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René Daumal et Les Monts analogues

D 13 novembre 2022     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



L’Ange au sourire de la cathédrale de Reims.
Photo A.G., 17 août 2015/27 septembre 2017. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Belle initiative que cet article sur René Daumal, poète. J’en souris aux Anges. Quand j’arrive à Reims en 1977, je cherche une librairie un peu « pointue ». Je la trouve alors rue Colbert, non loin de l’Hôtel de ville, elle s’appelle « Le Grand Jeu ». Elle est tenue par Joël Aubert qui deviendra vite un ami. C’est par lui que j’apprends d’où est venue l’idée du nom de sa librairie. C’est un hommage aux fondateurs rémois de la revue éphémère Le Grand Jeu (3 numéros complets de juin 1928, mai 1929, octobre 1930 [1]) : René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert Meyrat. Le reste s’ensuit.

Le Mont Analogue de René Daumal
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Roman inachevé écrit entre 1939 et 1944, publié chez Gallimard à titre posthume en mars 1952 avec une préface de Rolland de Renéville et une postface de Véra Daumal, avant d’être réédité en 2021, toujours chez Gallimard, dans une version recomposée et avec une préface de Patti Smith, Le Mont Analogue de René Daumal a été réédité en 2020 aux éditions Allia.

“Les hommes-creux habitent dans la pierre, ils y circulent comme des cavernes voyageuses. Dans la glace ils se promènent comme des bulles en forme d’hommes. Mais dans l’air ils ne s’aventurent, car le vent les emporterait. Ils ont des maisons dans la pierre, dont les murs sont faits de trous, et des tentes dans la glace, dont la toile est faite de bulles. Le jour ils restent dans la pierre, et la nuit errent dans la glace, où ils dansent à la pleine lune. Mais ne voient jamais le soleil, autrement ils éclateraient.”
Le Mont Analogue, l’œuvre maîtresse de René Daumal, ne sera découverte qu’après sa mort. Dans ce récit, le poète du Grand Jeu embarque le lecteur dans un voyage initiatique vers un mystérieux et invisible sommet, objet de tous les fantasmes.
Pierre Sogol – anagramme de logos –, personnage loufoque et érudit, convainc le narrateur de l’accompagner dans une quête qui les conduira à traverser le Pacifique, avant d’accoster à l’énigmatique Port-des-Singes. Ils entreprendront de gravir le Mont, sans jamais atteindre le sommet  : Daumal mourra avant d’avoir terminé son récit.
Mythique, inaccessible, l’histoire du Mont Analogue demeurera un mystère pour l’auteur et ses lecteurs. Horizon lointain et pénétrant, suspendu entre terre ciel, le Mont fascinera par sa puissance allé­gorique plusieurs générations d’artistes et inspirera notamment à Jodorowsky sa Montagne sacrée.

Vous pouvez en lire des extraits ici et le texte complet là.

Du 17 septembre au 23 décembre 2021 s’est tenue à Reims l’exposition « Monts analogues », organisée par le Frac Champagne-Ardennes, sous la direction de Boris Bergmann et de Marie Griffay.

Dans la bibliothèque idéale de Boris Bergmann figurent :
Rencontres avec Bram van Velde de Charles Juliet (Ed. P.O.L)
Panégyrique (vol 1) de Guy Debord (Ed. Gallimard)
Les Bacchantes de Euripide (Ed. de Minuit).
Le Mont Analogue de René Daumal (Ed. Gallimard)
Le Rire de la Méduse de Hélène Cixous (Ed. Galilée)

Sur Panégyrique

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Sur Les Bacchantes

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Sur Le Mont Analogue

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« L’exposition rémoise est la première d’envergure consacrée à Daumal. Certes, son nom était apparu au détour d’autres parcours, au Havre en 1980, ou au Musée d’art moderne de Paris, en 1992. Mais ceux-ci célébraient d’abord le Grand Jeu, un groupe rival du surréalisme, que Daumal a brièvement et brillamment animé avec trois copains de lycée. Alors, Boris Bergmann s’est donné du mal. Il a convié des artistes de tout pedigree, approché les héritiers de l’écrivain, rassemblé une foule d’archives (tableaux, photos, dessins…).

Seul le manuscrit du Mont Analogue lui a échappé. Il sommeille dans une vallée du Piémont, au nord de l’Italie, chez Claudio Rugafiori, qui compte le léguer à la bibliothèque parisienne Jacques-Doucet, à sa mort. C’est à cet universitaire de 83 ans qu’on doit les éditions de référence du roman, des deux côtés des Alpes. "J’ai découvert Daumal dans une librairie de Lausanne, j’avais 13-14 ans, je dévorais toutes sortes de bouquins, en bon asthmatique, témoigne l’Italien. L’évidence de son génie m’a sauté aux yeux." » (Le Monde)

Le FRAC Champagne-Ardenne vous présente une grande exposition collective, consacrée au Mont Analogue, un récit de l’auteur rémois René Daumal (1908-1944). Mêlant art et littérature, l’exposition célèbre l’influence de René Daumal — et en particulier celle de son dernier livre, Le Mont Analogue — sur les artistes de son époque et d’aujourd’hui.

