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La Grande « Guerre » de Céline

suivi de : Exposition Céline à la Galerie Gallimard

D 27 avril 2022     A par Viktor Kirtov - C 9 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


ÉVÉNEMENT. « Guerre », l’un des manuscrits volés à l’écrivain, paraît le 5 mai chez Gallimard. La fin d’un mystère, la découverte d’un grand texte.


Au temps de l’innocence. En mai 1914, Louis-Ferdinand Destouches en grande tenue de maréchal des logis.
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Par François-Guillaume Lorrain

Publié le 27/04/2022

« J’ai bien dû rester là encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi. Entre les deux y avait un bruit immense. J’ai dormi dans ce bruit et puis il a plu, de pluie bien serrée. Kersuzon à côté était tout lourd tendu sous la pluie. »

C’est sur ces lignes de résurrection que s’ouvre le livre inédit de Céline,Guerre.Un manuscrit événement, publié dans la collection « Blanche » de Gallimard, qu’on attendait avec impatience depuis qu’il avait miraculeusement réapparu, avec d’autres, à l’été dernier. La guerre en effet : Céline nous y projettein medias res,à l’heure où le monde est encore sous le choc d’autres cadavres, face contre terre, abandonnés par l’armée russe, à Boutcha ou ailleurs. Céline nous replonge dans la mêlée des corps fracassés, dont le sien, pris dans la gangue d’un sol détrempé. Un assaut a eu lieu ou une embuscade, dont on ne saura rien, mais nous voilà avec Ferdinand, le Ferdinand Bardamu duVoyage au bout de la nuit,qui se réveille d’entre les morts, blessé au bras et à l’oreille. Dans un paysage dévasté de l’automne 1914, il est seul, isolé de ses camarades, seul avec cette guerre désormais « enfermée dans [sa] tête ». Vingt ans plus tard, Ferdinand, alias Louis-Ferdinand Céline, en restitue le chaos qui bourdonne encore sous son crâne.


Poilu. Le maréchal des logis Destouches (Céline) s’était porté volontaire pour transmettre un ordre sous un feu violent. Il fut grièvement blessé au retour (illustration parue dans « Le Petit Marseillais » en 1915).
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Au fil de cette centaine de pages, l’on suit Ferdinand à la recherche désespérée de son régiment. « Des vrais poilus j’en rencontrais toujours pas. Encore des kilomètres. J’ai rebu du sang. » Soutenu par un soldat anglais, Ferdinand n’est plus qu’un corps en loques, en pièces : « La partie mouillée, la partie qu’était saoule, la partie du bras qu’était atroce, la partie de l’oreille qu’était abominable… » Récupéré dans une église, il est acheminé vers l’arrière dans un train-ambulance où, là encore, il semble être le seul survivant :« J’ai regardé l’ombre du wagon, devant, derrière. Je me suis fait l’œil. C’étaient des corps qui bougeaient plus sous les couvertures des civières. Y avait deux rangs de civières. J’ai fait : Heu, heu. »

Éros et Thanatos

Soigné à Peurdu-sur-la-Lys, il tape dans l’œil d’une infirmière, Mlle Lespinasse, qui redonne vie à sa manière aux grands blessés :« Elle aimait que j’aye peur. Elle jouissait la vache. Elle s’agitait contre mon plume. Elle avait un puissant foiron de Flamande. C’est comme si elle m’avait fait rentrer dedans tout entier tellement elle jouissait là à fond, à genoux. C’était la prière. »Tout le livre oscille entre Éros et Thanatos, exacerbés au nom du credo célinien qui veut que« c’est encore plus atroce la vie quand on ne bande pas ».Du côté de Thanatos, le lazaret mouroir, les opérations fatales du Dr Méconille« qui se demandait s’il allait me perdre avant de me trouver la balle »,l’aumônier« qui venait deux fois par jour me donner l’éternité »,l’enclos où l’on fusille les déserteurs. Du côté d’Éros, le succube Lespinasse et le village de Peurdu - ses cafés, ses femmes -, vers lequel, escorté de son voisin de lit, Bébert, souteneur au langage ordurier, Ferdinand s’échappe à peine remis sur pied. Surgit alors Angèle, l’épouse de Bébert, prêtresse retorse du sexe prostitué qui« pouvait jouir douze fois de suite ».Mais, chez Céline, Éros et Thanatos copulent allègrement.


Célinien. Un feuillet manuscrit de « Guerre ».
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Tranches de vie

L’enfance Mort à crédit (écrit entre 1933 et 1936, publié en 1936).

Le régiment (1912 )Casse-pipe (100 p., commencé vers 1934, repris vers 1936 puis en 1939, publié en 1948). Complété par une centaine de pages à venir.

La guerre (1914) Guerre (écrit en 1934).

Le séjour à Londres (1915-1916) Guignol’s Band I (écrit entre 1940 et 1943, publié en 1944). Guignol’s Band II (écrit de 1944 à 1946, publié en 1964). Londres (écrit en 1934).

De l’engagement à l’Amérique (1925) Voyage au bout de la nuit (1929-1932, publié en 1932).

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« C’est du pur Céline », commente l’avocat François Gibault, son exécuteur testamentaire, qui a récupéré à l’été dernier le manuscrit et l’a transmis aux éditions Gallimard. Il exposera d’ailleurs à partir du 6 mai, à la galerie Gallimard, la plupart de ses documents sur l’écrivain, photos, lettres, et le début de ce manuscrit.« On y retrouve les obsessions de son œuvre, la mort, le sexe, des personnages très crus, la critique féroce de la guerre. Au début, on est dans le récit, dans la vérité d’événements qu’il a vécus, sa blessure d’octobre 1914, son transport à l’hôpital, la remise d’une médaille, mais on bascule vite dans le roman, la transposition littéraire, l’exagération hallucinée. »Qui douterait des conséquences psychiques des conflits pourra lire ces pages où Céline décrit ses séquelles :« Faudrait moi aussi que je me trouve un truc bien délirant pour compenser tout le chagrin d’être enfermé pour toujours dans ma tête. Je pourrais pas dire si j’étais fou ou pas, mais il suffisait que j’aye un peu de fièvre pour qu’il commence à m’arriver de drôles de choses. »Fièvre de la guerre. Fièvre de l’écriture.

