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Taras Chevtchenko, le poète-héros de l’Ukraine

"Notre âme ne peut pas mourir"

D 17 juin 2022     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


"Il faut que l’Ukraine puisse résister et l’emporter"
face à l’armée russe
Emmanuel Macron à Kiev le 16 juin 2022

Mal inspiré jusqu’à présent, Emmanuel Macron n’avait pas su trouver les mots et le tempo vis-à-vis du peuple ukrainien, alors qu’il était président du Conseil de l’Europe, aux manettes. A contrario, un Kennedy en visite à Berlin Ouest en 1963, au temps de la guerre froide, avec son « Ich bin ein Berliner », pour soutenir les Allemands de l’Ouest, défenseurs de la liberté occidentale, aussi face aux Russes, avait su trouver les mots dans un fameux discours et une formule qui est restée dans l’Histoire. Le lieu et la formule dans le bon tempo !

Tardivement, et encore avec quelques contorsions verbales pour justifier ses mots malheureux passés [1] mais c’est dit, Emmanuel Macron a fini par ajouter sa voix à celle du poète-héros de l’Ukraine, Taras Chevtchenko. Connu et lu dans tous les foyers ukrainiens, ses vers sont repris comme des slogans de manifestations face à l’agression russe. Poète et peintre, Taras Chevtchenko a connu le destin exceptionnel d’un esclave devenu figure intemporelle nationale.


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En solidarité avec le peuple ukrainien, Seghers a republié, en mai, la poésie de Taras Chevtchenko. (Tous les bénéfices de cette édition seront reversés à l’association Aide Médicale et Caritative France-Ukraine (AMCFU), qui agit en faveur des réfugiés.)

Taras Chevtchenko

Poutine a justifié sa guerre contre l’Ukraine en affirmant que ce n’était pas une véritable nation, mais une simple dépendance du monde russe. Comme il n’existe aucun critère objectif pour définir ce qu’est une véritable nation, l’histoire montre que c’est par leurs actes que les peuples répondent à ceux qui remettent en cause leur existence collective. L’ampleur de la résistance des Ukrainiens face à l’agression des armées russes a fourni une nouvelle preuve de cette loi historique. Une illustration aujourd’hui, avec l’histoire de Taras Chevtchenko, l’un des principaux héros de la nation ukrainienne.

Il est ce symbole autour duquel se fédèrent les Ukrainiens quel que soit leur bord ou leur appartenance, résume l’historienne Iryna Dmytrychyn.Pour reprendre l’historien Pierre Nora, c’est un véritable “lieu de mémoire” pour les Ukrainiens. Son rôle de mobilisateur est plus d’actualité que jamais.

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Né esclave

Taras Chevtchenko naît esclave en 1814, dans une famille de paysans serfs du sud de Kiev. La zone fait partie de l’empire russe, qui a absorbé l’État cosaque, l’ancêtre de l’Ukraine. “Existe, en revanche, son souvenir, qui est transmis par les bardes ambulants, ces fameux Kobzar, explique Irina Dmytrychyn, aussi enseignante à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).Et ’Kobzar’, c‘est le titre que Chevtchenko a choisi pour son premier recueil en personnifiant cette transmission de la mémoire historique du peuple.

Orphelin à 11 ans, il grandit dans la misère et la douleur. Son maître, le comte Engelhardt, contrarie d’abord sa vocation de dessinateur. Mais il se rend compte de son talent, qu’il veut exploiter, et l’envoie en apprentissage à Vilnius puis à Saint-Pétersbourg. La nuit, son seul temps libre, il dessine en cachette les statues du Jardin d’été à la lumière des nuits blanches estivales.

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Affranchi pour 2500 roubles

Son talent est repéré par un cercle d’écrivains, poètes et peintres. Certains sont ses compatriotes, d’autres sont russes : ils vont changer son destin en s’organisant pour l’affranchir. On y trouve notamment Vassili Joukovski, un important poète russe, et le peintre Karl Brioullov. Celui-ci va peindre un portrait du premier, vendu aux enchères 2500 roubles : la somme réclamée par le tuteur de Chevtchenko pour obtenir sa liberté.