Imaginée comme une expédition, l’exposition reprend les grands thèmes du livre : communauté poétique, foi individuelle et foi collective, élévation vers un sommet intime et secret. Portée par le récit de Daumal et les lectures personnelles qu’en font les artistes, l’exposition nous invite à trouver en nous-même cet accès au Mont Analogue.

Le Mont Analogue est un livre magique, qui accompagne et guide l’existence de celle ou de celui qui, par sa lecture, prend part à la quête de Daumal. Le récit initiatique montre qu’il existe un lien géographique, un passage entre la Terre et le Ciel, entre nos certitudes et ce qui nous dépasse, une montagne gigantesque, à la fois accessible et masquée : Le Mont Analogue. La règle est simple : pour le voir, il faut y croire.

Pour Boris Bergmann, co-commissaire de l’exposition : « Le Mont Analogue n’est pas seulement un texte littéraire important. Il a aussi servi de repère à plusieurs générations d’artistes, à l’instar de la chanteuse et poète Patti Smith, du plasticien et réalisateur Philippe Parreno mais aussi à toute une jeune génération d’artistes de tous les pays. Peintres, musiciens, sculpteurs ou cinéastes : tous ont lu et aimé Le Mont Analogue, tous s’en sont servi comme d’une source d’inspiration. Un passage secret vers la création. Un point de ralliement. Une boussole qui indique d’autres Nords. Il fallait les réunir. À Reims, ville où Daumal, adolescent, fonda le plus radical des groupes littéraires. Le Grand Jeu fut la genèse de Daumal, Le Mont Analogue son aboutissement. Dans les deux cas, la quête de liberté passe par l’expérience intérieure et poétique, par la constitution d’une communauté. »

Comme René Daumal l’écrit lui-même : « du fait que nous sommes deux, tout change ; la tâche ne devient pas deux fois plus facile, non : d’impossible elle devient possible » [2].

Selon Marie Griffay, co-commissaire de l’exposition : « Pour imaginer cette exposition-expédition, nous avons mené nos recherches en cercles concentriques, dans les ateliers d’artistes, les archives, les catalogues, les fonds et collections, avec l’intuition que les œuvres présentées à Reims devaient provenir de l’entourage direct, du point de départ du parcours littéraire et artistique de Daumal. Nous avons ainsi rassemblé une centaine d’œuvres, réalisées par une quarantaine d’artistes, avec l’idée de construire une exposition qui explore la capacité des humains à se réunir pour faire ensemble. »

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Aux côtés d’artistes connus et reconnus, comme Patti Smith — qui présente les films réalisés avec Soundwalk Collective issus de leur dernier album, Peradam, directement inspiré de Daumal — ou Philippe Parreno — dont l’œuvre Mont Analogue retranscrit en pulsations lumineuses et saccadées le texte de Daumal, se trouve aussi toute une jeune génération d’artistes toujours plus nombreux·ses à lire et aimer Daumal. Le FRAC les a invité·es à produire de nouvelles œuvres spécialement pour l’occasion ; sont ainsi présentés des peintures inédites de Karine Rougier et de Simon Demeuter, de nouveaux totems en céramique d’Eric Croes ; sont aussi réactivées des œuvres de Charles Lopez, Florence Jung, Quentin Derouet et Hélène Bellenger.

Les œuvres d’artistes modernes figurent aux côtés de ces nouvelles productions grâce à des prêts exceptionnels du Musée des Beaux-Arts de Reims, de la Bibliothèque Carnegie et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, qui permettent de redécouvrir les œuvres de Simone Boisecq, René Daumal, Luc Dietrich, Maurice Henry et de Joseph Sima dans un voisinage inédit. Des œuvres de la collection du FRAC viennent compléter les visions du Mont Analogue parmi lesquelles celles de Rosa Barba, Gaëlle Choisne, Jimmie Durham, Anne Goujaud, Raymond Hains, Manon Harrois, Tom Ireland, David Posth-Kohler, David Renaud et Julien Tiberi.

Cette quête renouvelée du Mont Analogue bénéfice aussi de nombreux prêts d’artistes, de galeristes, d’autres FRAC et d’institutions qui permettent de découvrir les œuvres de : Ellie Antoniou, Béatrice Balcou, Clément Cogitore, Guillaume Constantin, Kim Détraux, Julien Discrit, Nancy Graves, Charles Hascoët, Kapwani Kiwanga, Laura Lamiel, Nina Beier & Marie Lund, Bibi Manavi, Laurent Montaron, Otobong Nkanga, Stéphanie Solinas et de Trevor Yeung.

Portée par l’aura de Daumal et les lectures intimes de chacun·e des artistes invité·es, l’exposition n’a qu’un seul but : nous permettre d’aller chercher en nous-même cet accès au Mont Analogue, ce possible qui permet de tout voir, tout créer. Tout être.

Commissaire(s) : Boris Bergmann, auteur et Marie Griffay, directrice du FRAC Champagne-Ardenne.

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Les « Monts Analogues » au Frac Champagne-Ardenne
Une histoire sans,


Vue de l’exposition.
Photo Martin Argyroglo. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Sur les traces du roman inachevé de René Daumal, le Frac Champagne-Ardenne se lance à la conquête des « Monts Analogues ». Une exposition en forme d’expédition à laquelle plus de 40 artistes prennent part, associant chacun leurs lectures et visions de ce texte, entre aventure alpine et quête initiatique.

