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Le retour de Salman Rushdie, écrivain : « Words Are the Only Victors »

Victory City, parution le 7 février (éd. Penguin Random House), automne 2023 (Actes Sud)

D 29 janvier 2023     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Nous avions peu de nouvelles de Salman Rushdie. L’écrivain, victime d’un attentat et grièvement blessé en août 2022 [1], est de retour (sur son compte twitter). Son dernier roman Victory City sortira le 7 février aux Etats-Unis (éditions Penguin Random House). The NewYorker en a récemment publié des extraits. Les éditions Actes Sud, après avoir édité, en novembre 2022, Langages de vérité, un recueil d’essais écrits de 2003 à 2020, publieront Victory City à l’automne prochain. « Words Are the Only Victors » (Les mots seuls sont victorieux).

Dans ce recueil d’essais, articles et autres discours écrits sur une période de dix-sept ans, Salman Rushdie se fait historien, conteur, ami et critique de ses auteurs favoris, mais aussi guide pour écrivain en herbe. Ainsi navigue-t-il entre origine des contes et de la littérature, cours magistral d’écriture, anecdotes sur l’évolution d’une œuvre à travers les âges ou sur les liens entre tel et tel auteur, et analyse de ses propres romans. *Langages de vérité* jette une lueur sur “l’atelier poétique” de l’auteur, sublime caverne d’Ali-Baba. Réunis pour la première fois, ces textes entonnent un puissant hymne à la création et à la liberté de créer, dans un monde où la liberté d’être soi-même (quoi que cela recouvre) est de plus en plus menacée.

LIRE LE SOMMAIRE ET UN EXTRAIT

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Comme un pied-de-nez – sur Langages de vérité de Salman Rushdie

Par Marc Porée
Professeur de littérature anglaise

Troisième recueil de textes de non-fiction de Salman Rushdie, Langages de vérité regroupe des essais écrits sur une longue période de dix-sept ans. En un peu moins de 26 lettres et une petite dizaine d’images, il fait humblement le tour de ses admirations, littéraires mais également iconographiques. Rushdie qu’on croyait à tort narcissique nous livre un portrait de groupe, une ample fresque au sein de laquelle, pour un peu, il se fondrait.
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Langages de vérité a paru cet automne, après l’annonce du Nobel de littérature (que Rushdie n’a pas obtenu, faut-il le rappeler…), dans une traduction (excellente traduction, il faudra y revenir) de Gérard Meudal, et quelques mois avant la parution de Victory City, son prochain roman. Deux ou trois impressions fortes dominent. La première s’apparenterait presque à une forme de berlue : on avait quitté un Rushdie ayant perdu, aux dernières nouvelles, un œil et l’usage de sa main et on le retrouve virevoltant comme jamais et débordant de santé. Le dernier article du recueil, « Pandémie », évoque même son combat victorieux contre la Covid19.

Un instant, on s’interroge. Serait-ce que l’odieux attentat perpétré en août dernier par un fou de Dieu, de Khomeiny et de sa fatwa, n’a jamais eu lieu ? S’était-il donc déroulé dans un univers parallèle, qui n’aurait jamais existé ailleurs que dans la tête dérangée d’islamistes rêvant depuis toujours de lui régler son compte ? Très vite, on déchante : le réalisme magique peut beaucoup, mais il ne peut pas faire qu’un bras armé d’un couteau ne frappe pas sa cible, dans la vraie vie. Mais le timing de cette parution intervenant plus d’un an après la sortie du volume en langue anglaise, fait quand même très bien les choses, en nous donnant l’occasion de (re)penser à Rushdie.