Guerre est le premier à paraître de ces manuscrits dont Céline, dans sa correspondance, avait déploré la disparition après son départ en catastrophe de Paris en août 1944 :« Mon occupant rue Girardon m’a foutu à la poubelle la suite manuscrite de Guignol’s Bandet encore trois autres romans en train »,écrit-il à Henri Poulain en 1947. Dans des lettres à Pierre Monnier, il parlait des « définitifs manuscrits qui m’ont été secoués par les Épurateurs chez moi ». Il précisait ailleurs :« Si Casse-pipe est incomplet c’est que les Épurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrits dans les poubelles de l’avenue Junot. »


Héros. Le maréchal des logis Destouches, avec sa médaille militaire.
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Décryptage

« Il écrit très vite, au fil de la plume, quelques mots sont d’ailleurs illisibles, il avait une écriture de médecin. Pour suivre le rythme de sa pensée, il avait inventé une série d’abréviations. […] C’est assez peu raturé, l’écriture file dans un élan étonnant, et il est fascinant de voir que dès le premier jet c’est en place. Céline sait qu’il va revenir sur son texte, qui a des défauts, il ne s’intéresse guère aux détails, il modifie des noms de personnages, Bébert devient Cascade. »Telle est l’analyse de Pascal Fouché, qui a retranscrit le manuscrit de « Guerre ». Jean-Pierre Thibaudat, qui avait dû remettre aux ayants droit les manuscrits en sa possesion, en aurait fait aussi des retranscriptions mais ne les leur avait pas remises. Fouché a relevé qu’il manquait le début de Guerre, avant la blessure :« Le premier feuillet était entouré du chiffre 10 et s’ouvrait sur ces mots, "pas tout à fait", renvoyant à d’autres, qui ont disparu. » Un autre mystère.

Si son origine demeure floue,le manuscrit deGuerredonne un faisceau d’indices sur sa date de rédaction, essentielle pour repenser l’œuvre célinienne.« Au dos d’une feuille de la 4eséquence, j’ai découvert l’adresse américaine d’Elisabeth Craig que Céline avait notée », nous apprend Pascal Fouché, qui a retranscrit le texte. Or l’écrivain, qui avait rompu avec Craig en 1933, se rendit aux États-Unis à l’été 1934 pour tenter de renouer. Un passage du texte confirme cette date :« À présent, je suis entraîné. Vingt ans, on apprend. J’ai l’âme plus dure, comme un biceps… J’ai appris à faire de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais. » Céline fut blessé le 27 octobre 1914 à Poelkapelle, puis soigné à Hazebrouck, qui devient Peurdu-sur-la-Lys dans Guerre.1914 plus vingt égale 1934. Dernier indice, sa lettre du 16 juillet 1934, dans laquelle il annonce à son éditeur Robert Denoël un gros roman sous la forme d’un triptyque :Enfance, Guerre, Londres. Trop gros, réagit Denoël, qui lui répond qu’il commencera par éditer le premier tiers. Ce premier tiers, c’est Enfance, qui deviendra Mort à crédit,publié en 1936. Que s’est-il passé avec Guerre ? Rédigé en 1934 comme Londres (également remis à François Gibault et que Gallimard publiera à l’automne), il est donc contemporain du futur Mort à crédit. Mais il n’a pas dépassé le stade du premier jet qu’on peut lire à présent. « On a estimé que ça tenait la route,juge à raison François Gibault, même s’il l’aurait évidemment complété et retravaillé. » Ou, pour reprendre le terme employé par Céline, « épuré ».


Mystère. Les 240 feuillets de « Guerre » lors de leur restitution par Jean-Pierre Thibaudat en 2021. Mais d’où provenaient-ils ?
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Ellipse

Si Guerre marque la première publication d’un roman célinien depuis Rigodon en 1969, il comble aussi un trou majeur dans sa vie et son œuvre. Car c’est le seul texte qui transcrive en détail son expérience de la guerre, fondamentale pour le reste de son existence et son accession à l’écriture. Dans Voyage au bout de la nuit, prix Renaudot en 1932, il avait fait l’ellipse de ce qui deviendra la matière de Guerre :« Pour ma part, je n’avais plus à me plaindre. J’étais même en train de m’affranchir par la médaille militaire que j’avais gagnée, la blessure et tout. En convalescence, on me l’avait apportée la médaille, à l’hôpital même. » Il passait ensuite directement à son retour à Paris, au Val-de-Grâce. Si Guerre devait être retravaillé, sa scène finale, le départ en bateau, laisse toutefois penser que le manuscrit ne serait pas allé plus loin. Cette conclusion très nette annonce le manuscrit suivant, Londres, consacré à son séjour de 1915.

Demeure cependant la vraie énigme, qui passionne les spécialistes de Céline. Pourquoi n’a-t-il pas retravaillé Guerre puis Londres ? En 1935, il a repris Enfance, transformé en Mort à crédit en 1936. Mais, après la réception polémique de ce texte, il bifurque jusqu’en 1940 vers des textes politiques, polémiques et antisémites :Mea culpa, Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres, Les Beaux Draps. Le déclenchement de la guerre de 1939 coïncide avec le début de Casse-pipe, qui porte sur ses années de régiment (1912-1914), un texte interrompu dont on a retrouvé aussi, l’année dernière, quelques fragments.« Céline a toujours raconté les périodes de sa vie dans le désordre », rappelle François Gibault. L’enfance de Mort à crédit après la vie adulte de Voyage au bout de la nuit, et Casse-pipe après Guerre. Mais pourquoi, en 1940, quand il entame l’écriture de Guignol’s Band, consacré à son séjour à Londres en 1915, ne retravaille-t-il pas d’abord Guerre ni Londres, lequel concerne le même séjour ? « En 1940, il repart de zéro, on ne sait pas pourquoi, il ne s’en est jamais expliqué », résume Pascal Fouché. Dans Guignol’s Band, paru au printemps 1944, Céline reviendra sur les événements décrits dansGuerre : on retrouve un compagnon d’hôpital, Raoul Farcy, qui s’est mutilé non le pied comme Bébert-Cascade, mais la main, et qui connaît le même sort. On retrouve aussi Angèle, mais la raison du départ pour Londres a changé. Considérait-il Guerre et Londres comme « la suite et la fin » de Casse-pipe, également interrompu et dont il déplore la disparition dans ses lettres d’après guerre ? La guerre de 1939-1940, après avoir ranimé l’envie de ressusciter sa vie de soldat avec le début de Casse-pipe, a-t-elle porté un coup fatal à ce projet avec la débâcle de 1940 ? Mystère de la chambre noire célinienne, dont on vient d’exhumer un diamant brut§

« GUERRE  » de Louis-Ferdinand Céline

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Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932), une pièce capitale de l’œuvre de l’écrivain est mise au jour.

