

En réalité, Éros et Thanatos ne sont nullement symétriques. Et il vaudrait mieux dire que la mort, pour l’appeler par son nom, occupe ni plus ni moins que 99 % de l’espace où peut se représenter son antinomique éventuel : Éros. Éros, vous l’avez vu tout à l’heure, peint en relief de plâtre parmi des oignons très significatifs. Ce qui pose le problème de savoir comment introduire la sculpture dans la peinture. Cézanne pose ce problème comme jamais personne avant lui, Picasso va l’utiliser, bien sûr ; mais pour en revenir à ce reproche que Cézanne fait à tout l’art moderne, et à Picasso lui-même, citons simplement l’anecdote suivante : quand le Metropolitan de New York a voulu acquérir une « guitare préparée » de Picasso, et qu’il n’a accepté sous aucun prétexte de la vendre, on avait beau lui proposer beaucoup d’argent, on n’a pu l’obtenir uniquement qu’en lui offrant en contre-partie, c’est-à-dire en troc, un Cézanne. L’argent ne fonctionnait plus, donc, à ce niveau-là. Donnant, donnant. Un truc en trois dimensions contre un tableau en deux dimensions. La présence de la sculpture, du relief, du bloc, de la forme-couleur, de l’incroyable unanimité en relief des tableaux de Cézanne est posée par cette anecdote même, par rapport à quelqu’un qui s’y connaissait bien entendu, Picasso.

Pour se rendre compte, donc, que Éros et Thanatos, c’est pas dans la balance, il suffit de s’interroger une nouvelle fois sur la pulsion de mort qui travaille non seulement chaque individu, en ce moment même, mais encore toute la société. Et la moindre hésitation à ce sujet, hésitation qui n’est pas le fait de Cézanne – je vais essayez de montrer comment il en décide –, la moindre hésitation implique, en effet, et de plus en plus, une représentation de l’Éros uniquement rongé par la mort, d’où le spectacle auquel nous assistons du si peu d’Éros, dans la mort généralisée, au point que l’Éros subsistant à peine se présente à nos yeux, depuis déjà longtemps, comme uniquement parodique ou moribond, parodique donc moribond.

Fonction érotique de Cézanne.


Les Grandes Baigneuses, 1894-1905.
Zoom : cliquez l’image.
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La conséquence, ou plutôt la cause cachée, étant une crise accélérée, aggravée, du langage, depuis longtemps. Alors en grec ça s’appelle Logos. Cette décomposition accélérée dans ce qu’il faut bien appeler la laideur obligatoire, en art… gent, indique, il me semble, la place désormais inexistante de ce qu’il faut bien dire que cela fait lien entre Éros et Logos, entre sexe et langage, s’il faut parler français, et ce lien ça s’appelle l’Ethos, l’éthique. Donc au tableau j’aurais pu marquer : Éros, Logos, Ethos. Il peut bien y avoir un déluge de morale – c’est bien l’actualité, n’est-ce pas –, ou de bons sentiments, une falsification démagogique constante reposant sur la volonté de représentation de l’irrationalité de la marchandise, qu’il faut représenter donc comme euphorique, c’est ça la fonction du discours de la morale aujourd’hui tout puissant : les intellectuels sont coupables, patati, patata… La morale, c’est la marchandise euphorique, enfin. Soi-disant. C’est l’équivalent incessant d’un désir toujours déjà mort, enfin, pour les contrôleurs de l’irrationalité de la marchandise, du spectacle. Rien n’empêche de constater ce peu de langage, ce peu d’érotisme, ce toujours si peu, et ce quasiment plus d’éthique. C’est pareil. Peu de sexe, peu de langage, peu d’éthique. Beaucoup de morale. Ces trois termes – Éros, Logos, Ethos – forment un nœud qui visiblement, donc, sous nos yeux, se défait. Se défait pendant que Cézanne, même avec ces petites projections de rien du tout, peut-être l’avez-vous senti, Cézanne est là. L’inversion généralisée de l’Éros, le fait qu’il ne puisse plus tenir comme représentation que comme simulacre (marchandise), ou moribonderie, donc un sexe pour l’escroquerie ou pour la mort (ajouter la maladie là-dessus, ça fait très bien). Ceci fait que ça nous… – et ça c’est là où nous parlons aujourd’hui –, cet Éros a en effet… à Thanatos et à Pathos, c’est-à-dire à la mort et au simulacre de pathétique, au pathétique lui-même, parce que finalement le simulacre est toujours pathétique. L’ignorance, le simulacre, la laideur obligatoire, le faux mécanisme du désir marchand, la pavlovisation des réflexes, la propagande pseudo-érotique (anti-érotique), sont les fonctions majeures de la société planétaire où nous sommes plongés, avant même d’avoir éprouvé une salivation quelconque.

C’est là donc où je voulais rapidement évoquer que dans ce qu’on doit appeler un nihilisme devenu enragé, il faut mettre en question un certain nihilisme de Freud. Salivation, je ne dis même pas désir sexuel, ladite salivation étant déjà rétrovertie dans une ignorance toujours plus profonde, une niaiserie analphabète organisée, une amnésie rentabilisée en pathétique et en aspirations parodiques. Par rapport à cette situation, qui éprouve l’angoisse ? L’angoisse cubique, le cube dans l’abîme, dont nous sentons évidemment, si nous les regardons bien, que Cézanne maintient l’enjeu.

Dans la perversation actuelle — ce n’est pas de la perversion, c’est de la perversation, au sens où l’on dit les malversations —, donc je pense qu’il y a lieu — j’arrive à Cézanne tout à l’heure —, il y a lieu de distinguer entre un..., oui, un vrai et un faux Éros, décidément. Entre un vrai et un faux langage (Logos). Entre une vraie éthique et une falsification morale systématique. Pour cela, il n’y a pas moyen de faire autrement que de reposer la question de l’être. Et qu’est-ce que c’est donc que l’être ? Et c’est donc ce Grec qui s’appelle Parménide, que l’on appelle présocratique (comme si tous les penseurs d’avant Socrate devaient aboutir à Socrate), c’est donc ce Grec qui le dit, et le dira éternellement, et c’est peut-être au moment où on ne peut pratiquement même plus l’entendre que la chance de l’entendre peut-être revient du plus bas. Parménide dit, dans une mise en scène à laquelle je vous renvoie, une chose qui a l’air toute simple, où j’entends ce que je vois dans les tableaux de Cézanne, je n’ai pas trouvé mieux pour vous les rendre sensibles par la parole ce soir : « L’être est ; le non-être n’est pas. » Ça a l’air tout simple, et pourtant c’est l’histoire et la nervure même de toute la philosophie qui, par inadvertance (pour reprendre les mots de Heidegger), auraient oublié cette question de l’être, dans ce que l’on appelle l’histoire de la métaphysique.

