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Franz Kafka, Lettre au père

Nouvelle traduction. Parution le 02/02/2023

D 26 janvier 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Andy Warhol, Franz Kafka
(Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century), 1980.


En mars 1966, sur France Culture, Dominique Rolin lisait de larges extraits de la Lettre au père de Franz Kafka. En février 2012, Yann Moix en proposait la lecture à Christine Angot. Toujours dans la traduction de référence, celle de Marthe Robert. Vous pouvez les réécouter. C’est cette traduction qui fut longtemps dans toutes les oreilles.


Début du manuscrit de la Lettre au père Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Très cher père,

Tu m’as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d’habitude, je n’ai rien su te répondre, en partie justement à cause de la peur que tu m’inspires, en partie parce que la motivation de cette peur comporte trop de détails pour pouvoir être exposée oralement avec une certaine cohérence. Et si j’essaie maintenant de te répondre par écrit, ce ne sera encore que de façon très incomplète, parce que, même en écrivant, la peur et ses conséquences gênent mes rapports avec toi et parce que la grandeur du sujet outrepasse de beaucoup ma mémoire et ma compréhension.

En ce qui te concerne, les choses se sont présentées très simplement, du moins pour ce que tu en as dit devant moi et, sans discrimination devant beaucoup d’autres personnes. Tu voyais cela à peu près de la façon suivante : tu as [travaillé durement toute ta vie] (novembre 1919).

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Dominique Rolin lit de larges extraits de la Lettre au père de Franz Kafka. Une émission diffusée pour la première fois sur France Culture du 14 au 18 mars 1966.

Le livre de chevet par Jean-Vincent Bréchignac — Lecture Dominique Rolin — Réalisation Janine Antoine (Rediffusion Les Nuits de France Culture, octobre 2019).
Vous pouvez retrouver les extraits lus par Dominique Rolin dans l’intégrale de la Lettre au père pdf


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En 2012, le séminaire littéraire de « la Règle du jeu » de Yann Moix est consacré à Franz Kafka. La séance du 29 janvier porte sur « La mémoire » (VOIR ICI). L’invitée est Christine Angot.

Lors de ce séminaire, Christine Angot lit des extraits de la Lettre au père de Franz Kafka.

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Lecture reprise au théâtre Sorano en avril 2013.

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En 1997, à nouveau sur France Culture, c’est au tour d’André Dussollier de lire des extraits de la Lettre au père, cette fois dans la traduction de François Rey (Petite Bibliothèque Ombres, Toulouse, 1994).

En novembre 1919 – il a derrière lui l’essentiel de son œuvre – Franz Kafka rédige sa Lettre au Père. Elle ne parvint jamais à son destinataire : ce père trop réel, incarnant la force, la santé, l’appétit, le contentement de soi, qui ne pouvait comprendre le tempérament inquiet de son fils, encore moins son génie littéraire.
Juillet 1920 : Franz Kafka écrit à Milena Jesenskà : « Je t’enverrai demain ma Lettre au Père. Garde-la bien, il se pourrait que je veuille tout de même la lui donner un jour… »

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Photographie : Hermann Kafka (le père de l’écrivain) en 1913. Diffusion sur France Culture le 21 avril 1997. Réalisation de Marguerite Gateau. Présentation des Nuits de France Culture : « C’est l’une des lettres les plus célèbres que compte la littérature contemporaine. En 1919, Franz Kafka a 36 ans, et déjà l’essentiel de sa production littéraire derrière lui – il mourra cinq ans plus tard. Depuis les montagnes de Bohême où il séjourne en compagnie de son ami Max Brod, il écrit à son père une longue lettre, qu’il ne lui remettra jamais. “Une lettre d’avocat”, écrira-t-il à son amie Milena Jesenská, qui met en œuvre, point par point, une stratégie de défense. Plaidoirie, donc, mais aussi règlement de compte, tentative d’auto-analyse, missive d’amour et de haine, publiée pour la première fois en 1953 seulement, dans la première édition des œuvres complètes de son auteur. Elle éclaire l’œuvre d’un jour nouveau, mais peut aussi se lire et s’entendre pour elle-même. En 1997, pour l’émission “Parole donnée”, André Dussollier en faisait résonner les mots au cours d’une lecture organisée en public dans le grand auditorium de la Bibliothèque Nationale de France. »

