4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » BIOGRAPHIE » Philippe Sollers a été pour moi un formidable « passeur »
  • > BIOGRAPHIE
Philippe Sollers a été pour moi un formidable « passeur »

Mort de Philippe Sollers

D 6 mai 2023     A par Viktor Kirtov - C 10 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


JPEG - 28.8 ko
(c) Gallimard

La nouvelle de la mort de Philippe Sollers me rend triste. Il accompagnait ma vie depuis le début des années 2000.

Et en 2005, alors que se développaient les blogs, et qu’il n’avait pas encore de site officiel, j’avais créé le blog « pileface.com / Sur et autour de Sollers ».
M’ont rejoint dans cette aventure deux compagnons de route : Dominique Brouttelande puis Albert Gauvin. Ce site leur doit beaucoup. A ce noyau de base, et au fil du temps, d’autres contributeurs plus occasionnels mais précieux sont venus se joindre, parmi lesquels :Gabriella Bosco, Hugo Savino, Ludivine Sereni, Raphaël Frangione, Shizuko Abe, Olivier Rachet, Nush Meynieux, Pierre Vermeersch, Olivier-P. Thébault, Pascal Boulanger, Laurent Magantin, Thelonious, Jean-Michel Lou, Benoît Monneret, Michaël Nooij, Lisa santos Silva, Danièle Robert, Jean-Hugues Larché...

Aujourd’hui mes pensées vont à Philippe Sollers et aussi son épouse Julia Kristeva et leur fils David dont il se préoccupait beaucoup, en silence.

On le savait malade, et la perspective d’une issue fatale était là, mais elle me surprend quand même ce matin. Je ne m’y étais pas préparé, repoussant l’inéluctable aux calendes grecques, mais aujourd’hui l’inéluctable est là et je suis triste.

Sentiment de vide !

GIF

Un formidable « passeur »

A un moment où je n’avais pas encore beaucoup lu, il a été pour moi un formidable passeur, pour me guider dans l’immense Bibliothèque universelle, le monde de l’art (peinture, sculpture), et aussi de la musique.
Un triptyque royal !
J’ai aimé le découvrir à travers sa culture et son goût.

Ses recueils de textes sur la littérature et l’art « Guerre du goût », « Eloge de l’Infini » constituent une véritable caverne d’Ali Baba pour celui qui souhaite découvrir cette bibliothèque universelle. Ils rassemblent nombre de ses chroniques pour .le Monde des livres Et l’on doit ce trésor à une clause contractuelle qui excluait de son domaine « les auteurs vivants ». Il a donc rendu compte des auteurs morts de tous les temps, ces morts toujours vivants et même plus vivants que bien des contemporains. C’est ainsi que je suis tombé dans le chaudron de la potion magique à la sauce Sollers.

Un formidable passeur, c’est le qualificatif qui s’impose à moi

GIF

Aussi, un grand « appareilleur » de mots

Un autre qualificatif suit immédiatement pour moi : grand virtuose de la langue française


Illustration de benoit.monneret@gmail.com
GIF

Il excelle dans l’assemblage des mots et des citations, « l’appareillage  » dirait un maître-maçon tailleur de pierres, dans la tradition de ces artisans qui nous ont laissé les magnifiques murs de Cusco au Pérou. C’est aussi dans cet appareillage que Sollers introduit ses rapprochements inusuels et créatifs, de mots à effet esthétique et littéraire, ses formes paradoxales et elliptiques. Les mots dieu, déesse, jouissance, vie, mort se glissent dans les interstices sollersiens.

JPEG - 76.9 ko
Appareillage d’un mur de pierres à Cusco, Pérou (crédit : Yves Picq)

De cette virtuosité, ai tenté de rendre compte ICI ( « Tout ce qu’on a dit sur moi et de mes livres, mettez-le dans un ordinateur !...Il va fumer ! » Ph. Sollers)

Mais son éclectisme mériterait bien d’autres qualificatifs :
.
Ecrivain, créateur de revues littéraires, à commencer par la revue d’avant-garde littéraire Tel Quel avant de se prolonger dans la revue L’Infini.

Chef de clan au sein du groupe Tel Quel. Maoïste à son heure. Il a épousé les erreurs de son temps avant de s’en détacher et les stigmatiser.

Editeur, il a révélé quelques talents dans sa collection « L’Infini » parmi lesquels Jean-Jacques Schuhl, Yannick Haenel, Catherine Cusset, Marc Pautrel...