Heidegger, puisque c’est un penseur mal vu, moi il me va ; et par exemple, à propos de Parménide, voici ce qu’il dit : « Ces quelques mots [j’aimerais, si cela ne vous ennuie pas, que vous entendiez ces quelques tableaux] sont là dressés comme les statues grecques archaïques. Ce que nous possédons du poème de Parménide tient en un mince cahier [il n’y a pas tellement de tableaux de Cézanne], mince cahier qui bien entendu réduit à rien les prétentions de bibliothèques entières d’ouvrages philosophiques, qui croient à la nécessité de leur existence [qui réduit à rien un nombre incalculable de tableaux qui croient, ou plutôt dont la marchandise fait croire, à la nécessité de leur existence]. Celui qui connaît la dimension d’un tel dire (Parménide), d’un tel dire pensant [d’un tel peindre pensant, pourquoi pas, c’est vraiment la même chose], doit, aujourd’hui, perdre toute envie d’écrire des livres [je parle pour vous faire perdre l’envie de faire des tableaux, ou pour abolir toute la critique d’art, ça serait déjà pas mal, ou Sotheby’s, ou Christie’s, ou tout ça]. »

Heidegger dit aussi — donc Parménide : « L’être est ; le non-être n’est pas », prendre position là-dessus, décider là-dessus, dans une mise en scène mémorable, dont je n’aurai pas le temps de vous parler, mais tant pis, reportez-vous au poème de Parménide, les pré-socratiques dans la « Pléiade », etc. —, Heidegger dit aussi : « C’est la première vérité décisive, pas seulement la première au sens chronologique, mais bien la première, celle qui se tient avant toute autre et transparaît à travers toutes les autres. »

À ce sujet, ce qui est très intéressant dans les commentaires, il n’en manque pas, sur Cézanne, c’est ce carrefour que tout le monde éprouve en même temps. Est-ce un Primitif ? Sans doute, peut-être. Est-ce quelqu’un qui annonce toute la suite ? Evidemment. Mais un commentateur de Heidegger dit ceci dans un commentaire du poème de Parménide, et je trouve ça logique qu’il ait senti que cet oubli de la question de l’être, notamment par Platon, ressurgissait sauvagement, incroyablement incongru, en bloc, dans la peinture de Cézanne. « Il a fallu Cézanne, dit-il, pour que les prétendus peintres primitifs — Giotto, etc. — apparaissent non plus comme des débutants, encore naïfs, dans leur naïveté apparente, mais qu’ils apparaissent donc dans leur naïveté apparente (construite par l’idéologie) comme de véritables gardiens de l’essence même de la peinture. »

Ce qui est immédiat dans la contemplation du moindre Cézanne, c’est que vous êtes en dehors de la ligne supposée du temps de l’histoire de la peinture. Il faut donc sortir de ce préjugé ressassé, scolaire, de Cézanne qui arrive après et avant. Il n’est ni après, ni avant, il est là. Picasso le savait. Il n’a jamais pensé que Cézanne était avant lui, et qu’il le dépassait dans un après. De même qu’on ne dépasse pas telle ou telle pensée fondamentale. On peut éventuellement en saisir le socle.

Cette histoire de l’être me paraît appropriée à Cézanne. Pourquoi ? Parce qu’il se pose lui-même, avec beaucoup de passion, avec le langage qu’il peut, qui va d’ailleurs intriguer beaucoup les phénoménologues (Merleau-Ponty, notamment), la question de l’être. Il y a cette fameuse déclaration de Cézanne : « Ce que j’essaie de vous traduire est plus mystérieux que tout. C’est l’enchevêtrement aux racines mêmes de l’être, à la source de l’impalpable sensation. » Voilà.


Nature morte avec le panier de fruits ou La table de cuisine, 1888-90.
Musée d’Orsay. Zoom : cliquez l’image.
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2017. La Nature. Cézanne lisait Baudelaire.

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L’impalpable sensation.

Et s’il y a quelqu’un qui insiste toute sa vie, dans cette vie incroyable — je ne vais pas vous faire la psychologie et la sociologie de Cézanne, il y a des livres très bien là-dessus, vous vous y reportez : sa façon de se comporter, ses ruptures, ses brusques distanciations avec tout, sa phobie du toucher, surtout qu’on ne le touche pas, il faut passer à deux pas de lui, comme s’il était chargé comme une pile nucléaire, radioactive, même s’il tombe dans un fossé, à un moment donné quelqu’un essaye de le retenir : Noli me tangere. Vraiment position de ressuscité, on dirait. Vraiment. Ne me touchez pas. Etc., etc., etc. La sauvagerie anti-sociale de Cézanne est connue, je suppose. C’est pas ça qui m’intéresse pour l’instant, c’est la façon dont il pense lui-même et dont la peinture est pour lui une expérience de l’être. Et il dit assez volontiers ce qu’il en pense.