Une virgule comme seule issue. Un point trop courbé pour en être un, qui parachève le roman, sans le clore réellement. Paru en 1952, Le Mont Analogue de René Daumal est un livre qui conte le voyage d’un groupe d’amis, artistes, inventeurs, médecins, intellectuels, littéraires, alpinistes… partant à la découverte du Mont Analogue. Une montagne inaccessible de l’hémisphère Sud, cachée entre les eaux du Pacifique, dont la base se dérobe au regard, mais dont la cime mènerait jusqu’au divin. Une quête vers l’Impossible, dont le yatch sur lequel ils embarquent au début de leur périple porte le nom.


Vue de l’exposition.
Photo Martin Argyroglo. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Rédigée entre 1939 et 1944, cette épopée littéraire s’achèvera prématurément, avec une virgule à son terme. Ajoutant à la philosophie du roman, ce symbole marque la fin du texte, mais aussi celle de René Daumal, qui décédera en 1944 avant de poursuivre sa phrase, atteint de la tuberculose et alors âgé de 36 ans. Une ponctuation qui laisse l’aventure en suspension, comme une prise d’escalade, une respiration pour mieux reprendre l’ascension, laissant le lecteur seul désormais, devenir premier de cordée. Inspirant de nombreux cercles variés, le récit de René Daumal se transmet de main en main, et touche autant la contre-culture psychédélique des années 60 que la sphère des politiciens, en passant par les passionnés de grimpe, les artistes, philosophes et scientifiques.


Vue de l’exposition.
Photo Martin Argyroglo. Zoom : cliquez sur l’image.
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Expédition d’art contemporain
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Reprenant chaque étape du roman, l’exposition du Frac Champagne-Ardenne s’attelle à faire vivre aux spectateurs la quête initiatique relatée par Daumal. Sur deux étages, les œuvres nous plongent tour à tour dans les différents états d’esprit à travers lesquels le texte nous guide. «  L’idée c’était de suivre le livre par la scénographie et l’organisation de l’exposition. Qu’elle soit elle-même une expédition en montagne. Il y a différentes étapes au fil du parcours. Ça commence par la préparation, les accessoires, la mise en condition psychologique, puis l’ascension, et on se retrouve sur la montagne   » nous explique Sébastien Bourse, responsable des publics et de la diffusion du lieu. Le fait d’avoir placé Le Mont Analogue sous la coupe du pluriel pour nommer l’exposition permet de surcroît une prise de hauteur face au récit, de laisser son influence et son héritage s’exprimer en parallèle. «  Le but était de proposer la pluralité des visions du Mont Analogue, un livre qui a inspiré énormément les artistes. Chacun en a fait un petit peu son histoire et se l’est approprié. C’était une façon de montrer la diversité des interprétations qui ont été faites de ce texte  » ajoute Charlotte Cabon-Abily, chargée des expositions et des projets artistiques du Frac. Initiée par Boris Bergmann, auteur et passionné de l’œuvre de Daumal, cette exposition est la première d’une telle envergure qui lui soit dédiée. Déjà ancré dans la culture rémoise, c’est avant tout pour son travail préliminaire, amorcé lors de ses études à Reims, au sein des «  Phrères Simplistes  » puis de la revue Le Grand Jeu, groupe rival des surréalistes, que Daumal est reconnu.


Vue de l’exposition.
Photo Martin Argyroglo. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Vers l’impossible, et au-delà
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Dès le début de l’exposition – la phase où l’on se projette, ou l’on se prépare à l’expédition –, on peut donc apercevoir l’œuvre de Jimmie Durham, Le bâton pour marquer le centre du monde à Reims. Un bâton de pèlerin, indispensable à la marche, comme une invitation au voyage, qui joue malgré tout sur l’ambivalence de son nom et de son utilité. Il sert ici à marquer le centre du monde à Reims. Pourvu d’un petit miroir, il interroge sur sa place à un moment donné, mais aussi sur la nôtre. Reflétant au-delà de notre image, il incite à regarder ailleurs, sortir du narcissisme et annihiler l’idée que nous sommes le centre de notre propre univers. L’œuvre de Quentin Derouet convie par la suite à l’ascension, à monter au second étage, en suivant les loopings que les pigments de sa rose ont laissés sur le mur, indiquant la direction à suivre. Une référence aussi à la rose amère, fleur aux pouvoirs mystiques qui pousse sur le Mont Analogue. L’étage supérieur est celui de l’élévation, du spirituel. Il est plus sec, rocheux. C’est la montagne. Avec ses différents Monts Analogues, Julien Discrit nous dévoile la pluralité de ce dernier. Un mont  ? Ou plutôt de petites pierres qu’il parvient à faire montagnes sous son objectif. Il décrit ainsi la faculté qu’à ce mont à évoquer tout un imaginaire, incarner plusieurs concepts, plusieurs formes. Le Mont Analogue n’est qu’une lettre, un échange épistolaire au début du roman, et il devient une expédition.

