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Josyane Savigneau reçoit Guillaume Basquin et Olivier Rachet

RCJ, 8 décembre

D 8 décembre 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Guillaume Basquin m’avait prévenu avec humour il y a deux mois : « Scoop mondial (chut !) : suis invité avec Olivier Rachet par Josyane Savigneau dans son émission sur RCJ, pour parler de mon bouquin et de ma revue, en décembre... » Pourquoi « chut ! » ? Je n’ai pas bien compris... Cela dit, ça m’a permis de ne pas rater l’émission de ce jour et de la relayer aussitôt sur ce site, Pileface, que Josyane Savigneau « aime beaucoup » (sic).

Guillaume Basquin est donc l’invité, ce 8 décembre, pour son livre Histoire splendide dont j’ai déjà beaucoup parlé en ayant publié au printemps 2020 les premières feuilles. Directeur-éditeur des éditions Tinbad (huit livres par an) et de la revue Les Cahiers de Tinbad (deux numéros par an). Basquin est aussi pilote d’avion. C’est important, pas seulement pour voir le monde avec un peu de hauteur, mais pour franchir les frontières. Sollers ne disait-il pas dans Vision à New York : « quand j’écris, j’avionne » ? Basquin publie dans sa collection « Tinbad récit », Une diversion d’Olivier Rachet, deuxième invité de l’émission. Rachet a déjà publié chez Tinbad Mes arabes dont Claude Minière avait écrit une belle recension, mais les lecteurs de Pileface ont surtout pu le découvrir grâce à son essai remarquable sur Sollers en peinture - Une contre-histoire de l’art, essai qui lui valut déjà d’être invité avec Sollers sur RCJ en mars 2019 quand ce dernier publia son roman Le Nouveau. Rachet se livre aussi à l’exercice critique sur son blog littéraire.
Quand on suit ce qu’écrivent les deux protagonistes sur leur page facebook respective, on est parfois surpris par leur verve polémique, volontiers provocatrice, avec un côté « dada », ou sniper, surtout de la part de Basquin. Il y a un côté écorché vif chez eux. Pourtant ce qui me frappe en écoutant aujourd’hui (mais ce n’est pas la première fois) les deux invités de Josyane Savigneau, c’est le grand calme dont ils font preuve pour expliquer, non : pour dire (« Never complain, never explain »), leur rapport à l’édition, à l’écriture, bref leur « être au monde ». Si le mot, aujourd’hui galvaudé, ne prêtait pas à confusion et amalgame, je dirais qu’il y a dans leurs écrits une forme de « radicalité » sans concession, une radicalité souveraine. Pour le reste, écoutez (il est aussi question du cinéma d’Abdellatif Kechiche et de Bruno Dumont. Là, je suis moins, mais je lirai pour voir et re-voir).

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Josyane Savigneau reçoit Guillaume Basquin et Olivier Rachet

Un monde de livres.

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coll. "Tinbad-récit", 114 p., 14x20,5 cm, 15 €

Quand elle n’est pas pornographique,
la littérature est métaphore.

Alain Fleischer

Bras ankylosés, langue pâteuse. L’arrivée de l’été suscite en moi tous les symptômes d’une maladie forcément incurable. Saison où les singularités souffrent le martyre, où l’on attend l’orage avec l’incrédulité des fauves. Voici l’heure où la transparence brille de tous ses feux. Impératif de sensualité, injonction du partage et de la convivialité. Un bonheur sur mesure est à votre portée. Il n’est pas jusqu’à la musique qui ne soit domestiquée, mise en boîte pour se faire trémousser les jeunes corps qui en n vont pouvoir se libérer d’on ne sait quel carcan. Voilà l’été, toujours l’été et les idées noires affluent comme autant de drapeaux noirs plantés sur mon crâne incliné. Spleen. Chauves-souris, toiles d’araignée. Un immense vacarme assaille mon oreille interne. Tout est bruit, agitation, jusqu’au souvenir d’un amour oublié. Anarchie de l’été où l’on aimerait se jeter dans un puits, être écrasé par un TGV fonçant à toute allure sur votre corps ligoté. Une balle dans la nuque. Une overdose médicamenteuse. Asphyxié par une bonbonne de gaz. Est-il un manuel de savoir-mourir à l’usage des vieilles générations ? Une éthique de l’euthanasie pour les bien-portants peine à voir le jour. À mourir pour mourir, on ne veut pas attendre. Voilà l’été, toujours l’été. Et partir pour partir, on choisit l’âge tendre. Toujours l’été. Pesanteur, accablement. Ce poids qu’est le corps tardant à redevenir poussière. La graisse, la goutte, les eczémas. Ci et là, quelques croûtes ou autres furoncles. Des tumeurs bénignes. Des grains de beauté suspicieux. Il faudrait pouvoir en finir, aveuglé par un soleil couchant. Enseveli par la joie des autres, couronné de leurs turpitudes. Pourquoi ne crucifie-t-on pas les déprimés comme moi ? Au jardin des Oliviers, on lui plongea un sabre en plein ventre. Se vider de son sang, comme d autres se plongent corps et âme dans le bonheur et l’insouciance.

