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Prise d’otage numérique

Charlie Hebdo

D 29 juillet 2021     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Picasso, Cheval ailé ou Pégase, 18 avril 1948.
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« Le premier Congrès sur l’Intelligence artificielle se tient, ces temps-ci, à Shanghai. Les Chinois sont en avance. Ils peuvent compter sur six cents millions d’internautes pour accumuler des données de base à traiter. La fluidité de l’informatique définit la puissance. De ce point de vue, après un développement stupéfiant, la Chine est une star », constate Philippe Sollers dans Désir (2020). Quand les Chinois installent un système de surveillance généralisé, crédit social à l’appui, les démocraties occidentales crient au « totalitarisme ». D’autres s’interrogent longuement sur la puissance de cette « fluidité informatique » : est-elle seulement le fait des despotes chinois ? Il semble bien que non : le problème est planétaire, puisque nous sommes dans une nouvelle phase de ce que Debord appelait, en 1988, « le spectaculaire intégré » et Sollers, en 1991, « une nouvelle tyrannie » (concepts toujours pertinents). Ceux qui pensent cela sont-ils de mauvais démocrates ? Je n’ose pas le croire (cf. Tout est accompli).
A l’occasion de la mise en place (à marche forcée) du pass sanitaire français et du fameux QR code, une nouveauté en régime démocratique-libéral (les Italiens, eux, ont leur « tessera verde », leur « pass vert » — ce qui n’enchante pas le pessimiste Giorgio Agamben si j’en crois ses dernières chroniques), Riss s’étonne, dans le dernier Charlie Hebdo, que personne ne proteste contre cette « prise d’otage numérique », cette « informatisation généralisée des activités humaines », pas même les furieux manifestants du samedi, grands adeptes des réseaux sociaux, qui, en retard d’une drôle de guerre, se croient dans un régime fasciste style années trente-quarante. Pétainiste ! Collabo !, lancent-ils au président Macron. Pétainistes, pleutres, lâches ! leur répond, énervé, Jacques Julliard dans Marianne. Ambiance (Ce virus qui rend fou !).
Yannick Haenel, lui, s’emmêle les pinceaux avec son smartphone : pas moyen de télécharger son QR code. Il tape son nom, son numéro de Sécu et a pour toute réponse : « NON VALIDE. » Non valide, je connais l’expression. Dans le monde sportif que je connais bien puisque je préside le club rémois qui envoie un pongiste aux Jeux Paralympiques de Tokyo, cela désigne une personne handicapée (physique ou mental) ! En mai 68, après l’expulsion de Cohn-Bendit du territoire national, on criait lors des manifestations : Nous sommes tous des Juifs-Allemands ! Je propose comme slogan pour une prochaine manif (avant l’exode) : nous sommes tous des non valides ! (ce n’est qu’une suggestion).
Muni d’une attestation papier de bon citoyen vacciné, Haenel nous invite à visiter quelques expositions parisiennes. Moi qui n’ai pas de smartphone et pas encore de QR Code (ça va venir, doctolib me l’a promis), qui vis plutôt en ermite (enfin, pas tout à fait, je me contente de relire Zhuangzi : « Accomplir sans savoir pourquoi, voilà le Dao »), moi qui ne suis pas parisien et qui rechigne à prendre le train et, plus encore le métro (on ne sait jamais sur quel malade potentiel on risque de tomber), me voilà condamné à prendre connaissance de ce que je ne pourrais pas voir grâce à... internet ! On vit, décidément, une époque formidable.

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Covid-19 : prise d’otage numérique

par Riss

Édito

Le pass sanitaire a donc été adopté par l’Assemblée nationale. Est-ce que cette mesure sera suffisante pour endiguer la quatrième vague que tout le monde attend en serrant les fesses  ? En tout cas, les débats enflammés sur ce foutu pass ont mis en évidence quelques aspects foutraques de notre société de plus en plus informatisée. Notre santé reposerait désormais sur ce pass et un simple QR code qu’il suffira de scanner avec son portable pour savoir si la personne a bien reçu ses deux doses de vaccin. De cette petite application à la con dépend notre avenir – et du même coup le sort de l’humanité. Les fanas d’informatique y voient un formidable progrès, et le type qui a lancé l’application CovidTracker vient d’être décoré chevalier de l’ordre national du Mérite.

