Kaboul, 15 août 2021
A l’issue d’une offensive éclair, les talibans ont atteint la capitale, Kaboul, dimanche 15 août. Cette journée annonce le retour au pouvoir du mouvement islamiste radical,vingt ans après en avoir été chassé. Le président afghan, Ashraf Ghani, en fuite à l’étranger reconnaît la victoire des talibans. Evacuation en catastrophe des ambassades. L’Amérique sidérée par l’ampleur de sa défaite en Afghanistan.

Un hélicoptère américain évacue le personnel de l’ambassade des Etats-Unis à Kaboul, le 15 août 2021 . (WAKIL KOHSAR / AFP)
« L’histoire retiendra peut-être cette photo d’Associated Press prise dimanche matin : un hélicoptère américain de transport de troupes Chinook qui survole le toit bardé d’antennes de l’ambassade américaine. Saïgon, 30 avril 1975 ; Kaboul, 15 août 2021. L’analogie est frappante, évidente, malgré les dénégations de la Maison Blanche. Un pouvoir qui s’effondre, une armée qui se débande, des étrangers évacués en catastrophe, des habitants qui n’ont d’autre choix que de rester. Les talibans, chassés du pouvoir par une intervention américaine en 2001, sont entrés dans Kaboul. Depuis quelques heures, la capitale n’était plus qu’une enclave de ce qu’il reste du gouvernement afghan dans un pays qu’ils ont reconquis à une vitesse foudroyante, en moins de quatre mois. »
Luc Mathieu, Libération, 15/08/2021
Aéroport de Kaboul, dimanche 15 août, ceux qui tentent de fuir les talibans
« La suite est écrite », BHL l’annonçait dans sa chronique du 7 juin : « En Afghanistan, un Munich américain »
Trump en avait rêvé. C’est Joe Biden qui l’aura fait. BHL raconte le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et le terrible retour d’Al-Qaeda, de Daech et des talibans.
[…]
Et la suite, hélas, est écrite : ce sont les chancelleries occidentales qui vont plier bagage et dresser la liste de leurs collaborateurs locaux à mettre hors de portée de la vengeance ; c’est l’armée nationale qui, contrairement à ce que je lis partout, était en train de se construire à l’ombre de la dissuasion américaine et qui va s’effondrer ; et ce sont des cerveaux qui, l’Histoire se répétant en tragédie, ne tarderont pas à programmer, sinon de nouveaux 11 Septembre, du moins de nouvelles attaques qui – ce qu’à Dieu ne plaise – feront se multiplier, en Occident, les attentats suicides et décapitations qui se fomentaient, naguère, entre Raqqa et Mossoul.
L’argument qui préside à cette débâcle est connu.
C’est celui – commun, je le répète, à Trump et Biden – des « guerres interminables » dont il faudrait « savoir sortir ».
C’est celui – stratégiquement absurde – qui permet de mettre cette guerre de basse intensité dans le même sac qu’une guerre, celle du Vietnam, qui a fait, en deux fois moins de temps, trente fois plus de morts et de disparus américains.
Et c’est celui qui, en gros, confirme ce qui avait été déjà annoncé aux Kurdes de Syrie livrés à Erdogan, à ceux d’Irak après leur référendum d’autodétermination, aux Somaliens victimes des chebabs, à d’autres : couchés, les damnés de la terre ; fini la géopolitique ; débrouillez-vous avec les Russes, les Chinois, les Ottomans, les Perses, les islamistes radicaux ; adieu au monde.
Le début de la chronique
Et un an, presque jour pour jour, après que cela fut annoncé,les 2.500 soldats américains encore stationnés en Afghanistan ont entamé leur retrait– ainsi que, bien obligés, les autres contingents étrangers de la mission Resolute Support dont lesÉtats-Unisétaient le pilier.
Le résultat ne s’est pas fait attendre.
L’annonce de cette reddition sans condition, la nouvelle de ce départ sans gloire, de ce lâchage ahurissant, de cette défaite auto-infligée, a eu des effets immédiats.