Voyager, une possible diversion. Une improbable rémission. Adolescence inconsciente qui te vit parcourir l’Europe, un sac à dos comme unique viatique. Rome, Prague, Berlin, Stockholm. Puis, Amsterdam, Athènes, Varsovie. Ou encore, Istanbul, Venise, Madrid. Quadriller l’espace dont on ne réalisait pas encore qu’il n’était qu’une prison. Il faudra se rendre à Manhattan pour en acquérir la certitude. Upper East Side, 5th Avenue, à l’angle de E 70th St. Avec pour seule évasion, quelques musées, fondations. Art moderne, contemporain.
Quattrocento, sarcophages égyptiens, fleurs de prunus et tiges de bambous. Dans un fatras jubilatoire, une mariée mise à nu par des célibataires côtoya les muscles tendus de la Chapelle Sixtine. Carrés blancs sur fond noir, barque des Enfers, virements des gouffres. On se perdit à Rome et à Palerme. On tourna de l’œil au cimetière de Gênes, entre deux statues baroques. Villa des Mystères, louves aux abois, corbeaux tournoyant dans un ciel azuré. Cet autoportrait à l’oreille coupée de Van Gogh qui hanta mon adolescence s’évapora dans les oeuves d un bar gay où j’attendis en vain d’être abordé. Florence, Venise. Masaccio, Tintoret. Fra Angelico, Giotto. Titien, El Greco. Les voyages convertissent peut-être bien à la peinture, mais ne guérissent pas de cette haine implacable de l’été. Haine inconsciente du style dénudé. Espadrilles, bermudas : tout l’attirail-épouvantail d une adulescence asservie. Combien faut-il s’être retrouvé seul à déambuler sur les rives du Bosphore pour faire l’expérience de cet exil dans la langue qu’avec solennité j’appelle désormais l’écriture. Inutile de fuir familles, amis, amants toujours trahissant cette confiance en eux susceptible de relayer ce total manque de confiance en soi qui caractérise tout amoureux éperdu. Il faut aussi avoir rencontré de nombreux prostitués pour se guérir de la mythologie romantique. Rêver d’être violé pour atteindre cet équilibre si précaire entre les aspirations d’un corps insatiable et d’une âme incommensurable. Parcourir les continents pour découvrir qu’il n’est rien de plus agréable que ce délitement de la conscience. Les sensations s’approfondissent. La connaissance s’élargit. Tout est perte et vertige. Le vide est là devant soi. Et l’on découvre qu’il est possible d’en jouir.