Analogie d’une élévation spirituelle, d’une ascension vers la connaissance du monde comme de soi-même, le récit de Daumal est au reflet des différents versants qui composent une montagne, pluriels et sinueux. Chacun dispose de son mont à soi, emprunte sa propre voie vers le sommet. En pensant son ascension, Daumal ne l’a pourtant pas envisagée solitaire, mais bien en groupe, rappelant que Le Mont Analogue est avant tout un récit collectif, une aventure humaine composite, comme la dépeint aujourd’hui l’exposition. Esprit fédérateur que l’on retrouve dans les mots de l’auteur, repris par le Frac Champagne-Ardenne : «  Du fait que nous sommes deux, tout change  ; la tâche ne devient pas deux fois plus facile, non : d’impossible elle devient possible.  »

https://theinstantwhen.taittinger.fr/les-monts-analogues-au-frac-champagne-ardenne/

Texte : Marie-Charlotte Burat

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Conférence de Boris Bergmann, lecture par Denis Lavant — Les Monts Analogues de René Daumal

Avec Cécile Guilbert et Philippe Parreno.

25 octobre 2021. Mis en ligne le 2 mars 2022

Le Mont Analogue est un livre magique qui bouleverse et guide l’existence de celui qui, par la lecture, prend part à son tour à la quête de Daumal. Au fil de ce récit initiatique, resté inachevé, un groupe d’aventuriers s’engage dans la recherche, puis dans l’ascension d’une montagne d’une incommensurable hauteur, passage unissant le ciel à la terre : le Mont Analogue. Le narrateur, jeune poète alpiniste, mène cette expédition vers le sommet inconnu. Ce lieu est aussi le lien entre nos certitudes et ce qui nous dépasse. La règle est simple : pour le voir, il faut y croire.

Publié pour le première fois en collection Blanche en 1952, Le Mont Analogue n’était plus disponible qu’en format poche. En octobre 2021, les éditions Gallimard publient une nouvelle édition, augmentée de textes critiques — dont une préface de Patti Smith — de photographies, de fac-similés inédits. Mais le Mont Analogue n’est pas seulement un texte littéraire important : il a aussi servi de repère à plusieurs générations d’artistes. Le réalisateur Alejandro Jodorowsky et l’artiste Philippe Parreno sont parmi les plus connus. À leurs côtés, les écrivains Cécile Guilbert et Boris Bergmann — qui a dirigé cette nouvelle édition.

Réunis pour cette conférence, ils mêlent leur visions de ce texte capital. Ensemble, ils montrent que Le Mont Analogue est d’abord une aventure métaphysique collective, une utopie, ouverte, absolue. Comme l’écrit Daumal : « … du fait que nous sommes deux, tout change ; la tâche ne devient pas deux fois plus facile, non : d’impossible elle devient possible. » Pour débuter cette soirée poétique consacrée à Daumal, le comédien Denis Lavant lira des extraits du Mont Analogue ainsi que des textes inédits présents dans la nouvelle édition publiée chez Gallimard, Les Monts Analogues de René Daumal.

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René Daumal
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René Daumal est né Boulzicourt, petit village des Ardennes, en 1908. Étudiant brillant, il rencontre au lycée de Reims Roger Gilbert-Lecomte et d’autres jeunes gens tentés par l’expérimentation et le dépassement des limites a priori du réel. Tous les moyens sont bons : écriture, jeux, prises de stupéfiants et expériences collectives. Ensemble ils forment un clan — les « Phrères simplistes » — puis un groupe — le Grand Jeu — à la revue éponyme et aux ambitions radicales, poétiques et révolutionnaires. Mais l’aventure tourne court, les amitiés adolescentes éclatent en plein vol. Daumal se tourne alors vers d’autres moyens de connaître la vérité, un cheminement plus individuel. Il s’intéresse à l’Inde, au sanskrit, aux danses sacrés mais également à l’alpinisme comme moyen direct d’atteindre les hauteurs. Il publie peu : un recueil de poésies (Le Contre-Ciel, 1936) qui demeure confidentiel, un premier roman chez Gallimard en 1939 (La Grande Beuverie) et commence Le Mont Analogue. Il ne pourra jamais l’achever. Daumal est rongé par la tuberculose, conséquence de sa santé fragile mais surtout des expériences avec la drogue pendant sa jeunesse. Il meurt en 1944, à 36 ans, laissant une oeuvre foisonnante et encore trop peu connue. Son dernier livre, le Mont Analogue, sera publié pour la première fois de façon posthume chez Gallimard en 1952.

Boris Bergmann
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Boris Bergmann est né à Paris en 1992. Il a publié cinq romans. Le dernier, les Corps insurgés (Calmann-Lévy, septembre 2020) a reçu le prix Félix Fénéon. Il est co-commissaire de l’exposition « Monts analogues » au FRAC Champagne Ardenne (du 17 septembre au 23 décembre 2021) qui réunit des pièces d’archives mais aussi des oeuvres d’artistes inspirés par Daumal et Le Mont Analogue. Il a dirigé Les Monts analogues de René Daumal, nouvelle édition du Mont Analogue publiée en octobre 2021 par Gallimard.

Cécile Guilbert est l’auteur, entre autres, d’Ecrits stupéfiants.