Donc ce noeud entre la pensée et l’être, et le langage sans lequel on n’aurait pas le noeud entre eux, s’oppose à ce que nous avons dans la société désormais tout entière, c’est-à-dire ce déchaînement du spectaculaire (on reviendra sur ce terme de spectacle), c’est-à-dire cette petite pensée de merde de l’individu désormais exploité à mort. Ce qui relève de l’économie politique la plus banale, qui est comme vous savez que l’a dit quelqu’un — un autre philosophe qui n’est pas bien vu, donc qui me plaît — « qui est la négation achevée de l’homme ». «  L’économie politique est la négation achevée de l’homme. »

Dans sa coupe, mondiale désormais, et sous couvert de l’humanisme qu’on vous vend au plus bas prix, il s’agit en réalité d’un programme auto-régulé, toute critique antérieure de l’économie politique étant déclarée effondrée, et bien sûr elle l’est, puisque nous vivons sous le règne sans partage de l’économie politique qui est la négation achevée de l’homme. Les conséquences en art, avec ce qui s’ensuit sur le marché, pas seulement le marché des gribouillages, mais le marché des corps qui gribouillent, est suffisamment, j’espère, ressenti par vous. J’ai fait un petit roman, qui s’appelle La Fête à Venise, qui parle de ça. Et qui parle aussi de Cézanne, sur un point particulièrement important, il me semble, c’est-à-dire le livre de Joachim Gasquet, dont Marcelin Pleynet vous a sûrement déjà parlé, qui a toujours été, ce témoignage de Gasquet, comme par hasard, traité à la légère, refoulé, déclaré incrédible. Il s’agit au contraire d’un témoignage, qu’il faut absolument que vous lisiez, d’une visite, notamment, de Cézanne au Louvre et de ce qu’il dit des peintres qui sont là. Comme il dit lui-même « les Vénitiens et les Espagnols ». Il n’y a que cela qui l’intéresse. Ce texte de Gasquet, témoin direct qui a peut-être réécrit ça de façon trop chaude — c’est ce qui choque, notamment les critiques anglo-saxons —, c’est un témoignage de toute première envergure. Il faudrait relire ici — je n’ai pas le temps — toutes les phrases de Cézanne sur Tintoret, et sur Courbet.

Bon, je reviens à mon Parménide : « L’être est ; le non-être n’est pas. » Alors vous lirez Parménide et vous verrez comment il explique ça, comment il montre ça très bien, comment la voie du non-être est absolument indicible et impensable, il ne faut pas s’y engager, on nie la négation, et comment la voie de l’être, au contraire, extrêmement parlante, polyphone, est annoncée, comme par hasard d’ailleurs, dans le poème, par un afflux, c’est tout à fait ce qui le distingue de tous les autres penseurs ou poètes, par un afflux de figures féminines. Ça n’arrête pas. Il y a des jeunes filles du soleil, les Héliades, il y a Dikè, la Justice, Thémis, le Droit — tout ça c’est féminin en grec —, Anankè, la Nécessité, Moira (féminin en grec), le Destin, Aletheia, la Vérité. Tout ça ce sont des figures féminines qui accueillent l’heureux audacieux qui a réussi à arriver jusque-là, dans une course rapide, ébouriffante, qui le mène jusqu’à la révélation de ce qu’il en est de l’être et du non-être.

Ce sont des femmes, donc, qui le révèlent à ce voyageur-là. Appelons-le Cézanne, pourquoi pas.

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Cézanne devant Les grandes baigneuses.
Photographie d’Emile Bernard.

Les Grandes baigneuses, comme intermédiaire de cette révélation.

2017. Les femmes ? Manet et Picasso plutôt que Cézanne. « Casanover ».

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À se tromper sur l’être et le non-être, dit Parménide, on va se tromper sur tout, c’est-à-dire on va mélanger constamment, tout. Il s’agit donc d’un « carrefour », d’une crise, autrement dit d’une décision (en grec krisis, krisein, décider, discerner) : il faut prendre parti. Il est impossible, à mon avis, de regarder un tableau de Cézanne, même sans connaître sa vie, qui le prouve surabondamment, sans comprendre — sans éprouver — que voilà quelqu’un qui un jour a été dans la nécessité totale de prendre parti. De prendre parti dans le redoublement de l’affirmation et dans la négation de la négation. Il me semble que c’est ça que sa peinture dit. Ouvertement. Elle le dit de façon, pour moi, bouleversante ; pour quelques peintres qui ont suivi, aussi. C’est Cézanne, touché mentalement, qu’ils ont osé affirmer leur affirmation. Que d’audace dans Les Demoiselles d’Avignon succédant aux Grandes baigneuses ! Cela se passe en deux ans. Cézanne meurt, il a fait ses Grandes baigneuses — vous avez vu sa photo tout à l’heure avec son pantalon taché d’encre [sic], photo prise par Émile Bernard, qui n’est pas n’importe qui, c’est à lui que Cézanne écrit les lettres les plus intéressantes, comme par hasard c’est lui qui prend les meilleures photos. C’est aussi Émile Bernard qui est là en train de prendre Cézanne en train de peindre sa montagne Sainte-Victoire sur son petit chevalet.

Décision.

Décision tout à fait dramatique parce que si vous relisez Cézanne au Louvre, vous voyez qu’il est tout à fait conscient qu’il est le seul à se rendre compte à quel point ça fout le camp de partout et que personne ne se préoccupe de savoir ce que penser ou peindre veut dire. Ou vivre !

Je pense qu’il n’y aurait pas Les Demoiselles d’Avignon, qui restent comme une audace insensée (toutes ces figures féminines bizarres, révélatrices), dans l’atelier de Picasso pendant des années. Vous vous rappelez l’anecdote (c’est Salmon, je crois) : on va retrouver un jour Picasso pendu derrière ce tableau...
Voilà.

Une certaine impuissance philosophique, ou psychanalytique, puisqu’on en parle dans les journaux, beaucoup, y a des courriéristes psy-psy partout... ; une certaine impuissance visible à traiter de cette krisis, de ce « carrefour » de la pensée et de l’être — en peinture —, je ne parle pas d’histoire de la peinture pour l’instant, ça c’est banal, je vous parle de ce que Cézanne, en tant qu’absolu de sa vie, pense de l’être en peignant. Il ne parle que de ça. Une certaine impuissance philosophique, donc, est ici constatable. Qui voudrait dire, en somme, que depuis Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, Kant, Hegel, Marx, Freud, et même Nietzsche, personne n’a rien compris à cette histoire de Parménide : « l’être est ; le non-être n’est pas ». Et que même Heidegger, on pourrait situer son point de dérapage, quand il pense que c’est de poésie peut-être qu’il s’agit uniquement, dans le langage qui a du rapport à l’être. Alors à ce moment on commence à penser qu’il y a une langue pour penser ça — c’est l’allemand —, et puis le reste s’ensuit, y compris dans les petites histoires, très graves, de l’Histoire.

