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La nouvelle affaire Houellebecq et l’islam

Houellebecq, Onfray, le recteur de la Grande Mosquée de Paris

D 6 janvier 2023     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Les faits

Jérôme Vermelin
TF1 Info, 29/12/2022

Dans le dernier numéro de la revue "Front Populaire", Michel Houellebecq s’en prend à la communauté musulmane.

Choquée, la Grande Mosquée dénonce des propos qui visent à "attiser les discours discriminatoires" et annonce sa volonté de porter plainte.

Par le passé, le lauréat 2010 du Prix Goncourt a régulièrement critiqué l’islam et ses fidèles.

La provocation de trop pour Michel Houellebecq ? Dans un communiqué publié mercredi 28 décembre sur Twitter, la Grande Mosquée de Paris annonce son intention de porter plainte contre l’écrivain suite à "des propos très graves sur les musulmans de France", publiés en novembre dernier dansFront Populaire,la revue politique de Michel Onfray.


frontpopulaire.fr]
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"Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent", estime le lauréat 2010 du Prix Goncourt dans le cadre d’une discussion avec le philosophe. "Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu", dit encore l’auteur de 66 ans. "Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers."

"Des phrases inacceptables et d’une brutalité sidérante"

Dans son communiqué, la Grande Mosquée de Paris estime que "ces phrases lapidaires de Michel Houellebecq sont inacceptables et d’une brutalité sidérante. Elles ne visent pas à éclairer un quelconque débat public mais à attiser les discours discriminatoires, et donc les actes."

Ce n’est pas la première que l’écrivain s’attaque à la communauté musulmane. "La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré… effondré !", estimait-il dans une interview au magazine Lire, en 2001 à l’occasion de la sortie de Plateforme. " L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition."

Michel Houellebecq insistait à la même époque dans un entretien publié dans Le Figaro. "La lecture du Coran est une chose dégoûtante", lâchait-il. "Dès que l’islam naît, il se signale par sa volonté de soumettre le monde. Sa nature, c’est de soumettre. C’est une religion belliqueuse, intolérante, qui rend les gens malheureux".

Ces propos allaient en partie nourrir Soumission, son roman paru le 7 janvier 2015, le jour de l’attentat de Charlie Hebdo. L’écrivain y mettait en scène l’arrivée au pouvoir en France d’un président issu d’un parti politique musulman en 2022. En tête des ventes pendant plusieurs semaines, le livre s’est vendu à plus de 2 millions d’exemplaires.

Jérôme Vermelin

Front populaire fondée en 2020, est une revue de commentaires politiques qui se veut opposée aux élites, au président Emmanuel Macron , au libéralisme économique et à l’Union européenne, et favorable à une démocratie plus directe, souverainiste.

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A propos de "Soumission"

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Quelques dates

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1994 Parution d’Extension du domaine de la lutte, son premier livre.

2001 Première polémique avec Plateforme, très critique sur l’islam. Prophétique, le roman décrit par ailleurs un attentat terroriste, un avant les attentats de Bali.

2010 Prix Goncourt pour La Carte et le Territoire.

2015 Soumission, qui dépeint une France islamisée, paraît le jour même des attentats contre Charlie Hebdo, le 7janvier.

2022 La Grande Mosquée de Paris porte plainte contre l’écrivain à la suite de ses propos tenus face à Michel Onfray dans la revue Front populaire.

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Ce qu’a vraiment dit Houellebecq

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Voici les deux passages, dans leur contexte, des propos visés par la plainte déposée par la Grande Mosquée de Paris. (Les passages incriminés sont en gras.)

« Malheureusement, pour l’instant, aux idioties des woke, nous n’avons à opposer que les niaiseries de l’assimilation. En France, la minorité ethnique étrangère la plus appréciée, et de loin, est asiatique. Et elle a également été, pendant des décennies, la moins assimilée, et de loin. J’ai longtemps habité dans le quartier asiatique de Paris, dans le XIIIe arrondissement. Dans ma tour, il n’y avait à peu près aucun Chinois de plus de 50ans qui parlait français. Ils étaient pourtant là depuis trente ans, mais ils n’avaient pas appris. Ils vivaient dans un monde parallèle, avec son économie parallèle. Pour les liaisons avec l’administration, quelqu’un parlait français au sein du groupe et s’en chargeait pour les autres. Il existe encore des sites Web en chinois, que les Français ne connaissent pas, où l’on peut trouver à peu près tout : des électriciens, des chauffeurs de taxi, des prostituées… Bref, ils n’étaient aucunement assimilés et ça se passait très bien, pour une seule et très bonne raison : il y avait moins de délinquants chinois que de délinquants français du même âge. Beaucoup moins. Je crois que le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser, en somme que leur violence diminue, qu’ils respectent la loi et les gens. Ou bien, autre bonne solution, qu’ils s’en aillent.

