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Godard, seul le cinéma

Documentaire de Cyril Leuthy

D 6 juin 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Je pars toujours du négatif. Je suis un homme positif qui part du négatif  » JLG.

Godard, seul le cinéma

Documentaire de Cyril Leuthy (France, 2022, 1h41mn)

Disponible jusqu’au 02/12/2023

Convaincu que le cinéma pouvait “tout faire”, Jean-Luc Godard, disparu en 2022, incarne à lui seul cet art multiple. Ce portrait documentaire juste et émouvant s’attache à débusquer l’homme derrière la légende qu’il a en partie forgée.

Au fil d’un parcours tout en ruptures, émaillé de révolutions esthétiques et d’utopies artistico-politiques, mais aussi d’amitiés, d’amours tumultueuses et de solitude mélancolique, le cinéaste franco-suisse, disparu en 2022, n’a cessé d’exprimer son amour absolu pour le septième art. En témoignent sa série Histoire(s) du cinéma, œuvre-somme élaborée sur dix années (1988-1998). Mis au ban de sa famille bourgeoise, l’ex-jeune critique des Cahiers du cinéma, adoubé par Henri Langlois, devient une figure de la Nouvelle Vague dès 1960 et la sortie d’À bout de souffle, premier film sidérant d’audace et de liberté. Il enchaîne à un rythme effréné des chefs-d’œuvre novateurs, en prise directe avec leur époque : Une femme mariée, Deux ou trois choses que je sais d’elle, mais aussi Vivre sa vie : film en douze tableaux ou Pierrot le fou, illuminés par Anna Karina, muse avec laquelle il vit un amour tourmenté. Sans oublier Le mépris, avec Bardot et Piccoli, et l’explosif Week-end, annonçant Mai 68. Viendra ensuite le temps des luttes politiques aux côtés de sa seconde épouse, Anne Wiazemsky, la studieuse révolutionnaire de La chinoise, et de Jean-Pierre Gorin, avec lequel il fonde le groupe Dziga Vertov, expérience collective de cinéma militant qui s’achève en 1972. Après un grave accident de moto en 1971, Godard s’exile d’abord à Grenoble, puis en Suisse, à Rolle, se tournant vers la vidéo avant de renaître en “peintre du cinéma” durant une faste et médiatique décennie 1980 inaugurée par Sauve qui peut (la vie). Aux côtés de la cinéaste Anne-Marie Miéville, sa compagne depuis 1971, Godard a trouvé l’âme-sœur. Depuis les bords du lac Léman, ce maître de l’art du collage et de la citation délivre ses films-essais, jusqu’à son ultime opus en 2018, Le Livre d’image, Palme d’or spéciale à Cannes, qui sonne comme un adieu.

Humain, trop humain

Qui était Jean-Luc Godard ? Quel individu se cache derrière la légende à laquelle il a lui-même contribué, celle du cinéaste de génie, du créateur insolent de formes nouvelles, du provocateur aux propos sibyllins, du militant maoïste ou de l’ermite érudit fondu de technologie ? C’est à l’homme que s’intéresse le réalisateur Cyril Leuthy, embrassant la carrière et la vie du cinéaste dans son documentaire découpé en quatre chapitres, stylisés chacun selon une période différente du maître. Nourri des témoignages éclairants de ses actrices (Nathalie Baye, Marina Vlady, Macha Méril), de critiques et biographes (Alain Bergala, Thierry Jousse, Antoine de Baecque…) et des compagnons de route (Romain Goupil, Daniel Cohn-Bendit), riche d’archives parfois rares (Godard en 1950 dans Le quadrille, premier film méconnu de Jacques Rivette) ou d’écrits d’Anne Wiazemsky lus à l’écran par Céleste Brunnquell, le film dessine le portrait d’un homme aux mille facettes, qui était – et voulait – tout et son contraire. Sans occulter le Godard désagréable, le film révèle surtout son humanité, ses failles et sa part d’enfance, ludique et rieuse.

