4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » La Bibliothèque de Georges Bataille
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
La Bibliothèque de Georges Bataille

Mise en vente. 1283 titres

D 10 décembre 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


JPEG - 160.7 ko
Couverture : Gros orteil, Document n°6, 1929.

« Je ne pourrais trouver ce que je cherche dans un livre, encore moins l’y mettre » écrit Georges Bataille dans Le coupable. Il y avait pourtant beaucoup de livres essentiels dans la bibliothèque de celui qui fut aussi bibliothécaire... Au début de l’automne, on pouvait lire cette nouvelle passée relativement inaperçue :

La fantomatique bibliothèque de Georges Bataille mise en vente

Au salon du livre rare du Grand Palais ce jeudi 22 septembre, un événement surviendra : Guillaume Zorgbibe, des éditions et de la librairie du Sandre, et Henri Vignes, de la librairie Vignes, informent en effet ActuaLitté de la publication d’un catalogue de vente. «  Nous avons été jusqu’ici très discrets au sujet de cette découverte », assurent-t-ils.

« Si Bataille bénéficie d’un logement de fonction à Carpentras puis à Orléans, sa seule adresse privée depuis 1945 reste Vézelay », indique le libraire dans une introduction à cette découverte. Et en ces lieux attendaient ses ouvrages, qui ne furent jamais transférés au domicile de la rue Saint-Sulpice — où il mourut le 9 juillet 1962.

Manque de temps  ? Volonté délibérée  ? Dans les cartons, des livres à foison — romans français ou étrangers, d’auteurs nouveaux ou de classiques, recueils de poésie, petites revues, textes de philosophie, de spiritualité, d’histoire, de politique. Une telle diversité, aux textes dédicacés à l’attention du maître.

Or, on sait que la fille de Georges, Julie Bataille, confia les archives au département des manuscrits. Mais la bibliothèque de l’auteur n’avait pour l’heure jamais fait surface. «  On a même pu douter qu’elle ait été conservée : régulièrement à court d’argent, l’écrivain en a vendu une partie à plusieurs reprises, et par souci de discrétion il aura sans doute retiré les pages d’envoi, car les exemplaires qui lui sont dédicacés ne circulent pour ainsi dire pas   », assurent les vendeurs.

Et après un contact avec Julie Bataille, voici qu’ils aboutissent à la reconstitution d’un corpus, contenant 851 volumes, qui ajoutés à ceux de Vézelay, représentent 1283 titres. Manqueront les exemplaires dédicacés déjà mis en vente pour se faire une idée globale. Ainsi que l’autre moitié de la bibliothèque «  revenue après la mort de l’écrivain à sa fille aînée, Laurence Bataille (1930-1986)  ».

Quoi qu’il en soit, le corpus déjà inventorié est emblématique du parcours intellectuel de Bataille. On suit à travers ses lectures l’évolution de sa pensée dans l’entre-deux-guerres, la découverte de Nietzsche, sa fascination pour le mysticisme et tous les grands thèmes – le sacré, la mort, la sexualité, la guerre... — qui fécondent sa démarche anthropologique en même temps qu’ils alimentent certaines de ses marottes : la tauromachie, les maisons closes, l’art pariétal, Gilles de Rais...
On relève aussi dans ses archives des documents éphémères qu’en bon chartiste il s’est employé à conserver, vieux numéros de quotidiens à des dates historiques, mais aussi programmes de spectacles ou invitations à des vernissages qui documentent sa biographie.
Grâce aux dédicaces, on appréhende l’homme face à ses contemporains, les surréalistes qui restent sur leurs gardes, tout comme les existentialistes, tandis que s’affirment d’indéfectibles amitiés avec Michel Leiris, Maurice Blanchot, Albert Camus et René Char.

Mais bien sûr, elle reflète également l’activité de directeur de la revue Critique. Ainsi, 200 seulement des 1283 références ont été publiées entre 1903 et 1945, alors qu’on en dénombre plus d’une soixantaine par année à partir de 1946, l’année où Bataille fonde sa prestigieuse revue.

Nombre des livres conservés furent ainsi chroniqués, d’autres restés à peine ouverts — malgré une note de lecture. Et pas d’ouvrages de bibliophilie. «  On peut même dire que les difficiles conditions d’existence de l’écrivain dans l’après-guerre sont perceptibles jusque dans la modestie des exemplaires : c’est ce qui rend cette bibliothèque particulièrement émouvante  », concluent les vendeurs. 

GIF

La maison où vécut Bataille à Vézelay, au 59, rue saint Etienne, en 2007.