[…]

Quand la Reconquista, modèle de la reconquête, a débuté, l’Espagne était sous domination musulmane. On n’est pas encore dans cette situation. Ce qu’on peut déjà constater, c’est que des gens s’arment. Ils se procurent des fusils, prennent des cours dans les stands de tir. Et ce ne sont pas des têtes brûlées. Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamiste, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers. Et les musulmans ne se contenteront pas de mettre des bougies et des bouquets de fleurs. Alors, oui, les choses peuvent aller assez vite. Une des choses les plus remarquables parmi les réactions à la “lettre des généraux” est la proportion de Français qui s’attendent à une guerre civile dans un futur proche. »

Extraits de « Dieu vous entende, Michel », entretien entre Michel Houellebecq et Michel Onfray paru dans la revue Front populaire.

Une réaction de Michel Houellebecq

Michel Houellebecq : « Il est pénible de se livrer à des commentaires de texte au sujet d’évidences »

Pourquoi la plainte du recteur de la Grande Mosquée de Paris

« Je combats Michel Houellebecq et tous ceux qui s’en prennent aux musulmans de France »
Chems-Eddine Hafiz

Accusation. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris explique pourquoi il a porté plainte contre l’écrivain. Il n’attaque pas l’auteur, dit-il, mais l’homme public. Entretien.

Propos recueillis par Clément Pétreault


Chems-Eddine Hafiz Recteur de la Grande Mosquée de Paris.
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Le Point : Pourquoi av oir déposé plainte contre Michel Houellebecq ?

Chems-Eddine Hafiz : Il y a aujourd’hui une forme de désinhibition insupportable concernant les musulmans et l’islam. Lorsque cet entretien entre Michel Onfray et Michel Houellebecq est paru, beaucoup de musulmans se sont émus et ont réclamé une réaction adaptée face à cette discrimination sans complexe et d’une rare violence. Les avocats de la Grande Mosquée de Paris ont constaté que les éléments de droit constituant l’infraction de provocation et d’incitation à la haine étaient réunis et m’ont donc poussé à saisir le juge.

Pensez-vous réellement que la modalité judiciaire est la meilleure option ? Est-ce réellement dans un tribunal que doit se tenir ce genre de débats ?

Lorsque je considère que des droits sont bafoués et qu’une infraction a été commise, mon premier réflexe en tant que citoyen et responsable d’une institution religieuse est de saisir la justice. Quoi de plus norma l ? Je constate avec dépit que même ce droit fondamental est dénié aux musulmans. Avec cette saisine judiciaire, qui est de préserver les droits et la dignité des musulmans, je suis dans la droite ligne de mes prédécesseurs, qui, depuis la création de la Grande Mosquée de Paris, ont été intransigeants sur les droits légitimes des musulmans de France et la défense de leur dignité. Dois-je rappeler que la Grande Mosquée a été construite en mémoire du sacrifice des milliers de musulmans morts pour la France ?

Vous aviez déjà assigné Michel Houellebecq en 2000, lorsqu’il avait déclaré dans une interview à « Lire » que « la religion la plus con, c’est quand même l’islam ». Vous aviez été débouté…

C’est vrai. Quand je suis rentré dans la salle d’audience de la 17e chambre correctionnelle, tous ses soutiens me toisaient, on avait l’impression d

’être dans un banquet dans lequel on me faisait jouer à mon corps défendant le mauvais rôle parce que j’avais osé attaquer le grand Michel Houellebecq. Il ne manquait plus que les petits-fours… Nous empêchions le monde de tourner en rond, nous étions musulmans et tout le monde semblait considérer comme normal le fait que nous n’avions pas le droit de nous exprimer. Il me semble aujourd’hui que les choses se sont aggravées. Les réactions, parfois hystériques, suscitées par la décision de la Grande Mosquée de Paris de poursuivre en justice Michel Houellebecq démontrent qu’il y a une vraie intolérance. Des attaques ad hominem, des accusations, des insinuations, etc., montrent vraiment qu’une catégorie d’hommes politiques, d’organisations et de groupuscules refuse que les musulmans soient considérés comme des citoyens à part entière. C’est préoccupant. Et puis, le silence assourdissant des responsables et des élites du pays est pour moi une vraie question.