Penser, nous explique en substance Frédéric Worms, c’est sinon toujours, du moins le plus souvent, « penser à quelqu’un ». « Avec » ce quelqu’un qui souffre dans sa chair, et qui souffre parce qu’il écrit, et à qui je pense, le sens du verbe « penser » s’éclaire et s’enrichit. Rushdie le libre penseur, se pique de penser la littérature, de penser la peinture. Penser aux histoires qui existaient déjà avant qu’il y ait des livres, c’est penser à « l’artiste composite », l’anonyme auteur du Hamzanama. La fonction fabulatrice, consistant à « créer des personnages dont nous nous racontons à nous-mêmes l’histoire » (Bergson) n’empêche nullement Rushdie de se faire lecteur, métalecteur même. C’est du reste la troisième fois qu’il rassemble ses écrits non fictionnels, en comptant le volume des Patries imaginaires (1991).

« Pandémie », donc, est à peu près le seul article, sur une quarantaine d’entrées regroupées en quatre parties, à relever de l’égo-histoire. Le seul où il parle de lui et détaille un tant soit peu sa biographie : son passé de gros fumeur, l’épisode de fièvre typhoïde qui marqua son enfance indienne, la double pneumonie contractée à Londres en 1984, dont il réchappe mais qui se transforme en asthme chronique. Et c’est tout, quasiment. Rien en tout cas, ici, qui soit de nature à donner du grain à moudre à une époque dont Rushdie sait décrypter comme personne les travers : l’infatuation pour les people, la manie du gossip, la curiosité « profonde et insatiable pour la vie des auteurs », à laquelle Rushdie, un brin midinette, est le premier à sacrifier—tout en jurant bien de ne pas y donner lui-même prise.

C’est qu’il a payé cher pour savoir ce qu’il en coûte. Tout au plus évoque-t-il, à demi-mots, combien il avait été marqué par la manière dont Philip Roth, l’un de ses maîtres à écrire, avait travaillé « aussi près du taureau », comprenons le taureau de la famille, de l’intimité, fût-elle transposée, introduite dans l’œuvre publique, et qui fait violemment retour. L’autofiction n’est décidément pas la tasse de thé de Rushdie. Elle serait même sa bête noire, tant cette dernière jure avec l’écart, privilégié en toutes circonstances, d’avec la réalité triste et nue.

Deuxième impression : Rushdie qu’on croyait à tort narcissique nous livre un portrait de groupe, une ample fresque au sein de laquelle, pour un peu, il se fondrait. Non pour y disparaître tout à fait, ce serait pousser loin le sacrifice, mais pour mieux affirmer la force insubmersible d’un puissant collectif uni et animé par les mêmes valeurs, d’humanités et de culture, adossées à la liberté de pensée et de création. Protégé par le « charme », au sens antique du terme, d’un totem d’immunité, il avance groupé, comme la forêt touffue et mobile de Birnam, tel une force qui va, innombrable et invaincue.

Tactiquement, la démarche vient de loin. Au temps des batailles chroniquées par Shakespeare, le roi dépêchait à plusieurs endroits du front autant de leurres vêtus à son image et lui ressemblant, afin de donner le change. Ainsi l’ennemi se donnait-il le sentiment d’un monarque insaisissable, présent nulle part et partout à la fois. Rushdie est tel Malcolm montant à l’assaut de Macbeth, le tyran sanguinaire. Les écrivains et artistes d’hier et d’aujourd’hui, il les mobilise, sur la foi d’un pacte, d’un contrat en partage : « Dans un monde aussi instable que celui-ci, donnez-moi toujours une littérature de l’instabilité ou au moins qui reconnaisse celle-ci, qui admette que le monde puisse être secoué par des tremblements de terre, la guerre ou le hasard, où l’on ne se trompe jamais sur la réalité, où l’on accepte de regarder en face la nature de la bête. » Et Rushdie d’enrôler les figures de Héraclite et de Protée, le héros des métamorphoses et autres mutations, au service d’un combat rappelant celui du Quichotte de Cervantès contre les moulins à vent.