Ici vécut Georges Bataille, écrivain (1897-1962).
Photo. A.Gauvin. 4 août 2007. ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

Introduction du catalogue

« Ici vécut Georges Bataille écrivain (1897-1962). » À Vézelay, une plaque signale à l’attention des promeneurs la petite maison qu’a louée Bataille durant les vingt dernières années de sa vie. C’est l’une des plus modestes du village, située au bout de la rue principale, à l’endroit où la rue Saint-Étienne se divise en deux voies qui convergent vers la basilique. Derrière la façade en crépi, rien n’a vraiment changé depuis l’époque où il y habitait : une entrée, un salon à gauche et, au fond, une cuisine ouverte sur le jardin, avec la belle terrasse dominant le parc naturel du Morvan, souvent photographiée par ses visiteurs. À l’étage, deux chambres et une salle de bains. Et puis le grenier, auquel on accède seulement par une échelle. C’est là, à l’invitation d’Édith de La Héronnière, l’actuelle maîtresse des lieux, que nous avons eu l’émotion de retrouver une partie de la bibliothèque de l’écrivain, 432 volumes remisés dans des cartons depuis sa mort.
Michel Surya, le biographe de Georges Bataille [1], nous apprend qu’il s’est installé à Vézelay en mars 1943, au moment de la publication de L’Expérience intérieure, après avoir été mis en disponibilité de la Bibliothèque nationale pour cause de tuberculose pulmonaire. Durant ce premier séjour de sept mois, il rencontre Diane Kotchoubey de Beauharnais qui deviendra sa seconde épouse. Le couple s’établit dans la petite maison de mai 1945 à mars 1949, à une époque où Bataille entend vivre de sa plume, d’une part grâce à la dizaine d’ouvrages qu’il fait alors paraître, d’autre part en fondant en 1946 la revue Critique , qu’il dirigera jusqu’à sa mort. Mais la naissance de sa fille Julie en décembre 1948 et les vicissitudes de la revue l’obligent à reprendre un emploi de conservateur. Nommé à la bibliothèque municipale de Carpentras en mai 1949, il est muté à Orléans dès juillet 1951, ce qui lui permet de revenir régulièrement à Vézelay, où il choisira d’être inhumé.

Si Bataille bénéficie d’un logement de fonction à Carpentras puis à Orléans, sa seule adresse privée depuis 1945 reste Vézelay. C’est seulement à la fin de sa vie qu’un groupe d’amis peintres, émus par son dénuement, organise à l’Hôtel Drouot une vente de solidarité à son profit qui lui permet d’acquérir un appartement, rue Saint-Sulpice, où il décède le 9 juillet 1962, moins de cinq mois après s’y être installé… Le temps lui a sans doute manqué d’y apporter les livres qu’il stockait à Vézelay. Ou bien a-t-il délibérément relégué cet ensemble de publications d’après-guerre – romans français ou étrangers, d’auteurs nouveaux ou de classiques, recueils de poésie, petites revues, textes de philosophie, de spiritualité, d’histoire, de politique ? On trouve dans ces cartons une telle diversité de lectures que, si la plupart des volumes ne lui étaient dédicacés, on pencherait pour l’une de ces bibliothèques de maisons de campagne ou de gîtes, composées de bouquins abandonnés par leurs pensionnaires successifs.
Une question se pose alors : se pourrait-il que ces livres retrouvés à Vézelay constituent les seuls vestiges d’une bibliothèque à la réputation fantomatique ? Tandis que les archives de Bataille ont été versées par sa fille Julie au Département des manuscrits de la Bnf, sa bibliothèque n’est jamais apparue dans une institution ou sur le marché des ventes publiques. On a même pu douter qu’elle ait été conservée : régulièrement à court d’argent, l’écrivain en a vendu une partie à plusieurs reprises, et par souci de discrétion il aura sans doute retiré les pages d’envoi car les exemplaires qui lui sont dédicacés ne circulent pour ainsi dire pas – le catalogue que nous lui avions consacré en 1996 ne comportait que six livres lui ayant appartenu… C’est pour en avoir le coeur net que nous rentrons en contact avec Julie Bataille : sensible à notre curiosité, elle nous propose bientôt de nous céder les livres qu’elle conservait à Paris, afin de reconstituer le corpus de la bibliothèque de son père.

*

Ces 851 nouveaux volumes ou documents, ajoutés à ceux retrouvés à Vézelay, nous ont d’ores et déjà permis d’établir un inventaire en ligne de 1283 titres par ordre alphabétique d’auteur, avec transcription de tous les envois autographes [2]. Il devra être complété des quelques exemplaires dédicacés qui ont pu (ou pourront) circuler sur le marché, mais surtout, à terme, d’un important ensemble de livres correspondant à l’autre moitié de la bibliothèque, revenue après la mort de l’écrivain à sa fille aînée, Laurence Bataille (1930-1986).