N’avez-vous pas le sentiment d’encourager une restriction du champ de la liberté d’expression en déposant cette plainte ?

Je suis déçu que l’on puisse considérer que je ne respecterais pas la liberté d’expression avec le dépôt d’une simple plainte. Toute ma vie, je me suis battu pour les droits fondamentaux, et la liberté d’expression est un droit fondamental. Pourquoi la loi du 29juillet 1881sur la liberté de la presse a prévu des sanctions en matière d’abus qui constituent des délits réprimés par les tribunaux ? Ce n’est pas un combat contre l’écrivain et son œuvre de fiction que je mène. Je reconnais ses talents, même si j’ai lu Plateforme et Soumission avec des haut-le-cœur à chaque page que je tournais. J’assigne les travers de l’homme public. Ses propos constituent de mon point de vue le délit d’incitation à la haine, et le juge tranchera.

Je ne tente pas de censurer son droit de parler, d’écrire et de s’exprimer, ce sont les abus qu’il a commis. Peut-être n’en est-il pas conscient. Dans ce cas-là, c’est grave. Que M. Houellebecq dise : « Je n’aime pas les musulmans, je n’aime pas l’islam », c’est son droit le plus absolu. Il doit simplement éviter l’essentialisation à laquelle il se livre dans cet entretien, car il y a de nombreux musulmans qui vivent paisiblement en France, respectueux des lois, et qui aiment passionnément leur pays. Michel Houellebecq, qu’il le veuille ou non, participe à la fracture de la société et il participe au travail de rejet de cette composante musulmane formidable en tentant de l’éloigner de la communauté nationale, à l’instar du travail de sape intense mené par les islamistes.

On connaît votre engagement républicain, vous avez défendu la charte de la laïcité, vous avez même reçu la jeune Mila – qui n’est pas tendre avec l’islam - à la Grande Mosquée… Mais là, vous attaquez Houellebecq en justice. Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?

Mila est une jeune adolescente qui s’est retrouvée dans une tornade verbale qui lui a gâché la vie. J’ai trouvé qu’il était normal de la recevoir, puisqu’elle voulait visiter la mosquée de Paris. Je l’ai reçue. Je lui ai dit que les propos qu’elle avait tenus n’étaient certes pas acceptables pour le musulman que j’étais. Je voulais lui donner l’occasion de voir autre chose que ce qu’elle a pu subir au nom d’un soi-disant islam. Je lui ai proposé de visiter avec moi la mosquée. Concernant Michel Houellebecq, comme je l’ai dit, ses livres sont des œuvres de fiction, protégées par la liberté d’expression. Il n’y a rien à en dire. Néanmoins, lorsqu’il participe à un débat avec Michel Onfray, publié en novembre, ses propos constituent une incitation à la haine et sont passibles de poursuites. Je ne peux pas me taire et dire que c’est la liberté d’expression. Ce n’est pas mon choix et j’assume mes responsabilités.

Votre démarche est saluée par les islamistes…

Ce n’est pas le but, croyez-moi. Depuis mon arrivée à la tête de la Grande Mosquée de Paris, j’ai dénoncé par écrit et à plusieurs reprises leurs discours. C’est cette forme d’islam dévoyé qui souffle à l’oreille des musulmans de France qu’ils ne pourraient pas être des citoyens français à part entière, qu’on ne les aime pas, que la laïcité ne serait qu’une forme d’athéisme… Oui, il y a des imams qui travestissent totalement l’islam. Je les combats de longue date. Comme je combats aujourd’hui Michel Houellebecq et toutes celles et ceux qui s’en prennent aux musulmans de France. Dans les deux cas, c’est un geste démocratique dans un pays de droit.

Est-ce que vous recevriez Michel Houellebecq pour un débat à la Grande Mosquée ?

Je n’ai jamais refusé le débat. Je dis que, à la Grande Mosquée, aucun sujet n’est tabou et je reçois tout le monde… Sauf Éric Zemmour, qui en avait fait la demande avant d’être candidat. Lorsque le Conseil constitutionnel a validé la liste des candidats, j’ai explicitement dit que tous les candidats étaient les bienvenus, mais il ne s’est pas manifesté.