Des anciens, desmaleks, ont commencé, dès ce mois-ci, à aller trouver les commandants des garnisons de Wardak et de Ghazni, à l’ouest de Kaboul, ou, quand les commandants n’étaient pas accessibles, à téléphoner à leurs familles, pour leur tenir ce langage : « vos parrains sont partis ; l’armée nationale afghane n’est plus en mesure de vous protéger ; déposez les armes ; nous serons cléments. »
On a vu, sur une route que je connais bien et qui relie Kaboul au Panshir, aux lisières, donc, de ce qui fut le fief, jusqu’au début des années 2000, du commandant Massoud et qui, depuis quelques années, redevient celui d’Ahmad, son fils, la circulation coupée, des checkpoints sauvages bloquant les approvisionnements, des bourgades assiégées, coupées du monde, et des hommes en armes surgissant chez les autorités locales pour leur dire : « rendez-vous ; dénoncez, parmi vous, les mauvais musulmans, les amateurs de chansons, les apostats, les femmes libres ; et, surtout, n’ayez crainte – nous sommes déjà si puissants, et si puissamment infiltrés dans les rouages du pouvoir national, qu’il ne se trouvera personne, à Kaboul, ni pour voler à votre secours ni pour vous reprocher d’avoir pactisé avec nous. »
On a vu, dans la province de Herat, des femmes battues en place publique et, parfois, semble-t-il, lapidées.
On a vu, à Jalalabad, à 80 kilomètres à l’est de la capitale, une femme médecin exploser dans sa voiture où un groupe islamiste avait posé une bombe – puis deux très jeunes filles, travaillant pour une télévision de la ville, assassinées, à bout portant, en pleine rue, par un autre groupe djihadiste.
J’apprends comment, à Kaboul, se terrent les adolescentes que j’ai filmées, il y a six mois, dans des stades de foot, dans des cafés mixtes ou, simplement, flânant dans la rue dévoilées ; j’entends que les jeunes qui avaient, ces dernières années, retrouvé le goût de la musique cachent leurs instruments et effacent de leurs portables les applications de téléchargement ; je reçois des appels m’informant que les journalistes de Tolo News, le groupe de média privé qui produisait, et produit encore, tous les jours, une information libre, vivent plus que jamais dans la terreur des exécutions ciblées.
À Kaboul toujours, ce qui reste des services de sécurité républicains sait et tente, depuis quelques jours, de faire savoir aux amis de l’Afghanistanlibre que tous ces crimes sont le fait, non de groupes incontrôlés, mais de cellules d’Al-Qaïdaet de Daech qui attendaient leur heure et sortent au grand jour – on sait, autrement dit, que lestalibansont d’ores et déjà violé l’un des rares engagements que l’Amérique avait posés en préalable à l’ouverture des négociations à Doha et cru obtenir d’eux : si, d’aventure, nous revenions aux affaires, au moins renoncerions-nous à servir de sanctuaire, ou de base, à des organisations susceptibles, dixitJoe Biden, d’« attaquer à nouveau la patrie » des Américains. On sait donc que, comme il y a vingt ans, à la veille du 11 Septembre, Al-Qaïda est de retour.
Bernard-Henri Lévy réagit sur RTL à la situation dramatique en Afghanistan
Lundi 16 août

Crédit photo : Ludovic MARIN / AFP, 2019
L’accord Etats Unis et talibans de Doha, en février 2020, sous Donald Trump

L’envoyé spécial des Etats-Unis Zalmay Khalilzad et le cofondateur des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, à Doha, au Qatar, le 29 février 2020 GIUSEPPE CACACE / AFP
C’est sous l’ère Donald Trump que Les Etats-Unis et les talibans ont signé, le samedi 29 février 2020 à Doha, au Qatar, un accord visant à permettre le retrait sous quatorze mois des troupes américaines d’Afghanistan après dix-huit ans de présence — la plus longue guerre des Etats-Unis — et l’ouverture de négociations de paix avec le gouvernement afghan.
" Trump en avait rêvé, Biden l’a fait, martèle BHL, peut-être par naïveté d’avoir cru en les accords de Doha l’année dernière (accord de paix entre les États-Unis, l’OTAN et les talibans afghans où les Occidentaux s’engageaient à retirer leurs troupes au printemps, en échange de la promesse des talibans de lutter contre l’influence d’Al-Qaïda et de ne pas reprendre les territoires par les armes), peut-être aussi pour satisfaire des électeurs qui n’en pouvaient plus des prétendues guerres sans fins. Quoi qu’il en soit, les Américains ont trahi leur meilleurs alliés, ils ont laissé s’écrouler le rempart qui nous protégeait Al-Qaïda hier et de Daesh aujourd’hui." (BHL sur RTL, le 16 août 2021)
Afghanistan : amers, les habitants de Kaboul se préparent au retour des interdits et des châtiments corporels
TÉMOIGNAGES - L’immense majorité des Afghans sont piégés dans un pays plus instable que jamais depuis deux décennies.
