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Ukraine : Le prix du temps, par André Markowicz, traducteur de Dostoievski

D 12 mars 2022     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Ceux qui croient ou essaient de faire croire que dénoncer la politique criminelle de Poutine serait être contre la Russie, les Russes et la culture russe doivent lire et écouter André Markowicz, traducteur de Dostoïevski.

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Du feu s’élève d’une zone résidentielle à Marioupol,
assiégée et bombardée par l’armée russe, le 3 mars 2022.

Le prix du temps

André Markowicz, 12 mars

Il faut du temps. Le temps, aujourd’hui, à Marioupol, c’est au moins 1200 morts civils (sans doute beaucoup plus), l’impossibilité d’enterrer les gens (on enterre ceux qu’on peut dans des fosses communes), il y a plus de 200.000 habitants, sans eau, sans électricité, bientôt sans nourriture (pas encore), les gens vivent (survivent, non, vivent) dans les caves, et comme les assauts frontaux ont échoué, et qu’ils vont échouer, nous en sommes à ce que je disais, la destruction systématique des villes, avec, spécialement, comme à Alep, des frappes sur les hôpitaux, les écoles, c’est-à-dire très clairement sur les femmes et les enfants, pour écraser les gens, pour ruiner leur moral. C’est ce qui s’est passé à Grozny : une ville rasée totalement, une population traumatisée, réduite à la misère, et, là, on met en place un pouvoir « local » (qui, en l’espace de quelques années, allait échoir à Kadyrov).
C’est visiblement la même chose sur Tchernigov, et sur Kharkov, et ce sera sans doute pareil, à un moment où un autre, sur Kiev. — Les troupes russes sont à 15 km, à Irpen’... Et moi, au nom d’Irpen, je ne peux pas m’empêcher d’entendre un poème magnifique de « Seconde naissance » de Boris Pasternak, un de ses plus grands poèmes, «  L’Été », (que je suis bien incapable de traduire), parce que c’était, là, en 29-30, un lieu de datchas, de forêts... En 1930, Pasternak y était venu, avec des amis. Il parlait de ce séjour comme d’un « banquet de Platon pendant la peste », parce que le « banquet (ou le festin) pendant la peste », c’est une pièce de Pouchkine, — extraordinaire. Les chars y sont, à Irpen, et les maisons sont détruites.

*

Je dis que Poutine va tomber, j’en suis certain. Ça n’aide pas, de dire ça. Parce que, quand, il va tomber, personne ne le sait. — Dans un mois, dans deux mois, — dans un an ? En attendant, au jour au jour, il faut subir. Et subir ça. Il faut bien comprendre ce que c’est, Poutine. Dans la violence, c’est Assad. — Mais cette violence, nous la connaissons même d’avant, et ça aussi, il faut le dire : Milosevic, c’était la même violence.
Mais ce n’est pas que cette violence, que je ne peux pas nommer aveugle, dès lors qu’au contraire, elle s’attaque à ce qui est le plus faible, le plus essentiel de l’humanité. Non, cette violence aux yeux grands ouverts. C’est aussi une vision du monde : le patriarche de toutes les Russies, Kirill, sans doute le prélat le plus corrompu de l’histoire russe, explique, par exemple, qu’il était légitime et nécessaire de se lancer dans cette « opération militaire », parce que, l’Occident, c’est le règne des parades gay. La haine fasciste de l’homosexualité. Et vous verrez, je mets en commentaire une video, que me signale mon ami Marc Kopelowicz : c’est une réponse à une lettre ouverte écrite contre la guerre et signée aujourd’hui par 1500 personnes, d’étudiants et d’anciens étudiants du MGIMO (Institut des relations internationales de Moscou — qui forme l’élite des diplomates russes) — et il faut s’imaginer ce que ça veut dire, aujourd’hui, en Russie, de signer une protestation contre la guerre. Et donc, ce que vous voyez, c’est une réponse, d’étudiants qui soutiennent la guerre et s’adressent à Zélinski en lui rappelant la fraternité aux combats de leurs grands-parents et en lui demandant de « dénazifier » son pays tout en reconnaissant l’indépendance des états du Donbass. Je ne vous traduis pas le texte, parce que, ce qui compte, ce n’est pas le texte, c’est la mise en scène. — Et vous avez trois jeunes gars, en complet veston, qui parlent, l’un après l’autre. Trois mecs. Pendant que les filles, sagement, sont à l’arrière et se taisent. — C’est une petite video de rien du tout, mais ça dit plein de choses : le monde de Poutine est aussi celui-là, celui où les femmes sont des ventres pour produire les mâles qui prononceront des discours bien cadrés et qui feront la guerre.
L’économie, au jour le jour, s’effondre. L’euro est à 145 roubles, c’est-à-dire que la monnaie a perdu en quinze jours la moitié de sa valeur.