À 24 ans, Chevtchenko est un homme libre et peut donc s’inscrire aux Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. Quatre ans plus tard, Chevtchenko mit à profit ses talents artistiques pour peindre une toile qui reste de nos jours une des images emblématiques de la peinture ukrainienne. Elle représente une jeune Ukrainienne enceinte et un soldat russe qui s’éloigne. C’était déjà une façon de protester contre la domination russe, puisqu’à cette époque les jeunes ukrainiennes qui tombaient enceintes après avoir subi les assauts des soldats russes de passage, étaient rejetées par leurs familles.

Une carrière de peintre à succès et une vie tranquille et aisée s’offraient à Chevtchenko. Mais c’était sans compter sur ses élans de poète subversif. Dans ses écrits, il appelle à la révolte, à la lutte contre l’oppresseur, à l’amour de sa patrie ukrainienne. Dans son poème “Caucase”, on peut lire :

La vérité se lèvera ! La liberté renaîtra ! (...) Mais en attendant, les fleuves coulent. Des fleuves de sang, par delà les montagnes. (...) Et des larmes, et du sang, de quoi désaltérer tous les empereurs.

Kobzar, son premier recueil, est publié en 1840 et fait l’effet d’une bombe en Ukraine. Dans sa poésie, les vers sont brûlants, le discours rugueux, l’âme de l’Ukraine est incarnée visuellement par ses paysages, comme dans son poème “Ivan Pidkova” :

Au-delà des lagunes, de noirs nuages volent le soleil et le ciel. La mer bleue, telle un fauve, rugit, hurle et gémit. Elle s’engouffre dans le Dniepr. Ola, les gars ! À vos barques ! (...) Ils rament en chantant. (...) À leur tête, leur otaman [chef] les conduit à sa guise. (...) Roulant sa moustache noire, il lève son bonnet, les barques s’arrêtent. Que l’ennemi périsse !

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Création d’une culture ukrainienne

À cette époque-là, la littérature ukrainienne aurait pu se développer comme une sous-littérature, régionale, qui ne traite pas de sujets dramatiques ou graves et qui serait dans une niche folklo-ethnographique, analyse Irina Dmytrychyn.Chevtchenko a parachevé la jonction entre la langue populaire, la langue parlée et la langue écrite.

Sa poésie glorifie le passé des Cosaques Zaporogues, une communauté guerrière et indépendante du sud de l’Ukraine. Et on y trouve un impératif éthique capital. “Il promet que c’est la vérité qui l’emportera, poursuit l’enseignante à l’INALCO.Seul le combat juste doit être mené, mais en plus, seul ce combat peut être gagnant. C’est en cela que dans le contexte de l’agression russe aujourd’hui, cette mobilisation de Chevtchenko est opérante. Parce que non seulement, il appelle à ne pas accepter une domination, mais en plus, il nous promet qu’au final, le combat pour la justice gagnera.

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Le retour en Ukraine

À 29 ans, il revient en Ukraine, accueilli en héros par le peuple et l’aristocratie. Les portes de plus grands seigneurs s’ouvrent à lui, il peint les puissants et rattrape le temps perdu loin de ses terres, en visitant les forteresses et les couvents de son pays. Il entre dans une société secrète slavophile qui veut libérer l’Ukraine du joug tsariste, la Confrérie de Cyrille et Méthode. Pour ses écrits subversifs, il sera condamné par la Russie à servir comme soldat dans les steppes kazakhes. On lui interdit d’écrire et de dessiner, ce qu’il fait en cachette. Au bout de 10 ans, il est gracié et renvoyé à Saint-Pétersbourg, sous surveillance.