C’est pas parce qu’il était méchant que Heidegger n’a pas vu le nazisme, c’est parce qu’il se trompe sur cette question, en un point bien précis qu’il faut donc oser penser. Puisque c’est le meilleur philosophe du XXe siècle... ah ! Que tous les autres ont exploité, sans y rien comprendre trop. L’Être et le néant, vous comprenez, ça ne tient pas devant cette histoire de Parménide sur « l’être est ; le non-être n’est pas ». Comment il faut nier le non-être pour affirmer l’être, et qu’est-ce que c’est que l’être à partir du moment où on a nié le non-être...

Donc, qu’est-ce que ce serait que cet Éros-là ? Vous sentez cet Éros cézannien, il n’a rien d’érotique au sens des magazines. Moi, c’est drôle, ça me donne une sensation érotique violente.


Éros en plâtre, vers 1895.
Londres, Courtauld Institute Galleries. Zoom : cliquez l’image.
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Qu’est-ce que ce serait qu’un Éros, alors, à la mesure de cette question de l’être ? Il faudrait donc qu’il ne soit pas rongé par un non-être, qui n’est pas. Il faudrait donc qu’il – cet Éros – ne soit pas ressenti comme relevant de la tarte à la crème du manque. Ce qui est si bouleversant, encore une fois, chez Cézanne, c’est cette représentation de l’absence du manque. Tous les éléments, millimètre par millimètre, touche par touche, et même quand il y a des zones non peintes, bien entendu, rien dans un tableau de Cézanne, rien, n’est pas. Et la conséquence, c’est qu’il n’y a pas non plus d’au-delà d’un tableau de Cézanne, et qu’il n’y a pas non plus d’autre d’un tableau de Cézanne. C’est-à-dire que le même insiste sur le même, sans autre. Voilà ce qui est arrivé à la peinture, vers la fin du XIXe siècle, en France. Et en français, donc. Pas en allemand.

Qu’est-ce que c’est que l’être de Parménide (excusez-moi de vous dire ce qu’il est d’après Parménide, parce que on croirait entendre une définition d’un tableau de Cézanne) ? Il est « non-né, indestructible, tout d’une seule masse, inébranlable, non à terminer, tout-entier-tout-à-la-fois-présent, un et d’un seul tenant ». Je répète : « non-né, indestructible, tout d’une seule masse, inébranlable, non à terminer, tout-entier-tout-à-la-fois-présent, un et d’un seul tenant  ». C’est pas du Cézanne, c’est du Parménide, mais Cézanne dit des choses qui sont incroyablement du même ordre logique.

C’est aussi, si vous voulez, autre traduction possible : « un seul bloc (l’être), un seul bloc unique, inébranlable et sans fin ». Je répète, j’insiste, il est « maintenant tout à la fois – Cézanne dira « je ne fais qu’un avec mon tableau » (étrange) –, maintenant tout à la fois sans manque – sans manque : ô blasphème dans l’actualité d’aujourd’hui –, sans manque – ô blasphème dans le spectacle –, sans manque, manquant (dit Parménide), il manquerait de tout  ». Oui, nous sommes là dans la voie qui laisse complètement de côté, par une négation redoublée, celle de tout innommable, de tout indicible, de tout impensable – innommable, indicible, impensable ; L’Innommable, c’est un titre d’un très grand écrivain contemporain –, et si je dis que c’est sans manque, sans manque à être, il y a suffisamment, parmi vous, de personnes qui ont écouté le discours, par exemple, de Lacan, pour savoir qu’il s’agit d’autre chose.

« Toujours déjà – cet être –, toujours déjà – un tableau de Cézanne –, toujours déjà au bout de lui-même – magnifique ! qu’est-ce qu’un tableau de Cézanne sinon un espace qui est toujours déjà au bout de lui-même : ces montagnes… –, toujours déjà achevé, non à terminer – ce « non à terminer » est très important. »

Alors : « L’être prononcé est dévoilement de l’être et en même temps acte de pensée. » Ou si vous préférez : « Jamais sans l’être où il est devenu parole tu ne trouveras le penser. » Être, penser, langage. Voilà le Logos mis à sa place, dans l’être. Il ne s’agit pas de « je pense, donc je suis », c’est autre chose.

Qu’est-ce que l’Éros qui consonne avec cet être-penser-langage-là ? Qu’on peut aussi bien aborder par la peinture. Il ne s’agit pas de croire qu’on ne l’aborde que par la poésie (Hölderlin, etc.), ou par le signifiant. La peinture peut s’en charger. C’est ce que dit Cézanne. À la grande satisfaction de Picasso, bien sûr. Qui oublie quelque chose. Il le sait.

Regardez si ceci, de Parménide, ne colle pas – c’est ce que je ressens – avec un tableau de Cézanne : « Ce qui absent, voie-le malgré tout par la pensée, ferme présence, car tu ne couperas pas l’être de sa contiguïté (à l’être), ni en le dispersant, ni en le rassemblant. » Quand on sait à quel point, techniquement, Cézanne est un penseur de la contiguïté, il me semble que cela se comprend.

Donc, je suis en train, sous ce pouce, d’essayer, en parlant, de rejeter l’invisibilité où est Cézanne. Il ne s’agit pas ici d’un exposé formel, formaliste, il y en a tellement, pré-cubiste et tout ça, je passe par… ailleurs.

Il n’en reste pas moins que qui était Dieu pour Picasso et Matisse – ils disent « Dieu », vraiment, faut le faire –, était un…, je le note en passant, il faut bien dire comment il a été perçu avec mépris ; y a eu des gens qui ont méprisé Cézanne, par exemple Breton, André, qui pense que c’est un « fruitier », qui donc ne sentait pas cette formidable émotion que peut provoquer un tableau de Cézanne, sans aucune raison, en tant qu’accès, tout à fait incongru, à l’être, « d’un seul tenant, inébranlable », etc.