Elle a écrit « La chambre royale de René Daumal » (in Les Monts analogues, 2021).

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Boris Bergmann, Les Monts Analogues de René Daumal

Dans le cadre du soutien apporté à l’édition Les Monts Analogues de René Daumal (Gallimard, 2021), la Fondation Thalie invite l’écrivain Boris Bergmann qui a dirigé cette publication et la photographe Stéphanie Solinas pour une lecture-signature, accompagnée en musique par l’artiste en résidence Joseph Schiano di Lombo.
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Samedi 30 octobre 2021.

Stéphanie Solinas est photographe
Boris Bergmann est écrivain, commissaire d’exposition
Ils présenteront leur deux livres comme on mêle la parole à une voix alliée et amie.

Le premier est Le Guide du Pourquoi Pas ? publié en octobre 2020. Stéphanie Solinas y raconte son voyage en Islande, île des réalités invisibles que la photographe va traquer pour tenter de les comprendre et de les mettre à jour. Publié au Seuil, ce guide propose 13 « randonnées cérébrales » à la rencontre du monde des morts, de l’au-delà, de l’existence d’esprits supérieurs…

Le second est la première réédition augmentée et illustrée du Mont Analogue, roman culte de René Daumal où une montagne masquée sert de passage entre notre monde et le ciel, entre le réel et l’imaginaire. Publié sous la direction de Boris Bergmann, aux éditions Gallimard, et avec le soutien de la Fondation Thalie et de la Fondation Luma, les Monts Analogues de René Daumal conte la postérité plurielle d’un livre unique. Ainsi Patti Smith a fait la préface de cette édition où l’on trouve des inédits de Daumal, des entretiens — avec le réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky — des essais et les œuvres des artistes — de tous les âges, de tous les pays et de tous les arts — que le texte de Daumal a inspirés.

Ensemble, Stéphanie Solinas et Boris Bergmann liront des extraits et mêleront une des « randonnées cérébrales » du Guide du Pourquoi Pas ? avec les mots et les « visions analogues » de Daumal.

Cette présentation croisée sera suivie par une lecture de Daumal par Boris Bergmann, mise en musique par Joseph Schiano di Lombo, artiste en résidence à la Fondation. Ensemble, ils mêleront sons et mots pour faire entendre la voix du poète.

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Installation de Philippe Parreno à la Bourse de Commerce : Le Mont Analogue, 2001-2020

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Vidéoprojecteur sans objectif,
Programme informatique, Couleur, silencieux. 179min.

A la manière d’un phare signalant la Bourse de Commerce depuis la colonne Médicis, l’installation Mont Analogue de Philippe Parreno palpite d’une lumière aux teintes changeantes ; elle transcrit en code le roman inachevé de René Daumal et émet dans le ciel de Paris son message fantastique et métaphysique. Une quête sans fin, une aventure impossible, une métaphore de l’art et de son utopie. L’artiste a conçu une nouvelle version de cette installation in situ pour la colonne Médicis qui flanque le bâtiment de la Bourse de Commerce, pour l’ouverture du musée. Reconfiguration, réminiscence, nouvel avatar d’une oeuvre créée en 2001 et centrale pour Parreno, Mont Analogue est installé au sommet d’un ouvrage unique, témoin architectural du site à la Renaissance, anciennement palais de Catherine de Médicis. Cette colonne, symbole du pouvoir royal autant qu’éminence ésotérique devient un phare depuis lequel l’artiste diffuse à la ville un autre message, tout aussi inachevé. C’est sous la forme d’un code lumineux, intermittent et mystérieux, que Philippe Parreno invite le passant à découvrir les mondes invisibles, possibles, intangibles, de l’art .

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À la manière d’un phare signalant la Bourse de Commerce depuis le sommet de la colonne Médicis, Mont Analogue palpite d’une lumière aux teintes changeantes et émet dans le ciel de Paris son message utopique. Cette oeuvre est une aventure fantastique, métaphysique, inspirée à Philippe Parreno par le roman mythique et inachevé de René Daumal (1908-1944), récit publié à titre posthume en 1951, racontant la découverte et l’ascension collective d’une montagne unissant le ciel à la terre. Une quête sans fin, une aventure impossible, une métaphore de l’art et de son utopie.

L’artiste a conçu une nouvelle version de cette installation in situ pour la colonne Médicis qui flanque le monument de la Bourse de Commerce, pour son exposition inaugurale, intitulée « Ouverture ». Reconfiguration, réminiscence, nouvel avatar d’une oeuvre créée en 2001 et centrale pour Parreno, Mont Analogue coiffe le seul vestige de l’ancien palais de Catherine de Médicis. Cette colonne Renaissance, symbole du pouvoir royal autant qu’éminence ésotérique devient un émetteur depuis lequel l’artiste diffuse à la ville un nouveau message. C’est sous la forme d’un code lumineux, intermittent et mystérieux, que Philippe Parreno nous invite à découvrir les mondes invisibles, possibles, intangibles, de l’art [3].

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Dans En Attendant Nadeau, Denis Moscovici rendit compte de l’exposition « Monts analogues », organisée par le Frac Champagne-Ardennes et de quelques rééditions des livres de René Daumal.