En un peu moins de 26 lettres et une petite dizaine d’images, Rushdie fait humblement le tour de ses admirations, littéraires mais également iconographiques. Les (presque) quatre cents pages du recueil y suffisent du reste à peine, tant ses dilections sont légion. À l’image du poète Walt Whitman, l’auteur des Feuilles d’herbe, Rushdie est « immense », il a « contenance de foules » en lui. De la corne d’abondance métaphoriquement fixée au frontispice de son recueil, coulent mille et un bienfaits. Hans Christian Andersen, Samuel Beckett, Cassius Clay… la liste (non alphabétique) court sur la page, déroulant en un chatoyant désordre ses copieuses entrées.

La plasticienne Kara Walker, « artiste de l’Histoire », ferme la marche, avec ses ombres dangereuses dansant sur l’espace blanc des papiers, des murs et des tissus. Avec elle, grâce à ses pairs, en réalité ses constantes sources d’inspiration, Rushdie poursuit sa vie et la recommence à chaque instant. Par le pouvoir d’un mot, d’une seule image, le cas échéant (Taryn Simon). Une fois, seulement une fois, il évoque « l’armée du bien », « une armée de la paix et de la justice, unie contre la haine, prête à se dresser contre les forces déchaînées contre elle ». Mais Rushdie est trop polymorphe pour rester prisonnier de ce genre de simplifications binaires. Et pour le coup, absolument contraires au langage de complexité et de contradictions dont il aime à se réclamer.

La leçon ou Master class de Rushdie, qui n’aime rien tant que faire œuvre de pédagogie, qu’il s’adresse à des étudiants ou à ses chers lecteurs, jette à la face de la mort « le rire et l’intelligence ».

Troisième impression, de loin la plus forte. Le pacte évoqué plus haut, il est temps de le requalifier. Appelons-le crédo, vibrant d’insolence et de fantaisie. Le crédo d’un incroyant, d’un athée, d’un mécréant, qui ne fête Noël que pour la joie de se retrouver en famille. Un crédo fracassé, mais renaissant de ses cendres :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre

il la reconnaît, il la nomme : Liberté. Paul Eluard ne figure pas dans le Panthéon imaginaire de Salman Rushdie. Pas physiquement en tout cas. Mais en filigrane, le poème « Liberté » en constitue la raison d’être privilégiée, la trame tout à la fois secrète et spectaculaire entre toutes. Elle ne fonctionne jamais mieux qu’en couple(s). Liberté et Vérité, laquelle réside, paradoxalement, dans le mentir-vrai de la fiction – « La magie des langages de vérité est la seule en laquelle je crois. » – ; dans l’aptitude, par exemple de l’artiste Francesco Clemente, à bondir de part et d’autre de la frontière imaginaire qui sépare et confond l’Italie et l’Inde, les Indiens d’Europe et les Italiens de l’Asie. Liberté et Traduction, aussi : il n’y a pas que les gens du Sud (Gabriel Garcia Marquez, Sebastiao Salgado, etc.) qui parlent la même langue.

L’« inné » des écrivains se transporte sans coup férir « de l’autre côté », sautant allégrement d’un méridien ou d’un hémisphère à un autre, tant qu’ils demeurent les adaptateurs d’eux-mêmes. C’est même l’adaptation, de soi à soi, de soi aux autres, que Rushdie érige en principe actif et ô combien dynamique d’un patrimoine cosmopolite appelé à (se) « survivre », le mot revient constamment sous sa plume. De cela, Gérard Meudal se fait le scribe impeccable, le transporteur fidèle : chapeau à lui ! Vérité et Voracité, en dernière analyse. Au festin de Salman, Rushdie invite et régale. C’est que, pour être romancier, il faut être « vorace. » Son travail consiste à plonger les mains aussi profondément que possible dans la matière de la vie, de s’y enfoncer jusqu’aux coudes, jusqu’aux aisselles et d’en ressortir avec cette matière. « Laissez-vous aller », lance-t-il aux lecteurs des romans de Beckett qu’il préface, de manière un peu improbable. Rushdie a la gourmandise toujours en éveil, et il faudrait avoir le palais singulièrement émoussé pour ne pas vouloir partager sa table et goûter son plantureux banquet de mots et d’images.