Il y a une lettre à son fils Paul – entre parenthèse, qu’il écrive ses messages les plus personnels sur sa situation subjective à son fils est une de ces étrangetés j’allais dire odysséennes, c’est Ulysse et Télémaque, enfin c’est très étrange. Il lui écrit ça : « Les sensations faisant le fond de mon affaire – aller déchiffrer ça ! –, les sensations faisant le fond de mon affaire, je crois être impénétrable. » Vous avez entendu, au départ, comment Cézanne dit qu’il doit rester seul, parce que c’est tout le temps le vol, le viol, la mainmise. Il est certain qu’il cogite, le pinceau à la main, beaucoup. Ce n’est pas par hasard qu’il prend des carrières de Bibémus à la fin, des montagnes, sur le fait de ce que c’est que l’impénétrabilité. Vous pouvez l’entendre comme vous voulez. « Je me crois impénétrable. » S’il se croit impénétrable, c’est qu’il l’est. Comme dit Rimbaud : « Si je me crois en enfer, c’est que j’y suis. »

« Quant à moi je dois rester seul, la roublardise des gens est telle que jamais je ne pourrai m’en sortir ; c’est le vol, la suffisance, l’infatuation, le viol, la mainmise sur votre production, et pourtant la nature est très belle. » Nous sommes en 1906, on ne peut pas dire que ce se soit arrangé. Et en plus, la nature n’est presque plus belle. De toute façon, ce que Cézanne appelle « nature » – il n’a pas lu Parménide, je le lui fais lire, pourquoi pas –, c’est, si on insiste, trouvable dans cet enchevêtrement aux racines de l’être, c’est bien de l’être qu’il parle, et son histoire de « motif » n’est rien d’autre que cette recherche de l’extérieur complètement intérieur, et réciproquement, qui serait l’inébranlable, le non-pénétrable.

Essayez donc de pénétrer dans un tableau de Cézanne, ou de vivre, par exemple, une journée dans un tableau de Cézanne en imagination. Vous allez voir que c’est très très très compliqué. C’est un très bon exercice, d’ailleurs, mental. Prenez un tableau de Cézanne, allez le voir, et décidez que vous allez l’habiter pendant une journée (si vous pouvez).

Il meurt sur le motif, vous connaissez l’histoire de la charrette de blanchisseuses qui le ramène après qu’il soit resté inanimé sous la pluie, etc. Il y a là quelque chose qui devrait paraître, en effet, pathétique à tout le monde. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas eu encore un film sur les derniers moments de la vie de Cézanne. Mais non, personne ne voit ça avec émotion. Il ne se coupe pas l’oreille. Il écrit à son fils. Ça suffit pour que le cinéma ne s’y intéresse pas.

Il y aurait beaucoup de choses à dire aussi, et je les dirai une autre fois, sur Rodin. Très parménidien aussi Rodin. Mais c’est Camille qui intéresse le cinéma.

Quoi qu’il en soit, Cézanne meurt le 22 octobre 1906 à Aix, parce qu’il n’a pas repris connaissance sur sa charrette de blanchisseuses qui le ramène du motif, avec son histoire de « sensations colorantes », qu’il assimile à un langage complètement nouveau, impénétrable et qui va jusqu’à lui faire dire, à son fils : « Tous mes compatriotes sont des culs à côté de moi. » Je rapproche « Je me crois impénétrable  » de « Tous mes compatriotes sont des culs à côté de moi ».

Les pins, les montagnes, les baigneuses, les verticales, les horizontales, les blocs, l’impénétrable.
Un critique a dit une chose que je trouve sensée : « L’œuvre de Cézanne est si cohérente qu’elle n’appartient à aucun monde particulier. » Un autre monde.

Alors vous pouvez faire en effet défiler ce Golfe de Marseille près de L’Estaque – d’ailleurs je ne sais pas comment cela se fait que tous les titres des tableaux de Cézanne sont beaux et vibrent et ont quelque chose… pas du tout de surréaliste : Jas de Bouffan (c’est là où il habitait, il y a des tas de tableaux), ou alors le Château Noir, la Villa Maria, la carrière de Bibémus : vous l’avez vue tout à l’heure, c’est ces blocs entassés, qu’on a l’impression que Cézanne, à force de peindre, a un peu soulevé le basalte lui-même. Cela n’a pourtant que deux dimensions, mais l’intégration de la troisième dimension – ce que je disais tout à l’heure à propos de la sculpture –, c’est que c’est si troisième dimension. Il n’a pas fait de sculpture Cézanne, jamais. Picasso oui, Matisse oui, Cézanne pas besoin. C’est dans le tableau. « Mon tableau et moi ne faisons qu’un. » C’est son corps. Son corps est en trois dimensions. Au moins.


Autoportrait à la palette, 1894.
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Puis vous voyez ces Autoportraits, il y en a un ici, il y en a bien d’autres, avec cette histoire entre l’œil droit et l’œil gauche, et ce pouce sur lequel je passe. Et ces routes tournantes, et ces grandes baigneuses, et ces pyramides, ces cathédrales, ces cubes, etc. Tout ce que vous voulez.

Bien.

Et ces orgies aussi, parce que, pour lui au début, il appelait ça, quand il était plus jeune, des orgies. C’étaient des orgies, mais des orgies sur fond de cette réflexion, qui me renvoie à l’angoisse, « c’est effrayant, la vie  ». « C’est effrayant, la vie. » Et ça, comme un philosophe – c’est toujours Heidegger – l’a dit de façon correcte, je vous le lis (si je ne vous le lis pas, vous ne le lirez pas ailleurs) : « L’angoisse de celui qui ose ne souffre pas qu’on l’oppose à la joie, ni même à l’agrément d’une activité paisible. En deçà des antinomies de ce genre, elle entretient une secrète alliance avec la sérénité et la douceur du désir créateur se manifestant dans l’œuvre. » C’est ça l’angoisse – la vraie. Pas le mauvais rêve.

Ou encore – ce n’est pas de Cézanne que parle Heidegger, mais il en parle, malgré lui : « C’est quelqu’un, celui-là qui ose, l’angoisse de celui qui ose, pas l’angoisse de celui qui n’ose pas (alors Cézanne il ose, oui), consiste à recueillir ce qui s’ouvre, se déploie, à le sauver et à le maintenir dans ce recueil, en demeurant exposé aux effractions du désarroi. » Cézanne est très exposé aux effractions du désarroi. Il n’arrête pas de le dire. Et en même temps : sérénité, agrément.