Je suis convaincu de la vertu des échanges et du débat. Ma religion est mal connue et très mal perçue aujourd’hui, et ce depuis les attentats de 2001. Les imams de la Grande Mosquée de Paris font un travail colossal pour changer les choses. Ce n’est pas facile. C’est pourquoi, à chaque occasion, j’ai invité les élites de notre pays à s’intéresser à l’islam. J’espère être un jour entendu§

Lettre ouverte de Michel Onfray au recteur de la Grande Mosquée de Paris

Réaction. Le philosophe invite Chems-Eddine Hafiz à accepter un débat public plutôt que de recourir devant les tribunaux.

PAR MICHEL ONFRAY


Souverainiste. Michel Onfray chez lui, à Caen.
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C’est à la suite de son entretien du30 août 2022 avec Michel Houellebecq, paru dans la revue « Front populaire », que Chems-Eddine Hafiz aporté plainte contre ce dernier.

Monsieur le recteur de la Grande Mosquée de Paris,

J’ai pris connaissance de votre plainte déposée contre Michel Houellebecq pour des propos tenus par lui dans un entretien que nous avons eu pendant six heures pour un numéro spécial de Front populaire consacré à la question de la décadence, ou non, de notre civilisation. Nous avons abordé quantité de sujets, vous vous en doutez bien, qui allaient de l’euthanasie à l’avortement, de la gestation pour autrui à la peine de mort, de la nécessité d’appuyer une politique sur une spiritualité, des sujets ayant généré des avis sur lesquels, il me semble, mais ce serait à discuter avec vous, vous n’auriez pas grand-chose à objecter.

Votre courroux porte sur des phrases « inacceptables et d’une brutalité sidérante ». Et vous citez ces phrases pour motiver votre plainte. Dont acte. Je suis peut-être le philosophe français le plus insulté du pays, plus d’une dizaine de livres ont en effet été écrits contre moi dont je pourrais dire qu’ils regorgent de phrases, de chapitres, de développements inacceptables et d’une brutalité sidérante. Je ne compte pas les flots d’insultes et de menaces, y compris de mort, auxquelles j’ai fait face – seul. On a dit de moi que j’étais dans le « top 10 des islamophobes de France » en même temps que j’étais le compagnon de route de Daech, c’est dire ! Dans ce même journal où sont publiées ces lignes, Le Point, le philosophe Bernard-Henri Lévy m’a assimilé à Marcel Déat, un collaborationniste français qui a porté l’uniforme nazi sur le front de l’Est, juste parce que j’annonçais que Stéphane Simon et moi allions publier une revue souverainiste ! Je m’honore de ne jamais avoir porté plainte contre qui que ce soit qui m’ait insulté, qui a colporté des calomnies sur mon compte, qui a propagé des contre-vérités sur mon travail ou ma personne –et il y en eut, il y en a, il y en aura.

Je crois en effet à la liberté de conscience, de pensée, de réflexion, d’expression. Or cette liberté ne se morcelle pas car, si on commence à lui donner des limites – et qui les lui donne ? –, alors elle cesse d’exister. Si l’on peut tout dire sauf ce qu’il ne faut pas dire, alors seul importe ce qu’il ne faut pas dire et qui va s’étendre comme une tache d’huile appelée à tout recouvrir d’une vaste prohibition.

Je suis par exemple à la fois pour la liberté de blasphémer mais pour une éthique personnelle du refus du blasphème. Je sais que les caricatures du Prophète vous blessent, je ne vois pas l’intérêt de vous blesser. Même remarque pour ce qui blesse le fidèle d’une autre religion. En dehors du blasphème, l’ironie, l’humour, la subtilité d’une intelligence plus fine que le blasphème me paraissent préférables.

Débat d’idées. Une partie de la communauté musulmane, dites-vous, se sent offensée par les propos tenus par Michel Houellebecq. Entendu. Je conçois que l’essentialisation, qui est nécessaire pour échanger, ait ses limites mais elle s’avère inévitable dans le débatd’idées puisque, justement, il s’agit d’idées et qu’on n’a rien trouvé de mieux pour entretenir de la réalité ! Je vous propose autre chose que de porter plainte, de judiciariser, d’encombrer les tribunaux avec des questions spirituelles, philosophiques, théologiques. J’ai lu votre saint Livre plume à la main, mais aussi des biographies du Prophète et nombre de ses hadiths. Je sais ne pas me tromper en vous rappelant ce que, monsieur le recteur, vous savez bien évidemment déjà vous-même : le Coran ne cesse de parler d’Allah comme du Très Miséricordieux, du Tout Miséricordieux. Nul n’ignore, bien sûr, et vous moins qu’un autre, que la miséricorde nomme la pitié par laquelle on accorde le pardon au coupable.