On ne part pas. L’enfer est une saison qu’il aura fallu apprendre à traverser. On en sort, un peu moins indemne, mais un peu plus joyeux. L’innocence est à ce prix pour qui a décidé qu’il en finirait un jour ou l’autre avec tout sentiment de culpabilité. L’innocence est un instinct farouche qu’il faut entretenir avec détermination. Tu ne fais pas le bien que tu voudrais faire. Fais-leur le bien qu’ils ont envie qu’on leur fasse. Plonge leurs sexes dans ta bouche, passe ta langue sur leur gland. Tu fais le mal que tu ne voudrais pas faire. Abjure la passion, éloigne l’amour : ils t’en sauront gré. Pour tromper l’ennui, l’été était propice aux romans fleuves, aux récits de voyage, à l’orgueil d’avoir achevé des œuvres complètes. Avec Casanova tu partis à la découverte des incubes et des succubes qui font signe sur le chemin de joie de tout séducteur. Langues de feu, baisers de glace. L’Enfer, le vrai, n’est peut-être pas pavé de bonnes intentions, mais il regorge de bouches lascives, d’orifices gluants. Pas besoin d’être oisif, comme l’été vous y enjoint, pour s’adonner à tous les vices. Enfiler des pavés comme certains prostitués se font tourner à la pelle dans certaines backrooms. Lire, baiser, lire. On courut aussi dans les forêts enneigées qu avait parcourues enfant le jeune Aharon Appelfeld. On se perdit dans les plaines d’Austerlitz et de Waterloo. On tomba de cheval avec le prince Andreï Nikolaïevich Bolkonsky. On aperçut intact un petit pan de ciel bleu et l’on crut qu’on en avait enfin fini avec les vaines espérances. On partit même avec Lawrence Durrell et Constantin Cavafy à Alexandrie, de ce phare d’où te viendra un jour un jeune prostitué égyptien qui saura te soumettre à ses désirs les plus intimes. Fatigué de la dictature de l’ennui, jeune révolutionnaire égyptien propose son printemps arabe privé. À chaque ville son buisson d’épines, à chaque village ses fourrés. La foudre n’attendait que de te frapper en plein cœur, comme si le ciel d’orage d’un tableau d’El Greco révélait enfin sa raison d’être. Sur le capot de la toute nouvelle voiture automatique de ta mère, un lieutenant parachutiste défia les drones qui tournoyaient dans la nuit étoilée. Le même t’offrit son sexe dans le jardin privé d une demeure périgourdine ; les phares de voitures éclairant au loin ses coups de reins. Dans les toilettes publiques d’un village de la Drôme, un après-midi passé à quatre pattes à rechercher la vérité dans une âme absente et un corps fragmenté. Derrière un vide-ordures, dans une clairière de chardons, devant un château d’eau transfiguré par un croissant de lune. L été me rend malade et sauvage. Une bête en rut désemparée. La nuit est tombée. On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.

D’où me vint alors cette tentation diabolique d’une retraite spirituelle ? D’un almanach romain montrant de jeunes prêtres du Vatican beaux comme des dieux grecs, prêts à tout pour en découdre avec la jeune pucelle que mes yeux en amande savent parfois jouer ? D’une brève lue comme en rêve évoquant l’ouverture d’un sauna gay en plein cœur de la cité papale ? De ces Antillais croisés parfois dont l’amour filial et virginal cacherait forcément des vices plus en accord avec ma folie érotique ? Peut-être, le souvenir de ce Réunionnais au prénom christique, adepte en secret du bouddhisme. Emmanuel ; enfant de chœur le dimanche, night-clubber le samedi, syncrétiste parfait. Il priait en cachette Bouddha sur le balcon de son appartement marseillais, mais vouait un culte à Marie dont les reproductions inondaient le kitch de son studio. Je nous revois de retour chez lui, vers 5 heures du matin. Il m’avait demandé de le sucer dans la backroom d une boîte de nuit gay, puis m’avait imposé de ne rentrer dans son appartement qu’à reculons, pour que Marie pût contempler à loisir nos culs pleins de désir et éviter de croiser nos regards de bêtes assoiffés de sang et de foutre. Le mauvais œil, le bon trou. Fallait-il tromper la tromperie et le mensonge pour jouir du vide et terrasser sa dépression ? Telle a toujours été pour moi la leçon principale du baroque. Toutes les tragicomédies de Shakespeare ne racontent que cela : la comédie sexuelle perpétuelle du pouvoir toujours pris à son propre piège. Prenez cet Angelo auquel le duc de Vienne confie le pouvoir afin, secrètement, d’affermir des lois patriarcales qui se sont un peu trop relâchées. On ne tergiverse pas et l’on condamne à mort un amoureux fervent, en la personne de Claudio, n’ayant pas su attendre la nuit de noces pour déflorer la belle Juliette. Sade se serait-il souvenu de ce prénom pour nous conter les prospérités du vice ? Bien entendu ! Ultime possibilité d’éviter l’exécution : Isabelle, la sœur dudit Claudio, ira demander à Julio de surseoir à sa décision. Comme les femmes ont toujours été des monnaies d’échange, le duc par intérim accepte si et seulement si ladite Isabelle consent à lui donner sa virginité. On trompera cette odieuse transaction en demandant à la première promise répudiée par Angelo – car sa dot avait considérablement fondu comme fond neige au soleil – de se substituer à Isabelle. Tout cela sous couvert d’une mascarade savoureuse où l’on voit le duc de Vienne se déguiser et revêtir l’habit d un moine. Ce qu il fallait démontrer, n’est-ce pas ? L’artifice seul peut venir à bout du mensonge sexuel qui siège au cœur de toute relation de pouvoir, de tout rapport de classe, de toute forme de subordination. Soumets-toi, je te baise, et l’ordre des familles et de la cité se pourra perpétuer !