Ascensions initiatiques de René Daumal

par Denis Moscovici
28 décembre 2021

L’œuvre de René Daumal (1908-1944) travaille en profondeur, et l’engouement pour son roman, Le Mont Analogue, ne se dément pas. Boris Bergmann, commissaire d’une exposition au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Champagne Ardenne réunissant les œuvres d’artistes inspirés par ce roman d’ascension, dirige une nouvelle édition contextualisée et illustrée de ce texte enthousiasmant. L’occasion de revenir sur la magie opérante d’un roman proprement initiatique, inachevé, écrit pendant la Seconde Guerre mondiale.
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René Daumal, Le Mont Analogue. Préface de Patti Smith. Gallimard, 232 p., 35 €
René Daumal, Écrits de la bête noire. Édition établie et commentée par Billy Dranty. Éditions Unes, 32 p., 13 €

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La foudre frappe rarement deux fois au même endroit. Les Ardennes ont dérogé à cette règle empirique : René Daumal est né à Boulzicourt en 1908 et a étudié dans le collège de Charleville qu’avait fréquenté, près de soixante ans plus tôt, Arthur Rimbaud.

Daumal connut un destin météorique, comme son comparse et son double Roger Gilbert-Lecomte, rencontré sur les bancs du lycée des Bons-Enfants à Reims en 1923. Avec Roger Vailland et Robert Meyrat, également condisciples, ils fondèrent un patronage, une fraternité qu’ils appelèrent « Le Simplisme ».


René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert Meyrat .
© Fonds Grand Jeu, bibliothèque Carnegie, Reims. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Après leur baccalauréat, Daumal, Gilbert-Lecomte et Vailland vinrent à Paris pour créer un mouvement d’avant-garde, Le Grand Jeu, groupe libre de poètes, métaphysiciens, pataphysiciens, essayistes et artistes révoltés, parmi lesquels le peintre tchèque Joseph Sima. Fous de poésie, avides de connaître les lois de l’être et de la conscience, ils se lancèrent dans une expérimentation globale, mêlant stupéfiants, vision paroptique, rencontres astrales, roulette russe, et autres voyages initiatiques conduisant aux révélations. Incarnation d’une jeunesse éternelle, prônant le Casse-dogme, là où les surréalistes et les avant-gardes s’écharpaient autour de prises de position politiques, ils attirèrent sur eux les projecteurs et par contrecoup la colère d’André Breton et de ses partisans. La mêlée politique d’une époque étouffante et le choix de Roger Gilbert-Lecomte de la combustion lente de la drogue firent éclater le groupe au début des années 1930.

René Daumal poursuivit sa quête de connaissance en s’engageant dans plusieurs voies : l’alpinisme, la grammaire sanskrite qu’il apprit seul et la traduction des grands textes spirituels de l’Inde, l’enseignement des groupes autour de Georges Gurdjieff. Il faut citer Alexandre et Jeanne de Salzmann, qui lui ouvrirent les portes de l’enseignement, et Vera Milanova, sa compagne jusqu’à la fin de sa vie. Si Roger Gilbert-Lecomte mourut le 31 décembre 1943 du tétanos, René Daumal mourut de la tuberculose et d’épuisement le 21 mai 1944.

De son vivant, il publia de nombreux textes en revue et seulement deux livres : Le contre-ciel, en 1936, un recueil de poèmes unique, et un roman symbolique, La grande beuverie, dans la collection « Métamorphoses » des éditions Gallimard. Jean Paulhan fut en effet impressionné par l’érudition et l’intelligence de Daumal.

Dans les dernières années de sa vie, affaibli et démuni, il avait commencé, parmi d’autres travaux, l’écriture d’un roman, Le Mont Analogue, qu’il n’achèvera pas et qui sera publié à titre posthume par Gallimard en 1952. La présente édition, contextualisée et illustrée, de ce texte splendide et énigmatique s’inscrit dans une redécouverte de ce récit et de ses environs, à l’occasion de l’exposition Monts Analogues, qui met en lumière l’impact majeur de ce roman auprès d’un nombre très important d’artistes et d’intellectuels depuis les années 1960.


René Daumal.
© Fonds Grand Jeu, bibliothèque Carnegie, Reims. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Boris Bergmann, romancier, poète, avait déjà écrit un beau texte, Dites-le avec des peurs, en écho à une nouvelle publication d’un des grands poèmes de Daumal intitulé « La guerre sainte », publié en 1940 dans la revue Fontaine. Patti Smith, passionnée de Daumal et du Mont Analogue, qu’elle a découvert vers l’âge de vingt ans dans une édition anglaise, parraine en quelque sorte cette parution, la préface et la clôt. Cécile Guilbert, écrivaine, nous livre un portrait très érudit de Daumal en hindouiste et initié de la tradition de l’Inde. Selon elle, c’est dans ce travail proprement initiatique que Daumal a pu dépasser les écueils rencontrés dans sa jeunesse, notamment la dualité poésie noire/poésie blanche, pour accéder à une connaissance supérieure. Enfin, Billy Dranty, poète et spécialiste du Grand Jeu et de ses alentours, nous permet de mieux connaître Daumal l’alpiniste, sans lequel Le Mont Analogue n’aurait sans doute pas existé.