« J’ai voulu nouer les mains errantes de la nature. » Les Grandes baigneuses. « Je ne fais qu’un avec mon tableau. » « Je travaille opiniâtrement – écoutez moi ça parce que on va voir comment il est obligé de ramener quelque chose de Dieu ; Cézanne est obligé de parler de Dieu à des gens qui s’en foutent, lui aussi d’ailleurs, mais c’est pas le problème, c’est que il essaye de faire sentir que c’est vraiment très sérieux –, je travaille opiniâtrement – tiens voilà une phrase de Cézanne, on dirait du Freud, vous allez voir –, je travaille opiniâtrement, j’entrevois la Terre promise. Serai-je comme le grand chef des Hébreux ou bien pourrai-je y pénétrer ?  » Le voilà tout à coup Moïse.

2017. Moïse.

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Et il se fâche souvent, Cézanne, c’est-à-dire qu’il est très « théoricien », mais il n’accepte pas ce qu’il appelle les « spéculations intangibles », les « causeries sur l’art », ce que peut-être je suis en train de faire. « Les causeries sur l’art sont presque inutiles. »

Alors voyons comment – on va finir là-dessus – cette histoire de « nature », de Dieu, et comment c’est d’autre chose qu’il parle, et que j’ai cru devoir – je pourrais m’en expliquer plus longuement, mais on va s’arrêter bientôt – appeler l’être, au sens trans-platonicien de Parménide. Ce qui est prouvable, je vous le dis tout de suite, ce n’est pas une idée qui m’est venue comme ça.

Bon, je prends la lettre à Émile Bernard, toujours l’auteur des photos de 1904, la fameuse lettre, sur laquelle tout le monde délire plus ou moins : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central. Les lignes parallèles à l’horizon donnent l’étendue, soit une section de la nature ou, si vous aimez mieux, du spectacle que le Pater Omnipotens Aeterne Deus étale devant nos yeux. Les lignes perpendiculaires à cet horizon donnent la profondeur. Or, la nature, pour nous hommes, est plus en profondeur qu’en surface, d’où la nécessité d’introduire dans nos vibrations de lumière, représentées par les rouges et les jaunes, une somme suffisante de bleutés, pour faire sentir l’air. »

Bon. Cette lettre, il faudrait la commenter indéfiniment parce que vous avez repéré tous les niveaux de discours qu’il y a : il y a des références géométriques (le cylindre, la sphère, le cône – la sphère, très bien, « la vérité bellement circulaire », la sphère, oui, très bien), ensuite vous avez cette histoire de point central des objets. Mais pourquoi donc cette section de la nature serait-elle le spectacle que le Père tout puissant et éternel – Dieu – étalerait sous nos yeux ? « La nature est plus en profondeur qu’en surface. » Alors il emploie le mot spectacle. Dieu serait-il garant du spectacle ? En tout cas, Cézanne pense en effet que le spectacle, pour l’homme (c’est Dieu qui étale ça, Dieu a sa profondeur, faut croire), le spectacle ne peut pas se dérouler en surface, ou alors, si vous préférez, ce qu’il dit c’est que le spectacle en surface n’est pas humain, ou anti-humain, ou contre-humain. Comme c’est ce que nous avons à longueur de temps dans la société où nous sommes, nous pouvons dire que Cézanne la trouverez, cette société du spectacle, particulièrement anti-humaine.

Vous pouvez, dans la biographie de Cézanne, trouver comment il s’appuie toujours sur Rome, par exemple, parce qu’il n’accepte pas la laïcisation des perceptions. S’il a besoin du Pater Omnipotens Aeterne Deus, moi personnellement ça ne me gêne pas. Mais bien entendu son intervention porte sur autre chose. Vous n’avez pas vu le moindre sujet dit religieux.

Quand on dit : « Pénétrer ce qu’on a devant soi, et persévérer à s’exprimer le plus logiquement possible » – pénétrer, c’est un chemin, et la recherche du maximum de logique ou de cohérence, c’est exactement de cette façon que mon Parménide décrit la voie de l’être. C’est comme par hasard quelque chose qui peut se cheminer, se pénétrer, et où la parole devient très parlante, et – comble de joie, enfin de surprise – se révèle de plus en plus logique. La logique n’en finit plus. Ce qui ne veut pas dire que cela soit une spéculation intangible, comme le récuse toujours Cézanne. Il a cette phrase extraordinaire, toujours à son ami photographe et amateur (c’est bien qu’il ait pris ces photos tout de même, Émile Bernard, de Cézanne assis devant ses Grandes baigneuses, avec les pantalons tachés de peinture), il lui dit : « Je regrette que nous ne puissions être côte à côte, parce que je ne veux pas avoir raison théoriquement, mais sur nature. » En situation.

Alors l’œil « devient concentrique à force de regarder et de travailler. Je veux dire que, dans une orange, une pomme, une boule, une tête » – j’interromps parce que le message c’est, une orange, une pomme, une boule, une tête, c’est pareil, une grande baigneuse c’est une montagne, un rocher c’est une pomme, un nuage c’est un crâne. Cela ne l’est pas n’importe comment, en association libre sur fond de rien, ça l’est logiquement par concentration et preuve.

De quelle sorte Cézanne entend-il sa preuve sur nature ?

« Je veux dire que, dans une orange, une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant (voilà) ; et ce point est toujours (l’œil devient de plus en plus concentrique et il y a un point culminant), et ce point est toujours – malgré le terrible (terrible, terrible) effet : lumière et ombre, sensations colorantes (c’est vraiment une chose terrible d’avoir l’œil concentrique au point qu’on voit dans les pommes, les oranges, les têtes, un point culminant) –, ce point est toujours le plus rapproché de notre œil (ah !) ; les bords des objets fuient vers un centre placé à notre horizon. » Voilà ce qui s’appelle s’exprimer d’une façon extrêmement précise : l’œil, la tête, l’horizon, le point.