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Voici que la collection folio/gallimard nous présente une nouvelle traduction — parution le 2 février 2023 — due à Bernard Lortholary, à qui on devait déjà de nombreuses traductions de Kafka dont celles du Procès [1], du Château, de La métamorphose et de Dans la colonie pénitentiaire chez Flammarion et la participation aux Oeuvres Complètes de Kafka dans la Pléiade dirigées par Jean-Pierre Lefebvre.

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Franz Kafka, Lettre au père, nouvelle traduction

Maurice-Ruben Hayoun

Dans ce texte écrit en novembre 1919 lors d’un séjour à Schelesen, dans les montagnes bohèmes, mais jamais envoyé à son destinataire, Kafka veut comprendre une relation dans laquelle se mêlent admiration et répulsion, amour et peur, respect et mépris, sans y arriver.

Voici un document d’une bonne centaine de pages, devenu emblématique dans l’histoire de la littérature mais aussi dans celle de la psychologie. On se demande pour quelle raison ce texte continue d’être édité et parfois même, dans ce cas précis, retraduit à partir de la version allemande originelle.

Pour les germanistes, l’étude de ce texte fondateur est obligatoire, mais quand on prend un peu d’âge, on le relit et de nouvelles interrogations apparaissent. Il est impossible que tout soit vrai, notamment en ce qui concerne le caractère physique et mental d’un père qui est un véritable tyran domestique (Haustyran). Cette réserve s’impose car ce qu’on donne à lire dépasse tout ce qui est concevable, même si les relations entre un père et son fils sont presque aussi complexes que les relations entre une mère et sa fille.

La première impression que l’on retire des premières pages de cette lettre qui compte près d’une centaine de pages, c’est l’étouffement, le bâillonnement, l’impossibilité de se donner un peu d’air avec un père écrasant, rendant l’atmosphère irrespirable… IL n’y en a que pour lui, il est seul au monde, le centre de son propre monde. J’ai même l’impression que la lettre a une importance plus littérature qu’historique. Il est peu probable que Kafka ait vécu dans un tel environnement, même si les descriptions semblent renvoyer à une réalité concevable.

Dès les premières pages, Kafka recourt à la comparaison avec son géniteur. On a l’impression d’avoir un géant faisant face à un lilliputien. Il y a là un déséquilibre criant. Le père dépasse son fils en tout point. Il énonce toutes les supériorités de son père par rapport à lui. Il recense les mille et une façons qu’a le père de le subjuguer. Kafka est persuadé que son père et lui-même forment une sorte de couple antithétique. Nous sommes en présence d’une dissemblance parachevée. Et pourtant, c’est à une situation inverse que l’on se serait attendu : ne dit-on pas tel père tel fils ? Tout dépassement de ce conflit majeur semble hors d’atteinte.

Le vivant, écrit le fils à son père, ne se laisse pas calculer d’avance, mais peut-être qu’il est arrivé pire. La rupture est irrémédiable, il n’existe aucune ressource thérapeutique pour recoller les morceaux, pour ainsi dire…

Mais Kafka ressent aussi parfois la nécessité de voir les choses du côté paternel, quand il admet que son père a eu sur lui l’action (l’influence) qu’il devait nécessairement avoir… Il n’avait donc pas entièrement tort ; il a dû composer avec un fils qu’i n’était pas à son image. Kafka décrit ce qu’il ressentait quand il devait se déshabiller dans la même cabine que son père, avant une baignade. Même physiquement rien ne les rapproche, bien au contraire, tout les sépare. Curieusement, au lieu de sentir la présence protectrice du père, et de manifester la volonté de lui ressembler dans toute la mesure du possible, le fils accepte ce divorce qui le fait pourtant souffrir. Il semble, un instant, considérer que sa nature générale pèse à son père qui, donc, souffre lui aussi de ne pas avoir eu le fils qu’il souhaitait avoir. Or, au fond, tu es bien un homme bon et tendre, écrit Kafka à ce père qu’il n’aime pas, ce qui suit ne dira pas le contraire... Curieux paradoxe, le fils va continuer sur des pages et des pages, à instruire le procès intenté au père…. Le père voulait apprendre à son fils à être fort et courageux, à son exemple.