*

Le pays continue de se fermer : Meta (Fb et Instagram) a été déclaré « organisation extrémiste » (sic) et tout sera bloqué à partir du lundi 14. La répression continue, avec une violence croissante, contre les gens — toujours nombreux — qui sortent pour protester. L’Etat propose de nationaliser les biens des entreprises qui se sont retirées (il y en a plusieurs centaines... mais toujours pas Yves Rocher, évidemment). Un oligarque russe, Vladimir Potanine, a dit que si ça se faisait, ce ferait revenir la Russie à 1917... Ce qui est intéressant dans cette prise de position, c’est que Potanine (qui, avant la guerre, possédait 28 milliards de dollars) est, parmi cent autres choses, le président de la Ligue de hockey de nuit (ça s’appelle comme ça), ligue qui a été créée parce que Poutine y joue ses matches et qu’il est fou de hockey... Il est un des très très proches de Poutine. Le fait qu’il se permette de protester publiquement contre une prise de décision de son chef est en soi le signe que ça ne va pas du tout dans les cercles les plus restreints du pouvoir. — Or, non seulement ça ramènera le pays en 1917 et ça va obérer pour très longtemps son avenir, puisque les entreprises, dès lors, vont hésiter à revenir, — mais, en plus, c’est une décision stupide pour la raison que, ce qu’ils vont nationaliser, ce sera quoi ? les murs et les stocks existants ? — le savoir-faire, il est parti avec les entreprises.
Un autre signe : Air Astana (l’aviation kazakhe) a interrompu, à son tour, ses vols vers la Russie. — On se souvient du camouflet de Poutine au Kazakhstan (j’en ai parlé). Le Kazakhstan n’est indépendant que formellement : il est, en fait, économiquement, chinois. L’espace de l’empire russe, que Poutine s’acharne à recréer, ne passera plus par là, — et ce n’est pas la Chine, visiblement, qui aidera la Russie.
L’économie russe s’effondre, on reparle d’un mot soviétique, le « déficit », c’est-à-dire de l’absence d’un produit. — Mais cet effondrement, il joue sur le temps long. Sur le temps court, Poutine ramène des troupes et du matériel militaire de tous les coins de la Russie, et le rouleau compresseur, à coups de bombes de 500 kg, voire d’une tonne, écrase les villes d’Ukraine. Et, inlassablement, l’état-major envoie des troupes pour couper le pays en deux, et, oui, il y a de petites avancées. Chaque kilomètre coûte des dizaines de morts, des deux côtés — mais surtout du côté russe. Mais, en Russie, — c’est une autre constante de l’Histoire, — on n’a jamais fait attention à l’individu, et jamais fait attention aux pertes. On avance, la première ligne est décimée, on envoie la deuxième, et la troisième, et ainsi de suite. C’est une machine de mort.
Deux temps : le temps court, où chaque heure vaut des centaines de vies brisées. Un temps long, indéterminé, qui verra l’effondrement du régime de Poutine. Et ça, en attendant : tenir.

André Markowicz, 12 mars 2022

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Autour de Dostoïevski, avec André Markowicz

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Portrait de l’écrivain Fiodor Dostoïevski
par Vasily Perov

L’Heure bleue par Laure Adler, lundi 28 février 2022 et jeudi 3 mars 2022

1. L’Heure Bleue célèbre toute cette semaine Fiodor Dostoïevski, considéré comme l’un des plus grands romanciers russes, et qui a influencé de nombreux écrivains et philosophes avec le traducteur et poète André Markowicz la véritable voix du grand écrivain russe.