Car Céline, entre récit autobiographique et œuvre d’imagination, y lève le voile sur l’expérience centrale de son existence : le traumatisme physique et moral du front, dans l’« abattoir international en folie ».

On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où, gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu’à son départ pour Londres. À l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys, objet de toutes les attentions d’une infirmière entreprenante, Ferdinand, s’étant lié d’amitié au souteneur Bébert, trompe la mort et s’affranchit du destin qui lui était jusqu’alors promis. Ce temps brutal de la désillusion et de la prise de conscience, que l’auteur n’avait jamais abordé sous la forme d’un récit littéraire autonome, apparaît ici dans sa lumière la plus crue.

Vingt ans après 14, le passé, « toujours saoul d’oubli », prend des « petites mélodies en route qu’on lui demandait pas ». Mais il reste vivant, à jamais inoubliable, et Guerre en témoigne tout autant que la suite de l’œuvre de Céline.

▶ Édition établie par Pascal Fouché, avant-propos de François Gibault.(Gallimard,192 p.) Mise en vente : 5 mai 2022

le livre sur amazon.fr

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L’affaire Céline

Juin 2020. Le critique de théâtre Jean-Pierre Thibaudat débarque chez l’avocat Emmanuel Pierrat avec : 240feuillets d’un texte intituléGuerre ;600pages d’un livre,Casse-pipe,qui débute avant la guerre de 1914, et dont on n’avait jusque-là qu’un fragment ; un troisième manuscrit,Londres ;un quatrième,La Volonté du roi Krogold,saga moyenâgeuse que Denoël avait refusée à Céline après le triomphe deVoyage au bout de la nuit ;ainsi que le manuscrit complet deMort à crédit.« Cela correspondait à peu près aux manuscrits qui avaient disparu de chez Céline en août 1944 »,résume l’un des ayants droit de l’écrivain, l’avocat François Gibault, fondateur de la Société des études céliniennes, éditeur deRigodonet desLettres de prison.L’entente entre Pierrat, Thibaudat et Gibault ne dure pas. Thibaudat ne rendant pas les manuscrits, Gibault dépose plainte en janvier 2021pour recel d’œuvres artistiques volées. Thibaudat est sommé de remettre les feuilles aux policiers de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Il s’exécute en juillet 2021. Mais d’où proviennent-elles ? Protégé par Emmanuel Pierrat au nom du secret des sources journalistiques, Thibaudat garde le silence. Céline était persuadé que le responsable était le résistant Yvon Morandat, qui avait libéré l’hôtel de Matignon le 25août 1944avant d’occuper son appartement, rue Girardon, puis de présider les Charbonnages de France et de devenir secrétaire d’État en mai 1968. Dans une lettre, Céline évoque même des« manuscrits-brouillons »que Morandat aurait proposé de lui rendre. François Gibault, comme le biographe de Céline Émile Brami, sont convaincus que l’« Épurateur »fut un certain Rozembly, comptable de Céline, que celui-ci avait hébergé. Pierrat évoque un résistant ami du père de Thibaudat, né Jatteau. Le mystère demeure

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Des milliers de pages manuscrites de Céline retrouvés !

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Une exposition Céline à ne pas manquer à la galerie Gallimard

du 6 mai au 16 juillet

Par Thierry Clermont

Écouter cet article

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Le manuscrit de « Casse-pipe », dont la rédaction a débuté en1937. Collection succession Lucette Destouches via Gallimard
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La galerie Gallimard consacre une exposition aux « Manuscrits retrouvés » de Louis-Ferdinand Céline, à l’occasion de la parution de Guerre.

Manuscrits, œuvres graphiques, éditions originales, lettres, dessins, cartes postales, photographies… Du 6mai au 16juillet inclus, la galerie Gallimard, au 30-32 rue Gallimard à Paris, consacre une exposition aux « Manuscrits retrouvés » de Louis-Ferdinand Céline, sous le commissariat d’Alban Cerisier, à l’occasion de la parution de Guerre .

Le manuscrit de ce même roman sera d’ailleurs mis en valeur, avec dix feuillets du manuscrit autographe, aux côtés de ceux d’autres inédits, à savoir ceux de Londres, qui constitue la suite de Guerre, des extraits de laversion longue de Casse-pipe (440feuillets répartis en 26séquences), et du récit médiévo-nordique La Volonté du roi Krogold, (accompagné du tapuscrit de La Légende du roi René), lequel sera présenté au public avec ses fameuses pinces à linge.

Le cuirassier Destouches

Autant de documents inédits qui apportent un éclairage sur les sources biographiques de son œuvre, en particulier sur les liens entre l’écrivain et ses parents, sa formation militaire au 12e régiment de cuirassiers à Rambouillet, et sa convalescence de blessé de guerre à l’hôpital de Hazebrouck, puis au Val-de-Grâce, en1914. Seront également exposés les médailles militaires du maréchal des logis Destouches, ainsi que, pour la première fois, le Journal de marche de son régiment, conservé par le service historique de la Défense.

À lire aussi La Cavale du Dr Destouches : « Cette BD aurait fait rire Céline »

Dans un des feuillets dévoilés au public, extrait de Londres, sur son séjour anglais entre le printemps1915 et mars 1916, alors qu’il était affecté comme auxiliaire administratif au service des visas du consulat de France, expérience par ailleurs relatée dans Guignol’s Band, paru en1944, on peut lire : « J’étais mal parti dans l’existence. C’est moche d’être né en1893. Je le dis. La pire souffrance, plus que tout, même d’être infirme où j’étais pourtant bien comblé, même de la défense misérable où je tenais plus l’air qu’à un fil, l’atroce qui rend l’avenir encore plus aride et coupant que le couperet avant l’aube, c’est qu’on n’aura pas trouvé la force pour donner aux autres la chanson, pour leur rendre avant qu’on crève soi toute cette infection et cette bouze… »

Et cette page, tirée de Casse-pipe, dont la rédaction a débuté en1937, à propos de la consommation d’alcool du jeune cuirassier Destouches, qui s’achève sur ces mots : « J’avais l’estomac tout en flammes. Le blanc c’est terrible d’âcreté, celui de la cantine c’est-à-dire. Malgré lesrigueurs de novembre je sentais pas du tout la bise même dans un léger bourgeron. Je brûlais par l’intérieur. J’étais gorgé de carbure. J’avais toujours dans mes sacoches, planquées, au moins deux chopines. »

L’exposition est accompagnée d’uncatalogue richement illustré, édité par les Éditions Gallimard.

