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La vérité sur l’enterrement de Poquelin Molière

Par Marc Pautrel

D 6 mars 2023     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Selon la doctrine indienne, la mort,
en nous touchant, ne nous détruit pas ;
_ elle nous rend seulement invisibles. »

CHATEAUBRIAND


(Tiré à part, 2022, hors commerce, reproduisant le texte paru dans la revue L’Infini n°148, printemps 2022, Éd. Gallimard)
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Le rappel des faits

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Nous sommes en février 2023, et un autre mois de février, en 1673, le 17 du mois, mourait le célèbre Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière. Ce soir-là, il est en effet victime d’un malaise au théâtre ; il joue le rôle d’Argan, dans Le malade imaginaire (Ironie du sort). Ce malaise le prend à la fin de la pièce, pendant le ballet burlesque. On sort évidemment Molière de scène mais à ce moment-là, il est encore en vie. On le ramène chez lui, non loin de là, en chaise à porteurs, il peut encore marcher, quoique difficilement. On sait tout cela grâce à la relation qu’en a fait son ami La Grange, en charge du fameux registre de la troupe. C’est ainsi que l’on apprend que Molière était "fort incommodé d’un rhume et fluxion sur la poitrine, qui lui causait une grande toux, de sorte que dans les grands efforts qu’il fit pour cracher, il se rompit une veine dans le corps". Autour de lui, il y a notamment sa femme, la comédienne Armande Béjart. Elle lui offre un bouillon, mais il le trouve trop corsé et préfère un peu de parmesan. Le comédien et chef de troupe subit alors une nouvelle crise, et cette fois rien n’y fait : il va mourir quelques heures plus tard. Il avait 51 ans.
Cette disparition inopinée du chef de la Troupe du Roi, unanimement tenu pour le meilleur acteur et auteur comique de son temps, les difficultés rencontrées par sa veuve Armande Béjart pour lui assurer une sépulture chrétienne, et les circonstances insolites dans lesquelles se déroulèrent, quatre nuits plus tard, son convoi funèbre et son inhumation dans le cimetière de la paroisse Saint-Eustache, ont suscité au cours des siècles suivants de nombreux commentaires et hypothèses entre légende et histoire. [1]

Le roman de Marc Pautrel

De ces événements, Marc Pautrel a fait un roman. Un court roman qui commence par une évocation de la nuit, on pourrait dire une élégie. C’est la nuit de la mort de Molière, dans le froid de février, il a eu son malaise vers 21 heures et serait mort vers 22 heures… Et l’auteur de continuer son élégie à la nuit sur deux pages. D’emblée, la nuit constitue la scène fantasmagorique du récit, nous parcourons les rues de Paris pour gagner l’appartement de Molière après son malaise sur la scène, et c’est un convoi nocturne qui quatre jours plus tard l’accompagnera pour son inhumation. La nuit et ses ombres, le spectre de la mort, mais aussi les lumières des torches et le rire de Molière qui accompagne ses commentaires. Oui, le mort nous parle, il continue à vivre, la vérité de l’écrivain dépasse le réel, fraye un instant avec le fantastique, le spectacle continue.
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Molière mourant assisté de deux sœurs de la charité,
toile de Pierre-Auguste Vafflard (1806)..

ZOOM : cliquer l’image
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QUELQUES EXTRAITS

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En introduction de ce court roman, l’auteur écrit une élégie à la nuit d’hiver

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D’abord les couleurs changent, elles gagnent en intensité, s’aiguisent, deviennent folles, profondes. Quelque chose bouge, de puissantes forces se mettent en mouvement. Le vent faiblit légèrement, et, l’espace d’un instant, le froid paraît moins vif.
Les teintes dorées des murs s’estompent, cédant la place aux oranges, puis aux mauves, aux violets sombres et aux bleus ténébreux. Les ombres s’évanouissent les unes après les autres, bientôt on ne verra plus rien. La nuit tombe sur Paris. […]

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Nota : Vous pouvez découvrir la première page de
"L’ENTERREMENT DE POQUELIN MOLIÈRE",
telle que publiée dans la revue L’Infini n° 148,
dans un des tweets de Marc Pautrel de mai 2022 :
https://twitter.com/marcpautrel/status/1530090320318324737

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Hier encore, il y avait là des rires et des éclats de voix de la troupe de Molière

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Hier encore, il y avait là des rires et des éclats de voix, des hommes et des femmes qui couraient dans les rues, de grandes cavalcades bruyantes, toute la Troupe réunie et vivante. Tous les comédiens parlant, buvant, mangeant, dormant, riant, ils jouaient, ils déclamaient les phrases inventées par l’acteur génial, leur meneur, Molière, le chef de cette troupe, celui autour duquel ils avaient créé leur Illustre Théâtre et joué dans toute la France, des années durant.