Supposons que Michel Houellebecq soit coupable, mais disons alors pour ce faire à quels versets et à quelles sourates ses propos contreviennent et choquent les musulmans en tant que tels. Ne croyez-vous pas que l’imitation d’Allah vous inviterait bien plutôt à pratiquer la miséricorde qu’à traîner un écrivain qui est aussi un penseur devant les tribunaux mécréants de la République française pour qu’elle fasse votre loi spirituelle ?

Je sais, monsieur le recteur de la Grande Mosquée de Paris, que vous êtes juriste de formation et avocat de profession. Mais votre magistère à la tête de cette haute autorité spirituelle qu’est la Grande Mosquée pourrait aussi faire de vous l’initiateur et le promoteur d’une façon supérieure d’envisager les choses autrement qu’en envoyant en justice quiconque ne pense pas comme vous sur la question de l’islam.

Est-ce un crime de manifester des avis qui, sauf erreur de ma part, et sauf à ce que vous m’en apportiez la preuve, ne semblent pas contrevenir à un seul verset du Coran : lequel dirait en effet que l’islam n’est pas une religion conquérante et qu’il ne doit surtout pas l’être ? Il me semble que la chose se trouve régulièrement dite dans votre Livre et que Michel Houellebecq prend acte sociologiquement de ce qu’annonce votre texte sacré et des réactions que cela suscite en France. Dès lors, où et quand y aurait-il motif à colère, à courroux ?

Je vous propose, plutôt que de nous envoyer les uns les autres des avocats à la figure, ou des noms d’oiseaux et toute autre façon inélégante de régler les problèmes, de les envisager pour ce qu’ils sont : avant toute chose, et en amont de la politique, des questions intellectuelles dont nous pourrions débattre dans un lieu de votre choix et selon des modalités à votre convenance. Un débat public où nous pourrions aborder ces questions avec un médiateur choisi par vous montrerait qu’on peut préférer dans l’islam ce qui fut au centre de la rencontre de Ratisbonne dont feu le pape Benoît XVI a parlé en son temps et qui, au XIVe siècle, permit à un chrétien et à un musulman de se rencontrer et de se parler : il nous faut dialoguer, surtout sur les sujets qui fâchent, car le Verbe est toujours supérieur à l’Épée qui, elle, témoigne de l’échec de la raison. Et personne, jamais, n’a intérêt à l’échec de la raison. C’est toujours quand la déraison apparaît qu’on se le dit ; mais c’est toujours trop tard.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez croire, monsieur le recteur, à l’expression de ma plus haute considération§

ELODIE GRÉGOIRE POUR « LE POINT »

« Sa défense ne sera pas simple »

En visant les musulmans, et pas seulement l’islam, l’écrivain s’expose à une condamnation pour provocation à la haine raciale.

Par Nicolas Bastuck


Poursuites. Michel Houellebecq risque un an d’emprisonnement et 45000euros d’amende.
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En s’en prenant aux « musulmans » (lire p. 30) dans la dernière livraison de la revue Front populaire, Michel Houellebecq a-t-il quitté le champ libre de la polémique et de la critique religieuse pour s’aventurer dans les marécages de la provocation à la haine raciale ? Il appartiendra aux juges de le dire après la plainte déposée le 28 décembre par la Grande Mosquée de Paris, qui vise l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Ce délit punit d’un an de prison et de 45000 euros d’amende le fait de provoquer « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur (...) religion ».

Le pronostic judiciaire est toujours hasardeux mais, pour de nombreux juristes, la cause est entendue : relaxé il y a vingt ans pour avoir déclaré que l’islam était « la religion la plus con », l’auteur des Particules élémentaires aurait, cette fois, franchi la ligne rouge. Professeur émérite de droit public, Anne-Marie Le Pourhiet a toujours combattu les « lois de censure » qui « placent la liberté d’expression sous la tyrannie communautariste de minorités militantes ». Pour autant, cette lectrice d’Emmanuel Joseph Sieyès se dit « choquée » par les propos du lauréat du Goncourt 2010. « Il est bon pour une condamnation, et je pense qu’il l’assume. La loi Pleven [qui instaure en 1972 les délits d’injure, de diffamation et de provocation racistes, NDLR] sanctionne ce type de propos, qui ne visent pas une religion, ni même les islamistes, mais toute la communauté musulmane. »