À la fin de sa vie, soucieux d’éduquer son peuple, il confectionne un alphabet ukrainien qu’il diffuse à ses frais dans son pays. Il meurt en 1861, la même année que l’abolition du servage en Russie. Dans toute sa vie, il aura vécu 9 ans en liberté. Comme il l’avait demandé, son corps est inhumé en Ukraine, sur une colline surplombant le Dniepr. 60000 personnes y assistent.

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Son visage sur des t-shirts et des mugs

Son héritage, intemporel, est repris à chaque soulèvement populaire, comme en 2014, année du bicentenaire de sa naissance. “La poésie de Chevtchenko, qu’elle soit une poésie de combat, qu’elle soit une poésie d’amour du prochain, d’amour pour la patrie, est toujours d’actualité, décrit Irina Dmytrychyn.Il était présent, par exemple, sur les boucliers des défenseurs de Maïdan, à la fois dans un rôle mobilisateur, puisque c’est lui qui menait au combat, mais en même temps comme une icône protectrice.” Un de ses vers devient d’ailleurs un slogan : “Luttez, vous vaincrez”. Son image est désormais détournée comme une icône de pop art : un peu comme l’effigie de Che Guevara, on retrouve son portrait sur des t-shirts et ses vers sur des mugs.

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Record de monuments

Aujourd’hui, plus de 1000 monuments lui sont dédiés dans le monde, dont 3 en France, à Paris, Toulouse et Châlette-sur-Loing, dans le Loiret. Peu connu, car difficilement traduisible et parlant une langue rare, il reste en Ukraine un symbole national incontournable, de ceux constituant une "communauté imaginée" propre aux peuples en quête d’unité, selon le terme de l’historien irlandais Benedict Anderson. “Un spécialiste de la littérature contemporaine dit que nous comprenons Chevtchenko à la mesure où nous nous comprenons nous-mêmes, explique Irina Dmytrychyn.Chaque génération relit Chevtchenko, chaque génération trouve quelque chose qui fait écho avec les événements qu’elle traverse.

Taras Chevtchenko l’avait prophétisé lui-même : “L’histoire de ma vie est une partie de l’Histoire de ma patrie”.

D’après Alexis Magnaval
France Culture, 23/02/2022


Taras Chevtchenko sur le plateau de « C- CE SOIR » (France 5)

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Poème « Testament »

Quand je serai mort, mettez-moi
Dans le tertre qui sert de tombe
Au milieu de la plaine immense,
Dans mon Ukraine bien-aimée,
Pour que je voie les champs sans fin,
Le Dniepr et ses rives abruptes,
Et que je l’entende mugir.
Lorsque le Dniepr emportera
Vers la mer bleue, loin de l’Ukraine,
Le sang de l’ennemi, alors
J’abandonnerai les collines
Et j’abandonnerai les champs,
Jusqu’au ciel je m’envolerai
Pour priez Dieu, mais si longtemps
Que cela n’aura pas eu lieu
Je ne veux pas connaître Dieu.
Vous, enterrez-moi, levez-vous,
Brisez enfin, brisez vos chaînes,
La liberté, arrosez-là
Avec le sang de l’ennemi.
Plus tard dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
Avec des mots doux et paisibles.

Le 25 décembre 1845, à Pereiaslav.

Tarass Chevtchenko, Traduction d’Eugène Guillevic, Éditions Seghers, Collection Poètes d’aujourd’hui N° 110, 1964, pp. 69-70.


[1« Il ne faut pas humilier la Russie », prononcés à contre-temps, et répétés à deux occasions - au moins une fois de trop – même si dans la déclaration initiale, il y avait pour E. Macron le souci de ne pas s’aligner sur les Etats Unis et de faire allusion aux conséquences néfastes du Traité de Versailles après la première guerre mondiale, qui a nourri le ressentiment allemand, l’esprit de revanche et le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Des propos alors inaudibles, incompréhensibles, déplacés au moment où les Ukrainiens mouraient sous les bombes et les atrocités de l’agresseur russe. Il pouvait le penser et agir dans ce sens sans nécessairement le clamer à tous vents. La diplomatie gagne aussi à s’exercer dans la discrétion, hors des micros des médias

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