Devant une telle ferveur informatique, les rabat-joie ont vite fait de passer pour des ringards. Curieusement, parmi les mécontents qui défilent dans la rue contre ce pass, bien peu – en tout cas ce ne sont pas eux qu’on entend le plus – protestent contre cette informatisation généralisée des activités humaines. Pour déplorer cette situation, on parle de fracture numérique, mais uniquement pour regretter que les personnes non connectées ne le soient pas encore. La connexion est l’avenir de l’homme, nous matraquent à longueur de journée les médias, les pubs et l’employé de La Poste ou celui de la Sécurité sociale, déjà remplacés par des boîtes vocales automatiques.

Cette dématérialisation des relations entre les individus grandit chaque jour, et personne ne proteste. Pourtant, il y aurait matière à réclamer une limitation de cette hégémonie, et on est surpris qu’aucune personnalité politique n’ait exigé un moratoire sur la connexion imposée à tout être humain. Il faudrait pour cela que les hommes politiques aient le courage d’affronter les monstres que sont devenus Microsoft, Apple, Google ou Facebook, et de prendre le risque de passer pour de vieux cons à l’heure où on déplore que les jeunes n’aillent pas voter. Bien au contraire, la tendance est de se convaincre que, pour impliquer dans la vie publique la jeunesse d’aujourd’hui, il faudrait transformer toutes leurs actions en applications téléchargeables. On nous a ainsi vendu comme solution miracle contre l’abstention aux élections le vote électronique, qui permettrait aux jeunes de donner leur suffrage grâce à leur téléphone portable, sans sortir de leur lit, le dimanche matin des élections.

À LIRE AUSSI : Vivre sans portable nan, mais allô, quoi  ?!

En attendant que votre smartphone sauve les élections et la démocratie, c’est désormais ce satané pass qui guérira l’humanité. Cette évolution met en évidence un autre problème délicat. L’informatique a mis sur un piédestal une nouvelle race de seigneurs, une nouvelle espèce de dominants qui, du haut de leur savoir, surplombent et tiennent dans le creux de leurs mains l’humanité tout entière, du simple citoyen au dirigeant politique : les informaticiens.

L’informatique a tout envahi, de la santé jusqu’au moteur de votre voiture – et à la moindre panne, on se retrouve entièrement dépendant de leur savoir pour remettre la machine en route. Car les informaticiens connaissent le langage secret des ordinateurs, avec leurs codes et leurs programmes indéchiffrables pour le pékin moyen. La civilisation informatisée que nous construisons confère à cette nouvelle caste un pouvoir sur le reste de la société, peut-être inégalé dans l’histoire de l’humanité. Ils sont devenus les mandarins de notre temps, maîtrisant une langue mystérieuse que l’immense majorité des habitants de cette planète ne comprend pas et dont elle dépend totalement. Le peuple est ainsi exclu du langage qui régit pourtant son existence. Qui s’inquiète de cela  ? Personne, et quasiment pas les hommes politiques, dont il ne faut rien attendre dans ce domaine, car, comme tout le monde, ils se sont convertis à cette nouvelle religion, accrochés en permanence à leur smartphone, au risque d’en devenir les pigeons – on pense à ce que le scandale Pegasus vient de révéler. La Chine, qui exploite à outrance l’informatique pour fliquer sa population, devrait pourtant servir d’avertissement à nos dirigeants.

C’est donc l’informatique qui nous sauvera du Covid. Aujourd’hui la santé, hier l’information, les loisirs, la culture, l’enseignement. Microsoft, Apple, Google et Facebook ont réussi à prendre en otage toutes les activités de l’être humain. Et partout dans le monde, on ne voit pas le moindre manifestant défiler contre ces nouveaux Léviathans et l’asservissement silencieux qu’ils nous imposent.

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Linda Tuloup, Feu.
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Aventures d’été

par Yannick Haenel

Ils nous fatiguent avec leur QR code. J’ai beau être vacciné, je n’arrive pas à le télécharger. Sur les sites où ils nous disent d’aller, à chaque fois que je tape mon nom, ma date de naissance et mon numéro de Sécurité sociale, on me dit : « NON VALIDE. » Ne suis-je donc pas qui je suis  ? Cet été me fatigue.

J’ai recommencé des dizaines de fois, j’ai cherché d’autres moyens pour accéder au graal du QR code, rien à faire, je n’en ai pas. Quand je voudrai aller au cinéma, et à partir d’août au restaurant, ils avanceront vers moi leur scan et je n’aurai rien à leur montrer qu’un vieux certificat papier, comme au XXe siècle. On parie qu’ils ne me laisseront pas entrer  ?