[…]

Les rires ont disparu, ils reviendront un jour. La troupe ne meurt jamais, les phrases ne s’effacent pas, elles ne sont plus visibles l’espace de quelques années, puis elles brillent à nouveau, les éclats de voix et les chuchotements reprennent, la lumière rejaillit plus forte. Mais ce soir, la nuit tombe d’une façon différente, le froid est plus vif, l’obscurité plus épaisse, le danger dans les rues de Paris bien plus grand, la peur très présente. Cette fois-ci, le péril n’est pas une illusion.

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Il a un grand rire et puis il expire

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Molière a été fauché en plein jeu, assailli par le texte à la fin de la pièce. Soudain le malade n’était plus imaginaire. « N’aie point peur, je ne suis pas mort » disait Molière dans sa réplique, et il souffrait en prononçant ces mots, et il a quitté la scène épuisé, vidé, brûlé année après année par l’incandescence du corps et l’énergie des phrases.
A présent, on l’a allongé dans son lit. La femme qu’il aime est à ses côtés. Il sait que quelque chose s’achève en lui, il se sent en train de partir, mais il veut être traité dignement, c’est-à-dire enterré comme un citoyen respecté, et non pas comme un comédien haï par l’Église et interdit de tombeau. Il envoie chercher un prêtre pour recevoir le dernier sacrement et la confession qui lui ouvrira, aux yeux des tenants du vieux monde, les portes de l’inhumation et une demeure temporaire pour son pauvre corps.
Il attend. Mais deux prêtres, sollicités, refusent successivement de venir jusqu’à lui. Quand un troisième, enfin, accepte de se déplacer pour accorder l’extrême-onction à un comédien, l’heure est si avancée qu’il prend la route sans délai par crainte d’arriver trop tard.
Le prêtre honnête et le valet de Molière marchent vers la maison du mourant, ils avancent au milieu des rues obscures et glaciales, quand soudain la cité est tétanisée par un extraordinaire spectacle. Le jour se fait sur la ville entière pendant de longues secondes. Une immense clarté apparaît au-dessus des toits et la nuit recule : un météore traverse le ciel parisien.
Une boule de feu crée le jour au cœur de la nuit, l’espace d’un instant, comme un rayon de soleil à l’éclat insoutenable. A ce moment précis, dans son lit le malade agonise, il a un grand rire puis expire. Le corps de Molière interrompt sa vie terrestre.

Le romancier n’hésite pas à placer « un grand rire » du mourant au moment de son expiration, pied de nez du mortel en direction des prêtres qui lui ont refusé les derniers sacrements.

Une journée passe, puis deux autres, [… les parisiens sont] en bas de chez Molière dont à présent tout Paris sait qu’il est mort, et que ce soir, malgré les oppositions religieuses, et sur dérogation exceptionnelle, il va être emmené au cimetière.
On avait ordonné que l’enterrement soit secret, nocturne, et sans aucun faste ni aucune assistance. Mais le peuple est venu, il attend, il fait son tapage sous les fenêtres comme le public avant la représentation. Les Parisiens applaudissent bruyamment sa majesté Molière.

*

Sa veuve, la mystérieuse Armande Béjart, a malgré tout obtenu, sur l’intervention discrète du Roi, une autorisation : l’un des plus grands comédiens et auteur français aura une place au cimetière de la chapelle Saint-Joseph, mais sans messe et sans service funéraire, avec un nombre limité de prêtres et hors des heures du jour. Qu’il soit enterré de nuit, voilà ce que !’Archevêque de Paris a imposé, et même le Roi n’a pas pu aller contre.