A gauche : Portrait de Vallier. Vers 1906. Mine de plomb et aquarelle, 48 x 31,5 cm.
A droite : Le Jardinier (Portrait de Vallier). 1900-1906. Huile sur toile, 65,4 x 54,9 cm.
ZOOM : cliquer sur l’image.

On aurait pu montrer les derniers tableaux de Cézanne peignant son jardinier Vallier. Une sorte de Moïse ou de Freud, si vous voulez, assis sur une chaise, avec le visage mangé par la lumière. Tableaux extraordinaires de la fin de la vie de Cézanne, toute fin. Et ce qui est si étonnant, c’est que plus il constate un affaiblissement physique, plus il constate aussi un « progrès » dans sa certitude. C’est comme si au fur et à mesure que son corps le lâchait, il était de plus en plus sûr de son affaire. « Les sensations… » Les sensations, pourtant, cela ne veut pas dire donc qu’elles se raréfient ou qu’elles deviennent moins intenses, bien au contraire, c’est que, eh bien il va finir par tomber par terre en plein motif (mais cela n’intéresse pas le cinéma, je vous le précise, il s’agit d’autre chose).

À son fils toujours, le 8 septembre 1906, Cézanne meurt un mois après, voici ce qu’il lui écrit : « Ici, au bord de la rivière, les motifs se multiplient, le même sujet vu sous un angle différent offre un sujet d’étude du plus puissant intérêt, et si varié que je crois que je pourrais m’occuper pendant des mois sans changer de place en m’inclinant tantôt plus à droite, tantôt plus à gauche. »

Voilà, c’était « Solitude de Cézanne ».

Philippe Sollers

La conférence dans IRONIE numéro 116, octobre 2006 ou archive pdf.

LIRE :
Jardiniers
Les Grandes baigneuses
Cézanne m’apprit à regarder la nature chinoise

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Cézanne marginal

Marcelin Pleynet. En 2006, publication de « Cézanne marginal ».
Extrait d’un entretien avec Alain Veinstein (8 janvier 2007)
« J’avais ce projet dès le début des années 70. »
« L’enseignement de la peinture s’appuie entièrement sur l’héritage cézannien. »
« L’art est réservé à un nombre extrêmement restreint d’individus. »
« La société du spectacle. »
Zola et Cézanne : le naturalisme et le poétique.
« L’oeuvre de Cézanne ne peut être que marginale. »
« Aller à la nature par le Louvre et au Louvre par la nature. »

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L’entretien complet dans Marcelin Pleynet et le savoir peint

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« La solitude a un lien indissociable avec la création »

J. Vebret : — Comment passe-t-on de la poésie à Cézanne, et de Cézanne à la peinture moderne ?

M. Pleynet : La peinture moderne a cette particularité d’avoir un certain nombre de grandes figures qui la représentent. De Cézanne à Picasso et à Matisse : voilà quelle fut ma trajectoire. Il y a d’ailleurs un lien très étroit puisque l’un et l’autre trouvaient que Cézanne était un des grands maîtres de l’histoire de la peinture. Matisse disait : « Si Cézanne a raison, j’ai raison. » Et Picasso disait de Cézanne : « C’est notre maître à tous. »

Le rapport à la peinture et à Cézanne est très ancien. Dès ma visite aux États-Unis, en 1966, j’étais tout à fait passionné par Cézanne. À tel point que, visitant la collection Barnes à Philadelphie, où il n’y avait pas de reproductions, j’avais apporté des carnets où je faisais des dessins de tous les tableaux de Cézanne qui étaient exposés.

— Donc, en plus, vous dessinez !

Non. C’est très mauvais, très maladroit ! Mais il y a tout de même un certain nombre de dessins sur les tableaux de Cézanne de la collection Barnes et, plus généralement, des grands musées américains. C’est vraiment aux États-Unis que l’on peut voir le plus grand nombre de Cézanne. Il y en a quelques-uns à Paris, mais c’est très limité par rapport à ce que l’on peut voir aux États-Unis, que ce soit à New York – au MoMA, au Metropolitain… – où à Philadelphie, au Barnes, qui doit avoir deux cents Cézanne de tous formats.

— Vous avez dit que toute la peinture moderne est déjà chez Cézanne et qu’il y a des éléments de peinture moderne chez Cézanne qui n’ont pas encore été « révélés ».

Absolument. Notamment dans le rapport de la forme et de la couleur. Il y a dans les tableaux de Cézanne des choses qui n’ont jamais été vues, que ce soit par Matisse ou Picasso – Matisse étant plus intéressé par la couleur et Picasso par la forme. Elles l’ont tout de même un peu été par l’un des premiers à avoir bien parlé de Cézanne : Rilke, dans ses Lettres sur Cézanne, qui sont absolument magnifiques [4]. Il s’y intéresse beaucoup à la couleur, et notamment au bleu. Il dit qu’il y aurait une histoire du bleu à écrire. Rilke avait été le secrétaire de Rodin. Après avoir vu l’exposition Cézanne, il va voir les dessins de Rodin qui sont à la Galerie Bernheim puis va au Louvre. Et il découvre le bleu de Cézanne dans la peinture du XVIIIe. Cézanne est influencé par la peinture du XVIIIe, notamment celle des Vénitiens. Il ne cesse d’ailleurs de le répéter.

Il y a un mot de Cézanne que j’aime beaucoup. Lors de la dernière exposition qui avait eu lieu au Grand Palais, j’avais demandé à Françoise Cachin, la responsable de l’exposition, de le mettre à l’entrée de l’exposition, alors qu’il y avait plus de 300 mètres de queue. « L’art est réservé à un nombre extrêmement restreint d’individus. »

Il y a un autre mot de lui qui est assez joli. Lorsqu’il a appris que ses tableaux commencent à se vendre, il a dit : « Ces gens-là préparent un mauvais coup.  » Et c’était vrai.

Quel pont construisez-vous entre peinture et littérature, ou entre peinture et poésie ?

La poésie, c’est aussi de la peinture. Au XVIIe, on disait d’un portrait littéraire qu’il était « bien peint  ».

