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Philippe Sollers, l’anticonformiste

L’Orient Littéraire

D 1er juin 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Philippe Sollers, l’anticonformiste

Figure majeure du paysage intellectuel et littéraire français, l’écrivain et éditeur Philippe Sollers s’est éteint à Paris le 5 mai, à l’âge de 86 ans. Né le 28 novembre 1936 à Talence, en Gironde, Philippe Joyaux publie son premier roman Une curieuse solitude, en 1958, aux éditions du Seuil. Il prend alors pour pseudonyme «  Sollers  » qui signifie en latin «  tout en art  ».
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OLJ / Propos recueillis par Rita Bassil et Josyane Savigneau , le 01 juin 2023 à 00h00

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Philippe Sollers © Mollona

Esthète, passionné par la philosophie, l’Antiquité, la Bible, la musique (Scarlatti, Mozart, Bach, Haydn, Webern…), l’histoire de l’art (Théorie des exceptions, La Guerre du goût, Éloge de l’infini, Fleurs), la Chine, l’Italie (Dante, Casanova et Venise qui lui a inspiré un Dictionnaire amoureux de Venise), ou encore Hölderlin, Rimbaud et Nietzsche (Une vie divine), cet érudit est l’auteur d’une œuvre novatrice et anticonformiste, riche de plus de 80 romans, essais et monographies, dont son fameux roman autobiographique Femmes (1983), Paradis (1981) et Portrait du joueur (1984). Directeur de revues (il a fondé et animé de 1960 à 1982 la revue d’avant-garde Tel Quel, puis L’Infini), éditeur (il a dirigé la collection L’Infini chez Gallimard), longtemps habitué des plateaux de télévision (on le revoit, avec son doigt bagué et son porte-cigarettes, au cœur des débats télévisés  !), il a obtenu de nombreux prix littéraires, dont le prix Médicis en 1961, le grand prix de littérature Paul Morand en 1992 et le Prix Prince Pierre de Monaco en 2006. Son dernier livre, intitulé Graal, est sorti en mars 2022.

L’Orient Littéraire a interviewé Philippe Sollers à plusieurs reprises et a recensé nombre de ses romans. Nous publions ici des extraits de deux de ses entretiens, en guise d’hommage à ce monstre sacré des lettres françaises.

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«  Il n’y a pas de mur entre le profane et le sacré  »


Titien, L’amour sacré et l’amour profane.
Rome, Galerie Borghese. ZOOM : cliquer sur l’image.
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«  Lire, c’est se réveiller  », notez-vous dans un article sur Saint-Augustin. Comment la lecture vous a-t-elle «  réveillé  »  ?

Tout a commencé vers l’âge de cinq ans. Je devais ânonner devant un livre et j’entends tout à coup la voix de ma mère me dire  : «  Tu sais lire  !  » À ce moment-là, j’ai été saisi d’une ivresse considérable. J’étais à la campagne. Je me suis levé, j’ai commencé à courir à travers les prés, la forêt, dans un sentiment de très grande joie. Et ce qui se disait en moi, à ce moment-là, c’était que puisque je savais lire, alors la liberté s’ouvrait. Tout était infini, rien ne pouvait m’arriver, c’était l’arme absolue.

Comment êtes-vous passé de la lecture à l’écriture  ?

Eh bien, parce que c’est la même chose pour moi, lire et écrire  ! C’est une sorte de statue à deux têtes  : pendant que j’écris, je lis  ; et pendant que je lis, j’écris. Je crois que le problème de la lecture est aujourd’hui un problème majeur. Qui sait lire ou pas  ? Qui sait lire la poésie, qui sait se repérer dans l’histoire  ?

Tel Quel était une revue qui, à ses débuts, soutenait le nouveau roman et rassemblait des personnalités telles que Roland Barthes, Roman Jakobson, Jacques Derrida ou Jacques Lacan. Pourquoi avez-vous décidé de rompre avec ce mouvement  ? Était-ce parce que vous avez modifié votre perspective esthétique  ?