Galerie Gallimard

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9 Messages

  • Viktor Kirtov | 1er juillet 2022 - 15:19 1

    Gallimard a décidé d’exhumer un deuxième roman inédit de l’auteur de "Voyage au bout de la nuit".
    Après le succès de "Guerre", sorti en mai, sa suite intitulée "Londres" paraîtra le 14 octobre prochain.
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    Céline superstar des librairies. Après le succès de Guerre, qui s’est vendu à plus de 140.000 exemplaires depuis sa sortie début mai, les éditions Gallimard annoncent la sortie d’un deuxième roman inédit de l’écrivain controversé. Londres, qui paraîtra le 14 octobre prochain, est tiré de manuscrits abandonnés par Louis-Ferdinand Céline, collaborationniste, lorsqu’il avait quitté précipitamment Paris en juin 1944 pour l’Allemagne.

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    Le retour du soldat Ferdinand

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    Guerreracontait la convalescence d’un soldat grièvement blessé au front en 1915 et s’achevait sur le départ du protagoniste, le brigadier Ferdinand, pour l’Angleterre.Londres, écrit en 1934, en "est la suite directe", indique Gallimard. "Ferdinand prend domicile dans une mansarde de Leicester Pension, où Cantaloup, un maquereau de Montpellier, organise un intense trafic sexuel avec la complicité d’un policier", ajoute l’éditeur.


    Louis-Ferdinand Céline à Paris, en 1951 - AFP
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    Après un itinéraire qui n’est pas connu, ces manuscrits inédits de Céline ont été donnés à un journaliste, Jean-Pierre Thibaudat. Après les avoir longtemps conservés en secret, il a dû les restituer aux ayants droit de l’auteur de Voyage au bout la nuit, en juin 2021. La maison Gallimard s’était alors montrée déterminée à publier ces inédits avant que toute l’œuvre de Céline ne tombe dans le domaine public, en 2032.

    L’écrivain n’a pas fini de faire l’actualité puisque l’éditeur prévoit d’autres parutions, avec notamment une version remaniée deCasse-pipe, un roman inachevé paru en 1949 sur la vie de caserne avant la Première Guerre mondiale, etLa Légende du roi Krogold, un conte médiéval que l’éditeur Denoël avait refusé.

    Jérôme Vermelin, TF1-Info, 30/06/2022
    Source AFP


  • Viktor Kirtov | 8 juin 2022 - 21:11 2

    « Guerre » de Louis-Ferdinand Céline est aujourd’hui au sommet du palmarès en France et arrive dans les librairies du Québec jeudi (9 juin 2022). Le reportage de Louis-Philippe Ouimet de Radio Canada :

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    Radio Canada

    En addendum à La grande "Guerre" de Céline

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  • Viktor Kirtov | 5 juin 2022 - 09:15 3

    Entretien avec François Gibault

    Lucien Rabouille
    Causeur, 1 juin 2022


    Francois Gibault © BALTEL/SIPA
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    L’avocat de 86 ans, biographe attitré de Louis-Ferdinand Céline, a organisé la publication deGuerre, le manuscrit retrouvé du grand écrivain, jadis volé et subitement réapparu. Entretien.


    Causeur. Pourquoi ne découvre-t-on qu’aujourd’huiGuerre, le texte inédit de Louis-Ferdinand Céline ?

    François Gibault. En 1944, Céline se sait soupçonné de collaboration et quitte brutalement la France. Au nom de la Résistance, Oscar Rosembly, un monsieur qu’il connaissait bien car il était son comptable, perquisitionne son appartement. Il n’est pas douteux d’affirmer que c’est lui qui a emporté les manuscrits. Il a d’ailleurs été condamné ensuite pour d’autres vols. Céline ne pouvait les emporter avec lui en Allemagne – il aurait fallu pour les emporter une valise de près d’un mètre de largeur et Céline ne part qu’avec l’essentiel.
    Nous sommes restés longtemps sans aucune nouvelle de ces manuscrits. Des céliniens comme moi se sont alors mis à leur recherche. Deux céliniens, Emile Brami et Véronique Chovin, avaient réussi à joindre la fille d’Oscar Rosembly qui confirmait posséder ces manuscrits, mais ajournait chaque rendez-vous.


    François Gibault en mai 2022. D.R.
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    Et les manuscrits sont alors réapparus de manière, on peut le dire, providentielle…

    Oui. À l’été 2020, l’avocat de Jean-Pierre Thibaudat, un journaliste, me téléphone pour me dire que son client possédait – et depuis un certain temps [1]– des manuscrits de Céline. En tout cas, la liste qu’on nous a fait parvenir était formelle : il s’agissait exactement des manuscrits que Céline avait déclarés volés chez lui. Simplement, Thibaudatrefusait de remettre les manuscrits à Lucette Destouches alors qu’elle était l’héritière de son mari. Thibaudat avait reçu interdiction de les remettre à Lucette Destouches et il a attendu sa mort pour prévenir ses héritiers (Véronique Chovin et moi).Pendant huit mois, nous avons demandé qu’il nous les remette et, devant son refus, nous avons porté plainte pour recel. Convoqué par la police, il a aussitôt apporté les manuscrits pour qu’on nous les remette. Depuis, nous avons œuvré avec Antoine Gallimard pour passer contrat et veiller à ce que ces livres inédits soient publiés.

    Par ses retournements et imprévus, cette histoire de manuscrits volés semble étonnamment célinienne…

    C’est en effet très célinien mais avec Céline, c’est toujours comme ça. J’ai pu m’en apercevoir en travaillant sur sa biographie. On volait de surprises en surprises. Il pouvait toujours faire quelque chose et son contraire. Ces paradoxes se retrouvent dans ses prises de position. C’était un anarchiste qui aimait l’ordre, c’était un généreux qui était avare…
    Céline fait plusieurs fois mention de ces manuscrits dans son œuvre. Il se plaint de leur perte, il répète partout qu’on l’a volé à la fin de la guerre et personne ne le croit. Comme il en rajoutait toujours dans ses romans, tout le monde disait alors « c’est du Céline, c’est du Céline ». En fait, ce n’était pas « du Céline », mais du vrai !