À Kaboul, les esprits se préparent au retour en enfer, et le cœur n’y est pas. Dans les rues, des gérants de magasins font tomber ou repeignent dans un blanc ennuyeux les enseignes publicitaires montrant des femmes. Les nombreux salons de beauté, dont le kitsch parait quasiment tous les quartiers de la capitale, font de même. À regret, les gérants et gérantes ont mis la clé sous la porte.
« Nous avons tous peur de laisser traîner des affaires qui pourraient offenser les talibans et susciter une punition »,explique Edris, qui n’a pas souhaité que son nom complet soit publié. Ce cofondateur d’une compagnie de production spécialisée dans les clips musicaux, publicités et autres reportages vantant les droits humains etles droits des femmes en particuliera quitté en trombe sa maison dimanche pour récupérer des disques durs, ordinateurs, photos et documents au bureau.« J’essaie de laisser le moins de choses possibles sur place, et surtout rien qui puisse identifier certaines personnes »
[…]
Margaux Benn
Le Figaro, 15 août 2021
Pluie de critiques sur Biden après le retour des talibans
Jugé responsable de la conquête éclair de Kaboul par les insurgés talibans, Joe Biden n’est pas épargné par les médias américains. Ceux-ci pointent du doigt un « plan mal préparé », mais aussi « l’arrogance » de ses prédécesseurs.
À moins d’un mois des commémorations du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan constitue une gifle pour les Américains. La crainte d’une reprise des actes terroristes et la réalisation de l’impuissance des États-Unis à pacifier ce territoire, en dépit des promesses autrefois faites par George W. Bush, déclenchent la colère de l’opinion.
La plupart des médias déplorent également la victoire des insurgés et reprochent à Joe Biden d’avoir « précipité » son plan de départ des troupes américaines, sans véritablement réfléchir aux conséquences.
Ouest-France, Stéphane CUGNIER, 16/08/2021
Ahmad Massoud : « L’Afghanistan n’a pas perdu la guerre »
16 août 2021
Le fils du légendaire Commandant Massoud, qui fut assassiné par Al-Qaida deux jours avant le 11 Septembre, reprend le combat de son père en Afghanistan. Dans une déclaration adressée, ce 16 août, à La Règle du Jeu, il annonce la résistance de ses troupes contre les Talibans depuis la région du Panshir.

Ahmad Massoud
Peuple afghan, chers Moudjahidines, amis de la liberté partout dans le monde !
La tyrannie triomphe en Afghanistan.
La servitude s’installe dans le bruit et la fureur.
La vengeance hideuse va s’abattre sur notre pays martyr.
Kaboul déjà gémit.
Notre patrie est dans les fers.
Tout est-il perdu ?
Non.
J’ai reçu en héritage de mon père, le héros national et Commandant Massoud, son combat pour la liberté des Afghans.
Ce combat est désormais le mien, sans retour.
Mes compagnons d’armes et moi allons donner notre sang, avec tous les Afghans libres qui refusent la servitude et que j’appelle à me rejoindre dans notre bastion du Panchir, qui est la dernière région libre de notre pays à l’agonie.
Je m’adresse à vous, Afghans de toutes régions et de toutes tribus et vous invite à nous rejoindre.
Je m’adresse à vous, Afghans d’au-delà nos frontières qui avez l’Afghanistan au cœur, et je veux vous dire que vous avez des compatriotes, ici, dans le Panchir, qui n’ont pas perdu espoir.
Je m’adresse à vous tous, en France, en Europe, en Amérique, dans le monde arabe, ailleurs, qui nous avez tant aidés dans notre combat pour la liberté, contre les Soviétiques jadis, contre les Talibans il y a vingt ans : Allez-vous, chers frères amis de la liberté, nous aider une nouvelle fois comme par le passé ? Notre confiance en vous est immense.
Nous sommes, Afghans, dans la situation de l’Europe en 1940.
Sauf dans le Panchir, la débâcle est totale et l’esprit de collaboration avec les Talibans commence à faire école chez les vaincus qui ont perdu cette guerre de leur faute.
Nous restons seuls debout.