Il est absurde de garder toujours le même axe de navigation dans la mesure où le temps change. Si vous prenez les années 60 qui montent vers l’explosion de 68 et qui commencent à s’affaisser avec les années 70, c’est une époque. Ensuite, s’ouvre une autre époque, celle des années 80. Des choses multiples se passent, l’apparition d’une plus grande confrontation des médias, l’effondrement de certains horizons politiques, etc. Mais si un jour on voit la courbure, on s’aperçoit qu’il y a un fil conducteur. C’est la littérature qui est au cœur des choses. Et cette question  : «  Qu’est-ce que la littérature  ?  » qu’on repose sans cesse…

Vous avez toujours gardé une certaine indépendance malgré vos engagements politiques, notamment dans le marxisme ou le maoïsme. Que reste-t-il de ces engagements  ? Regrettez-vous certains de vos choix passés  ?

Je n’y pense pas. Il faut relire les textes puisqu’un écrivain c’est quelqu’un qu’il faut relire et non pas interpeller ailleurs que dans sa pratique, soit par la morale soit par la politique. La Théorie des exceptions vient d’être réédité en poche. Les textes écrits il y a vingt ans dans cet ouvrage sur Montaigne, Cervantes, Sade, Dostoïevski, Proust, Freud, Céline… restent et resteront vrais. Un livre comme Femmes n’a pas pris une ride  !

On dirait que la femme est le moteur de votre écriture. Quelle place occupe-t-elle dans votre vie  ?

C’est comme la lecture et l’écriture  ! Dans ma vie, les femmes occupent une place très importante. Or, pour moi, la vie ne diffère pas des romans. J’essaie de faire en sorte que la façon dont je vis et ce que je raconte communiquent constamment.

« Nelly est ma femme philosophe, Ludi ma femme tout court. Une mère blonde épanouie (Ludi), une sœur brune sauvage (Nelly) », écrivez-vous dans votre dernier livre. La femme est-elle condamnée à être mère ou sœur  ? L’amante existe-elle en dehors de ces deux dimensions  ?

Bien sûr, il y a énormément de dimensions. Les Folies françaises traite par exemple des rapports entre un père et une fille. Mère, sœur, femme…, c’est l’histoire de Freud  ! Comme si un homme était obligé de s’en tenir à trois figures  ! Il faut sortir du XXe siècle. C’est la raison pour laquelle je fais toujours appel en termes presque militaires au XVIIIe siècle avec des livres comme Casanova, Mozart ou le Dictionnaire amoureux de Venise… Je fais appel à des périodes d’encouragement. Dans la langue française, vous avez une effervescence, un surgissement de la liberté comme il n’y en a jamais eu dans le monde. Cette liberté a été sanctionnée par le romantisme et resanctionnée au XXe siècle. Pourra-t-on en sortir au XXIe avec la destruction et le puritanisme  ? …

Dans votre dernier livre, le lecteur se retrouve face à un mélange d’autofiction, de biographie de Nietzsche, de textes épars de critiques, des citations… Peut-on lire Une vie divine comme un roman  ?

Absolument. C’en est un exactement dans la tradition française du roman philosophique. De nos jours, le mot roman est «  squatté  », pour des raisons commerciales, par le type de roman anglo-saxon, c’est-à-dire la «  story  ». Mon livre est un roman, non comme la tradition anglo-saxonne le suppose, mais comme le veut la tradition littéraire française. Je suis désolé quand les Américains me disent «  Vous êtes trop french  !  » D’ailleurs, on ne le dit que pour les Français  ! Il y a quelque chose qui gêne et c’est, précisément, la liberté sexuelle. Les histoires de sexe dans les romans anglo-saxons débouchent toujours sur la violence, la mélancolie, la séparation, alors que dans mes romans, le narrateur, qui est philosophe, a une relation tout à fait improbable avec une jeune femme qui fait carrière dans la mode  : ça ne devrait pas marcher et pourtant ça marche  ! On ne peut pas faire semblant d’écrire dans une autre langue. Je suis solidaire du roman philosophique français. Candide est d’une grande actualité, il suffit de transposer. Je vous fais Candide au Proche Orient, vous verriez… Ce serait un chef-d’œuvre pour les siècles des siècles  !