Critique et chroniqueur littéraire dans les colonnes du Monde, chroniqueur de l’actualité dans les journaux. « Bon client » des média audiovisuels, par l’agilité de sa parole, par son sens de la répartie, de l’autodérision alliées à une immense culture.

Grâce à lui, j’ai apprécié, entre autres, Céline dans le Voyage au bout de la nuit. Une révélation ! Puis dans la trilogie allemande (D’un chateau l’autre, Nord, Rigodon) J’ai pu interviewer le sculpteur Alain Kirili, avec lequel il partagea un bout de chemin, notamment à New York..

Conférencier, Biographe (Vivant Denon, Céline, Nietzsche). Auteur de textes pour des livres d’art (Picasso le Héros, Fragonard… un amoureux de la musique classique, jazz et opéra). Cécilia Bartoli doit être aussi triste d’apprendre la mort de son ami.

Il me manque !

On ne passe pas une vingtaine années dans la proximité d’un être sans en être marqué.

Je suivais ses conférences au Collège des Bernardins, c’était un rituel. Ce site en témoigne.



Collège des Bernardins, 29 juin 2010. Philippe Sollers, Julia Kristeva, Antoine Guggenheim
Cliquez l’image pour ZOOMER

Le Collège des Bernardins, un des lieux qui prolonge son souvenir, comme aussi sa maison sur l’île de Ré, Venise, d’où Dominique Brouttelande m’adresse ce jour un clip vidéo de La Calcina, où il se réfugiait deux fois par an, deux semaines en mai et deux semaines en septembre, avec Dominique Rolin, l’autre pôle magnétique de sa vie.

Les cloches de Venise continuent à sonner à toute volée pour saluer son souvenir. L’Eglise des Gesuati l’attend pour la messe de 18 heures.

Il va maintenant pouvoir rejoindre le carré des aviateurs Anglais dans le cimetière d’Ars en Ré. Sa pierre tombale est prête avec une rose et une croix L’écrivain ne cessait de penser à la mort et a déjà fait sculpter une rose et une croix sur sa stèle funéraire : « la rose de la raison pour la croix du présent ». Il le précise dans son livre Légende.(2021)..

Il nous laisse aussi ses livres. De 1958 à 2022, il a publié quelque 80 romans, essais et monographies..

JPEG - 86.1 ko
Cimetière d’Ars-en-Ré
Le carré des aviateurs anglais
1998, Tournage "L’Isolé absolu" dédié à Sollers.
Un documentaire de A.S. Labarthe
Pour la série "Un siècle d’écrivains>" (France 3)

Peut-être a-t-il envie d’ajouter « je me suis bien amusé » et de nous lancer une bouffée de fumée en tirant sur son fume-cigarette, comme si tout continuait comme avant.

Place au recueillement,
Paix à son âme,
Merci Philippe Sollers pour ce que vous m’avez donné. Je vous dois beaucoup !

GIF

Plus sur le livre ICI
GIF

Le mot de Teresa Cremisi : l’écrivain Philippe Sollers, « un musicien de la langue, érudit attentif »

L’éditrice Teresa Cremisi rend hommage à son ami Philippe Sollers.

eresa Cremisi, JDD, 06/05/2023

Éditrice et chroniqueuse du JDD, Teresa Cremisi raconte Philippe Sollers, écrivain et ami, mort à l’âge de 86 ans : « Il avait choisi de s’appeler Sollers — vif, malin, rusé et rapide — je me souviendrai toujours de la fin d’après-midi où je l’ai rencontré pour la première fois, au bar du Pont-Royal qu’il aimait tant et qui n’existe plus. J’avais pensé d’emblée que son pseudo n’était pas un simple nom de plume. C’était une devise, un programme, un étendard. La curiosité, l’amour du beau, l’impatience, l’énergie se dégageaient de sa personne. Il avait envie de comprendre, vite vite, qui vous étiez, qui vous aimiez, comment vous pouviez prendre place dans le ciel de ses connaissances. Et surtout à quelle constellation vous étiez censé appartenir.