    C’est au cours de votre travail éditorial avec Antoine Gallimard que vous avez pu apprécier la qualité littéraire des manuscrits inédits. Qu’en avez-vous pensé ?

    En allant voir Antoine Gallimard pour passer un contrat avec lui, nous ne savions rien de l’ouvrage. On pouvait même craindre quant à sa qualité, et penser que Céline, volontairement, n’avait pas voulu publierGuerreen le trouvant mauvais ou inabouti. Or ce n’est pas le cas du tout. C’est un très bon livre – même se l’écrivain l’aurait probablement complété et corrigé. La critique est assez unanime, les quotidiens et les hebdomadaires ont tous dit que c’était un excellent Céline. Ce qui fait qu’en une semaine on en a vendu 80000. Certains libraires ont immédiatement épuisé leur stock.

    Comment est construit l’ouvrage, et que raconte-t-il ?

    Il y a deux parties dans le livre.
    La première est presque autobiographique. Elle raconte l’expérience combattante et la blessure. Céline a en effet été blessé en octobre 1914, tout à fait au début de la guerre. Les premières pages sont extrêmement poignantes, on sent qu’elles sont vraies. Il évoque la guerre comme l’abattoir international de la folie.
    Pour le reste, la majeure partie du livre concerne la convalescence, notamment marquée par la rencontre grivoise avec une infirmière, mais aussi par des discussions avec des souteneurs ou encore les parents. Tout cela donne des pages fulgurantes.
    On voit que les soldats de la Grande guerre étaient privés de tout dans les tranchées durant des semaines, voire des mois. Or ce sont des hommes, et ils ont des besoins. On assiste dansGuerreà des séquences avec des infirmières parfois jeunes, parfois jolies, qui se chargent de les soulager.

    Guerre jette-t-il un nouveau regard sur l’œuvre de Céline, ou est-ce une tarte à la crème que d’affirmer cela ?

    Sur un plan thématique, il y a trois éléments fondamentaux dans ce livre qu’on retrouve ailleurs dans toute son œuvre. Il y a la mort, bien sûr, et aussi la sexualité. Et on y retrouve surtout la guerre, qui suivra son œuvre partout. L’ouvrage confirme ce qu’on subodorait : la guerre marque une rupture profonde pour Céline. Elle va agir pour lui comme un révélateur. Céline devient radicalement hostile aux hommes qui ont poussé à la guerre, et à ce monde qui l’a permise – notamment le monde de ses parents. Céline entre en révolte, il réfléchit alors sur le monde politique, parlementaire, sur le monde des bien-pensants…
    De ce rôle que la guerre a joué dans la vie de Céline, je peux presque parler comme témoin. Je suis né en 1932, mon père avait fait la guerre de 1914. Je me souviens de ce qu’il disait, lui qui partageait globalement les idées de tous les anciens combattants. Ils revenaient de ce qu’ils appelaient « la der des ders », ils disaient tous « plus jamais ça ». Ils voyaient la guerre revenir, ils savaient tous qu’on allait perdre… la suite leur a donné raison.

    Causeur

    [1On ignore comment ils sont passés des héritiers de Rosembly aux mains de Thibaudat, et ce mystère reste entier NDLR.


  • Viktor Kirtov | 28 mai 2022 - 10:12 4

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    ou « le dire inné de Céline »
    Illustration : benoit.monneret@gmail.com
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  • Viktor Kirtov | 18 mai 2022 - 12:16 5

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    Louis-Ferdinand Céline en 1955. Roger-Viollet >
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    L’ex journaliste de Libé, Jean-Pierre Thibaudat, soutient avoir été dépositaire de manuscrits inédits de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline. Alors que l’une de ces œuvres, « Guerre », paraît en librairie, sans qu’il n’y soit associé, il révèle préparer un livre sur ce feuilleton littéraire.

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    « Je n’ai rien reçu, j’irai acheter le livre quand il sera en librairie et je verrai bien si ma retranscription et la leur sont identiques… » Jean-Pierre Thibaudat ne montre pas d’amertume. Il pourrait, pourtant. En 2020, c’est lui, l’ancien journaliste de Libé, qui a contacté les ayants droit de Céline pour leur expliquer qu’il détenait les manuscrits inédits, disparus à la fin de la guerre dans l’appartement de l’écrivain. Jean-Pierre Thibaudat soutient avoir été dépositaire de ce trésor via un canal à qui il a promis le secret, mais qui avait posé pour exigence « d’attendre la mort de la veuve Céline ».

    Outre les manuscrits inédits, Thibaudat a aussi été dépositaire detous les papiers, lettres, photos, qui se trouvaient dans l’appartement de la rue Girardon quand Céline a quitté Paris en 1944. « Mon souhait était de tout donner à un fonds public », répète-t-il, se défendant pour sa part de toute arrière-pensée financière. En retour, il écope, de la part des deux ayants droit de la veuve Céline, son avocat et sa confidente… d’une plainte pour recel qui sera finalement classée sans suite. Exit Thibaudat. Son nom n’est même pas cité dans la préface de Guerre. « Il n’est pas opportun de rapporter ici les circonstances dans lesquelles le manuscrit(…)est entré en possession des héritiers de Lucette Almansor », cingle Me François Gibault.

    Presque « amusé » d’être à ce point rayé de la carte, Jean-Pierre Thibaudat promet, à l’inverse, de bientôt « tout révéler ». « Je prépare un livre dans lequel j’espère bien pouvoir tout dire », indique-t-il àMarianne. Ce sera donc à lui que reviendra le dernier mot. Celui de raconter l’histoire folle de ces textes volés, cachés, réapparus puis âprement disputés, le tout dans un mélange de mystère, de réseau de résistance et de querelle de gros sous – une « sauce » toute Célinienne. Ultime ironie, Colette, la fille unique de l’écrivain, avait renoncé à l’héritage de son père en 1961. Elle le croyait ruiné. Ses trois enfants et petits-enfants, au vu des succès de librairie qui s’annoncent, peuvent s’en mordre les doigts.