« Godard, seul le cinéma », Initials JLG


Jean-Luc Godard (1980).
© Gilbert Uzan / Gamma-Rapho / Getty Images). ZOOM : cliquer sur l’image.
Cyril Leuthy explore avec précision et générosité, les mille facettes du génie de la Nouvelle Vague.

Par Guillaume Loison

Publié le 5 juin 2023 à 18h00

Tâche ardue que de livrer sur une heure quarante une synthèse de Godard sans trahir ses complexités ni singer exagérément son style. Cyril Leuthy, pourtant, relève le gant avec les honneurs. S’il tente ici et là de déconstruire les canons du documentaire télé en dupliquant quelques grands effets de signatures de JLG (filmer ses témoins avant qu’ils ne soient interviewés, abolir la frontière qui sépare les coulisses du champ officiel de la caméra), son film se calque bizarrement sur la trame d’une œuvre étrangère, « Citizen Kane ». Comme dans le chef-d’œuvre d’Orson Welles, Leuthy interroge une flopée d’exégètes et de témoins ayant approché Godard, qui s’efforcent d’en percer le mystère.

Il y a même un « rosebud », cette pièce manquante, cet angle mort, que définit l’historien du cinéma Alain Bergala dès les premières minutes : l’enfance du patron de la Nouvelle Vague, que l’intéressé s’est efforcé de ne jamais évoquer au cours des quarante premières années de sa vie publique. Godard assura même qu’il n’existait pas de photos de lui au plus jeune âge. C’est évidemment faux mais ô combien révélateur des fondements psychologiques du personnage, qui exhumera des années plus tard un précieux cliché dans « JLG/JLG » (1995). Ce portrait d’un gamin en apparence comme les autres, Bergala le raccorde à la photo célèbre d’un petit juif apeuré levant les bras dans le ghetto de Varsovie. Dans leur regard, il lit le même sentiment catastrophé. Dorloté dans les beaux quartiers suisse et parisien, le petit Jean-Luc vit pourtant une existence aux antipodes. Sauf que ses parents soutiennent Pétain et que, a posteriori, il en a eu honte.

Une propension infinie à la malice

De quoi expliquer ce réflexe récurrent de la rupture, qui articulera sa vie en une suite de segments presque étanches. La découverte de la cinéphilie à la Sorbonne, entorse à la tradition littéraire de la famille, en est un : son père, Paul, et sa sœur, Véronique, confirment, dans des archives rares, le caractère subversif de son geste, à une époque où le cinéma était majoritairement considéré comme un sous-produit culturel. Son premier film « A bout de souffle », manifeste esthétique qui reconfigure la grammaire du cinéma autant qu’elle ringardise les certitudes bouffies des réalisateurs français d’après-guerre (Jean Delannoy, Claude Autant-Lara), en est un autre. Sans compter l’expérience de Mai-68 (« Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plans ! ») , celle des films réalisés en collectivité avec le groupe maoïste Dziga Vertov, une parenthèse grenobloise où Godard s’initie à la vidéo dans les seventies, ou encore son grand œuvre monumental, « Histoire(s) du cinéma », bâti dix ans plus tard en quasi-ermite dans son fief suisse de Rolle…


Jean-Luc Godard pendant le tournage du film "Le Mépris" en 1963, en Italie.
(JEAN-LOUIS SWINERS / © JEAN-LOUIS SWINERS/ GAMMA-RAPHO / GETTY IMAGES). ZOOM : cliquer sur l’image.