Ligne de crête. Avocat et auteur (Pratique du droit de la presse, Dalloz), Me Christophe Bigot se veut prudent : « I l ne suffit pas, pour que le délit de provocation soit constitué, de faire naître un sentiment négatif à l’égard d’une communauté. La Cour de cassation exige une “exhortation” – même implicite – à commettre un acte de rejet. On est sur une ligne de crête : les propos discriminatoires doivent être condamnés, mais l’immigration, comme la religion, relève d’un débat d’intérêt général. Le délit de provocation ne doit pas dériver vers un délit d’opinion. »

Autre spécialiste des affaires de presse, Me Renaud Le Gunehec est plus catégorique : « Ce sera discuté devant le tribunal, mais le premier passage procède d’une essentialisation très affirmative et péjorative des musulmans, sans aucune distanciation, et Michel Houellebecq semble s’inclure dans la“population française de souche”qu’il fait parler. L’aspect incitatif, nécessaire pour constituer le délit de provocation, est peut-être absent, mais ce passage pourrait être requalifié en injure ou en diffamation racistes. Sur le deuxième passage, où il évoque un “Bataclan à l’envers” , il pourra soutenir qu’il se livre à une forme de prédiction plutôt qu’à une affirmation, mais le propos est choquant et péremptoire. Sa défense ne sera pas simple. »

« Clivage ». La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelle que la liberté d’expression « vaut aussi pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent ». « Elle devient néanmoins intransigeante envers tout discours de haine à l’égard d’une minorité, nuance Geneviève Tillement, de l’université de Lorraine. La jurisprudence est imprévisible, mais le risque de condamnation est grand. » Quelques jours avant la plainte de la Grande Mosquée, la CEDH a confirmé la condamnation, en France, des propos d’Éric Zemmour, qui avait dénoncé en 2016 une « invasion » des musulmans. « Le requérant [Zemmour] ne se bornait pas à une critique de cette religion ou à une montée du fondamentalisme dans les banlieues » mais « nourrissait un sentiment de rejet généralisé » à l’égard des musulmans « dans leur ensemble »,en les « présentant comme une menace » ; ces « assertions négatives » sont « de nature à attiser un clivage » alors qu’« i l importe au plus haut point de lutter contre la discrimination raciale », a jugé le 20 décembre la cour de Strasbourg§

PHILIPPE MATSAS/LEEXTRA VIA OPALE

Crédit : LE POINT

La mosquée contre l’écrivain, le plus mauvais des castings

Malaise. En répondant à la diffamation par le droit, le recteur tombe dans le piège des représentativités et prend le risque de nourrir les radicalités.

PAR KAMEL DAOUD


Kamel Daoud. Écrivain et chroniqueur au « Point ».
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Voilà donc qu’en France, et c’est un grand malheur, c’est aux plus éclairés, aux plus instruits, de jouer aux radicaux et d’en assumer la sale besogne : le recteur de la Grande Mosquée de Paris, homme très à distance du moindre soupçon de radicalité, dépose plainte contre l’écrivain français le plus lu de l’époque, le plus lucide, malgré son personnage mondain simpliste. Et c’est un malheur français, avec un malaise pour tous. Car voir un représentant d’une religion ni encore apaisée ni vue comme apaisante déposer plainte contre un écrivain est une erreur de stratégie, sinon de raison et de façon. L’écrivain est sacré en France, sa sacralité est concomitante de la longue histoire « nationale » qui ici inventa la laïcité, sépara salutairement l’Église de l’État et a permis d’écrire, de lire, d’imaginer sans souffrir du diktat des religieux ou d’une religion. S’attaquer à cette liberté, même excessive dans la diffamation, c’est décrocher le mauvais rôle dans le casting des luttes pour les libertés. Qu’espère celui qui dépose plainte aujourd’hui contre Houellebecq et son propos primitif ? Gagner un procès. Mais il y perdra surtout une occasion de consolider la francisation de l’islam de France, son contrat fragilisé avec la république, son coefficient de modération qui a tragiquement tardé sur la violence.

