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Michaël Ferrier : La catastrophe est retorse, fulgurante, imprévisible ; tenons-lui tête

En résidence d’écriture à Beyrouth

D 3 novembre 2022     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Propos recueillis par Zéna ZALZAL,
OLJ (L’Orient-Le Jour), 25 octobre 2022

Il est l’auteur du saisissant « Fukushima, récit d’un désastre » (Gallimard). Un sujet sur lequel cet écrivain et essayiste français revient dans « Ce qui nous arrive » (éditions Inculte), recueil de nouvelles de cinq auteurs de différentes nationalités qui parlent des catastrophes qui touchent le monde contemporain. Un ouvrage réalisé à l’initiative de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth qui l’a également invité en résidence d’écriture au Liban du 24 octobre au 6 novembre. À cette occasion et dans le cadre de « Beyrouth Livres », Michaël Ferrier confrontera son récit de la catastrophe nucléaire au Japon avec le « Journal d’un effondrement » (Seuil) de Charif Majdalani, lors d’un débat prévu ce 28 octobre. Petit avant-goût dans cet entretien qu’il a accordé à « L’Orient-Le Jour ».


Michaël Ferrier vient à Beyrouth « pour parler, pour écrire, pour rencontrer ». © Michaël Ferrier
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Est-ce votre première visite au Liban ? Et qu’est-ce qui vous a motivé à y venir ?

Oui, c’est ma première visite au Liban. Il faut savoir que, depuis longtemps, le nom même de Beyrouth résonne dans l’imaginaire français : il résonne de manière terrible, fracassante (quand j’étais étudiant, dans les années 1980, l’expression « C’est Beyrouth ! » était très utilisée pour décrire une situation catastrophique), mais aussi de manière merveilleuse, presque légendaire : ville ravagée tant de fois et pourtant toujours renaissant de ses cendres, ville de la rencontre des cultures aussi, ville-carrefour, ville-monde. Pour moi, écrivain français issu de l’océan Indien et de l’Europe, ayant grandi en Afrique, vivant au Japon, cet entrecroisement fait sens, profondément – et je suis curieux de voir quelles formes a prises ici cet extraordinaire mélange dont naît, à chaque fois, la beauté du monde.

C’est donc un bonheur pour moi que d’être invité ici et c’est l’occasion de remercier ceux qui ont œuvré à cette invitation. De plus, dans un monde qui se referme, qui se recroqueville sur ses frontières et sur ses certitudes idéologiques ou identitaires, il est important que les artistes continuent à voyager, à se rencontrer, à ouvrir des espaces d’échange et de partage. Il y a une expression française : « Les armes parlent. » Et c’est vrai qu’elles parlent de plus en plus fort aujourd’hui. Dans ce contexte, les artistes doivent parler aussi. Je viens pour parler, pour écrire, pour rencontrer.


« Ce qui nous arrive », un recueil de nouvelles de 5 auteurs de différentes nationalités
préfacé par Charif Majdalani.
Photo DR
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Avez-vous déjà une idée du thème que vous allez traiter au cours de votre résidence d’écriture à Beyrouth ? Le texte que vous allez y produire sera-t-il en lien avec la tragédie du 4 août 2020 par exemple ?

Je n’ai aucune idée de ce que je vais écrire au cours de cette résidence. L’écriture, chez moi, n’obéit pas à un programme, au contraire : elle est en prise avec ce qui se passe et avec ce qui passe (dans un regard, dans un geste, dans un parfum), c’est-à-dire avec le vif de l’expérience sensible. Ce n’est qu’après que je lui donne la forme d’un livre. Mes livres ont toujours et avant tout été vécus. Cela dépendra donc des rencontres évidemment, mais aussi du déroulé du séjour, de la forme de la ville, de ses petits bonheurs et de ses incidents. Évidemment, et vous avez raison de le souligner, la tragédie du 4 août 2020 est encore partout présente, me dit-on, il y a donc quelques probabilités que je l’évoque, et je chercherai en tout cas à la comprendre. Mais je peux tout aussi bien écrire sur la courbe d’une rue, le goût d’une friandise ou l’aboiement d’un chien.

Vous êtes un auteur français installé depuis de très nombreuses années au Japon où vous avez construit, semble-t-il, une œuvre qui développe les notions d’exil et de figure de l’étranger. Mais c’est votre ouvrage « Fukushima. Récit d’un désastre » (Gallimard, 2012) – qui aborde avec une précision « de sismographe et une puissance de dévoilement qui dépasse de loin tout ce que l’on a pu lire ici sur la catastrophe en question », écrivait Philippe Forest, dans Art Press à sa sortie – qui revient aussitôt que l’on cite votre nom. Est-ce que ce livre et la tragédie dont il traite ont été déterminants dans votre écriture ? En d’autres termes, la catastrophe de Fukushima a-t-elle révélé chez vous une facette jusque-là latente d’écrivain témoin, voire de lanceur d’alerte ?

Fukushima. Récit d’un désastre marque plus un tournant dans la réception de mes livres que dans mon écriture même. Le livre a touché beaucoup de monde, étant donné la dimension internationale de l’événement, son actualité brûlante, mais aussi son caractère futuriste (je développe dans d’autres ouvrages, plus théoriques, l’aspect emblématique de cette catastrophe et le fait qu’elle est révélatrice de celles qui malheureusement nous attendent : la guerre en Ukraine autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia est d’ailleurs venue confirmer ces analyses).