Né à Prague d’une mère russe et d’un père français d’origine polonaise, André Markowicz a parlé russe à sa mère et français à son père, c’est pour cela que la traduction a toujours été chez lui spontanée et nécessaire, représentant cet entre-deux qui lui permet de vivre dans les deux cultures.

Sans jamais qualifier les traductions de ses prédécesseurs de mauvaises, il pense qu’ils ont "francisé" Dostoïevski en gommant les particularités de la langue russe peu familières au lecteur français.

Et c’est ainsi qu’il décide, au début des années 1990, de s’attaquer à ce colosse grâce aux éditions Actes Sud, qui lui fait confiance pour retraduire en dix ans l’intégrale de Dostoïevski comme Les Carnets du sous-sol, publié en 1864, longtemps méconnu, qui est pourtant un texte central dans l’oeuvre de Dostoïvski, l’une des raisons pour laquelle André Markowicz l’a choisit pour l’Heure Bleue.

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Je suis un homme malade... Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir. Voilà ce que je suis. Je crois que j’ai quelque chose au foie. De toute façon, ma maladie, je n’y comprends rien, j’ignore au juste ce qui me fait mal. Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs. En plus, je suis superstitieux comme ce n’est pas permis : enfin, assez pour respecter la médecine.

Dans Les Carnets du sous-sol : réfugié dans son sous-sol, le personnage que met en scène Dostoïevski ne cesse de conspuer l’humaine condition pour prôner son droit à la liberté. Et il n’a de répit qu’il n’ait, dans son discours, humilié, diminué, vilipendé les amis de passage ou la maîtresse d’un soir. Un monologue féroce et imprécatoire, magnifiquement rendu par la traduction d’André Markowicz.

L’extrait du livre Les Carnets du sous-sol de Fiodor Dostoïevski est lu par Arthur H sur une musique de Evie.

Musique

La plus triste des chansons d’Arthur H
Bad religion de Cat Power
Into my arms de Nick Cave

Archive

Georges Adamovitch à propos de l’hostilité en Russie à l’égard de Dostoïevski ( il évoque une parole de Leonid Leonov ) - Archive Ina du 1er janvier 1970

Générique Veridis Quo des Daft Punk

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2. André Markowicz, poète et traducteur des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud) a commencé la série "Autour de Dostoïevski" sur France Inter et revient pour la conclure, avec "Les Frères Karamazov" dans l’Heure Bleue.

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Fédor Dostoïevski a marqué la littérature et continuera de la marquer avec ses thèmes intemporels de réflexion sur la condition humaine. Cet auteur se renouvelle perpétuellement par les artistes, traducteurs, psychanalystes qui continuent à le mettre au goût du jour.

En 1990, André Markowicz se lance dans la traductions des œuvres complètes de l’auteur russe après avoir convaincu le fondateur d’Actes Sud. Il répond alors à la grande question de la traduction d’œuvres littéraires, doit-on les renouveler fréquemment ? Pour André Markowicz, les traductions avancent avec les mœurs de l’époque et leur renouvellement est donc essentiel.

Et c’est avec Les Frères Karamazov, le dernier roman (en deux volumes) de l’écrivain, qui reprend tous les thèmes qui ont hanté son oeuvre, que s’achève cette série.

L’extrait du livre Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski est lu par Arthur H sur une musique de Evie.

Musique

Et si en plus y’a personne d’Alain Souchon
Tell me how bad I am d’Animal Triste
La dame du lac d’Arthur H

Archive

Jean Paul Sartre dit qu’il a lu Dostoïevski vers 17 ans au moment où il a voulu devenir écrivain - Archive Ina du 21 avril 1980

Générique Veridis Quo des Daft Punk.