Des années acharnées de travail éditorial chez Gallimard, l’élan naturel avec lequel il savait transmettre ses admirations, la stricte organisation de sa vie d’écrivain s’associent dans ma mémoire à son goût du jeu, ses dons de polémiste-duelliste (un de ses ancêtres avait écrit un Traité du duel, il en était fier), son inclination naturelle pour le bonheur personnel, autant que possible préservé des miasmes mondains. Un jour, Bernard Pivot avait demandé à plusieurs écrivains de choisir leur mot préféré : pour Sollers, c’était « Joie ». Pas un sentiment un peu benêt, apparenté à la satisfaction ou au bien-être. Non, une règle de vie héritée du dix-huitième, on ne se plaint pas, on travaille, on regarde le monde avec les yeux bien ouverts. À partir de là, la joie doit découler d’une détermination militante, d’un équilibre décidé à froid, de techniques du savoir-vivre.
_Teresa Cremisi

GIF

Le tweet de Gallimard

Les Éditions Gallimard ont la grande tristesse de faire part du décès de Philippe Sollers, né Philippe Joyaux, survenu le 5 mai 2023, à l’âge de quatre-vingt-six ans.

« Je suis venu, j’ai vécu, j’ai rêvé. » (*)

Qu’il repose en paix.

@Gallimard
2:37 PM · 6 mai 2023

(*) Dans Agent secret (2021)

GIF

« L’amour est plus fort que la mort »

Philippe Sollers dans L’heure bleue de Laure Adler (France Inter) du 15 avril 2021


Cliquer l’image pour activer le lien

GIF

La ronde des hommages

La ronde des hommages dans la presse a commencé avec ceux du Figaro , le premier à annoncer la mort de l‘écrivain.
Archive pdf ICI

Puis avec ceux du Monde sous la plume de Philippe Forest, fin connaisseur de l’univers sollersien. Il avait commencé par écrire une thèse sur la revue Tel Quel et l’avant-garde que représentait Philippe Sollers
Un document de référence !
Archive pdf ICI par le meilleur exégète de Philippe Sollers.

La Règle du Jeu  : Philippe Sollers par Bernard-Henri Lévy..
Archives pdf ICI Une somme d’archives pour l’histoire littéraire.

Et last but not least, on peut [ré]écouter l’entretien complet avec Laure Adler :

Philippe Sollers, autoportrait

En 2021, à l’occasion de la parution de son autoportrait malicieusement intitulée "Agent secret", Philippe Sollers, l’homme aux mille vies, était l’invité de Laure Adler.

LIEN AUDIO

GIF

Pour lui, l’écriture doit résonner comme une musique : "Savoir lire, c’est savoir écouter".
Un entretien de deux heures à réécouter, et dans lequel Philippe Sollers confiait que "vieillir est un acte, c’est une façon de rajeunir et de retrouver sa jeunesse, tout à fait imprévu. Parce que j’ai conscience de la chance que j’ai eue de vivre comme j’ai vécu, ni remords, ni regrets, rien".

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


10 Messages

  • Bergmann valerie | 10 mai 2023 - 18:50 1

    Sacré joueur ! Je sais tout maintenant je ne dirai rien. Chute.
    Merci.


  • Alma | 9 mai 2023 - 21:52 2

    Gros chagrin. Et reconnaissance pour l’oeuvre qui est là... pour toujours !


  • Michaël Nooij | 8 mai 2023 - 21:26 3

    Nous partageons toi et moi le chagrin cher Viktor de vivre la disparition de Philippe Sollers - hélas, le bonhomme nous laisse seuls, sur notre faim, il y avait encore tant et tant à espérer de sa part
    GIF

    Le connaissant moi je dis, là où il est, est le paradis - n’a-t-il pas vécu pour l’infini qui est comme chacun sait le seul nécessaire, n’a-t-il pas essayé d’introduire cet infini joyeux dans le dur fini de l’après-guerre post-apocalyptique ?

    Ils n’étaient pas nombreux les écrivains au dernier quart du siècle dernier à s’en occuper, le Nouveau Roman n’en parlait pas, Sartre prônait la révolution politique, Claudel avait disparu de la scène Camus inclus, l’idée même de transcendance était not done, choquante, Trinité, consubstantation, résurrection : des mots périmés, de la nourriture de bénitier à bannir, un réflexe mental de doux dinguo
    Sollers a courageusement repris ces thèmes, les as scrutés, pesés, jugés bons pour nourrir sa plume, pourvoir son obstination à dire l’essentiel, cet inexprimable qu’il voulait partager avec ses lecteurs par tous les moyens fut-ce par abrogation des signes de ponctuation ou des structures romanesques