D’une rupture l’autre, JLG reste néanmoins constant sur l’essentiel : il est imprévisible, provocateur, solitaire, travailleur acharné, prend le parti des perdants et des faibles (toujours), pense contre les autres et avant tout contre lui-même. Autre trait fondamental aussi, perceptible dans tous ses films, même les plus insondables, et qui traverse sa vie entière : une propension infinie à la malice. Godard s’approprie des citations de grands auteurs, détrousse ses copains (riches) comme ses pires ennemis, insulte copieusement les CRS pendant Mai-68. Julie Delpy, qui a débuté sous sa direction dans « Détective », est convaincue qu’ «  il a fait courir le bruit qu’il était malade » pour recevoir un césar d’honneur en 1987 et « se moquer un peu  » des fameux « professionnels de la profession » dans la salle. Génial parce qu’irrévérencieux.

Sauve qui peut (la vie)

Réalisation : Jean-Luc Godard
Scénario : Anne-Marie Miéville, Jean-Claude Carrière
Production : Marin Karmitz, Alain Sarde
Musique : Gabriel Yared
Avec : Isabelle Huppert : Isabelle Riviere ; Jacques Dutronc : Paul Godard ; Nathalie Baye : Denise Rimbaud ; Roland Amstutz : le PDG ; Fred Personne : monsieur Personne, l’autre client ; Anna Baldaccini : La soeur d’Isabelle ; Cécile Tanner : La fille de Paul
Décors de film : Romain Goupil
Son : Luc Yersin, Oscar Stellavox, Jacques Maumont
Directeur artistique : Jean-Bernard Menoud, William Lubtchansky, Renato Berta
Pays : France / Suisse
Année : 1979

Denise Rimbaud abandonne son mari, son travail et la ville pour aller vivre à la campagne. Paul Godard, producteur d’émissions de télévision, a peur de quitter la ville, peur de la solitude depuis le départ de Denise. Isabelle a quitté sa campagne pour venir se prostituer en ville. L’imaginaire, la peur et le commerce sont, à travers le trajet de ces personnages, les trois mouvements du film qui se terminera par celui de la musique.

Dans une grande ville suisse, Denise (Nathalie Baye) quitte Paul (Jacques Dutronc), avec qui elle travaille encore un peu à la télévision, pour changer de vie dans une ferme communautaire, plus haut dans la montagne. Paul, patronyme Godard, souffre de son départ. Ses dîners mensuels, généralement tendus, avec son ex-femme et sa fille préadolescente, aggravent sa peur de la solitude. Dans une file d’attente pour un Chaplin qu’il n’ira pas voir, il rencontre Isabelle (Isabelle Huppert), qui a quitté son village pour venir se prostituer en ville. "Ce qu’ils aiment, c’est nous humilier", explique-t-elle, impavide, à sa petite sœur qui veut aussi “faire la pute”. Les chemins de tous ces personnages se croisent, puis se séparent.

Chacun pour soi

À l’écoute des pulsations de ces trois solitudes, Jean-Luc Godard, comme l’annonce le générique, "compose" son film pour déployer, comme dans les mouvements successifs d’une partition, les motifs entrelacés de leurs angoisses, désirs, défaites et résistances, face à la brutalité (exploitation, atomisation, consommation) d’une société qui ne croit plus au salut collectif. Jouant en virtuose amusé de tous les instruments à sa disposition, il sonde les résonances du temps dans les êtres et les choses. Après ses années d’expérimentations militantes, il revient aussi à un cinéma de production traditionnelle et à un casting de vedettes, magnifiquement dirigé. Cela ne l’empêche pas de moquer cruellement le système dans une séquence “pornographique” tout sauf obscène, qui a valu au film une interdiction aux moins de 16 ans.

Jean-Luc Godard, Spécial Cinéma

En 1981, pour parler de Sauve qui peut (la vie), le dernier film du cinéaste Jean-Luc Godard, Spécial Cinéma propose une émission à la forme inhabituelle, car montée, sonorisée, à la façon du style cinématographique du réalisateur franco-suisse. C’est surprenant, et on y retrouve Godard et l’actrice principale Isabelle Huppert.

VOIR AUSSI : Pascale Ferran, à propos de Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard

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