Son crédo, enfin, résonne comme un pied-de-nez, adressé à qui vous savez. Jamais amer, plus espiègle que revanchard, Rushdie hésite toutefois entre le sourire carnassier d’« Harold » (Pinter), la tristesse comique d’un Beckett qui la porte comme une « chemise favorite jamais lavée » et le KO administré par le jeune Cassius Clay. Et si les foudroyants crochets décochés par ce dernier, au foie et à la face de ses adversaires, ne sont pas loin d’avoir sa préférence, c’est qu’ils se doublent de paroles, tout aussi explosives : « Ravalez vos mots ! Ravalez vos mots ! » Ali avait-il coutume de hurler aux journalistes sportifs qui l’avaient donné perdant. La leçon ou Master class de Rushdie, qui n’aime rien tant que faire œuvre de pédagogie, qu’il s’adresse à des étudiants ou à ses chers lecteurs, jette à la face de la mort « le rire et l’intelligence ». Par endroits, son propos prend même des allures de discours de Stockholm d’un Nobélisable à ce jour jamais nobélisé.

Mais la doxa rushdienne ne ronronne jamais très longtemps : « Et puis un jour, l’image du monde se brise. Vous vous éveillez un matin et vous découvrez que vous avez été bel et bien transformé en scarabée géant. Ou bien Hitler envahit la Pologne [transposons : Poutine envahit l’Ukraine]. (…) Ou des terroristes lancent des avions contre les tours jumelles et votre innocence meurt en même temps que votre sentiment de sécurité, en même temps que des milliers de morts. C’est curieux ce que l’on considère comme normal jusqu’à ce qu’on n’y croie plus. »

En août dernier, alors qu’il se croyait enfin revenu à une forme de normalité, Rushdie a vu mourir pour la deuxième fois cette innocence, quand a bondi sur la scène où il s’apprêtait à prendre la parole un jeune terroriste fanatisé. Nous « verrons bien », pour le citer encore une fois, si elle trouve le moyen et la force de se requinquer. On l’espère de tout cœur, en tout cas, car penser à Rushdie, c’est aussi penser à nous.

Langages de vérité, Salman Rushdie, Actes Sud, 2022, 400 pages.

Marc Porée
Professeur de littérature anglaise, École Normale Supérieure (Ulm)

Marc Porée, AOC, 2 janvier 2023.

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Salman Rushdie : un nouveau roman et quelques bonnes nouvelles


Salman Rushdie, en 2019.
(HERBERT NEUBAUER / AFP). ZOOM : cliquer sur l’image.
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« Victory City », le dernier roman de l’auteur britannique, paraîtra le 7 février, aux Etats-Unis. L’occasion de prendre quelques nouvelles de l’écrivain, victime d’une attaque au couteau, en août.
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Par Didier Jacob

Publié le 26 janvier 2023 à 14h25
Mis à jour le 26 janvier 2023 à 15h08

« Les mots seuls sont victorieux.  » Ainsi se conclut le nouveau roman de Salman Rushdie, « Victory City », paraîtra aux Etats-Unis, début février. Depuis l’attaque dont il a été victime, en août dernier dans un festival littéraire dans l’Etat de New York, les nouvelles de Rushdie n’étaient pas bonnes : il avait perdu l’usage d’un bras et d’un œil. Pas un mot ne filtrait, par ailleurs, sur son état moral et son compte Twitter demeurait désespérément muet. C’est donc non sans malice que le grand retour de Rushdie, sur la scène littéraire mondiale, s’effectue avec ses armes et sur son terrain. Le roman. Un roman à la gloire de l’imagination, et de la suprématie de l’écriture romanesque.