Kafka relate un incident marquant au cours duquel son père n’a pas fait preuve d’un minimum de compréhension alors qu’il en aurait eu tant besoin : en pleine nuit, le jeune enfant qu’il était se met à pousser des cris par ce qu’il avait soif. Excédé, le père se lève et extrait sans ménagement son fils de son lit et le dépose sur le balcon. Un père aimant eût sûrement agi autrement. L’incident a laissé des traces profondes dans la mémoire de l’enfant. Cela renonce l’image d’un père insensible et égoïste. Par bonheur, quelques allusions à une mère aimante adoucit le tableau.

Kafka évoque aussi les brimades et les humiliations qu’il a dû subir de la part d’un père qui rabaissait tous ses amis, même ceux qu’il connaissait à peine. Aucun ne trouvait vraiment grâce à ses yeux. Une telle dévalorisation a profondément affecté le fils. Même les remarques à table, lors des repas, étaient manifestement désagréables. Certaines tenues à table étaient bannies, mais pas par celui qui les avait édictées, à savoir le père. Ce dernier critique les plats préparés par la cuisinière, tout en dévorant avec appétit la nourriture. Cette dévoration tranche avec les capacités du fils qui ne résiste pas à ce rythme d’enfer. Même à table, tout sépare le fils du père.

De ton fauteuil, tu régissais le monde… Cette phrase, à elle seule, symbolise le mieux le tyran domestique qui exerce sur sa maisonnée un pouvoir absolu. Cela fait penser, toutes proportions gardées, au pater familias qui avait droit de vie et de mort sur tous les membres de son clan.

Voici ce qu’il écrit : … Comme il s’agissait de ta personne, mesure de toutes choses… Là c’est le coup de grâce ; dans aucun autre passage Kafka ne bannira son père à ce point.

A la page 23 de cette édition, in fine, Kafka apostrophe son père en ces termes : Je t’en prie, père, comprends moi bien, c’aurait été des détails tout à fait insignifiants en eux-mêmes, ils ne devenaient accablants pour moi qu’à partir du moment où toi, l’être ayant à mes yeux l’autorité la plus énorme, tu ne tenais pas toi-même aux règles que tu nous imposais…

Kafka affirme que le monde se divise en trois parties pour son père et tous les trois génèrent une honte irrépressible chez lui, en raison de sa soumission. Ces trois parties du monde sont perméabilisées par l’autorité paternelle. Il reprend la litanie du début : tout ce que son père a, tout ce dont il dispose, lui, Kafka, ne peut même pas en rêver.

Kafka reproche à son père de l’avoir fortement inhibé, au point de lui avoir gâché sa faculté d’expression. Le fameux ordre paternel, on ne répond pas, a forcé le fils à s‘autocensurer ; il le dit tristement ; je suis le résultat de ton éducation et de ma docilité… Comment sortir de ce dilemme : père et fils sont prisonniers l’un de l’autre, mais avec une circonstance aggravante pour le fils, plus vulnérable et donc, plus soumis. Mais Kafka absout partiellement son père dans ce domaine puisque, même sans cette influence néfaste du père, il ne serait jamais devenu un grand orateur. On le voit, chaque fois qu’il sent qu’il va trop loin, Kafka se montre moins accusateur. Il ne souhaite pas brûler ses vaisseaux et rompre définitivement avec son géniteur…

Ce dernier avait coutume d’évoquer les affres de sa jeunesse quand sa famille était sans le sou et que lui, enfant, devait traverser tout le village avec une carriole pour vendre quelques menus objets afin de soutenir sa famille. Kafka souligne que son père n’hésitait pas à accentuer les privations subies lors de sa propre enfance afin de stimuler chez son fils un sentiment de culpabilité. Ce dernier sentiment joue un grand rôle dans les livres de Kafka, en qualité d’écrivain.