Des tentatives avaient eu lieu au cours de mon adolescence pour que je frissonnasse devant un rameau d’olivier, un chant grégorien ou un vitrail d’église. Que Dieu puisse se donner à voir dans une fleur d’oranger ou une simple rose dont je connaissais la propension à me blesser les bras et les jambes n était pas pour me satisfaire ou me persuader. Je mélangeais d ailleurs tout, en fils indigne d’une famille ayant été fervemment catholique, mais ayant oublié après les ravages de l’hédonisme consumériste jusqu à la syntaxe même des prières les plus usitées. Mariages, baptêmes, de rares communions te montraient des fidèles marmonnant avec pesanteur des bribes de réminiscences. Les chansonniers anarchistes étaient passés par là, les iconoclastes enfants de DADA avaient fait voler en éclats le sérieux même de ce qu’avaient pu être une Assomption, une Ascension, une Transfiguration. Quant à la Passion, elle s était depuis fort longtemps sécularisée. Tu en paierais le prix fort, toi qui crus à de rares instants la rencontrer dans le visage trompeur d’un danseur réunionnais ou dans le sourire carnassier d’un gigolo marocain. Notre Père qui êtes aux Cieux, restez-y et nous, nous resterons sur la Terre qui est quelquefois si jolie ! Toute croyance était mièvre, forcément hallucinée. Que pouvait bien représenter le rire béat d’un paralytique croisé à Lourdes devant les jeux parodiques rencontrés dans les films de Luis Buñuel ? Le regard coupable d’un mendiant devant les fantaisies de Federico Fellini ? Des hommes de foi prônant la charité, peut-être, mais à patins à roulettes, roulant des patins en catimini et surtout bons vivants, comme me les avait toujours montrés Rabelais.

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Oratoire du Gonfalone, 1544-1547.
Rome, église de Santa Lucia Vecchia. ZOOM : cliquer sur l’image.
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La recension de Claude Minière

Tout le monde ment. Voulons-nous être sauvés ? L’auteur veut-il vraiment être sauvé ou trouve-t-il sa jouissance – c’est son Job – dans la description de nos plaies, nous qui sommes tombés ? Page 37 : « Le sexe n’est ni une obligation ni un jeu. C’est une épreuve en soi, une expérience qui permet ou non de traverser les blessures du monde dans lequel vous êtes tombés. » Tombés, au pluriel. Une condition générale, donc. Nous ne serons jamais rachetés (lire pages 73-75 la litanie sur le « crachat »). L’humain est habité par le désir de tuer, Olivier Rachet en soutient la conviction. Jusqu’au bout. Jusqu’à la page 109 : « L’aube sans cesse renaissante tranchera tout lien de subordination. Tue. La lettre tuera. – Décembre 2019, Rabat. »

Alors ? « Ne plus prier, écrire ». Pour alibi de la traversée ici exposée, l’écrivain prend le récit d’une tentative de retraite spirituelle qu’il fit en l’abbaye cistercienne d’Aiguebelle dans la Drôme. La diversion sera le fil du récit sur lequel se greffent réminiscences, flash-back, commentaires et projections. Olivier Rachet, bon écrivain et poète, prend tout ce qui lui passe par la main (la masturbation comme délibérée prise en main des rêves) pour penser, critiquer, décrire, imaginer. Sa culture est abondante (une mention d’Hadewijch d’Anvers, page 86, ce n’est pas si fréquent, mérite à mes yeux un salut particulier). Littérature, Histoire, Peinture, Musique…

Le rythme du récit, le rythme de l’épreuve, est celui d’abandons et sursauts, campé et écoulé. Après Guyotat, on n’avait plus d’autres exemples d’une telle fantasmagorie. L’écriture est implacable, tellement dense d’informations que le lecteur peut avoir la sensation qu’il n’est aucun extérieur, pas de marge, et que le texte absorbe en lui-même toute vibration. Heureusement (heureusement à mon goût), un chœur, à la tonalité de psaume, vient rituellement marquer de place en place une pause dans le déroulement linéaire et permet au lecteur de souffler.

Libr critique, 3 décembre 2022.

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