L’auteur des « Versets sataniques », qui n’a pas toujours, dans le passé, obtenu le soutien de ses confrères écrivains, a gagné à sa cause, comme le soulignait le « New York Times » hier, tout le gotha des lettres, à commencer par son ami Colum McCann :

« Rushdie écrit quelque chose de très profond dans “Victory City” . Il dit : “Vous ne pourrez jamais priver les gens de cet acte fondamental qui est de raconter des histoires.” Face au danger, même face à la mort, Rushdie nous rappelle que raconter des histoires est un bien que nous avons en commun. »

« Salman est un conteur davantage qu’un symbole politique »
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Le livre ne fait nullement référence aux événements, puisqu’il était terminé au moment où Rushdie a été blessé (il a remis à son éditeur, Random House, le manuscrit en décembre 2021). Ses blessures ne l’ont d’ailleurs pas empêché de garder un esprit combatif, selon ses amis Colum McCann et Hari Kunzru. «  Il est extraordinairement résistant  », d’après ce dernier, cité par le « New York Times. » « Il est toujours le Salman qu’il était. Il a perdu son œil et se remet encore de certaines des autres blessures, mais cela ne l’a pas achevé.  » Et Kunzru d’ajouter à propos de « Victory City » :

« C’est un livre joyeux et surdimensionné, un livre extravagant, où il fait montre de toutes ses capacités et use de tout son pouvoir créatif. Cela devrait nous rappeler qu’il est un romancier et un conteur davantage qu’un symbole politique. »

Alexandra Alter et Liz Harris ont lu, pour le « New York Times », le roman de Rushdie, en avant-première. « Dans “Victory City”, expliquent-elles, Rushdie s’est inspiré en partie de l’ascension et de l’effondrement du royaume de Vijayanâgara, fondé au XIVe siècle par deux frères. Dans la vision de Rushdie, la ville de Vijayanagara – dont le nom signifie “ville de la victoire” – est un lieu de magie et de miracles qui doit son existence à sa créatrice, la poétesse Kampana, qui bénit des graines et les donne aux frères vachers. Si ces derniers les plantent à un endroit précis, leur dit-elle, une ville sortira instantanément de terre. Lorsque sa prophétie se réalise, elle insuffle la vie à la ville en murmurant des histoires à l’oreille des gens, imprégnant le nouveau lieu d’histoires. Kampana prône une société fondée sur les principes de tolérance religieuse et d’égalité entre les sexes, mais elle est poussée à l’exil et finit par voir son empire disparaître. »

Après l’attentat, plusieurs écrivains dont Paul Auster et Gay Talese avaient lu en public des passages du livre sur les marches de la bibliothèque publique de New York. Le roman de Salman Rushdie paraîtra en France chez Actes Sud à l’automne 2023.

Didier Jacob, L’OBS, 26 janvier 2023.

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Le prochain livre de Salman Rushdie, intitulé Victory City est attendu le 7 février 2023. En attendant la parution, l’auteur américano-britannique, d’origine indienne, a publié un extrait de ce nouvel ouvrage dans le New Yorker.
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Le prochain roman de Salman Rushdie, Victory City, (éd. Penguin Random House) est attendu le 7 février 2023 dans les librairies. D’ici la sortie de son quinzième ouvrage, son auteur a dévoilé dans les pages du New Yorker – éminent journal culturel américain – un premier extrait, intitulé A Sackful Seeds – traduit en français par «  un sac plein de graines. » Dans celui-ci, on découvre la vie de Pampa, une orpheline, et sa rencontre divine avec une déesse, qui va lui permettre d’obtenir des pouvoirs.

Le réalisme magique de Salman Rushdie

D’après les premières informations partagées, le livre raconte le récit épique de la jeune fille dans l’Inde du XIVe siècle. Plus précisément, Victory City est le nom donné à Bisnaga, une cité qui a prospéré grâce aux pouvoirs de Pampa Kampana, une jeune fille de 9 ans, devenue la représentante d’une déesse. Celle-ci s’exprime à travers le corps de la fillette et va jouer un rôle important dans la construction et le rayonnement de la ville, considérée comme l’une des sept merveilles du monde.

Une nouvelle fois, l’auteur s’illustre à travers un genre inédit : le réalisme magique. En effet, l’écrivain de 75 ans est connu à travers le monde pour son style narratif mêlant à la fois les mythes et la fantaisie à la vie réelle.