Même s’il admet ne pas avoir été battu par son père, Kafka souligne que ses accès de colère étaient bien plus menaçants que les coups. Le père se séparait de ses lunettes, devenait tout rouge, disait quelques mots ironiques à l’encontre de tel ou tel autre, ce qui générait chez son fils un profond désarroi…

A en croire le témoignage de Kafka, le père a, même au niveau de la transmission des valeurs religieuses du judaïsme, failli sur toute la ligne. Sa pratique religieuse se limitait à un ritualisme dénué de sens. Kafka a des mots très durs quand il décrit l’ouverture du tabernacle pour en retirer les rouleaux de la Tora. Il parle aussi de la cérémonie de la commémoration des défunts ; on ne lui a jamais expliqué la raison pour laquelle on le mettait dehors de la salle de prières. Une croyance superstitieuse commandait de sortir de la salle de prières si nos parents étaient encore vivants. Si on n’est pas orphelin, on ne prie pas pour le repos de l’âme des défunts. C’est la logique même. Mais le père, le savait-il ? Si oui, pourquoi ne pas l’avoir expliqué à son fils ? Si je comprends bien, même dans ce domaine si crucial, Le père avait lamentablement échoué et j’en veux pour preuve cette phrase conclusive l’auteur : Je ne voyais pas ce qu’on pouvait faire de mieux de se matériau que de s’en débarrasser au plus vite ; ce n’est qu’en s’en débarrassant justement qu’on faisait le plus pieux des actes.

Cette condamnation sans appel de la tradition juive, ou plutôt la vénération de ses cendres (Gustav Mahler), est injuste. Max Brod contribuera à remettre les choses en ordre. Mais Kafka tente lui aussi de racheter son père dans ce domaine puisqu’il dit comprendre la perte de repères lors de l’exode rural des juifs et leur installation dans les grandes villes avant qu’ils ne disposent enfin de structures communautaires. La remarque est fondée.

Mais le père, si ignorant fût-il de la chose juive a tout fait pour s’opposer au mariage de son cher fils avec une femme non-juive. Kafka semble avoir beaucoup souffert de cette opposition.

Comment conclure ? Je me demande ce que le père de Kafka aurait pensé en lisant cette longue missive qui, à mon avis, le dépassait et de loin, mais l’aurait-il comprise ? Pour un boutiquier, cela me semble très risqué… Je signale tout de même que Kafka sous l’impulsion de Max Brod a modifié son opinion sur sa religion de naissance… Dans un sens plus positif.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève. Son dernier ouvrage : La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

Jforum, 25 janvier 2023.

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Édition de référence

Lettre au père
[Brief an den Vater]

Trad. de l’allemand (Autriche) par Marthe Robert

Texte extrait de Préparatifs de noce à la campagne
Collection Folio 2 € / 3 € (n° 3625), Gallimard
Parution : 02-01-2002

« Très cher père,
Tu m’as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d’habitude, je n’ai rien su te répondre... »
Réel et fiction ne font qu’un dans la lettre désespérée que Kafka adresse à son père. Il tente, en vain, de comprendre leur relation qui mêle admiration et répulsion, peur et amour, respect et mépris.

Réquisitoire jamais remis à son destinataire, tentative obstinée pour comprendre, la Lettre au père est au centre de l’œuvre de Kafka.

FEUILLETER LE LIVRE

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Conférence de Charles Méla autour de "Lettre au père" de Kafka : "Au nom du Père"

À l’occasion du spectacle "Lettre au père" de Franz Kafka mis en scène par Daniel Wolf à la Comédie de Genève du 15 au 19 novembre 2016.

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Quelques analyses

« Une lettre arrive toujours à destination » Jacques Lacan.

LIRE :
Benoît Blanchard, La lettre au père de Franz Kafka
Françoise Samson, Lettre au père pdf
Chantal Bonneau, La Lettre au père pdf

Tiphaine Samoyault, Kafka : la relève

LIRE AUSSI SUR PILEFACE : la Lettre au père dans le « cycle Kafka » réalisé par Viktor Kirtov.


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Andy Warhol, Franz Kafka
(Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century), 1980.

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