Nous ne céderons jamais.
Je citais à un ami écrivain français, la veille de la chute de Kaboul, la phrase de Winston Churchill promettant du sang et des larmes.
Je pense aujourd’hui à la phrase du Général de Gaulle lançant, après la déroute de son armée, que la France avait perdu une bataille mais pas la guerre.
Nous, Afghans, n’avons pas perdu de bataille, car Kaboul ne s’est pas battue.
Nos combattants, vieux et jeunes Moudjahidines, ont, ici, repris les armes.
Rejoignez-nous en esprit ou par un soutien direct.
Soyez, amis de la Liberté, le plus nombreux possible à nos côtés.
Nous allons écrire ensemble une nouvelle page de l’éternelle résistance des opprimés contre la tyrannie.
Et, avec l’aide de Dieu, nous vaincrons.
3 Messages
La Règle du Jeu
13 septembre 2021
Alors que les talibans ont annoncé la prise de la vallée du Panjshir, une résistance acculée mais résolue est toujours menée par Ahmad Massoud.
Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud, la tête de la résistance en Afghanistan.
ZOOM : cliquer l’image
COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)
Jeudi 2 et vendredi 3 septembre, des dizaines de femmes sont descendues dans les rues d’Hérat et de Kaboul pour revendiquer leur droit à travailler et réclamer la participation de femmes au nouvel exécutif. Même si les talibans se sont efforcés d’assurer que le droit des femmes serait respecté, la réalité sur le terrain est toute autre, selon la presse internationale.
“Malgré les risques”qu’elles encourent depuis le retour au pouvoir des talibans, elles sont prêtes à descendre dans les rues d’Afghanistan pour faire entendre leur voix, remarque CNN. Après qu’une cinquantaine de femmes ont défilé jeudi dans les rues d’Hérat, capitale cosmopolite de l’Ouest afghan, des dizaines d’autres ont manifesté vendredi à Kaboul pour demander l’égalité des droits et réclamer la participation de femmes au nouvel exécutif dont la composition est attendue samedi.
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“Le rassemblement était relativement petit”, mais “représente un défi public inhabituel au régime taliban”, note la chaîne américaine. D’autant que ces manifestations surviennent dans un contexte de craintes accrues concernant la sécurité des femmes afghanes depuis le retour des talibans. Une militante de premier plan a déclaré à CNN qu’elle n’avait pas participé à la manifestation d’Hérat après avoir fait l’objet de menaces directes. Selon la chaîne américaine, elle s’est exprimée sous couvert d’anonymat, “par peur de représailles”.
Les manifestations de jeudi et de vendredi sont une nouveauté pour les talibans, qui réprimaient impitoyablement toute contestation lors de leur régime précédent. Cela montre qu’ils vont devoir s’adapter à une société afghane devenue plus libérale et plus ouverte sur le monde extérieur. Mais bien que les talibans se soient efforcés depuis plusieurs semaines de présenter un visage plus modéré, assurant que le droit des femmes serait respecté, ils ont aussi clairement exclu la présence de femmes à des postes ministériels, rappelle le Guardian.
Sur la question des femmes, les talibans ont changé “leur communication plutôt que leur idéologie”
Leurs promesses concernant le respect des droits des femmes “ont suscité une discussion internationale sur l’évolution des talibans”, qui lorsqu’ils étaient au pouvoir en Afghanistan dans les années 90 avaient mis en place un régime d’oppressif à l’égard des femmes, note le quotidien britannique. “Mais il y a de plus en plus de preuves dans tout l’Afghanistan que ce qui a changé”, sur la question des femmes, “c’est leur communication plutôt que leur idéologie”, conclut le Guardian.
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Dans un reportage, la correspondante de la BBC à Kaboul, Lyse Doucet décrit une scène de rue dans la capitale, où une femme est prise à partie par un taliban qui lui reproche d’avoir pris un taxi sans être accompagnée par un homme, obligeant son mari à venir la chercher. À Kaboul, beaucoup ont rapidement adopté les anciens codes imposés par les talibans, pour se protéger de potentielles représailles. “Les hommes ont cessé de se raser pour laisser pousser leur barbe ; les femmes ont quant à elle remplacé leurs foulards aux couleurs vives par des voiles noirs et elles vérifient aussi la longueur de leurs robes et de leurs manteaux”, raconte la journaliste.
Noémie Taylor-Rosner