Il n’y a pas de pont. C’est une circulation. C’est la même sensibilité. C’est le même homme qui est en face d’un tableau et d’un poème. C’est de la sensation, la même sensation. Même chose à l’écoute d’un morceau de musique. C’est exactement le même type de sensation chez un individu qui le réalise plus ou moins et qui se réalise à travers lui.

L’intégralité de l’entretien (20-08-2012)

Cézanne contre les professeurs et les historiens (Art Press n°18, mai 1978)
Dessins d’après Cézanne
Le Baigneur aux bras écartés.

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Collection Folio essais (n° 532), Gallimard
Parution : 01-04-2010
Où en sommes-nous avec l’œuvre de Cézanne ? Qu’en savons-nous encore, que voulons-nous encore en savoir ? Que voyons-nous aujourd’hui lorsqu’en foules nous nous trouvons devant les tableaux de celui qui déclarait : « Le goût est le meilleur juge. Il est rare. L’art ne s’adresse qu’à un nombre extrêmement restreint d’individus. » ? Cézanne avait-il raison de penser que ses peintures rencontreraient un succès de « mauvais aloi » et que transformer ses tableaux en marchandises de valeur commerciale et bourgeoise, c’était préparer « un mauvais coup » ?
Qu’avons-nous oublié de voir, de retenir de ce que justement nous célébrons ? Comme si la singularité de cette œuvre s’imposait d’abord par ce que nous ne voulons pas savoir, comme si la mise à disposition de l’œuvre, sa surexposition, avait pour fonction d’en occulter l’essentiel.

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Avec le "Cézanne" de Marcelin Pleynet, on le voit bien :
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Cézanne est partout !

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Marcelin Pleynet est historien de l’art. Il fut titulaire de la chaire d’esthétique à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, de 1987 à 1999. On appréciera ici son approche ludique du beau. Son attrait pour l’essentiel de la peinture de Cézanne. Sa volonté d’aller vers la vérité. Celle dont Cézanne avait dit qu’il nous la devait. Une manière d’entrer dans le jeu du peintre. De célébrer sa place essentielle dans le monde de la peinture. Et de l’art en général.

D’ailleurs, Matisse n’a-t-il pas vendu la bague de fiançailles de sa femme pour acheter, chez Vollard, une peinture de Cézanne ? Ces Trois Baigneuses qui l’accompagneront pendant des décennies, accrochées sur le mur de son atelier... Et Picasso ne s’est-il pas inspiré des Grandes Baigneuses vues au Salon d’automne de 1907 pour peindre Les Demoiselles d’Avignon ?
On le voit, Cézanne est partout. Et malgré l’abondante publication qui l’entoure, peut-on encore y découvrir quelque chose de neuf ? Que savons-nous vraiment ? Où en sommes-nous ? Et qu’avons-nous raté ?

Marcelin Pleynet nous entraîne à sa suite dans une quête du beau. Du vrai. Il s’inquiète du fait que Cézanne ne pensait que "l’art ne s’adresse qu’à un nombre extrêmement restreint d’individus." Une aberration quand on voit les foules qui se précipite dans les musées voir ses tableaux. Une hérésie quand on écoute Kijno qui militait pour porter l’art aux plus démunis. Obligeant son marchand à exposer dans des MJC. En banlieues. Toujours plus loin des grandes galeries. Car, non, l’art n’est pas pour une élite. L’art est l’oxygène de tous.

Notre société du spectacle sait-elle encore célébrer l’art ? Dans l’immédiateté a-t-on encore le temps de voir un tableau ? Car nous nous noyons dans la Société du spectacle. Il faut donc s’en éloigner. Aller au-delà. Et dans cette perspective, comprendre que Cézanne réalise une œuvre esthétique. Une organisation rigoureuse de ses sensations. En n’excluant aucun des cinq sens.

Picasso avait vu juste. En 1946, il écrit "Il n’y a d’autres clefs que celles de la poésie... si les lignes et les formes riment et s’animent c’est à l’instar d’un poème." La peinture de Cézanne est bien un tourbillon. Une harmonie. Une plénitude.
Mais il est incompris. Ses contemporains le décrivent singulier, déconcertant, timide, violent, émotif, naïf... Mais un génie n’est-ce pas celui qui se distingue ? Au point que l’on ne saurait en aucune façon le comprendre ? En avance sur son temps, Cézanne, alors ? Certainement. Il est un grand maître de son vivant. Et les médiocres le jalousent...

Il n’y a rien de bourgeois dans son attitude. Il traite son contexte familial avec une objectivité qui lui assure la solitude et l’indépendance qui lui sont nécessaires. Car il doit travailler en plein air. Sur le motif. Une tâche à laquelle il s’attaquait tous les matins dès six heures. Comme en témoigne Rilke.

Cézanne ne fréquente pas les musées, sauf le Louvre. Sans doute y a-t-il là une sorte de complicité qui se lie. Cézanne y reconnaissait une forme de pratique dans l’art du dessin. Cette abstraction que l’on peut comprendre dans la "nature" du palais du Louvre. En 1900, Cézanne a 61 ans. Et il réalise encore des dessins d’après Puget. Un travail qui le conduit à "réunir les mains errantes de la nature". Mais qui ne l’ancre pas pour autant dans le peinture impressionniste !

Truffé de citations de philosophe, d’extraits de correspondance, d’envolées lyriques et de questionnements établis, cet essai ouvre une autre vision de l’œuvre de Cézanne. Il nous conduit vers la raison sur nature de Cézanne. Cette raison qui parle le logos. Car c’est le tableau qui expose et dévoile le peintre ! Cet "instant du monde qui, en ordre, agencement et ornement, se produit et se révèle pour nous, devant nous, comme monde et comme temps dans la dispensation de l’être."

Annabelle Hautecontre, Le Salon littéraire, 10/08/2012.

Portfolio

  • Nature morte avec le panier de fruits, 1888-90

[2Cette carte postale m’a été envoyée par une amie en septembre 2009 avec ces mots : « Ce clown chapelinesque et rigolard, coiffé d’un Cronstadt (père chapelier), c’est Cézanne ! Expo Cézanne-Picasso. Oeil neuf sur Cézanne grâce à Picasso. »

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