    Laurent Valdiguié
    Marianne, 05/05/2022


  • Viktor Kirtov | 7 mai 2022 - 11:30 6

    Un chef-d’œuvre, estime Julien Burri le critique du quotidien suisse “Le Temps”.

    Le Temps , 05/05/2022

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    Un exemplaire de Guerre, un roman inédit de Louis-Ferdinand Céline publié le 5 mai 2022 aux éditions Gallimard PHOTO / AFP / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT
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    C’est un événement littéraire comme on en compte peu dans un siècle. Soixante et un ans après sa mort, un roman inédit de l’un des auteurs les plus importants du XXe siècle, Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), est livré à la connaissance du public. Guerre, c’est son titre, est publié chez Gallimard ce jeudi 5mai. Il a très probablement été écrit en 1934, soit deux ans après la parution du premier chef-d’œuvre de l’écrivain, Voyage au bout de la nuit.

    Tel qu’il nous est parvenu, Guerre commence par cette phrase, plongeant d’emblée le lecteur dans la boucherie de la Première Guerre mondiale :

    “J’ai bien dû rester là encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi. Entre les deux, il y avait un bruit immense.”

    Ferdinand, double de l’auteur, vient de recevoir une balle dans le bras et une autre dans la tête. Il n’arrive pas à faire taire le terrible vacarme qui résonne dans son crâne. “J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête”, écrit Céline plus loin.

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    Un roman échevelé

    C’est un homme “sonné”, qui se traîne dans la campagne, bientôt pris en charge par les Britanniques, conduit dans un hôpital de fortune installé dans une église, vers Ypres, en Belgique, puis transféré à “Peurdu-sur-la-Lys” (transposition romanesque de la ville d’Hazebrouck, dans le nord de la France, où Céline a réellement été soigné d’octobre à novembre 1914).

    De taille modeste (150 pages), Guerre glisse peu à peu du récit biographique au roman de plus en plus échevelé, noir, lubrique, plein d’un humour rageur. Comme si la guerre et ses atrocités appelaient, par réaction, le déchaînement des corps et des désirs bestiaux. “Bander un coup féroce” permet de vivre encore, de résister à la déchéance, aux souffrances sans nom, à la peur de la mort.

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    Feuillets volés

    Ce texte, qui s’est volatilisé de l’appartement de Céline en 1944, a réapparu en août 2021, après une rocambolesque éclipse. Antisémite virulent, Céline a publié à la fin des années 1930 et au début des années 1940 des pamphlets de triste mémoire, hystériques et nauséabonds, qui ont été largement diffusés. Parmi eux, Bagatelles pour un massacre, en 1937. À la libération de Paris, Céline fuit avec sa femme Lucette et leur chat Bébert à Baden-Baden, puis à Sigmaringen, rejoindre les Pétainistes, avant de s’exiler au Danemark. Il laisse les pages de Guerre sur une armoire, dans son appartement parisien, où il sera mystérieusement dérobé, parmi 5324 autres feuillets autographes.

    L’historien Pascal Fouché, spécialiste de l’écrivain, a assuré l’édition de Guerre. Entre octobre 2021 et janvier 2022, il a patiemment déchiffré le manuscrit : “C’est en commençant la transcription détaillée que j’ai pris la mesure de l’importance de ce texte. On s’est vite rendu compte qu’il y avait une force, une puissance, et qu’on retrouvait le Céline que l’on aime”, explique-t-il au téléphone.

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    Texte rédigé au stylo

    Céline raconte, en la romançant, sa propre expérience de la guerre. Vingt ans avant l’écriture de Guerre, à l’automne 1914, il a été gravement blessé au bras, et sa tête a manifestement heurté un arbre, à la suite d’une explosion, provoquant un traumatisme dont les séquelles le marqueront à vie. “C’est un épisode qui manquait dans son œuvre. Il était seulement évoqué dans Voyage au bout de la nuit. Ainsi, Guerre comble un vide”, précise Pascal Fouché.

    Le texte est rédigé au stylo. Quelques corrections ont été apportées par Céline au crayon. Ce sont de grandes feuilles, parfois des formulaires du dispensaire de Bezons [Val-d’Oise], où l’écrivain et médecin officiait à l’époque ; il s’est servi du verso qui était vierge. “On voit que c’est un premier jet”, explique Pascal Fouché. “Il y a des répétitions, des mots laissés en blanc, des personnages qui changent de nom… La mise au net, chez Céline, on sait qu’elle intervient après. Il écrit avec une énergie extraordinaire. Il faut que cela sorte. Il rédige ce texte vingt ans après les faits, mais ils sont encore très présents dans sa tête… Il écrit comme un médecin, très mal ! (rires). Quelques mots sont demeurés malheureusement illisibles.”

    Céline retravaillait beaucoup ses textes. “Il faisait plusieurs versions. Lorsqu’il en avait une qu’il estimait aboutie, il la faisait dactylographier. Ensuite, il la reprenait, y compris sur les épreuves”, poursuit le spécialiste. Pourtant, ce roman n’a rien d’une ébauche, d’un brouillon ou d’un fond de tiroir. Sa puissance nous saisit, à presque 90 ans de distance.

    On imagine qu’il manque un passage au début du texte, une première partie”, précise l’universitaire. “Le récit de la guerre qu’a fait Destouches, entre août et octobre 1914, entre le moment où il est mobilisé et sa blessure, n’est pas raconté. Il en dit quelques mots dans Voyage au bout de la nuit, mais pas plus. L’a-t-il écrit ? On peut imaginer que cette partie nous manque. ” Un détail permet de le penser, en plus du début abrupt du texte : sur le premier feuillet du manuscrit figure le chiffre 10, entouré, en haut à gauche, ce qui indique qu’il n’était pas le premier.

    “On ne le saura sans doute jamais, à moins que d’autres manuscrits ne réapparaissent…”

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    Un titre peu célinien

    Céline aurait-il pu publier ce texte en 1934 ? “Denoël avait censuré certains mots de Mort à crédit, rappelle Pascal Fouché. Mais, par rapport au contenu de Guerre, les mots caviardés dans Mort à crédit nous semblent presque anodins ! On a rarement lu des choses aussi crues sous la plume de Céline.” Une vulgarité qui est souvent très drôle. “Il y a beaucoup d’humour, dans certains passages, j’ai ri en les transcrivant. D’autres sont plus émouvants, plus sombres”, confie le chercheur.