*

A neuf heures du soir, la porte de l’immeuble s’ouvre. Des hommes sortent, ils écartent la foule. Quatre prêtres apparaissent alors, ils tiennent sur leurs épaules le cercueil dans lequel Molière a été allongé pour son dernier sommeil.

[…]

li n’y a pas un chuchotement, il n’y a que le claquement des pas et le râle des prêtres qui doivent, contre leur volonté sans doute, soutenir le poids de leur féroce moqueur. Sur la bière du défunt, on a déposé le drap funéraire dû à son rang, celui de taplssier et valet de chambre du Ro, c’est la couverture qui à présent protège son repos dans ce lit aux allures de barque.
Tanguant sous le pas chaloupé des porteurs, son cercueil paraît flotter sur une mer formée, glissant au milieu de la foule des suiveurs, avant de les précéder dans les rues glaciales. Six enfants pauvres de l’hospice du Saint-Esprit l’entourent et portent six cierges dans six chandeliers d’argent. Plusieurs laquais tiennent des flambeaux de cire blanche. Toute sa troupe, sa veuve et ses amis, ainsi que plusieurs personnes de grande qualité, peut-être des proches du Roi, et de très nombreux comédiens parisiens, le suivent dans sa progression.
Aucun service funéraire n’a été permis par l’archevêché, ni en paroisse ni ailleurs, aucune messe, aucune prière, aucun hommage officiel pour l’immense comédien français. L’Église a voulu lui refuser toute sépulture, et qu’il soit jeté dans une fosse commune, et que sa pauvre dépouille soit aussitôt oubliée. Les prêtres ont tenté de supprimer sa mémoire, et malgré la protection royale, il n’a droit maintenant qu’à une procession nocturne, silencieuse et sans pompe, dans les rues désertes, si sombres et si glaciales, de la capitale.
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Avec Marc Pautrel nous suivons le cortège nocturne dans les rues de Paris.

Une déambulation décrite avec la minutie d’un Patrick Modiano

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Sa dépouille avance à pas lents. Elle est partie de la rue de Richelieu, elle oblique à droite. Elle remonte la rue des Augustins, traverse la rue Notre-Dame des Victoires. Elle emprunte l’étroite rue Jocquetet et au bout elle tourne à gauche sur la rue de Mont-Martre. L’église Saint-Joseph est là, c’est le cimetière pour les paroissiens de Saint-Eustache. C’est ici qu’il voulait reposer.
[…]
La dépouille du comédien franchit le mur bas, et la procession la suit à l’intérieur du cimetière, cinq cents personnes qui remplissent toute la rue, et qui voudraient entrer eux aussi avec lui, mais qui ne le peuvent pas. La foule est si grande qu’on jurerait une révolte, une jacquerie fulgurante en plein cœur de Paris. C’est la nuit, une nuit noire et glacée, et pourtant des centaines de personnes sont là, immobiles, silencieuses, certaines pleurant, d’autres chuchotant des prières inaudibles.

Tous pensent que Molière mériterait une inhumation à la hauteur de son rang, être enterré dans son propre tombeau, ou dans le sol d’une église, en un lieu où il serait honoré et, en quelque sorte, plus proche de la résurrection. Il ne devrait pas être ainsi jeté en terre au milieu de tous les autres morts, dans un banal cimetière où tous les cadavres se mêlent dans leur grande solitude.

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Où es-tu à présent ?

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« Où es-tu à présent ? » Tous ses amis se posent la même question : Où a bien pu partir son âme, cette énergie éternelle que rien sur Terre, ni dans tout l’Univers, ne pourra réduire. Ce cimetière n’est pas le lieu où on doit le chercher, seule son enveloppe extérieure se trouve dans le cercueil.

L’imagination de l’écrivain fait revivre le comédien dans les rêves des vivants.
Avec une chute finale digne d’une pièce de théâtre de Molière, à découvrir dans le texte intégral. Magie de l’écriture qui fait revivre l’enterrement de Poquelin Molière comme il n’a jamais été écrit, même dans les chroniques de l’époque.


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[1D’après une évocation de la mort de Molière par Franck Ferrand, sur Europe 1, le 17 février 2017 et Wikipedia

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