    Un désir si intense depuis son plus jeune âge qu’à peine arrivé à Paris il forge son réseau d’influence, sa très haute opinion de lui-même le pousse aux premiers rangs du combat intellectuel germano-pratin, adoubé par Mauriac et Aragon il ne craint rien ni personne, manœuvre, gesticule, fait parler de lui, Dante lui montre le chemin, Mozart l’accompagne, Casanova n’est jamais loin
    Tout jeune il connaît le secret des femmes, affranchi, initié, l’ambitieux surfe sur leurs ondes, étoffe sa réputation - il est vif, beau et léger, dégagé, profond, c’est au fond un poète, un éperdu, un amant sachant où Abraham cache la moutarde, constant dans son ambition littéraire se donnant les moyens de réussir, partageant par le biais des télévisions, radios, journaux son messianisme avec le plus grand nombre et ce devenant, fume-cigarette à la main, peu à peu le pape bagué de la République française des Lettres une et indivisible partant universelle

    Suite à l’avis de son décès, à lire les réactions des lecteurs du Figaro, Sollers paraît une non-valeur, un libertin cynique, cryptique dans ses écrits, une vaine gloire infra-parisienne - ces Figaristes évidemment ne le connaissent pas, ne l’ont pas lu, gardent de lui l’image du type à la télé moitié moine moitié clown mao catho porno et cela est compréhensible aussi : on ne dit pas sa vérité à la France moisie héritière de Vichy-Algérie avachie sur son canapé grande oublieuse de sa dimension métaphysique historique sans risquer de s’exposer à un retour de sa part

    Il faut considérer Sollers comme quelqu’un qui à sa rusée manière a donné un coup de pied dans la fourmillière du convenu, de l’ennuyeux, du trop petit
    Qui, mais qui parle encore vraiment des sacrements, du Graal, de l’infaillibilité du pape ? Et pourtant il faut en parler, it’s now or never - à quelques secondes avant d’être englouti dans la glue de l’IA généralisée, Sollers en dépit de ses mille défauts, a fait œuvre de salut public, les vrais lecteurs le savent et s’y conforment

    Qu’il repose en paix, qu’il soit remercié pour sa contribution à notre entendement

    Amitiés


    Le Graal chrismé, Livre du Fier Baiser
    Mes pinceaux ont fixé cette représentation du Graal en or sur fond émeraude chrismé,
    hommage au dernier livre du Bordelais


  • Benoît Monnneret | 8 mai 2023 - 12:11 4


    Illustration de benoit.monneret@gmail.com
    GIF
    En direct du cimetière d’Ars-en-Ré où sa stèle funéraire l’attend. Philippe Sollers y a déjà fait graver une rose et une croix : « la rose de la Raison pour la Croix du Présent » indique-t-il, mystérieux, dans son autoportrait « Agent secret » (2021)


  • Jean-Michel Lou | 7 mai 2023 - 23:52 5

    J’ai vu Philippe Sollers pour la dernière fois quelques jours après le décès de mon père. C’était dans son petit bureau chez Gallimard, il fumait à l’aide de son sempiternel porte-cigarette, élégant, attentif, gentil. Il me paraissait immortel.
    Sollers m’avait alors donné des paroles de consolation, évoquant la mort de son propre père et l’enterrement de ce dernier, au cours duquel il lut devant sa famille étonnée un texte de maître Eckhart (scène qu’il a racontée dans son roman Portrait du joueur). Ce jour-là, il me dit qu’en ces circonstances il préférait au mot "tristesse", inadéquat selon lui, celui plus juste de "chagrin", emprunté à son ami Roland Barthes.
    Le chagrin que j’éprouve en ce moment me donne la mesure de l’affection que je lui portais.

    "J’ai souvent pensé qu’il devait être possible d’atteindre, au moins une fois, un point de concentration tel qu’il n’y aurait plus ni jour ni nuit, que je pourrais sentir à distance, au-dessous de moi, d’Est en Ouest, le cours complet du soleil. Alors, miracle, ma vie remonterait à l’envers comme une odeur d’herbe coupée, avec mes yeux de toujours en elle, ma vie fidèle, si fidèle, inentamée, tramée… "
    SOLLERS VIVANT