Profitons de l’occasion pour mentionner que Dranty vient également de diriger pour les éditions Unes la publication de trois articles de René Daumal parus en 1935 dans la revue La bête noire, articles d’une puissance inégalable, sous le titre Écrits de la bête noire. Et retenons cette citation à propos d’une interpellation du peuple des intellectuels parisiens : « surtout lorsque nous parlons de politique, je vois que les idées nous abandonnent et que les opinions viennent nous séduire », tant ces textes font écho à certains traits de la période que nous traversons.

Billy Dranty permet également au lecteur de découvrir certains textes préparatoires à l’écriture de ce livre. L’appareil iconographique du livre est superbe. Nous y découvrons des photographies de jeunesse, de classe, des Simplistes, des portraits de Daumal et aussi des protagonistes du Grand Jeu, avec un matériel provenant directement de la famille du poète. L’éternelle jeunesse de ces photos nous sidère. Des éclairages de Marie-Jacqueline Daumal, Alejandro Jodorowsky et le plasticien Philippe Parreno complètent ce panorama ainsi que le catalogue des artistes exposés au FRAC Champagne Ardenne. Une œuvre de Parreno, intitulée Le Mont Analogue, est actuellement visible, jour et surtout nuit, en haut de la colonne Médicis de la fondation Pinault. C’est sur une bibliographie en images des ouvrages de Daumal que se termine ce livre.


Les Monts Analogues de René Daumal.
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Le cœur de cette édition est bien entendu Le Mont Analogue lui-même, resté inachevé. Boris Bergmann rappelle d’ailleurs que le manuscrit se terminait sur une virgule et que, si celle-ci avait été remplacée par un point dans les premières éditions, la présente rétablit l’incomplétude et la ponctuation du manuscrit. Il faut du courage pour s’attaquer à cette analogie de l’ascension, maintes fois reprise dans la tradition et la littérature. Ce récit symbolique part du principe que la montagne est le lien entre la Terre et le Ciel. Notre narrateur nous livre donc le récit de ce voyage, qui conduira huit personnes, sur douze candidats identifiés, sur les rives du pays, invisible aux communs des mortels, où se situe le Mont Analogue, en vue de faire son ascension. Tout commence bien sûr par une déduction d’ordre quasiment scientifique, exposée dans un article de la Revue des fossiles, qui conduit à l’hypothèse suivante : «  Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, […], il faut que son sommet soit accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible ». C’est de la rencontre dans le passage des Patriarches entre le narrateur et l’alpiniste savant Pierre Sogol que naîtra le projet d’une expédition pour trouver le pays caché où se trouve cette montagne magique.

La lecture du récit de cette découverte, de l’organisation de l’expédition, du choix de ses participants et des défections y afférentes, du voyage lui-même avant d’aborder à Port-des-Singes, puis du nécessaire dépouillement de l’expédition pendant les cinq jours de pluie qui empêchent le départ vers le sommet, enfin des débuts de l’ascension, sur les cinq chapitres de ce roman qui nous sont parvenus – d’un livre qui devait en compter sept –, cette lecture est un délice où se mêlent érudition, intelligence, humour pince-sans-rire et profondeur. Daumal nous livre ici la synthèse d’un savoir très ancien et d’une conscience suraigüe des travers d’une humanité en recherche de vérité.

« Parfois un homme se soumet en son cœur, soumet le visible au voyant, et il cherche à revenir à son origine. » Faut-il y voir un écho de la question posée à l’époque du Grand Jeu par Roger Gilbert-Lecomte dans L’horrible révélation… la seule : « Est-il mort le secret perdu dans Atlantis ? » C’est de ce livre hyperbolique et multiple, dont le prestige ne finit pas de grandir, depuis les beatniks des années 1960 aux artistes postmodernes de notre siècle, qu’il nous est permis de faire la découverte avec cette belle édition. On formulera deux regrets : le prix de ce livre, et peut-être l’absence de la postface intégrale de Vera Daumal qui figurait dans l’édition originale et qui donnait des éléments de compréhension utiles.

En Attendant Nadeau

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"Le Mont Analogue"

Par André Dhôtel

Publié le 13 avril 1968

LE MONT ANALOGUE est un livre à la fois très étrange et tout à fait banal. Un groupe d’alpinistes part à la recherche puis à l’assaut d’une montagne inaccessible et jusqu’alors invisible. Ils espèrent en atteindre la pointe extrême, assez fine pour loger la pensée divine hors de l’espace et du temps. Bref, une affaire archiconnue. En même temps, le récit se présente dans sa forme et ses péripéties comme la parodie d’un roman à la Jules Verne, avec des parenthèses où se situent certains contes fabuleux. Ces aventures toujours allégoriques nous ramènent encore à des thèmes mythiques dont il semble que nous n’aurons rien à apprendre.

Or un tel livre dans sa simplicité extrême devient soudain très attachant et à chaque moment nous avons l’impression d’une nouveauté familière et inépuisable.

En l’occurrence, la poésie n’explique rien. Il faut d’abord comprendre la très singulière mais encore banale attitude qu’a prise René Daumal dans l’ordre littéraire.