    Quant au titre, il paraît, dans son minimalisme, peu célinien. Le 16 juillet 1934, dans une lettre à l’éditeur Robert Denoël, Céline annonce les trois œuvres sur lesquelles il travaille : “Enfance – Guerre – Londres.” C’est pourquoi Guerrea été retenu comme titre aujourd’hui.

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    Corps qui s’accouplent

    Ferdinand, blessé, est soigné par une infirmière, Mademoiselle L’Espinasse, aux mœurs de plus en plus étranges. À la fois protectrice et vampire, elle “sonde” les soldats par plaisir sadique et “s’occupe aussi un peu de leur faire du bien”, les “branlant” à répétition, se livrant même à une fantasmagorique scène de nécrophilie, sous les yeux d’un Ferdinand tétanisé. Ce n’est pas la seule femme dominatrice et libérée de ces pages. Le compagnon de chambrée de Ferdinand, Cascade, est souteneur. Il fait venir à Peurdu-sur-la-Lys sa femme, Angèle, pour la prostituer. Les injures pleuvent, au sein du couple, dans une autre scène mémorable, une réception convenable chez d’ennuyeux bourgeois, qui regardent la guerre depuis le confort de leur salon. Angèle a le dessus. Elle prend sous son aile Ferdinand. Bientôt, ils partiront pour Londres.

    Les coups de canon font trembler les vitres, les malades agonisent, Cascade est fusillé… Aux machines de guerre répond la mécanique des corps qui s’accouplent. Caché dans une armoire, Ferdinand voit la belle Angèle pratiquer son métier avec un puissant Écossais rouquin. “On dirait un alezan sur elle. C’est bien simple. Au pas, au trot, au galop, et il saute l’obstacle, un coup de cul, encore un autre, pas violent, il la bourre que c’est beau.” La mécanique parfaite des corps qui s’emboîtent est à l’image de la langue célinienne : elle aussi séduit et possède son lecteur.

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    “Petits morceaux d’horreur arrachés au bruit”

    Il a rarement été aussi loin dans la description de la sexualité”, estime Pascal Fouché. “À cette époque, Céline a été quitté par Elizabeth Craig, est-ce que cela correspond à une période où il est plus sensible à ce thème ? ” Quant à l’inoubliable infirmière L’Espinasse, aurait-elle été inspirée par Alice David, une infirmière d’Hazebrouck pourtant réputée très pieuse ? Là encore, le romancier aurait pris des licences avec la réalité biographique…

    Prisonnier d’un “casque de vacarmes presque impénétrables”, Ferdinand est changé par la guerre, il ne sera plus comme les autres hommes, restés en arrière. Mais le choc, paradoxalement, l’a aussi libéré, comme le lecteur l’apprendra : “Le coup qui m’avait tant sonné si profondément, ça m’avait comme déchargé d’un énorme poids de conscience, celui de l’éducation comme on dit, ça, j’avais au moins gagné.” Cette langue puissante, qui rejette les convenances hypocrites, est une réponse à la “saloperie d’aventure” de la guerre. “J’ai appris à faire de la musique, du sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais”, poursuit le narrateur.

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    D’autres inédits à venir

    Guerreconstitue un puissant choc littéraire. Gallimard a prévu un premier tirage de 80000 exemplaires, à la hauteur de l’événement. D’autres ajouts majeurs à la bibliographie célinienne sont annoncés. À l’automne 2022, paraîtront le roman Londres et un conte, La Volonté du roi Krogold, refusé par l’éditeur de Céline à l’époque. En 1923, seront publiées une version complétée de Casse-pipe, ainsi qu’une nouvelle édition mise à jour du troisième tome des œuvres de Céline dans La Pléiade.

    Julien Burri


  • Viktor Kirtov | 30 avril 2022 - 19:33 7

    Le premier des romans inédits, redécouverts en 2021, de l’auteur de « Voyage au bout de la nuit », paraît le 5 mai. « Le Monde » l’a lu. « Guerre » est un texte bref, vif, tragique et lubrique, à ranger à côté des chefs-d’œuvre de l’écrivain. Un événement.

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  • Viktor Kirtov | 29 avril 2022 - 11:16 8

    A l’occasion de la sortie de « Guerre », roman inédit de Louis-Ferdinand Céline (Gallimard, 5 mai). François Gibault, écrivain, avocat et légataire universel de la femme de Céline, et Pascal Fouché, historien, qui a établi l’édition de Guerre, sont les invités du 7/9 de France Inter.

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  • Viktor Kirtov | 28 avril 2022 - 10:47 9

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    Par David Alliot
    Le Figaro, 27/04/2022


    Louis Destouches au Val-de-Grâce (décembre 1914) (3eme à partir g.) - : © Collection Véronique Chovin
    Galerie Gallimard
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    CRITIQUE - L’un des inédits de Céline récemment retrouvés paraît en librairie. Écrit après Voyage au bout de la nuitet avant Mort à crédit, c’est une œuvre autobiographique riche d’enseignements.

    « J’ai bien dû rester là encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi.  » Nous sommes en 1934, vingt ans après les faits, l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, tout juste auréolé du succès de Voyage au bout de la nuit, et à ce moment-là en pleine rédaction de Mort à crédit, jette sur le papier les premières lignes d’un roman qui raconterait la guerre de1914 et ses horreurs, SA guerre. Quatre-vingt-dix ans après les avoir achevés, il nous est enfin permis de découvrir ces textes complètement inconnus, et « retrouvés » en2021, après une rocambolesque histoire.

    Quand il entame l’écriture de ce qui deviendra Voyage au bout de la nuit, vers1929, Céline entreprend une « œuvre totale » et autobiographique qui engloberait sa jeunesse, son service militaire, la guerre, l’Afrique, et son expérience de médecin de banlieue. Mais très vite, probablement dépassé par la richesse du « matériau », il décide de découper tout cela en plusieurs parties. Exit la jeunesse, qui deviendra Mort à crédit, et publié en1936, exit Londres qui deviendra Guignol’s Band, publié en1944, exit le service militaire et la guerre, qui deviendront Casse-pipe, qui sera abandonné en1937 pour la rédaction de Bagatelles pour un massacre, son pamphlet antisémite. Reste la matrice de ce qui deviendra Voyage au bout de la nuit : une narration qui démarre par la guerre de1914, l’Afrique, NewYork, son expérience de médecin à Clichy.