Vous admirez Voltaire, mais vous êtes très critique vis-à-vis des intellectuels et des philosophes de votre temps  !

Je me moque en effet beaucoup des intellectuels et des philosophes considérés comme étant nécessaires pour dire le vrai et le bien dans la cité. Ils ont des vies qui me paraissent en général extraordinairement étroites. Je me moque non pas personnellement de tel ou tel philosophe, mais d’une société, surtout en France, qui en a fait un clergé de remplacement. C’est le « clergé » de la République dont je me moque. Ce sont surtout les moralistes et les sociologues qui constituent le « clergé » de notre temps, et les universitaires bien entendu. Ce qui m’intéresse au fond, ce sont les personnalités fortes qui ont des vies aventureuses  !

Pensez-vous avec Amin Maalouf que la francophonie est un vocable dépassé, une sorte de ghetto, ou qu’elle est en revanche une «  chance  »  ?

Pour ce qui est des artistes du langage, il y a une seule question à poser qui est  : «  Qui c’est celui-là  ?  » sans se soucier de savoir d’où il vient, ou de quelle couleur est sa peau. Tout le reste c’est de la sociologie politique. Mon ambition est d’avoir un jour dans un dictionnaire chinois une entrée  : « Sollers est un écrivain de langue française qui, très tôt, s’est intéressé à la Chine. » On parle toujours de mon maoïsme qui est une phase de ma jeunesse dissipée, mais on ne parle jamais de cet énorme travail sur la culture chinoise.

L’éternel retour est très présent dans votre œuvre. Pensez-vous avoir vécu comme il fallait vivre  ? Recommenceriez-vous tout de la même façon  ?

Absolument  ! C’est une question fondamentale. Cette idée d’éternel retour masquée, mal comprise au départ, c’est plus qu’une idée, c’est une conviction. Ferai-je éternellement ce que je fais là aujourd’hui  ? C’est une très bonne question qui permet de vivre d’une autre façon que dans la mélancolie, le désespoir, l’indifférence, l’oubli, la paresse, l’absence de perception, comme si le vrai désir humain – et c’est très grave – était d’en finir, donc de mourir, de disparaître, de ne pas vouloir revenir éternellement dans la journée qui vient de s’écouler… (Il sourit et montre d’un grand geste la fenêtre) Regardez ces roses  !

Propos recueillis par Rita Bassil

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«  La société déteste l’amour  »

Après un roman très philosophique, Mouvement, vous revenez avec Beauté, beaucoup plus sensuel et musical. Vous dites, à propos de l’héroïne, qui est une pianiste grecque, «  seule bénédiction dans une société humaine en folie  ». Vous avez toujours admiré les musiciens  ; dans Femmes, le personnage le plus positif est une musicienne, mais c’est la première fois que l’héroïne est une musicienne…

Pour moi, la musique traverse tout d’une façon étonnante. Et il est important que la pianiste soit grecque. Devant le désastre de la Grèce d’aujourd’hui où l’île de Lesbos est dans la misère, je voulais parler de la Grèce. J’essaie toujours d’écrire la mise en scène de contradictions flagrantes. Donc une pianiste virtuose, dont le pays est soumis à ce bombardement de misère. Elle a passé son enfance à Égine, où elle jouait dans le temple d’Athéna. Je voulais faire surgir tout ce qu’il y a d’admirable dans la civilisation antique… Les jeux olympiques et le poète Pindare, qui a traversé les siècles et vient jusqu’à vous pour chanter les jeux olympiques. Dès qu’on prend la Grèce, ce qui était mon souci, on tire tous les fils à la fois. C’est là qu’est née la démocratie qui serait en danger. Donc le livre commence quand le narrateur est à Athènes avec son amie. Athènes, ville polluée à mort, mais renfermant les plus grandes beautés.