Martyr. Car, dans l’affaire qui oppose le recteur de la Grande Mosquée au grand écrivain, il y a l’histoire de la France derrière Houellebecq (même si c’est abusif) et la mauvaise histoire de l’islam politique et de l’islamisme agressif, avec des écrivains menacés, exilés, insultés, diffamés, tués. Un casier judiciaire, exagéré ou réel, qui ne plaide pas pour que le procès intenté par la mosquée de Paris soit un bénéfice, ni un gain même, et il faut insister en répétant que cette mosquée phare n’a rien à voir avec les radicalités, les attentats, le terrorisme ou l’intolérance. On y croise d’ailleurs ceux-là mêmes qui essaient de libérer l’islam de l’islamisme et la foi de la radicalité, et qui le paient en se heurtant à une adversité terrible. Mais, voilà, il s’agit cette fois d’imaginaire, d’écrivain et de religion : un écrivain incarne un certain rôle dans l’histoire française ; or l’islam de France ou d’ailleurs n’a pas bonne réputation face aux écrivains, dans ce pays ou dans d’autres. On ne comprend pas, dès lors, le geste du recteur, son manque de lucidité ni l’erreur de calcul qui va offrir à un propos malvenu une dimension de symbole et permettre à Houellebecq de devenir un martyr de la liberté de dire et d’imaginer. On y gagnera peut-être un procès retentissant, maison perdra le rôle du bon au profit de celui du méchant.

Mais Hafiz a-t-il tort ? Formellement non : les musulmans de France ont le droit de dénoncer, s’opposer à la diffamation, l’insulte et l’appel à la haine. C’est ce qui fera d’eux des Français de pleins droits et devoirs. Et le propos de Houellebecq, lu et relu, frappe par son indigence, sa platitude : il a le coefficient d’un post Facebook écrit par un haker numérique. Il joue le jeu des recruteurs adverses et n’éclaire en rien le malheur de la France. Le recteur a le droit de déposer plainte, et recourir à la loi vaut mieux que de convertir la colère ou la haine en attentat, diront les plus cyniques. Cela n’atténue pas néanmoins le malaise.

Jeu dangereux. Malaise donc. Car l’écrivain a raison de jouir de son droit d’excès, de débordement et de provocation. On vient de partout habiter, se réfugier dans ce pays, la France, quand on est écrivain, parce qu’on y aime la langue, la culture et la liberté. Le recteur a raison de déposer plainte pour consolider le lien de la citoyenneté. Mais il a tort parce qu’il perd de son crédit dans sa bataille pour sortir l’islam de France de sa tranchée de reclus, et parce qu’on ne gagne rien à faire le procès d’un homme qui a le génie de la littérature mais pas celui du discours. Houellebecq a raison de dire ce qu’il veut, d’écrire et d’aller vers l’excès. Mais il a tort parce que sa lucidité est prétexte à la bêtise. Hafiz a tort d’engager la représentativité de l’islam de France, et Houellebecq n’a rien d’un représentant de la France pour émettre des verdicts. C’est sans fin. Les arguments se valent, s’équilibrent, se déséquilibrent et nous font perdre du temps, de la raison, de l’espoir. Les musulmans de France ont-ils le droit de se défendre comme d’autres communautés ? Oui, mais l’islam de France n’a pas encore bonne réputation à cause des islamistes et de leurs crimes. Houellebecq a-t-il raison de dire ce qu’il a dit ? Non, son talent se dégrade en médisance et sa lucidité en aigreur. On tourne en rond, personne n’y gagne, sauf les radicaux, les extrémistes de deux bords, l’internationale islamiste et celle des propos idiots. La seule certitude est que cette affaire risque d’être vite fatwatisée, détournée et amplifiée : une mosquée contre un écrivain, c’est tout ce qu’on retiendra dans un monde de hâte et d’intox. Et l’affaire n’est pas qu’un malaise français : dans le reste du monde dit arabe, les radicalités y trouveront leur pitance et leur propagande féroce pour diaboliser la France, l’écrivain et la littérature. On n’en avait pas besoin, et c’est bien la première fois qu’on va vivre ce désastre ventriloque où un recteur qui professe la modération et un écrivain qui en appelle à la lucidité jouent à un jeu qui n’attire que les extrémistes, les inaptes à la mesure§

LUDOVIC MARIN/AFP

Crédit : LE POINT

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 7 janvier 2023 - 11:22 1

    Après avoir rencontré Michel Houellebecq, Chems-Eddine Hafiz a confirmé se rétracter quant à l’idée de poursuivre l’écrivain pour ses propos polémiques visant les musulmans.