Salman Rushdie a d’ailleurs confirmé sur Twitter qu’il s’agissait bien d’un extrait de son prochain livre. C’est la première fois depuis août 2022 que l’auteur s’exprime sur les réseaux sociaux. Il y a quatre mois, il avait annoncé sur son compte la parution de Victory City, avant de se faire attaquer au couteau, trois jours plus tard, le 12 août, lors d’une conférence à Chautauqua dans l’Etat de New York.

L’écrivain – symbole de la lutte pour la liberté d’expression – à qui l’on doit Les Enfants de Minuits (1981) avait été grièvement blessé lors de cette attaque, perpétrée par un jeune homme qui s’était jeté sur lui, alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole. Hospitalisé et opéré aux Etats-Unis, l’auteur a perdu un œil et l’usage d’un bras. Il ne faisait plus l’objet d’une protection policière renforcée depuis quelque temps. L’écrivain avait recours aux services de gardes du corps depuis plusieurs années, après avoir fait l’objet d’une fatwa en 1989 de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, à la suite de la publication des Versets Sataniques. Le livre avait fait scandale en Iran au moment de sa parution. Cependant, Téhéran a démenti toute implication concernant l’attaque de Salman Rushdie, cette année, jugeant que «  l’auteur et ses partisans mériteraient d’être blâmés et même condamnés. »

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A Sackful of Seeds

By Salman Rushdie
December 5, 2022

The story of the city began in the fourteenth century of the Common Era, in the south of what we now call India or Bharat or Hindustan. The old king whose rolling head got everything going wasn’t much of a monarch, just the type of ersatz ruler who crops up between the decline of one great kingdom and the rise of another. His name was Kampila, of the tiny principality of Kampili—Kampila Raya, raya being the regional version of raja, king. This second-rate raya had just enough time on his third-rate throne to build a fourth-rate fortress on the banks of the Pampa River, to put a fifth-rate temple inside it, and to carve a few grandiose inscriptions into the side of a rocky hill, before the army of the north came south to deal with him. The battle that followed was a one-sided affair, so unimportant that nobody bothered to give it a name. After the people from the north had routed Kampila Raya’s forces and killed most of his army, they grabbed hold of the phony king and chopped off his crownless head. Then they filled it with straw and sent it north for the pleasure of the Delhi sultan. There was nothing particularly special about the battle without a name, or about the head. In those days, battles were commonplace affairs and severed heads travelled across our great land all the time for the pleasure of this prince or that one. The sultan in his northern capital had built up quite a collection.

After the insignificant battle, surprisingly, there was an event of the kind that changes history. The story goes that the women of the tiny, defeated kingdom, most of them recently widowed as a result of the battle, left the fourth-rate fortress after making their final offerings at the fifth-rate temple, crossed the river in small boats, improbably defying the turbulence of the water, walked some distance to the west along the southern bank, and then lit a great bonfire and committed mass suicide in the flames. Gravely, without making any complaint, they said farewell to one another and walked forward without flinching. There were no screams when their flesh caught fire. They burned in silence ; only the crackling of the fire itself could be heard.

Pampa Kampana saw it all happen. It was as if the universe itself were sending her a message, saying, Listen, breathe in, and learn. She was nine years old and stood watching with tears in her eyes, holding her dry-eyed mother’s hand as tightly as she could, while all the women she knew entered the fire and sat or stood or lay at the heart of the conflagration, spouting flames from their ears and mouths : the old women who had seen everything and the young women just starting out in life and the girls who hated their fathers, the dead soldiers, and the wives who were ashamed of their husbands because they hadn’t given up their lives on the battlefield and the women with the beautiful singing voices and the women with the frightening laughs and the women as skinny as sticks and the women as fat as melons. Into the fire they marched and the stench of their death made Pampa feel like retching, and then, to her horror, her own mother, Radha Kampana, gently freed her hand and very slowly but with absolute conviction walked forward to join the bonfire of the dead, without even saying goodbye.