À LIRE AUSSI : Covid, dématérialisation et prière

Vous qui l’avez, ce fichu QR code, vous allez pouvoir vous amuser. Si vous habitez Paris, il y a le Festival Paris l’été : allez donc au lycée Jacques-Decour, c’est dans le 9e arrondissement. J’y suis allé avant l’obligation du pass sanitaire et, croyez-moi, c’est formidable. Dans les galeries d’art, on est souvent à l’étroit  ; ici, on respire, il y a des chaises longues, un bar (en plein air, dans la cour de récréation) et des arcades, où chacun déambule autour du patio. À l’heure où vous lirez ces lignes, il ne restera plus que quatre jours, mais cela sera suffisant pour les expériences sensorielles qui vous attendent dans des salles de classe réaménagées pour l’occasion.

D’abord, il y a l’installation magico-foraine de Fabien Chalon, ça dure trois minutes (vous avez bien trois minutes dans votre vie) : un bassin couvert de brume qui s’anime avec des battements de cœur, l’eau qui rencontre le feu et se met à bouillonner, et des visages qui s’écrivent dans la mémoire, nous renvoyant à l’histoire de nos émotions.

Il y a aussi une expérience immersive pensée par Cyril Teste et Hugo Arcier, avec un casque de réalité virtuelle  ; et j’avais déjà bu quelques verres quand j’y suis allé (car le bar propose un excellent chablis, mon vin préféré), mais des arbres et des fleurs poussaient sous mes mains, et je crois bien que le chablis n’y était pour rien.

À LIRE AUSSI : Merci aux lecteurs

Il y a aussi une exposition drôle et ténébreuse pensée par le chanteur Albin de la Simone, composée de vitrines qui ­rassemblent des matériaux pour des films qui n’existeront pas.

Enfin, sous les arcades, il suffira de pousser une porte pour voir, à partir de 18 heures, toutes les dix minutes, un film photographique de Linda Tuloup, son premier, qui dure sept minutes et s’appelle Feu. C’est une merveille. La poésie se concentre dans la plus infime étincelle  ; ici, elle s’ouvre aux oiseaux, à des nuits d’élégie, au chagrin qui est une forme indéchiffrable de l’amour. Une voix féminine appelle dans la nuit, et ce murmure orchestre l’absence avec des couleurs lunaires. Le cinéma, la photographie, le poème se donnent ainsi en un haïku splendide.

Charlie Hebdo 1514 du 28 juillet

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FEU Linda Tuloup

C’est une élégie, une mélopée de nuit mêlant souvenirs tremblants et photographies.
C’est une nuit profonde, originelle, immémoriale.
C’est un battement de cœur, un vol d’oiseaux.
C’est la voix d’une femme, le vent, le silence.
C’est la terre rouge des origines et la cendre des mots.
C’est un souffle qu’on retient.
C’est toi, c’est moi, c’est nous.
Mais quelle est cette nuit où nous ne dormons plus ?

Avec ce premier film, Linda Tuloup nous plonge dans la grâce de la solitude et nous mène à cette interrogation ultime « de quel feu sommes-nous nés ? »

Du 15 au 31 juillet.

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Où nous mènent les étreintes

Photographies Linda Tuloup
Texte Yannick Haenel

Où nous mènent les étreintes from linda tuloup on Vimeo.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 1er août 2021 - 19:39 1

    Pass sanitaire : comment défendre la liberté sans prononcer les mots « Hitler », « nazi », « SS »  ?

    par Gérard Biard

    Et si les antivax et les opposants au pass sanitaire étaient les meilleurs alliés de Macron ? Les outrances nauséabondes et le délire complotiste de nombre d’entre eux permettent au gouvernement de disqualifier toute critique légitime d’un dispositif qui s’attaque à l’arme lourde, et dans une proportion inédite, à certains principes fondateurs de notre république. La semaine dernière, à la veille de l’examen du projet de loi par le Parlement, la défenseure des droits, Claire Hédon, s’est fendue d’une « alerte », recensant 10 points problématiques. Certains d’entre eux ont été « précisés » depuis par le Conseil d’État, puis par le Premier ministre sur TF1, et, quand vous lirez ces lignes, les parlementaires auront sans doute largement amendé un texte souvent aberrant. Il n’empêche que, dans sa version initiale présentée en Conseil des ministres, le 19 juillet, ce projet de loi dit beaucoup du regard que porte la fine fleur de la Macronie sur le respect de l’État de droit et de ses principes fondamentaux.

