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Le jardin secret de Philippe Sollers

Beaux Arts N° 110, mars 1993, entretien avec Pierre Assouline

D 5 décembre 2006     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


La passion de Philippe Sollers pour l’art est l’une des constantes de son oeuvre romanesque, qu’elle en soit le sujet ou le filigrane. Amoureux du XVIIIe siècle français comme de la calligraphie chinoise - « ces tableaux poèmes » - l’entretien de 1993 se situe après la publication de la Fête à Venise (1991) et Les Surprises de Fragonard (1987). L’auteur, nous dit P. Assouline, entend bien réinstituer une véritable morale du goût.

Beaux Arts : Contrairement à votre précédent roman, La Fête à Venise, l’art est assez peu présent dans Le Secret : une allusion à une main à sept doigts « comme un Picasso », une autre - tout aussi fugitive - à la nature selon Cézanne et une longue citation de Giacometti sur le sentiment de la profondeur. Il est vrai que la Pietà de Michel-Ange a la part belle puisqu’elle est associée au personnage de Mother, la mère.

Philippe Sollers : Elle surgit dès le début comme énigme, et à la fin comme réponse, originale je l’espère. L’oeuvre signifie le contraire de ce que l’artiste a représenté : ce n’est pas la mère qui porte le fils mais l’inverse. La mort de ma mère est survenue pendant que j’écrivais le livre. Au fond, on ne voit bien les oeuvres d’art qu’en fonction de ce qui nous arrive d’essentiel dans la vie et non par rapport à ce qu’on veut en faire généralement : une activité obligatoire de consommation, de publicité, de culture.

La Pietà s’est-elle imposée à vous dans votre récit
pour des raisons esthétiques ? Ou obéit-elle aux
nécessités de la narration ?

C’est une sculpture qui ne se trouve pas n’importe où. En tout cas pas dans un musée, lieu pour lequel j’éprouve une certaine aversion. Les musées me paraissent mal faits et mal refaits. On y entasse avec d’excellentes intentions didactiques des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Je m’y rends rarement, dans le seul but de voir un ou deux tableaux de manière ponctuelle. Dans une église, l’ oeuvre d’art a une tout autre valeur. Cette Pietà ne se situe pas par hasard à droite en entrant dans Saint-Pierre-de-Rome. Ce n’est pas non plus un hasard qu’elle soit protégée par un cube de verre : elle déclenche chez certains hommes (pas chez les femmes) une agressivité forcenée, un besoin irrépressible de la détruire à coups de marteau. Cette volonté de prédation prouve une pulsion peut-être plus authentique que la promenade dans les couloirs d’un musée. Il y a, dans la profonde dépression entraînée chez certains par l’oeuvre d’art, quelque chose qui me paraît plus vrai que dans beaucoup d’observations passives.

Vous souvenez-vous de ce que fut votre premier
choc artistique ?

Je me le rappelle d’autant mieux que c’était lié à la
puberté et à mes émois sexuels. J’avais 15 ans. Je
cherchais les nus dans les livres reproduisant des
oeuvres de Rubens et d’Ingres.

Cette découverte a été de pair avec celle de la poésie. Dans ma mémoire,
elles restent indissociables. Cela dit, la vision de ces
nus m’a très vite transporté bien au-delà de la dimension
sexuelle. Il faut entendre Bacon ou De Kooning parler du Bain turc...

Et votre premier choc direct, sans l’intercession
d’un livre ?

Bordeaux, ma ville natale, qui est superbe sur le plan architectural ; le Paris des musées ; et surtout l’Italie, bien sûr, où je vais deux fois par an depuis trente ans, à Venise surtout. Si la plupart de mes romans sont marqués par l’art, la Fête à Venise est celui dans lequel il est le plus central. Mon but était d’examiner l’art dans tous ses états à la fin du siècle. Le goût était, en fait, le grand sujet de ce roman. Le goût au sens de Lautréamont aussi, comme nec plus ultra de l’intelligence. En un temps où l’on parle beaucoup de morale, j’aimerais bien qu’elle soit ramenée à la dimension du goût. Les moralistes sans goût, cela ne convainc pas !

Bien que vous n’aimiez guère les musées, que trouverait-on si on visitait votre musée imaginaire ?

La Chine d’abord, car elle exerce sur moi une vraie fascination. C’est un goût qui ne m’a jamais quitté. On me reproche souvent mes épisodes « maoïstes » des années d’effervescence - qui furent d’ailleurs très bonnes comparées au tassement actuel. Or, il arrive que ce passé-là me rattrape par le biais de l’art. Ainsi le sponsor qui monte en Chine une exposition Rodin malgré le massacre de Tien Anmen, m’a demandé d’accompagner le Penseur à Shangaï et à Pékin, parce que j’ai fait un film sur la Porte de l’enfer, parce que j’ai exhumé et édité les dessins érotiques de Rodin et écrit sur son oeuvre.

Vous avez accepté ?

Of course not  !C’était pour vous montrer comment l’art et l’ histoire peuvent se télescoper.

Et à part l’art chinois ?

Je choisirais des Français. Il n’y a aucune raison de laisser la France à ceux, nationalistes ou isolationnistes, qui délirent à ce sujet. Ce serait presque un devoir intellectuel. Watteau, Fragonard, ceux qu’on a appelés les impressionnistes, ce géant qu’est Manet, Courbet, Rodin, Picasso - qui est aussi la France finalement -, Matisse : je prendrais les deux ou trois plus belles toiles de chacun, je les réunirais pour montrer que tout cela, c’est la même chose. Ce serait un musée sublime.

[...]

En quoi l’art influence-t-i1 le romancier en vous ?

Les tableaux sont pleins d’histoires... On parle beaucoup des formes, rarement du contenu et du sens. Que se passe-t-il dans un tableau de Watteau ? Qu’est-ce qu’une fête galante ? Que se disent les personnages ? Que fait ce couple dans le bosquet de l’Embarquement pour Cythère ? Ils ont l’air très calme, mais qu’ont-ils fait avant et que feront-ils après ? C’est tout cela que l’art nous force à demander et c’est ce qui m’intéresse précisément. Tout cela fait fortement appel à la subjectivité et pour peu qu’on soit porté à la rêverie, on peut pénétrer dans des tableaux, la nuit... C’est du roman, puisque cela raconte des histoires.

[...]

Qu’y a-t-il sur vos murs ?

Presque rien. Un dessin de Rodin, un petit nu ; un magnifique rouleau que j’ai trouvé dans un coin à Pékin - de la calligraphie. Elle représente mon idéal, le paysage avec l’écriture, le tableau en même temps que le poème. C’est magnifique de ne pas accepter la dislocation entre d’un côté ce qu’il y a à voir et de l’autre ce qu’il y a à dire. C’est la même chose.

Propos recueillis par Pierre Assouline

l’article en version intégrale

Crédit : Texte et Illustrations, revue Beaux Arts



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2 Messages

  • MY Arts | 6 février 2008 - 02:43 1

    Félicitations pour cet article. Très intéressant !

    Nous sommes quelques artistes passionnés pour les arts, venez visiter le nôtre et nous encourager. Merci pour votre participation !

    Voir en ligne : Blog d’Art


  • A. Gauvin | 6 décembre 2006 - 10:12 2

    " Cette Pietà ne se situe pas par hasard à droite en entrant dans Saint-Pierre-de-Rome. Ce n’est pas non plus un hasard qu’elle soit protégée par un cube de verre : elle déclenche chez certains hommes (pas chez les femmes) une agressivité forcenée, un besoin irrépressible de la détruire à coups de marteau. "