For the rest of her life, Pampa Kampana, who shared a name with the river on whose banks all this happened, would carry the scent of her mother’s burning flesh in her nostrils. The pyre was made of perfumed sandalwood, and an abundance of cloves, garlic, cumin seeds, sticks of cinnamon, and other spices had been added to it as if the burning women were being prepared as a gourmet dish to set before the sultan’s victorious generals, but those fragrances—the turmeric, the big cardamoms, and the little cardamoms, too—failed to mask the unique, cannibal pungency of women being cooked alive, and made the odor, if anything, even harder to bear. Pampa Kampana never ate meat again, and could not bring herself to remain in any kitchen in which it was being prepared. All meat dishes exuded the memory of her mother, and when other people ate dead animals she had to avert her gaze.

Pampa’s father had died young, long before the nameless battle, so her mother was not one of the newly widowed. He had died so long ago that Pampa had no memory of his face. All she knew about him was what Radha Kampana had told her : that he had been a kind man, the well-loved potter of the town of Kampili, and that he had encouraged his wife to learn the potter’s art as well, and after he died she took over his trade and proved to be more than his equal. Radha, in turn, had guided little Pampa’s hands at the potter’s wheel. The child was already a skilled thrower of pots and bowls and had learned an important lesson, which was that there was no such thing as men’s work. Pampa Kampana had believed that this would be her life, making beautiful things with her mother, side by side at the wheel. But that dream was over now. Her mother had let go of her hand and abandoned her to her fate.

For a long moment, Pampa tried to convince herself that her mother was just being sociable and going along with the crowd, because she had always been a woman for whom the friendship of other women was of paramount importance. The girl told herself that the undulating wall of fire was a curtain behind which the ladies had gathered to gossip, and soon they would all walk out of the flames, unharmed, smelling a little of kitchen perfumes, perhaps, but that would pass soon enough. And then Pampa and her mother would go home.

Only when she saw the last shreds of roasted flesh fall away from Radha Kampana’s head to reveal the naked skull did she understand that her childhood was over and from now on she must conduct herself as an adult and never commit her mother’s last mistake. She would not sacrifice her body merely to follow dead men into the afterworld. She would refuse to die young and would live, instead, to be impossibly, defiantly old. Like the river, Pampa Kampana had been named for the deity Parvati—Pampa was one of the goddess’s local names—and it was at this point that she received the celestial blessing that would change everything, because this was the moment when the goddess’s voice, as old as time, began to issue from her nine-year-old mouth.

It was an enormous voice, like the thunder of a high waterfall booming in a valley of sweet echoes. It possessed a music she had never heard before, a melody to which she later gave the name Kindness. Pampa Kampana was terrified, of course, but also reassured. This was not a possession by a demon. There was goodness in the voice, and majesty. Radha had once told her that two of the highest deities of the pantheon, Pampa and her lover, Shiva, the mighty Lord of the Dance himself, in his local, three-eyed incarnation, had spent the earliest days of their courtship near here, by the angry waters of the rushing river. Perhaps this was the queen of the gods herself, returning at a time of death to the place where her own love was born. With a feeling of serene detachment, Pampa, the human being, began to listen to the words of Pampa, the goddess, coming out of her mouth. She had no more control over them than a member of the audience has over the monologue of the star, and her career as a prophet and a miracle worker began.

Physically, she didn’t feel any different. There were no unpleasant side effects. She didn’t tremble, or feel faint, or experience a hot flush or a cold sweat. She didn’t froth at the mouth or fall down in an epileptic fit, as she had been led to believe had happened to other people in such cases. If anything, there was a great calm surrounding her, like a soft cloak, reassuring her that the world was still a good place and things would turn out well.