    Discriminations et rupture d’égalité entre citoyens

    C’est en quelque sorte le principe fondateur de ce texte de loi, que l’on retrouve dans pratiquement chacun des points soulevés par la défenseure des droits, et résumé sans complexe par un conseiller ministériel «  de premier plan » dans ­Libération le 21 juillet : « Ça va être primauté aux vaccinés et vie de merde pour les non-vaccinés. » Claire Hédon pointe des risques de discriminations dans l’emploi, les mesures prévues opérant « in fine une distinction entre les travailleurs détenteurs de l’un des trois documents demandés et les autres », dans « l’accès aux transports publics et aux biens et services », dans « la liberté d’aller et venir », ainsi que « des risques considérables d’atteinte aux droits de l’enfant » – sur ce point précis, le gouvernement a précisé que le pass sanitaire pour les 12–17 ans serait « décalé au 30 septembre »…

    De fait, le texte instaure deux catégories de citoyens, avec des droits fondamentaux différenciés : ceux avec pass, et les autres. Sachant que « les autres » ne sont pas une petite poignée. Au jour d’entrée en vigueur du pass, le 21 juillet, on comptait autour de 30 millions de Français totalement vaccinés. Même si l’on ajoute ceux qui peuvent prouver qu’ils ont eu le Covid il y a moins de six mois, ça en laisse quelques paquets de millions à qui le gouvernement souhaite « une vie de merde ». Des « sous-citoyens » dont beaucoup le resteront pour un moment : si tous les moyens sont mis en œuvre pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de se faire vacciner – ce qui n’est pas gagné –, on estime que, fin août, seulement 35 millions de personnes seront totalement vaccinées…

    Contrôle d’une partie de la population par une autre

    En démocratie, il n’y a pas de « bons » citoyens et de « mauvais » citoyens – et à plus forte raison de «  sous-citoyens  ». Il y a ceux qui respectent la loi – l’écrasante majorité –, et les autres. Ces derniers doivent être rappelés à l’ordre ou sanctionnés. Mais c’est aux autorités policières, judiciaires ou administratives compétentes de le faire. Trop compliqué et pas assez disruptif. Le projet de loi charge donc de simples citoyens, patrons de bar et de restaurant, vigiles divers, de veiller à ce que les autres simples citoyens respectent la loi. En plus, ils sont passibles d’une amende s’ils ne le font pas. À l’origine – et contrairement à ce que prétend Jean Castex, qui affirme qu’il n’en a jamais été question –, il était même prévu qu’ils vérifient leur identité. Pour noyer le poisson, les technos en novlangue avaient baptisé ça « concordance d’identité »… Il a fallu que des syndicats de bistrotiers et de restaurateurs, ou des directeurs de centre commercial, rappellent au gouvernement que ce n’était pas leur rôle, en tout cas pas à une telle échelle et avec un tel systématisme, pour que la Macronie fasse marche arrière en bafouillant. La défenseure des droits s’interroge à juste titre sur ce « choix d’octroyer à des entreprises publiques et privées une forme de pouvoir de police ». Surtout «  compte tenu des risques inhérents à l’exercice d’un tel pouvoir ». Pas de problème, on va équiper chaque serveur de bar à vin d’un lanceur de balles de défense…

    Atteinte à la liberté d’aller et venir

    Certes, depuis un an et demi, entre confinements et couvre-feux, le droit fondamental de chaque citoyen d’aller et venir a été quelque peu malmené. Mais ce texte innove en créant une atteinte à deux vitesses et une forme de contrôle social généralisé. Et ce dans les actes les plus courants de la vie quotidienne en démocratie : faire des courses, se déplacer, aller travailler, avoir accès aux services publics, se distraire, exercer une activité culturelle, boire un verre… Quand il a le précieux pass, le citoyen doit se considérer comme un privilégié, car il lui suffit de montrer patte blanche plusieurs fois par jour dès qu’il met le nez hors de chez lui. Pour les autres, c’est ceinture. Pas de pass, pas de chocolat. Et pas de services publics non plus. Hôpital compris, sauf urgences. On comprend donc pourquoi la défenseure des droits « considère que ces restrictions de l’accès aux biens et aux services et cette atteinte à la liberté d’aller et venir, envisagées de manière générale et sans information préalable délivrée suffisamment longtemps en amont, n’apparaissent pas proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent ». Même verdict pour les mesures d’isolement étendues – dix jours de bouclage obligatoire avec contrôle des forces de l’ordre (les sénateurs ont amendé ce point : c’est l’Assurance maladie qui sera chargée de ce contrôle) en cas de test positif : « Il est à craindre que ces dispositions combinées à la possibilité de rendre payants les tests aient pour effet de désinciter à se faire tester et ne freine la politique de dépistage massif, favorisant ainsi la circulation du virus. » En clair : si c’est vraiment la santé publique qui vous préoccupe, trouvez autre chose.