    Des pages crues et émouvantes

    Le premier roman de Céline est publié en1932 et est un succès commercial, à cause, ou grâce, au scandale de la non-attribution du prix Goncourt à l’écrivain. Dès1933, Céline se lance dans larédaction de Mort à crédit, son deuxième livre, celui dans lequel il raconte son enfance, jusqu’à son incorporation au 12e régiment de cuirassiers, dont la rédaction s’étalera jusqu’au début de l’année 1936. Dans une lettre à Robert Denoël, son éditeur, et datée de1934, Céline annonce que son deuxième roman traitera « Enfance, guerre, Londres ». Est-ce que les manuscrits retrouvés de Guerre et Londres sont la deuxième et la troisième partie de Mort à crédit tel qu’il l’avait conçu à l’origine ? C’est possible, mais Mort à crédit s’achève brutalement sur l’engagement du jeune Bardamu au 12e régiment de cuirassiers, pas dans les Flandres en1914… Le mystère reste entier… Peut-être que, à nouveau, devant l’imposante taille que prenait le manuscrit de Mort à crédit, Céline a « abandonné » son triptyque originel, et s’est concentré sur l’enfance, et que Guerre et Londres sont les ébauches, les premiers jets, de ces parties.

    À lire aussi Proust contre Céline, la rivalité d’outre-tombe

    La lecture de Guerre est pour le moins déroutante. Le livre commence par un récit autobiographique, rarement usité par Céline dans le reste de son œuvre. On découvre Ferdinand grièvement blessé après qu’un obus a anéanti sa compagnie, faisant de lui le seul survivant. Ces pages sont très crues et émouvantes, car, pour la première fois, Céline revient sur un moment de sa vie qu’il n’évoquera que très vaguement, à divers témoins, comme aux journalistes venus l’interroger. Bien entendu, Céline en rajoute, « il faut noircir et se noircir » disait-il souvent. Dans la réalité, il a été blessé par une balle, pas par un obus, il était seul, à pied, et pas à cheval, en groupe… Mais le bras blessé et les souffrances cérébrales sont bien réels, et il les décrit assez clairement. Très vite, le romanesque reprend le dessus. On devine entre les lignes que l’objectif de cette troupe n’était pas très clair, et n’avait pas grand-chose à voir avec la gloire militaire.

    Avec l’aide d’un soldat anglais, « Ferdinand  » est transporté à l’arrière, à Peurdu-sur-la-Lys (Noirceur-sur-la-Lys dans Voyage, Hazebrouck dans la réalité) où il va être soigné. C’est à ce moment-là, vers la quarantième page, que le style change. On retrouve une narration romanesque plus habituelle chez Céline, les fameux « trois petits points » sont de retour, les aphorismes aussi, le vocabulaire salace également. Très clairement, à partir de ce moment-là, d’un point de vue stylistique, Guerre est très proche de la verve célinienne de Mort à crédit, plutôt que de Voyage au bout de la nuit. Et les passerelles entre Guerre et le deuxième roman de Céline sont nombreuses.

    Morceaux de bravoure

    Mais Guerre est aussi un « premier jet » avec ses qualités et ses défauts. Le texte est inégal, on sent très clairement qu’il n’a pas été retravaillé, policé, comme les autres romans de l’écrivain. La trame narrative n’est pas toujours très fluide, pas toujours cohérente non plus. Certaines phrases ne sont que des embryons de situations. Certains protagonistes changent de nom en cours de lecture. Céline disait qu’il retravaillait ses textes sans relâche, et on veut bien le croire, tant Guerre recèle en lui les promesses d’un chef-d’œuvre.

    A contrario, et malgré les défauts énoncés plus haut, Guerre montre aussi à quoi ressemble un roman de Céline à l’aube de son élaboration, et, malgré tout, on ne peut que rester admiratif devant la maîtrise de l’écriture et la qualité de l’ensemble. Quatre-vingt-dix ans après sa rédaction, Guerre peut tenir la dragée haute à beaucoup de romanciers contemporains… Car si ce texte est malheureusement inégal, on ne peut passer sous silence les morceaux de bravoure qu’il contient et qui sauvent l’ensemble. Les thématiques céliniennes sont bien présentes dans ce livre, comme le pessimisme ambiant, la noirceur, la méchanceté des hommes, le sordide des situations. Comme dans Mort à crédit, Céline y a insufflé son fameux « langage parlé » truffé d’argot, qui fera merveille dans ses romans.

    Pourquoi Céline a-t-il abandonné la rédaction de son texte ?

    Certaines pages sont absolument formidables, comme la visite des parents de Ferdinand à l’hôpital, qui évoquent immanquablement les plus belles pages de Mort à crédit. Au fil du texte, on y retrouve des passages de La Volonté du roi Krogold, un conte celtico-médiéval également cité dans Mort à crédit, et dont le manuscrit a été aussi retrouvé l’année dernière. Plus on progresse dans la lecture, plus le style s’affirme et s’impose au lecteur. Les derniers moments à Peurdu-sur-la-Lys et le départ pour Londres sont extraordinaires. Plus trivialement, les scènes de sexe surpassent allégrement en obscénité celles (déjà bien garnies) de Mort à crédit, et ne manqueront pas de finir un jour ou l’autre dans une anthologie du genre…

    Guerre est un livre polymorphe, un livre charnière, à la croisée de ses deux premiers romans. Mais reste une grande énigme, pourquoi Céline a-t-il abandonné la rédaction de son texte ? On l’ignore. L’écrivain garde ses mystères. Peut-être qu’à nouveau dépassé par la richesse du matériau autobiographique, a-t-il laissé Guerre pour se concentrer sur Casse-pipe, dont la publication en2023 des 800 pages du manuscrit, s’annonce comme un événement littéraire. De façon générale, ces inédits révolutionnent l’ensemble de nos connaissances sur Céline et par ricochet celles de la littérature du XXe siècle. Toute la recherche est à refaire. « Du pain pour un siècle de littérature », avait prédit Céline. L’avenir nous le dira.

    *Dernier ouvrage paru : « Madame Céline », Tallandier, « Texto », 2022.

    Guerre de Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, 185 p., 19 €. En librairie le 5 mai. Gallimard