  • Sheket | 7 mai 2023 - 12:21 6

    La disparition d’un ami interpersonnel, celui que l’on connaît ou non, dont on partage les circonstances si peu, ou beaucoup, comme James Bond, ou Philippe Sollers, paradoxalement, ouvre des possibles, dans la mesure où alors, la fonction et le nom rayonnent dans une communauté, celle de ceux qui le reconnaissent, qui en admirent les exemples, en ont pratiqué les œuvres, s’entretenant dans un ensemble d’actions ou de pensées similaires aux siennes, dans un chœur vrai de la sincérité de chacun dans son for intérieur . James Bond est l’agent qui ne pouvait cacher son identité, central, partout où il passait, et non pas en corniaud, mais en solutionnaire de problèmes, son nom était annoncé à haute voix, sa fonction rejaillissait sur ses dires, un rôle comme à la scène un acteur omniprésent . Philippe Sollers jouissait d’un nom commun élevé en nom propre, partout où il intervenait, le principe de son art rayonnait à frais neufs investis dans l’ancien, découvrant un classicisme tranchant avec la simplicité de sa langue, sa voix reconnaissable autant au grain qu’au propos, faisait de lui un agent certainement de la littérature et des arts, et le chœur que nous formons, nous qui l’avons aimé et admiré, ou détesté, voire combattu, rayonne à présent du sentiment de la perte et de l’affliction — avant que son œuvre demain nous submerge en nous reprenant . Nous étions une Nation littéraire sollersienne qui s’ignorait, plus ou moins, nous devenons le cœur battant de la littérature et des arts à notre tour, chacun dans la solitude de son bleu à l’âme, chacun relié à ce collecteur de l’œuvre future, celle qui fleurira non pas lundi matin mais, dans la décantation des mois et des années, en un avenir sans cesse repoussé de mieux nous convaincre, que ce qu’il nous avait apporté, la liberté fière de la littérature de roman, jusqu’à confondre son nom avec le roman, formait la condition d’un peuple de ceux qui s’organisent pour vivre bien dans une époque mal engagée, au point de rassembler tous les petits génies en un ensemble littéraire riche et vecteur de ses solutions . Quand chacun, au pas léger ou lourd, vient donner sa version, sa recette vraie du bonheur, son échappatoire, son refuge et son conseil, pour que d’autres jeunes encore demain plus ou moins, et après-demain, viennent apposer leur nom au bas de la suite des signatures voltigeantes de cette sincérité, victorieuse de l’adversité, nous devenons cette foule au cimetière, par-delà la personne, pour que vive éternellement cette Rose de la Liberté en un nom et un corps assemblé à revendiquer haute et forte, la parole sans limite des possibles vérités, le mot dit et actionné pour du meilleur, le soin les uns aux autres, le retour dans la neige le cœur grave et épris à la fois, d’avoir perdu un bonhomme libre, nous libérant par là même de toute espèce d’emprise de la tyrannie dans nos vies vécues, au soleil de ce principe d’aimer, de pratiquer, de chérir, de nous compter et de compter tous les autres parmi cet ensemble, comme chacun seul pourtant dépositaire d’une sagesse littéraire, humaine, intemporelle peut-être, initiée par celui qui avait su tenir, dans son jeune âge, le système du gros animal en entier, dans une finesse de vues qui ne se démentit pas une seule fois, pour en arpenter les chemins buissonniers, en quitter la travée centrale et pénible de confusion, pour gagner enfin la plage de la subtilité de principe, où l’éloge est d’abord de se féliciter soi-même d’avoir échappé au carnage moral de l’intégration à la raison folle de l’époque, pour en éclairer autant de voies qu’il y en avait d’essais à parcourir, dans une description de la littérature comme somme collective des voies sûres où échapper au pire, toujours . Dans cette entraide, de près ou de loin, l’œuvre de Philippe Sollers commence son voyage dans l’histoire, l’œuvre si précieuse, la voix incluse dedans, inimitable, réservant la relecture et un dialogue désormais plus réel qu’imaginaire, avec la circonstance de la fiction, comme l’île de James Bond demeure un appel à l’action, les romans de Philippe Sollers dans le temps, persistent comme incitation et encouragement à reprendre, à poursuivre, à parfaire le catalogue des navigables sur un échiquier de chaos . Le fou Sollers de ses débuts contrefaits, la complexion unique, inouïe, de son esprit suspendant son souffle jusqu’à la liberté sans même l’ombre d’un soupçon d’indélicatesse en passant, dans la distribution qui vient de la littérature rejaillie sur le monde en forme de perfection, comme James Bond, de l’adéquation parfaite du nom à sa fonction, le seul écrivain acteur de ses cascades personnelles, le seul à qui il n’était pas nécessaire de demander le pedigree pour en obtenir l’ivresse du flacon, et qui nous embrasse tous dans la lumière de son éclairage endurant .


