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L’autre bilan du coronavirus

par Bernard-Henri Lévy

D 4 février 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


3 février 2021

Puisque nous avons droit, soir et matin, au « bilan » du coronavirus, voici un autre bilan, tragique aussi, mais dont on se garde bien de nous parler.

L’isolement social lors de l’épidémie de Coronavirus.

Puisque nous avons droit, soir et matin, au « bilan » du coronavirus, voici un autre bilan, tragique aussi, mais dont les petits et grands prêtres de la messe médiatico-médicale se gardent bien de nous parler.

Pêle-mêle, donc, l’épidémie de psychoses et de burn-out, de déprimes et de violences conjugales.

Les cancers laissés mûrir comme dans une jachère, ou pourrir comme pommes sur un pommier.

Le retour de la moyenâgeuse médecine épidémique l’emportant sur la moderne clinique, dont on sait pourtant, depuis Foucault, que la naissance fut un progrès.

Les cas singuliers, les maladies rares, envoyés se faire soigner sur la Lune.

L’actualité réduite aux actes de décès et à la balance, dans les hôpitaux, des entrants et des sortants – sait-on ce qui se passe quand on en arrive là ? quand il n’y a plus, dans une société, qu’à faire le décompte des morts, des vivants, des survivants ? a-t-on jamais lu Orwell ? Huxley ? Zamiatine ? Malthus ?

L’opinion qui, enchaînée à ses chaînes d’information, bouffe, tête, rumine du virus à longueur de temps, dans la seule attente de l’éternel retour du même, c’est-à-dire du reconfinement.

Tout le débat public ramené à une casuistique d’algorithmes et de chiffres, de courbes et de plateaux, quand ce n’est pas à des discussions sans fin sur la nocivité comparée des variants patagons et hyperboréens ou les vertus respectives des masques UNS1, UNS2, IIR (résistant aux éclaboussures) et FFP2 (super extra latex pour Covid récalcitrant) – que reste-t-il, alors, du goût de vivre ? ne sortira-t-on pas de ce moment plus épuisés encore que par les tâches les plus ingrates assumées au cours de nos longues vies ? et comment ne pas songer parfois qu’elles sont très longues, en effet, ces vies, et qu’à ce rythme-là elles finiront par se prendre elles-mêmes en grippe ?

Le vaccin promis comme une manne, reçu dans la dévotion, mais qui ne garantit finalement rien et se voit désindexé de la promesse d’immunité annoncée.

Les vaccinations encore et l’étrange impudeur infligée à ces chairs piquées, à la télévision, en direct et en boucle : qu’il s’agisse de Monsieur Tout-le-Monde ou de Monsieur Poutine n’y change rien quand tous sont réduits (chacun sa référence) à leur livre de viande ou à leur vie nue.

L’éducation à distance – et l’éducation à la distance.

Les étudiants rêveurs, poignardés dans leur espoir, comme le cœur du calligramme d’Apollinaire.

Les cuisiniers confinés, seuls face à leur fourneau, comme s’ils étaient, avec les restaurateurs, les agents du diable et nos empoisonneurs en chef.

Les acteurs qui n’ont plus que YouTube, c’est-à-dire leur miroir, à qui offrir leurs tirades et leur art.

Les télétravailleurs fliqués, enfermés, enchaînés à leur machine rebaptisée ordi, plus aliénés que les ouvriers de Dickens.

Les commerces, viviers de la diversité humaine, massacrés au napalm qui se nomme désormais Amazon. L’accoutumance douce à l’idée, effrayante de bêtise, primo : qu’il faut distinguer entre biens essentiels et non essentiels ; secundo : qu’il est du ressort du ministre de la Santé de décider lesquels et lesquels ; tertio : qu’il faut ranger parmi les seconds les livres, les idées, les fraternités partagées, les socialités réparatrices de solitude.

L’effroyable prétention qui fait du médecin, si possible constitué en Conseil scientifique, l’exclusif savant en matière de choses humaines.

Les démocraties en suspens et qui n’auront bientôt plus de démocratique que leurs appareils institutionnels – fermés, eux aussi, plus ou moins, sur ordre sanitaire.

Le triomphe des transhumanistes qui tiennent, eux, leur nouveau monde en forme de divine surprise : fini la saleté du réel, la ringardise de la culture, la complexité des langues, des histoires, des lieux – et vive leur remplacement par la mondialisation, l’uniformisation, l’intelligence artificielle.

La parole politique réduite aux bégaiements de la bien-pensance hygiéniste.

Les gouvernements d’Europe et du monde qui avancent, titubants, somnambules, au milieu des corps arraisonnés.

La fin des grandes espérances (Dickens encore), la disparition de tout projet, de toute mémoire, de tout enjeu (passés, comme dans une sculpture de César, à la broyeuse de la survie calculée).

Le reste du monde livré à ces charognards que j’ai appelé « les cinq Rois » et qui s’arrachent des lambeaux de cadavre – mais c’est celui de la civilisation !

Le souvenir de nos vies d’avant qui, comparé à ce quotidien fait de rabâchage pédagogique et de trivialités culpabilisatrices, ressemble à un rêve au goût d’Éden, de fruit défendu et de plaisirs accessoires.

Quelle humanité se dessine-t-elle ainsi ?

Quel destin pour ce qui demeure, en ce monde, d’êtres parlants ?

Jamais l’on n’aurait cru, il y a un an, quand se déclara la pandémie, que pareille tristesse s’abattrait sur nos peuples.

Jamais, que des grandes nations, exhortées à ne plus bouger et à ne pas se relâcher, allaient ainsi se ratatiner.

Et nul, sauf Rimbaud se figurant une Europe ramenée à la taille d’une flache noire et froide, n’avait imaginé que nos cultures, nos langues, nos œuvres de vivants, seraient ainsi soldées.

Mais peut-être ne comptaient-elles déjà plus – sinon dans ces guirlandes de chiffres, ces danses macabres de data, stockées dans la mémoire de supercalculateurs qui, eux, ne risquent rien avec le virus.

La règle du jeu.

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