Appartenant à une famille athée, il a éprouvé très tôt l’angoisse de la mort, s’est livré à des évanouissements provoqués, à une pratique de rêves surnaturels. Il a d’abord acquis la certitude qu’il existait un au-delà, et il a fondé une revue, le Grand Jeu, avec l’intention précise de heurter les habitudes où nous nous maintenons dans l’ignorance d’une condition vouée à l’immortalité. Plus tard, il s’est engagé dans un groupe qui pratiquait les traditions mystiques de l’Inde, il a appris le sanscrit, s’est instruit des doctrines orientales en même temps que de la doctrine chrétienne et précisément catholique. Il eut donc tout ce qu’il fallait pour s’affirmer comme un écrivain chargé de mission et jouer au prophète, tout au moins au poète inspiré. Or il n’en fut rien.

Il s’écarte aussi bien des poètes qui lui semblent se perdre dans la littérature que de ceux qui veulent vivre et écrire pour exprimer une foi. Notons sa rupture avec le surréalisme et même avec ses amis du Grand Jeu, mais aussi son intérêt maintenu pour le Vulturne de Léon-Paul Fargue et les Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan, qui l’aida en plus d’un sens. Toujours est-il que sa démarche essentielle consiste à se dépouiller à mesure de toute prétention. Et c’est à ce point qu’il faut bien marquer sa divergence avec les conceptions en cours, Le détachement (dans l’ordre littéraire ou quelque ordre que ce soit), il le considère non pas comme un moyen de parvenir à la vérité par un effort, mais comme une simple soumission. Avant toutes choses, ce qui le tient, c’est sa certitude d’un au-delà. Plus que l’ignorance, le grand danger ce serait, à ses yeux, l’appétit d’un idéal qui tendrait à perdre pour nous toute existence dès lors qu’il entrerait dans la sphère d’une abstraction même céleste. "Aller à l’esprit" désespérait déjà Rimbaud. René Daumal, poussant l’affaire à l’extrême, consentira à ce que cette montagne aiguë qui représente le surnaturel n’ait pas du tout d’existence, bien que tant désirée, et soit simplement vue comme un modeste symbole. Refus de la moindre évasion ou imagination. Il s’agit pour lui de ramener l’au-delà à un ordre pratique et de le faire surgir de la réalité même de la vie.

La vie monastique
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Pour que l’au-delà soit une réalité et non une idée, la seule conduite à tenir ce sera de consentir à des exercices de vie et de piété propres à réduire l’homme à sa condition vraie, qui est de n’exister en rien sinon par l’expression même d’une nécessité inconcevable. Aucune originalité dans cette façon de voir et d’agir. Plutôt un renoncement à toute originalité et un accord avec les traditions les plus anciennes. Ce qui nous intéresse en la circonstance, c’est que René Daumal reporte cet ordre de vie monastique dans l’ordre de la littérature.

La littérature devient pour René Daumal un exercice analogue à un exercice de piété, comme celui-ci toujours imparfait bien sûr, mais patient. Il se livre au travail de l’artisan, devient un conteur qui s’applique au plus dédaigné et au plus ancien des genres littéraires, avançant pas à pas, comme ses alpinistes, ou de péripétie en péripétie, se préoccupant des autres et du monde plus que de lui-même ou de son style.

Ainsi pour René Daumal, les images de son récit ne représentent ni ne provoquent une vie surnaturelle. Simplement, elles sont analogues, comme doivent l’être toute écriture, toute piété, toute vie. Dans leur tracé le plus maladroit, analogues à l’ordre qui mène à l’inaccessible, elles participent déjà à l’inaccessible du simple fait qu’il s’agit d’un cheminement non pour un idéal, mais selon. La preuve ? Justement, ces modestes aventures allégoriques d’un écrit certes hasardeux (au lieu de se réduire à la pauvreté d’une définition, d’un sentiment ou d’une fonction abstraite ou matérielle) à chaque instant s’affirment dans un rayonnement, suscitent autour d’elles pour le lecteur des surprises et des pensées neuves, s’enrichissent des mille incidents ou épreuves d’une vie familière qui soudain s’éclaire de toutes parts en une voie incroyable et vraie cette fois. Et puis, il y a l’inexplicable.

André Dhôtel, Le Monde.


[1Réimpression fac-similé : Le Grand Jeu, Jean-Michel Place, « Complète », 1977, 350 p. Reconstitution partielle du n° 4 jamais paru (prévu pour l’automne 1932), éléments réunis par H.J. Maxwell et Claudio Rugafiori. Avertissement par Claudio Rugafiori.
LIRE : Le Grand Jeu de René Daumal : une avant-garde à rebours.

[2René Daumal, Le Mont Analogue, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1981, [première édition : 1952], p. 41.

[3Philippe Parreno réalise en 2004, en collaboration avec un plasticien écossais, Douglas Gordon, un film en temps réel d’un match de football à travers le portrait de l’icône du football mondiale Zinédine Zidane. Le film, qui porte son nom : Zidane, un portrait du XXIe siècle, cadre uniquement les faits et gestes du joueur, tout au long d’un match de championnat avec le Real Madrid au stade Santiago Bernabéu. Le spectateur est plongé au cœur du match, dans un chaos de gestes discontinus et de chocs physiques. A voir sur Pileface ici.

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