  • Shizuko Abe | 7 mai 2023 - 08:41 7

    Cher Viktor,

    Merci pour ton article bien touchant. Je partage la tristesse avec toi.
    Il me manque !
    Shizuko


  • Brindamour Rudy | 7 mai 2023 - 03:09 8

    Une vie à porter la pensée
    On peut se trouver sans grande connaissance de la littérature, situé sur le terrain d’une jeunesse errante et d’un coup se laisser bousculer à la rencontre d’un écrivain, qui subitement se met à électriser votre corps, portant l’intuition qu’un jour plus loin il illuminera votre crane. À la façon d’une entrée dans le cadre d’une peinture, caressé par les mots, emmené là où on ne comprend pas, le mouvement se produit au sein d’un espace où jamais il ne sera possible de sortir sans résoudre un problème fondamental apporté pour chacun sur le lieu de la littérature. Expérience donnée aussi aux anonymes qui ne doutent pas de la puissance vivifiante d’une composition musicale qu’ils expérimentent.

    Voilà l’épreuve d’un jeune idiot saisi d’abord par ce qui jaillit comme titres ; la Guerre du goût et Éloge de l’infini, ne pouvant qu’inviter à entrer dans les fabuleux textes sur la peinture et les écrivains, conçus comme dispositif du corps des mots toutes en Art, où vitesse et subtilité lui laisse à penser qu’il devra s’il veut comprendre l’intelligence des arts en mouvement, laisser s’installer puis cheminer en lui un secret destiné à le changer de l’intérieur.

    J’ai toujours cherché à atteindre cette libération déployée au travers de la parole de Philippe Sollers, homme lointain, inaccessible qui ne déniait pas la possibilité au plus petit de trouver son chemin de libération. Un être Littérature, un être Vivant, un homme monté sur l’expression du langage, qui noue et dénoue en même temps la gorge dans le combat que l’on se donne, aspirant à se coordonné au mot de beauté.

    Il y a de la beauté dans les phrases d’un écrivain que l’on aime secrètement pour cette peinture donnée des artistes, mouvement de mise en lumière des hommes et des femmes de l’être, dialogue d’un peintre et d’une photographe, découverte de Francis Bacon et Francesca Woodman ; profondeur des volumes d’une projection, corps dans son évasion du marbre qu’il ne faut pas laisser à l’immobilité. Mouvement de noms propres à donner le tournis tellement ils portent l’histoire et la profondeur du combat face au mourir soutenu d’une technique qui pourrait venir d’un temps lointain.

    Il n’y a pas de mot puis cela surgit, il a suivi les traces anciennes, il est là pour toujours, accessible à tous mais aussi invisible de tous, et d’abord à moi qui le sait et cherche ce moment où un jour sur le bord du précipice je pourrais dire : j’y suis, j’ai compris le chemin matérialisé chaque nuit et jour comme une boussole infaillible inscrivant cette affirmation — la littérature est la plus vivante des matières et les mots au fil du temps se doivent de perpétrer cette vérité.

    Là-bas dans le bleu : il y a des nénuphars qui fleurissent au milieu des eaux boueuses, il y a de la lumière dans l’obscurité même si cette dernière ne la voit pas, il y a la beauté des polarités humaines, femme et homme sur le piedestal de la création constituant le canevas des livres de Philippe Sollers ; il y a le jour après la nuit.

    Nous devrions entendre un grand cri lancé pour nous interrompre, cri qui d’un coup nous imposerait un moment de méditatif, plongé dans l’intensité du temps par Chronos, le maître souverain qui administre sa marque profonde en nous demandant de la graver dans nos mémoires. Seulement je doute que nous l’entendions, je doute que l’on nous communique qu’il vient de se produire aujourd’hui sur le bord de l’eau le mouvement d’une île rejoignant l’atlante ; avec à la grâce de la beauté épanouie dans le temps, la possibilité d être touché par l’incandescence de la bibliothèque.

    Une fil de vie est tiré au dessus de la mer, si nous le voulons, si nous l’acceptons, il nous questionne. Dans un monde replié sur son négatif, comment vivons nous les gestes créatifs de ces noms assemblés tout au long d’un mouvement de parole. Il y eu une nuit, il y eu un jour et un aviateur sur le bord de l’océan.


  • Thelonious | 6 mai 2023 - 23:38 9

    En légende de cette photo qui clôt le livre de Gérard de Cortanze, Sollers ou la volonté de bonheur, roman : Île de Ré, pendant le tournage du film d’André S. Labarthe. "Il pense à un livre qui ne s’arrêterait pas plus que la mer..."(Drame).

    JPEG - 698.5 ko

  • charles cachera | 6 mai 2023 - 22:52 10

    Il faudrait quand même un jour relire Paradis et Paradis II, mais là en France ça coince.