Mais cela fait longtemps que je réfléchis sur les catastrophes. Kizu (la blessure en japonais), mon premier livre publié, raconte la vie d’un homme en proie à des bâtiments ravagés par les fissures, à la fois métaphoriques et bien réelles (divorce, échecs professionnels), et se termine – déjà – par un tremblement de terre qui vient clore le récit : c’était en 2004, bien avant Fukushima. Il y a aussi dans Tokyo, petits portraits de l’aube (Gallimard, 2004) l’histoire d’une femme rongée par la folie. J’ai porté dès mes débuts une attention très précise aux fêlures et aux désastres, qu’ils soient intimes ou collectifs. En lisant Scrabble, une enfance tchadienne, vous comprendrez mieux pourquoi : j’ai vécu, enfant, la guerre, qui est peut-être la catastrophe majeure que puisse connaître l’humanité. Fukushima n’a donc fait que réveiller, réactiver, renouveler une expérience ancienne, celle de la guerre. C’est une expérience qui est, chez moi, au fondement de l’acte d’écrire.

Vous revenez aujourd’hui, près de 10 ans plus tard, sur ce même sujet dans « L’insurrection des molécules », votre contribution au recueil de nouvelles « Ce qui nous arrive », publié aux éditions Inculte à l’initiative de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth. Qu’y a-t-il d’inédit dans ce court texte que vous n’aviez pas déjà développé dans le précédent ouvrage, que vous aviez alors écrit à chaud, dans la foulée de la terrible catastrophe de 2011 au Japon ?

L’insurrection des molécules est écrit à partir du témoignage de trois Japonais (deux hommes, une femme) frappés de plein fouet par la catastrophe de Fukushima. Ce sont trois personnes que j’avais rencontrées à l’époque, mais dont je n’avais pas gardé les témoignages dans Fukushima, récit d’un désastre , non pas parce qu’ils étaient moins forts ou moins intéressants, mais au contraire parce qu’ils étaient extraordinairement poignants et qu’ils méritaient un texte à part. Fukushima, récit d’un désastre est, comme vous le soulignez, un texte écrit à chaud. Dans L’insurrection des molécules, je fais le point de manière plus posée, avec une dizaine d’années de recul. Chacune des personnes dont je retrace l’histoire a eu une réaction très spécifique à la catastrophe : un informaticien est devenu poète de haïkus, un urbaniste s’est reconverti en moine bouddhiste, une serveuse de restaurant a décidé contre vents et marées de rester dans la zone contaminée. Mais ces réactions qui forment un triptyque composent une sorte de bréviaire de ce qu’une catastrophe peut changer ou révéler dans une vie. Enfin, au-delà de ces destinées individuelles, il m’a paru intéressant de faire figurer ce texte dans un recueil collectif, comme Ce qui nous arrive – car les catastrophes communiquent, j’en suis certain, et le désastre de Fukushima a beaucoup à nous apprendre d’autres désastres aujourd’hui à l’œuvre dans le monde entier.

Vous affirmez en préambule de votre texte dans « Ce qui nous arrive » : « Rien ne se passe jamais comme prévu, rien. À chaque fois, les plans sont bouleversés. C’est ça la vie – et c’est en ce sens que nos vies sont des catastrophes. » C’est une vision très pessimiste de l’existence… Il y a néanmoins dans votre petit texte des leçons de sagesse et d’apaisement à tirer de ces événements. Comment, de Fukushima à la double explosion au port de Beyrouth, interpréter et absorber « Ce qui nous arrive » ?

Oui, rien ne se passe jamais comme prévu – mais je ne suis pas sûr que ce soit une vision « très pessimiste » de l’existence. Ce pourrait même être l’inverse : dès que quelque chose est fixé, figé, arrêté, on peut être sûr que la mort commence à y faire son nid. En ce sens, il n’est pas mauvais que les plans, à chaque fois, soient bouleversés. Après tout, la seule chose dont on soit sûr, c’est la mort : et c’est bien contre elle, finalement, qu’on doit lutter.

La catastrophe est retorse, elle est fulgurante, elle est imprévisible : soyons intelligents, tenons-lui tête en étant à notre tour agiles, créatifs, inventifs. Perturber les cadences, suspendre les gestes ou les accélérer, révéler les aspects mortifères d’un système autant que des puissances de vie dont on n’avait même pas encore idée, c’est le propre d’une œuvre d’art.

Bien sûr, on ne peut jamais se réjouir qu’une catastrophe, comme au Japon en 2011, comme à Beyrouth en 2020, apporte avec elle son lot de malheurs et de misères. Mais la catastrophe peut aussi nous pousser à sortir de nous-mêmes, à nous ressourcer individuellement ou à nous retrouver collectivement.

C’est rare, c’est difficile, ce n’est ni automatique ni systématique, mais c’est possible. C’est ce que dit le poète René Char dans ce vers superbe : « À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir. » Voilà : la catastrophe sera vaincue par la poésie, c’est-à-dire en somme par une salve d’avenir.

*

Ce mardi à Beyrouth Livres

Mardi 25 octobre :

– Proclamation des 4 finalistes du prix Goncourt – Résidence des Pins, Beyrouth à 14h (événement réservé à la presse)

– Projection du film d’Audrey Diwan L’événement, adapté de l’œuvre d’Annie Ernaux – Salle Montaigne de l’Institut français du Liban à 20h.

Débats et rencontres autour de « Ce qui nous arrive »

Outre le débat entre Charif Majdalani et Michaël Ferrier prévu le vendredi 28 octobre dans la crypte de l’église de l’Université Saint-Joseph à 18h, le lancement du recueil Ce qui nous arrive (éditions Inculte) réunira, le dimanche 30 octobre à 19h15, à l’Institut français du Liban, rue de Damas, les cinq auteurs présents dans le cadre de Beyrouth Livres. À savoir, respectivement : Camille Ammoun, Michaël Ferrier, Makenzy Orcel, Ersi Sotiropoulos et Fawzi Zebian..

OLJ

Michael Ferrier sur pileface

Tokyo-Time-Table (le site de Michaël Ferrier)

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