*

Quoi qu’il en soit, le corpus déjà inventorié est emblématique du parcours intellectuel de Bataille. On suit à travers ses lectures l’évolution de sa pensée dans l’entre-deux-guerres, la découverte de Nietzsche, sa fascination pour le mysticisme et tous les grands thèmes – le sacré, la mort, la sexualité, la guerre… – qui fécondent sa démarche anthropologique en même temps qu’ils alimentent certaines de ses marottes : la tauromachie, les maisons closes, l’art pariétal, Gilles de Rais… On relève aussi dans ses archives des documents éphémères qu’en bon chartiste il s’est employé à conserver, vieux numéros de quotidiens à des dates historiques, mais aussi programmes de spectacles ou invitations à des vernissages qui documentent sa biographie.
Grâce aux dédicaces, on appréhende l’homme face à ses contemporains, les surréalistes qui restent sur leurs gardes, tout comme les existentialistes, tandis que s’affirment d’indéfectibles amitiés avec Michel Leiris, Maurice Blanchot, Albert Camus et René Char.
Mais cette bibliothèque, c’est aussi et avant tout celle du directeur de Critique. Il faut noter que l’écrasante majorité des livres datent de l’après guerre ; 200 seulement des 1283 références ont été publiées entre 1903 et 1945, alors qu’on en dénombre plus d’une soixantaine par année à partir de 1946, l’année où Bataille fonde sa prestigieuse revue. Beaucoup de ces livres lui ont été adressés pour obtenir un article, et la multiplicité des thématiques illustre d’ailleurs le projet encyclopédique de Critique qui ambitionne de rendre compte des parutions les plus importantes, en France et à l’étranger, dans tous les domaines de la connaissance. Pour relever ce défi, Bataille va rédiger lui-même une centaine d’articles et mobiliser des dizaines d’intellectuels dans les disciplines les plus variées, comme en témoigne la correspondance qu’il échange à la fin des années 1940 avec le philosophe d’origine allemande Éric Weil, à l’époque membre du comité de rédaction et véritable cheville ouvrière de Critique [3] : les deux hommes sélectionnent les titres qui feront l’objet d’un compte rendu et le nom des rédacteurs qui s’en chargeront.
Il va sans dire que l’on retrouve un grand nombre de publications chroniquées dans la revue. L’état d’usure des exemplaires, les annotations que certains comportent nous renseignent sur leur importance pour Bataille. D’autres, à l’inverse, n’ont été qu’entrouverts ou sont restés non coupés quand bien même il leur a consacré une note de lecture, témoignant de la lassitude qui l’envahit à mesure que sa santé se détériore. Ici, pas d’ouvrage de bibliophilie : si l’on fait exception d’une douzaine d’usuels que Bataille a fait relier très simplement dans les années 1950, tous les livres sont restés brochés. On peut même dire que les difficiles conditions d’existence de l’écrivain dans l’après-guerre sont perceptibles jusque dans la modestie des exemplaires ; c’est ce qui rend cette bibliothèque particulièrement émouvante.
Car il aura fallu attendre 1957, année où paraissent simultanément trois livres importants chez Gallimard, Minuit et Pauvert, pour que Bataille accède à un début de notoriété. Ses textes érotiques, qui consacrent aujourd’hui sa légende, n’avaient jusqu’alors fait l’objet que d’éditions confidentielles et sous pseudonymes. Quant au triptyque formant La Somme athéologique, il était connu des seuls milieux intellectuels. La revue Critique elle-même, désignée en 1948 dans Le Figaro « meilleure revue de l’année », avait dû suspendre sa diffusion un an plus tard faute de compter assez d’abonnés. Relancée en 1950 par les Éditions de Minuit, elle va désormais accompagner le renouveau du roman et de la critique. Ce n’est pas un hasard si l’école du Nouveau Roman est ici largement représentée : les dédicaces en témoignent, à la fin de sa vie Georges Bataille bénéficie enfin de la reconnaissance de toute une génération de jeunes auteurs.

LE CATALOGUE pdf

GIF

Dans la bibliothèque de Bataille.
ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

Dans la bibliothèque de Bataille.
ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

LIRE : L’oeil de Granero.

GIF

La maison de Vézelay en 2017.


La maison où vécut Bataille à Vézelay, rue Saint Etienne.
Photo A.G., 23 juillet 2017. ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF

GEORGES BATAILLE SUR PILEFACE


[1Michel Surya, Georges Bataille, la mort à l’oeuvre, Librairie Séguier, 1987 ; nouvelle édition augmentée et mise à jour, Gallimard, 1992 ; réédition Gallimard, coll. « Tel », 2012.

[2L’inventaire de la bibliothèque de Georges Bataille est consultable sur nos sites internet : librairievignes.com ou editionsdusandre.com..

[3Pour plus d’informations sur la revue Critique, on consultera les travaux de Sylvie Patron : Critique (1946-1996). Une encyclopédie de l’esprit moderne, Éditions de l’IMEC, coll. « L’Édition contemporaine », 1999 ; Georges Bataille, Éric Weil, À en-tête de Critique. Correspondance, 1946-1951, édition établie, présentée et annotée par Sylvie Patron, Nouvelles éditions Lignes et IMEC, coll. « Archives de la pensée critique », 2014 ; Autour de Critique (1946-1962), sous la direction de Sylvie Patron, Éditions Otrante, 2021.

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document