Il n’est pas seulement question de Pindare, mais d’autres écrivains…

Qui a ressenti dans la culture occidentale, le plus profondément, la Grèce  ? Au moment où l’on veut éradiquer le latin et le grec dans l’éducation, geste très réactionnaire, je prends le parti contraire car si on veut éliminer l’étude du grec, on veut éliminer la démocratie, ou en proposer une version falsifiée. Qui s’est occupé du grec  ? Les philosophes, certes, mais aussi au premier chef le poète allemand Hölderlin, d’où le rôle qu’il joue dans le livre.

Il y a là aussi les écrivains que vous aimez  : Bataille, Céline, Joyce, Genet…

Si l’on tire le fil de l’essentiel, tout le monde devient vivant, tout le monde est actuel. C’est ce que j’essaie de faire dans tous mes livres. Si on censure ces écrivains, il faut les lire. Seule la langue française a produit en masse des écrivains si contradictoires. C’est Nietzsche qui, le premier, dit que le miracle grec se reproduit dans le miracle français. Joyce, interdit ailleurs, a été publié à Paris.

Il y a dans ce roman les musiciens qui vous accompagnent depuis toujours, Bach, Haydn, Mozart, mais aussi Webern…

C’est le cas le plus étonnant et le plus tragique. Il faut entendre et regarder les Variations pour piano Opus 27 jouées par Gould. Ça dure 5 minutes 12. Dans Beauté, la pianiste les joue en concert. Webern est tout à fait branché sur Bach. À plusieurs reprises, Webern cite Hölderlin et notamment cette phrase  : «  Vivre, c’est défendre une forme.   » Il est évidemment considéré comme un dégénéré par les nazis. Et tragique de l’histoire, là où il s’est réfugié avec sa femme, il sort fumer une cigarette et se fait tuer par erreur par un soldat américain.

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À propos de l’expérience, vous dites  : «  L’expérience consiste à tout voir pour la première fois.  »

C’est un mot de musicien mais cela peut être aussi un mot d’écrivain, de musicien des mots.

Quand on commence, c’est toujours la première fois, même après 75 livres, comme vous  ?

Bien sûr. Comme tous les jours. Il y a là une portée métaphysique  : vivre pour que ce soit la première fois.

Bien que la pianiste ait une relation affichée avec le narrateur, Beauté est un hymne à la clandestinité.

De nouveau. Tout étant transformé en spectacle, «  pour vivre cachés vivons heureux  », je l’ai dit il y a longtemps, retournant la maxime, et ça traverse ce que j’ai toujours écrit. La société déteste l’amour.

Propos recueillis par Josyane Savigneau

L’Orient Littéraire, 1er juin 2023.

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Lire Sollers et vivre sa vie

OLJ / Par BERTRAND FATTAL, le 01 juin 2023 à 00h00

Philippe Sollers est mort le 5 mai 2023 à Paris, à 86 ans. Messe catholique, île de Ré, stricte intimité. Personne n’aura mieux que lui parlé du Paradis. Expliqué comment nous sommes immergés dans le langage, parlé par les autres, traumatisés par ce bavardage, happés par les ténèbres. Il propose de regagner la lumière, retrouver le chemin du sujet, s’extirper de la langueur, déjouer le ressentiment général. Avec témoins à l’appui  : Nietzsche, Hölderlin, et tous les autres. Montrer comment tout est mis en branle pour nous appesantir le corps, nous cisailler net, nous couper court. Comment grâce à un léger mouvement du poignet sur la page qui demande «  maîtrise  », «  art  », «  habileté  » «  ruse  », on retrouve l’esprit  : raison et cœur mélangés.

Qui est cet homme qu’on vient d’enterrer  ? Un grand écrivain  ? Certainement. Un éveilleur  ? Sans aucun doute. Quels sont ses conseils de lectures à un jeune écrivain  ? Joyce, Proust, Rimbaud, Baudelaire, Bataille, Céline. On commence par ceux-là. Puis on augmente la dose. Qu’a-t-il dit, espéré, permis  ? La littérature s’empare de tout, surtout des corps. Tout y passe  : philosophie, jeu d’enfants, exégèse biblique, hébraïque, taoïste. Toutes les langues  : l’espagnol, l’hébreu, le chinois, l’anglais. Les spécialistes fulminent. Le clergé tempête. L’université, l’hôpital, la police crient au scandale. Il n’en a que faire. Ses livres sont là pour témoigner. Qui est celui-là même qui ose s’intéresser à tout  ? «  Littérature, Philosophie, Art, Science, Politique  » (comme mentionné en italique sous le titre de la revue L’Infini qu’il dirigeait depuis 1983). «  Toute écriture, qu’elle le veuille ou non, est politique.   » Quelle formule extraordinaire a t-il trouvée  ? Les petits points de Céline, l’intelligence des dernières avant-gardes, la leçon du XVIIIe siècle. Tout l’art est là  : «  la sortie du temps, la vie comme féerie  ».