    Élodie Falco (avec AFP) 06/01/2023 à 22:32, Mis à jour le07/01/2023 à 01:50
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    Le recteur de la Grande Mosquée de Paris a confirmé « renoncer aux poursuites judiciaires » à l’encontre de Michel Houellebecq, saluant notamment les « regrets » exprimés par le romancier.© Karl Schoendorfer/REX/SIPA

    Le recteur de la Grande Mosquée de Paris avait annoncé jeudi dernier avoir déposé plainte contre Michel Houellebecq pour « provocation à la haine contre les musulmans ». Dénonçant des propos « très graves », Chems-Eddine Hafiz avait relaté un entretien entre l’auteur desParticules élémentaireset l’essayiste Michel Onfray, retranscrit dans la revue Front populaire en novembre. Au cours de cet échange, l’incriminé avait estimé que « le souhait de la population française de souche » n’était pas que les musulmans « s’assimilent », mais qu’ils « cessent de les voler et de les agresser, ou bien qu’ils s’en aillent ». Au lendemain d’une rencontre avec l’écrivain, le plaignant a finalement fait marche arrière.

    Après avoir pris connaissance des modifications apportées par Michel Houellebecq concernant ses « propos » controversés, et de l’expression de ses regrets, la Grande Mosquée de Paris a décidé « de renoncer en cet état aux poursuites judiciaires à son encontre ». Néanmoins, le président de l’Union des mosquées de France, Mohammed Moussaoui, a réaffirmé son intention de porter plainte, précisant à l’Agence France-Presse envisager un dépôt lundi.

    Lire aussi -Qui est Michel Houellebecq ?

    « Islamophobe à temps partiel »

    Dans une tribune publiée mercredi par Le Point, Michel Houellebecq avait répondu aux accusations d’incitation à la haine, en se définissant contre un « islamophobe à temps partiel » et en assurant que cette religion ne lui inspirait « guère de considération ». « Lorsqu’une enclave islamiste se sera créée, encore peuplée par quelques ’gaulois’, et même par quelques juifs très courageux ou très pauvres, alors je pense en effet que des actes de résistance auront lieu – c’est-à-dire des actes terroristes, parce que la résistance c’est ça », avait à nouveau prophétisé l’homme derrière le best-seller Soumission.


  • Albert Gauvin | 6 janvier 2023 - 23:10 2

    En 2002, Houellebecq avait déclaré que « l’islam est la religion la plus con du monde ». Un procès lui fut intenté par la Ligue islamique mondiale, les Grandes Mosquées de Paris et de Lyon, la Fédération nationale des musulmans. Mais, en France, on ne condamne pas pour blasphème. Houellebecq fut relaxé par le tribunal correctionnel de Paris.
    Houellebecq déclare aujourd’hui : « Je crois que le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser, en somme que leur violence diminue, qu’ils respectent la loi et les gens. Ou bien, autre bonne solution, qu’ils s’en aillent. » (je souligne). S’agit-il de la même chose ? A l’évidence, non. Les propos de Michel Houellebecq auraient pu être tenus par Eric Zemmour, lequel a été condamné il y a un an pour « complicité de provocation à la haine raciale » pour avoir dit des mineurs étrangers non accompagnés : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont. » En 2011, le même Zemmour avait été reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Paris de « provocation à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une race. » La question n’est donc pas d’abord de savoir si le Recteur de la Mosquée de Paris a eu cette fois tort ou raison de porter plainte contre Houellebecq, mais pourquoi d’autres ne l’ont pas fait si les propos incriminés, hypocritement défendus par Onfray, qui visent, oui, à essentialiser les musulmans — et pas seulement de vitupérer les islamistes (ce qui aurait pu s’entendre) — relèvent du même délit que ceux de Zemmour.
    Tout ce ramdam ne montre qu’une chose : que les idées de l’extrême-droite ont de plus en plus d’écho dans la Franfrance d’aujourd’hui et que certains écrivains et philosophes s’en font désormais les haut-parleurs sans vergogne. Un symptôme de plus de la crise de la pensée occidentale. Littérature de la misère, misère de la littérature. Ou, comme aurait dit Marx : Misère de la philosophie, dont le titre complet, comme chacun le sait, est Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon (Proudhon dont se réclame Onfray). CQFD.


    Zemmour, Onfray, Houellebecq.
    Crédit photo : Figaro Vox. ZOOM : cliquer sur l’image.
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