Crédit L’heure bleue

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 22 mars 2022 - 10:41 1

    De ce que je lis, de ce que je vois, l’armée russe n’avance plus, si ce n’est, immeuble à immeuble, dans Marioupol, où, réellement, nous en sommes comme à Stalingrad en octobre 42 (à part que ce sont les soldats de Poutine qui jouent le rôle de ceux de la VIe armée...). Le front n’avance plus. Parce que l’armée russe n’a plus la force d’avancer. La résistance ne fait que se renforcer, et, d’ores et déjà, j’ai l’impression que se confirme ce qu’on disait déjà les premiers jours : l’armée russe ne peut pas gagner cette guerre, même militairement. Les missiles « Kinjal » (Poignard...) n’y feront rien : oui, comme a dit je ne sais plus quel militaire français, ces missiles-là seront, au pire, comme les V2 d’Hitler. Les pertes russes continuent de s’accumuler, à un rythme qui, visiblement, ne faiblit pas, — quelque chose comme 500 morts par jour au minimum, même s’il est extrêmement difficile de le savoir. — Dans une de ses interventions, passant, soudain, de l’ukrainien au russe, Zélenski a parlé de fosses communes découvertes par l’armée ukrainienne, — des fosses communes de soldats russes, — parce qu’il y a centaines de cadavres que les Russes ne reprennent pas ; des cadavres sur lesquels, il y a encore quelques jours, littéralement, ils lançaient vagues d’assaut après vagues d’assaut. Et si les Russes le font, ça, c’est aussi pour une raison pratique. Les soldats « morts pour la patrie », ça mérite une compensation pour les familles, une pension. Mais quand votre fils est « porté disparu », eh bien, vous n’avez droit à rien, parce que, si ça se trouve, il aura déserté... Bref, là encore, c’est quelque chose de sordide. Des « portés disparus », visiblement, il y en aura des centaines, si ce n’est des milliers.
    L’approvisionnement des Russes est toujours aussi catastrophique : je suis tombé sur une video dans laquelle on voit une demande officielle envoyée par la « Garde nationale » (qui participe à la guerre, mais dont les pertes ne sont pas comptabilisées comme pertes militaires, vu que ses hommes ne sont pas formellement des militaires) à l’administration de la province de Voronej. C’est une demande officielle de prélever sur les marchandises destinées à la consommation courante et d’envoyer sur le front des produits de première nécessité : eau en bouteilles plastique, rations alimentaires, chocolat, thé, café, fruits séchés, soupes, biscuits, jus de fruits, tabac, couverts jetables, serviettes en papier, etc.... S’ils demandent ça à l’administration civile, c’est que l’administration militaire ne fournit rien... — Et je rappelle que la Garde Nationale est dirigée par Viktor Zolotov, l’un des mafieux les plus proches de Poutine, sur lequel Navalny avait fait plusieurs enquêtes (dans l’une d’elles en particulier, il expliquait comme Zolotov se payait sur les contrats de nourriture fournie à ses hommes).

    *

    Il faut tenir encore. Et il y a dix millions de « personnes déplacées ». Un quart, donc, de la population totale de l’Ukraine. Un quart de la population, de gens qui, dans les plupart des cas, auront tout perdu quand ils reviendront, s’ils peuvent revenir. Et ça, au bout de même pas un mois de guerre. — Ça aussi, ce seul chiffre, n’est-ce pas le signe que nous sommes en train d’assister à un nettoyage ethnique d’une ampleur inédite ? Comme si l’un des buts de l’armée russe était, tout simplement, d’évacuer les Ukrainiens d’Ukraine. Pas seulement de détruire toutes les infrastructures, toute l’économie, non : évacuer les gens. La chose est, encore une fois, tellement énorme qu’on n’arrive pas à la voir. Et, je le répète, les régions le plus frappées — les régions de l’Est — sont les régions les plus russophones.