Pour comprendre le Sollers d’aujourd’hui, il faut avoir lu le Sollers plus ancien. Celui d’avant les années 80, connaître ses romans expérimentaux qui tiennent autant du Nouveau Roman que du structuralisme. Sans quoi on le trouve léger, trublion, faux-prêtre, bouffon. Il aura été au centre de la vie intellectuelle des années 70. Il a été de tous les combats et de toutes les avant-gardes  : colloque de Cerisy sur Artaud et Bataille (1978), fondateur de la revue Tel Quel (1960-1982), acteur influent et décisif de la French Theory. Il a fréquenté et publié Barthes, Bataille, Derrida, Lacan, Foucault et Francis Ponge. Il a longtemps écrit des livres jugés «  illisibles  » : Nombres (1968), Logiques (1968), Lois (1972), H (1973), tous publiés aux éditions du Seuil dont il était une des figures de proue. C’est Nombres que Derrida commente de manière détaillée dans son livre la Dissémination (1972). Ensuite, vient le Graal  : Paradis, ce texte sans ponctuation aucune, publié en 1981. Paradis est sa matrice universelle, d’où découlera le Sollers nouveau, celui qui est lu et intelligible. Big-bang en perpétuel expansion. C’est l’œil du cyclone. De là naît le triptyque : Femmes (1983) basculements de style, succès éclatant  ; Portrait du joueur (1985)  ; Le Cœur absolu (1987). La clé de sol. Les trois romans qui font pivoter l’œuvre sur elle-même. Les femmes, l’égotisme, l’amitié. Ou bien  : le Grand Autre, l’Écrivain, la Communauté. Voilà le cœur du réacteur «  dont le centre est partout et la circonférence nulle part   ».

J’ai lu Femmes bien sûr, mais aussi Le Lys d’or, La Fête à Venise, Le Secret, Studio, Passion fixe, tout le temps le cœur battant, l’esprit libre, la joie au cœur. Je sais instinctivement l’effet qu’il me fait. Il suffit de l’ouvrir au hasard, l’effet est immédiat. Inoculation nerveuse directe. Je suis élevé, retourné, mis en joie, larmes aux yeux, serrement de gorge. Comme si quelqu’un vous disait  : «  Tu as oublié ta vie, la vie retrouvée, la vie neuve, la seule qui vaut la peine d’être vécue, la tienne, aucune autre.  » Comme au premier jour, comme à la première lecture, à la première écriture. Imaginez quelqu’un qui, à chaque instant, vous prend par la main, vous dégage. Si vous vous accrochez trop c’est bien connu, la barque flanche, le noyé sombre. Alors il vous lâche. Allez voir ailleurs si j’y suis. J’ai lu beaucoup d’autres livres «  in situ  », dès qu’ils sortaient en librairie pour me renseigner sur le temps. Toujours aussi lumineux. Précis. Justes. Il y avait aussi la revue et la collection L’Infini qu’il dirigeait. Je savais que ça pouvait continuer ad vitam, se multiplier sans fin. J’ai eu le temps de lire ses biographies sur Mozart, sur Casanova et sur Vivant Denon. J’ai aimé aussi son regard sur la peinture  : Cézanne, Picasso, Bacon. Heureusement, de lui, je n’ai pas tout lu. Il me reste cette joie-là  : découvrir le vieillard souverain, prolifique de ses dernières années. Centre. Désir. Mouvement. Légende. Graal. Le lire. Le lire encore.

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