“From blood and fire,” the goddess said, “life and power will be born. In this exact place, a great city will rise, the wonder of the world, and its empire will last for more than two centuries. And you,” the goddess said to Pampa Kampana, giving the young girl the unique experience of being personally addressed by a supernatural stranger speaking through her own mouth, “you will fight to make sure that no more women are ever burned in this fashion, and that men start considering women in new ways, and you will live just long enough to witness both your success and your failure.” In this way Pampa Kampana learned that a deity’s bounty was always a two-edged sword.

She began to walk without knowing where she was going. If she had lived in our time she might have said that the landscape looked like the surface of the moon : the pockmarked plains, the valleys of dirt, the rock piles, the emptiness, the sense of a melancholy void where burgeoning life should have been. But she had no sense of the moon as a place. To her, it was just a shining god in the sky. On and on she walked, until she began to see miracles. She saw a cobra using its hood to shield a pregnant frog from the heat of the sun. She saw a rabbit turn to face a dog that was hunting it, bite the dog’s nose, and make it run away. These wonders made her feel that something marvellous was at hand. Soon after these visions, which were perhaps sent as signs by the gods, she arrived at the little mutt at Mandana.

LA SUITE ICI

The New Yorker, 12 décembre 2022.

Traduction : Un sac de graines pdf

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Solidarité avec Salman Rushdie. Bruxelles. 11 février

22 janvier 2023 Tribune Juive

Autour de Djemila Benhabib, seront présents Richard Malka, Ensaf Haïdar, Cheik Mohamed MKaïtir, Boualem Sansal entre autres

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Dessin de Nicolas Vadot paru
dans “Le Vif” du 18 aout 2022

Le CLR s’associe au Centre d’action laïque belge et à Djemila Benhabib, Prix de la laïcité du CLR 2012, qui organise une Soirée de soutien à Salman Rushdie :

Défendons la liberté d’expression
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L’événement, qui rassemblera de nombreux intervenants, dont plusieurs lauréats du Prix de la laïcité du CLR, aura lieu le Samedi 11 février à 19 heures à la Tricoterie, 158, rue Théodore Verhaegen – 1060 Bruxelles

Programme

19h30 : Ouverture de la soirée

Avec Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République (CLR), Djemila Benhabib, porte-parole du Collectif Laïcité Yallah (CLY) et Véronique De Keyser, présidente du Centre d’Action Laïque (CAL).

19h50 : La fatwa qui n’existait pas

Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo.

20h00 : Afghanistan, Arabie-saoudite, Iran, tout quitter pour la liberté

Mahtab Ghorbani (poétesse iranienne en exil), Ensaf Haidar (activiste saoudienne en exil, épouse de Raïf Badawi, Prix Sakharov 2015), Lailuma Sadid (journaliste afghane en exil).

20h30 : Intermède humoristique avec Sophia Aram.

20h40 : La Turquie, menace sur les libertés

Can Dündar, journaliste turc en exil, ancien directeur de la rédaction du quotidien Cumhuriyet, Bahar Kimyongür, archéologue et activiste.

21h00 : Table ronde : La liberté d’expression à l’épreuve des intégrismes religieux

Modératrice : Djemila Benhabib, politologue et écrivaine

Faouzia Charfi (physicienne, ancienne Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche scientifique, Tunisie), Boualem Sansal (écrivain, Algérie), Richard Malka (avocat, France), Annemie Schaus (juriste, rectrice de l’ULB, Belgique).

21h45 : Intermède musical

22h00 : Table ronde : Défendre la liberté d’être, de dire et d’écrire. Comment ? A quel prix ?

Modératrice : Gaëlle Atlan-Akerman, journaliste et chroniqueuse à Marianne

Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir (blogueur, condamné à mort pour apostasie en 2014 en Mauritanie), Daniel Salvatore Schiffer (philosophe et écrivain, Belgique), Marie-Cécile Royen (journaliste, Belgique), Sophia Aram (humoriste et chroniqueuse, France).

22h45 : Conclusion | caricatures avec Coco et Pierre Kroll.

Vous pouvez réserver vos places à l’aide du lien suivant :

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LIRE : Salman Rushdie, l’œil du pirate

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