    Atteinte au principe d’anonymat

    Dans l’espace public, sauf lieux spécifiques où la connaissance de votre identité est indispensable, ou en cas de contrôle – exclusif – des forces de l’ordre, vous n’êtes personne. Ou plutôt, vous êtes n’importe qui et tout le monde. Ce droit à l’anonymat, vous pouvez l’oublier. Car le pass sanitaire est un outil formidable. Non seulement il clignote en vert – ou en rouge si vous n’avez pas de bol, la technologie digitale étant parfois facétieuse – quand on « flashe » le QR code, mais en prime il affiche vos nom, prénom et date de naissance. Et comme vous devrez le présenter en maints et maints endroits tout au long de votre journée à de parfaits inconnus, souriez, eux sauront qui vous êtes. Si on vous harcelait à l’école parce que vous vous appelez Jean Cule, vous n’avez pas fini de déprimer.

    Pour la défenseure des droits, il s’agit d’une remise en cause «  des principes de liberté de circulation et d’anonymat pourtant longtemps considérés comme constitutifs du pacte républicain ». Et le seul moyen de conserver ce droit à l’anonymat, c’est de boycotter le pass sanitaire. Les cerveaux macronistes sont des mines d’inventivité : si l’on veut conserver une liberté fondamentale, il faut contrevenir à la loi…

    Traitement des données personnelles

    « Nouvelles technologies  » obligent, c’est la question désormais inévitable dès lors qu’une nouvelle loi est dans les tuyaux, en particulier avec ce gouvernement, féru de digitalisation et de « dématérialisation » tous azimuts : quelle finalité pour les données personnelles recueillies  ? S’agissant ici de données médicales, mais également de données concernant la vie quotidienne la plus banale, la défenseure des droits alerte « sur le risque de glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale, auquel pourrait contribuer ce projet de loi ». Mais c’est surtout la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui a tiré la sonnette d’alarme, dans une adresse au Parlement qui tranche avec sa tiédeur habituelle : «  La Cnil alerte le Parlement sur le fait qu’instituer un passe sanitaire pour l’accès à des lieux de la vie courante et de nombreux moyens de transport est un choix éthique. Il faut éviter toute banalisation de ce type de mesure. […] La mise en place d’un contrôle sanitaire à l’entrée de certains lieux ou moyens de transport questionne la frontière entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et ce qui relève du contrôle social. En principe, il ne doit pas y avoir de contrôle de l’état de santé à l’entrée de lieux de vie collective. Le législateur doit tenir compte du risque d’accoutumance et de banalisation de tels dispositifs attentatoires à la vie privée et de glissement, à l’avenir, et potentiellement pour d’autres considérations, vers une société où de tels contrôles seraient la norme et non l’exception. »

    Les pauvres doublement victimes

    Ce sont les cumulards du pass sanitaire. Pour reprendre la délicate formule ministérielle citée plus haut, ils vont avoir droit à une double couche de « vie de merde ». Celle qu’ils connaissaient déjà, plus celle que leur offre le gouvernement. « La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics, souligne la défenseure des droits. Les nouvelles mesures comportent ainsi le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités ». D’autant que la future fin de la gratuité des tests, prévue à l’automne, ne va rien arranger. On imagine que des considérations de ce genre ne perturbent pas plus que ça la Macronie des « premiers de cordée », mais elles montrent à quel point ce pass sanitaire, au-delà même de ses manières quelque peu cavalières envers nos principes constitutionnels, est un outil d’exclusion supplémentaire. Quand on habite dans certaines zones, quand on compte les queues de radis dans le frigo, quand on est comme une poule devant un couteau face à un ordinateur ou un smartphone – ou tout simplement quand on n’a pas de quoi s’en payer un –, quand la pharmacie, le cabinet médical ou le centre de vaccination les plus proches sont à des dizaines de kilomètres, on n’est plus un citoyen digne de ce nom.

    Paradoxalement, l’obligation de vaccination pour tous, outre qu’elle aurait eu l’avantage de la clarté et de la cohérence, aurait été moins attentatoire aux libertés, moins discriminatoire et moins méprisante pour les plus démunis.

    Charlie Hebdo. Mis en ligne le 31 juillet 2021. Paru dans l’édition 1514 du 28 juillet.