    *

    Le président Zélinski est sur tous les fronts, et, à chaque fois qu’il le peut, il en appelle, non pas aux dirigeants de l’Europe, mais au peuple, aux opinions publiques : il dénonce publiquement (d’une façon, je dirais, peu orthodoxe en politique internationale) le manque de réactivité de l’Europe, il met sur le devant de la scène ce qui, généralement, reste derrière les portes. Il pose les questions justes : comment se fait-il que des groupes comme Nestlé et Auchan ne s’associent pas aux sanctions occidentales ? Et c’est, ensuite, aux gens de décider : pouvons-nous, en France, par exemple, faire quelque chose contre ces groupes ?... Zelenski parle comme il parle, et, je le redis, il lutte sur tous les fronts, — comme sous les yeux de tous.
    Son porte-parole, que je suis au jour le jour, Olekséï Arestovitch, explique que nous sommes entrés dans la phase la plus dure, la plus ingrate de la guerre. — En gros, on s’habitue. On s’est indignés au début, on s’agite, on fait des pétitions, mais, à force, la vie, elle continue. Et ça n’avance pas. Et c’est toujours pareil. Et qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? Et on se fatigue. Et on se dit que, oui, on est trop fatigués. Mais il faut continuer. Là, en ce moment, les deux armées ont atteint comme un point d’équilibre : pas d’avance russe, mais l’Ukraine non plus n’avance pas. Il faut encore, et encore se fatiguer : l’équilibre n’existe pas.

    *

    Mais, je ne sais pas, quand je regarde, j’ai comme l’impression qu’il y a un écart entre les négociations (avec un discours, repris par Zelenski lui-même, sur les compromis) et la situation militaire et politique. J’ai peut-être tort, mais j’ai l’impression que l’Occident, tout en fournissant une aide militaire à l’Ukraine, ne lui fournit pas toute l’aide qu’il pourrait, et ne le fait pas pour une raison inavouable : il n’a pas intérêt à la chute de Poutine, parce que la guerre froide est finalement, pour le monde dit-libre, une situation confortable. Je ne sais pas, je serai heureux d’avoir entièrement tort. J’ai le sentiment que nos gouvernants sont en train d’essayer de sauver la mise de Poutine : l’idée serait d’arriver à ce que Poutine puisse dire qu’il a réussi, malgré la catastophe militaire, à faire, je ne sais pas, que l’Ukraine reconnaisse la Crimée russe, ou cesse de demander son adhésion à l’Otan (qui, de toute façon, n’a jamais voulu d’elle). — Je note ça comme ça. Nous verrons bien.

    *

    Encore une chose.
    Jean-Marc Adolphe m’écrit et me demande si je connais Olexander Kislyuk. Je ne connais pas Olexander Kislyuk. Je regarde qui c’est : un homme de mon âge, soixante ans, un philosophe et un traducteur, en ukrainien, de Tacite, d’Aristote, auteur de très très nombreux livres. — Olexander Kislyuk a été tué. Il n’est pas mort sous les bombes, il a été tué par balles. Exécuté, chez lui, à Bucha, ville occupée par l’armée russe. Je ne le connaissais pas, donc. Je ne lis l’ukrainien que très difficilement, et je n’avais aucun accès à son travail. Mais cette exécution, dont je ne sais rien, m’a comme transpercé. Parce que, qu’est-ce que c’est ?... Il a été tué juste comme ça, par hasard (un crime de guerre parmi des centaines, des milliers d’autres ?), ou bien il a été tué pour une autre raison ? Parce qu’il était un des grands intellectuels ukrainiens ?... — Et puis, un autre mort : Boris Romantschenko, âgé de 96 ans, qui avait survécu à Buchenwald, à Dora et à Bergen-Belsen, a été tué à Kharkov, par une bombe russe qui est tombée sur son immeuble (mais les Russes, on le sait bien, ne frappent pas les civils...). Comme si toute la guerre de Poutine pouvait se résumer là, dans la mort de cet homme.

    André Markowicz, 22 mars 2022


  • Albert Gauvin | 15 mars 2022 - 12:07 2

    Le traducteur né à en Tchécoslovaquie d’une mère russe, explique dans une tribune au « Monde », que rien ne devait séparer les Ukrainiens et les Russes, et que ces derniers, dans « leur majorité silencieuse, sont atterrés » par l’agression commise en leur nom contre leur voisin. LIRE ICI.