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« A l’heure de la Chine » : Wuhan rouvre ses portes / Mise en perspective

D 10 avril 2020     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Paris (GMT+1)

Pékin (GMT+8)

Dans cette rubrique « A l’heure de la Chine » créée il y a neuf ans, nous avons rendu compte des petits et grands événements liés à la Chine et nous n’avions pas encore abordé la grande crise sanitaire et économique partie de Chine et devenue planétaire, Cet événement majeur ne pouvait pas ne pas être abordé dans ces colonnes.

Il est encore beaucoup trop tôt pour en connaître tous ses impacts, alors que la pandémie si elle semble commencer à marquer le pas en Italie, France, Espagne, ce n’est pas encore le cas en Grande Bretagne et aux, Etats Unis… et elle démarre en Afrique. Néanmoins, ce 8 avril 2020 marque une date charnière. C’est celle où la ville de Wuhan, le foyer de l’épidémie en Chine a « rouvert ses portes » après 76 jours de confinement total.

Le moment de prendre un peu de recul sur cette crise sanitaire et économique qui ébranle le monde et beaucoup de nos « certitudes » passées. Sans aucune certitude sur la façon dont cette crise va marquer l’année, le siècle, l’Histoire. Mais ceci n’exclut pas de l’ envisager. A cette fin nous avons rassemblé quelques textes qui nous paraissent intéressants. Pas de certitudes donc, mais ces textes témoignent de l’état d’esprit de ce moment, quand tout pourra être réévalué avec le recul et la sérénité nécessaires.

L’épidémie a montré que, collectivement, nous étions impréparés à y faire face, tant en Italie, en France, en Espagne, en Grande Bretagne, aux Etas Unis. Après une phase de progression lente avec quelques cas sous contrôle, partout a été constatée une montée foudroyante de l’épidémie mesurée par le nombre journalier d’hospitalisations, de patients en réanimation, de morts. Saturation des lits d’hospitalisation dans les régions les plus touchées : nord de l’Italie, en France : Est et Ile de France, Londres, New York… Le bulletins météos se sont vus doublés de bulletins de santé donnant le nombre de morts et solde d’entrées-sorties en réanimation. On en sort mort (environ 50%) ou vivant mais après deux ou trois semaines, un temps long qui immobilise les lits de réanimation disponibles. Pour y faire face, à Wuhan, les Chinois ont construit un hôpital de campagne de 1000 lits en une semaine. Les Espagnols, les londoniens ont ouvert plusieurs centaines de lits dans des lieux divers. L’afflux des morts pose aussi problème aux Pompes funèbres. La patinoire de Madrid a été transformé en morgue. Et chez nous, c’est un entrepôt de Rungis qui a été transformé en morgue.Les politiques cèdent le pas aux scientifiques et professeurs de médecine pour commenter l’actualité mortifère.

Environ 1 900 morts, hier, et avant-hier aux Etats Unis. En deux jours, c’est plus de morts que le total mots recensés officiellement en Chine pour l’ensemble de l’épidémie (3 335 au 9 avril) dont environ 2 300 à Wuhan. Pourquoi tant de différence. Idem en France avec 12 000 morts au 9 avril. Les Chinois ne croient guère à l’exactitude des chiffres officiels.

Malgré ces chiffres journaliers alarmants, et le lot de souffrances humaines associées, ces chiffres sont malgré tout loin des grandes épidémies du Moyen Age (la « peste noire » de 1348 (34 millions de morts d’après des estimations) ou la grippe Espagnole de 1918-1919 (plus de 200 000 morts en France, en deux vagues, avec une première évaluation de 28 millions de morts dans le monde, aujourd’hui réévaluée à 50 millions).


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Mais fait nouveau, avec nos avions cloués au sol, des pans entiers de l’économie sont aujourd’hui placés sous respiration artificielle, dans les pays comme la France fortement dotés, là, de moyens d’assistance. Ce qui n’empêche pas notre ministre des finances de nous mettre en garde : « Nous vivons la plus grave crise économique depuis 1945. » Opinion partagée par Adam Tooze historien britannique, brillant analyste de la crise de 2008 :

« La catastrophe économique à laquelle nous sommes confrontés en Europe et aux États-Unis est la plus grave jamais enregistrée depuis 1945. En termes de rapidité, elle est sans précédent dans l’histoire. Les économistes de la Réserve fédérale des États-Unis prédisent aujourd’hui que le chômage pourrait atteindre 30 % en quelques mois. »

Une nouvelle référence aux temps de guerre, après celle d’Emmanuel Macron. Les alertes radio répétées plusieurs fois par jour : « Alerte au coronavirus… : Protégez-vous pour protéger les autres. Restez chez vous » ont remplacé les sirènes d’alertes de raid aérien et les attestations dérogatoires de déplacements font office d’Ausweis..

A l’arrière, on s’organise pour fabriquer des masques et des "uniformes" pour les premières-lignes. Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible et expérimentons une arme nouvellement (re)découverte : le confinement…

Dans les journaux télévisés, les professeurs de médecine et épimiologistes, urgentistes supplantent aujourd’hui les politiques.

L’art de la guerre, c’est aussi penser l’après-guerre Et quand un tropisme ancien nous fait nous intéresser à la Chine, on peut se demander ce que vont devenir « Les Routes de la Soie » du président Chinois ? Quel rôle va jouer la Chine « après la guerre » ?

Voici notre sélection de textes pour nourrir votre réflexion :

- Après 76 jours sous cloche, Wuhan a “rouvert ses portes” (The New York Times) repris par Courrier International, illustré d’un extrait du Journal TV de TF1 du 8 avril.

- Wuhan, personne ne croit au bilan officiel des décès du Covid-19 (Courrier International)

- La mémoire oubliée du coronavirus (Le bloc-notes de Bernard Henri Lévy)

Un article pour prendre un peu de recul et de distance protectrice par rapport au flux médiatique incessant qui nous submerge. Pour redonner du temps au temps, pour relativiser les informations dont on nous abreuve,

- Nouvel ordre mondial : le grand jeu de la diplomatie sanitaire de Pékin (L’Opinion).

- Une intéressante mise en perspective de la crise actuelle.

Puis deux autres textes pour prolonger l’éclairage du tableau, dans notre perspective chinoise, objet de cette rubrique.

- Les nouvelles « routes de la soie » de la santé (Fondation pour la Recherche Stratégique)

- Les Chinois vont réécrire l’Histoire (Frankopan, professeur à Oxford)

CHINE : Après 77 jours sous cloche, Wuhan a “rouvert ses portes”

The New York Times (New York)

Dans la nuit du mardi 7 au mercredi 8 avril, à minuit, les habitants ont à nouveau été autorisés à voyager hors de la ville et de la province du Hubei. Le New York Times y voit une nouvelle étape dans le déconfinement de Wuhan, qui reste loin du “retour à la normale”.

<_ Un employé libère l’accès à une barrière de péage sur une autoroute de Wuhan, le 8 avril 2020 . - PHOTO AFP/Xinhua News Agency/Shen Bohan
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Wuhan n’est plus coupée du monde.Après dix semaines d’isolement, la ville “où le coronavirus est apparu pour la première fois” a “rouvert ses portes”, rapporte le New York Times.

Dans la nuit du mardi 7 au mercredi 8 avril, à minuit, la Chine a autorisé les habitants à quitter le centre industriel de 11 millions d’habitants, placé sous cloche depuis fin janvier.

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Selon le quotidien new-yorkais, les images des médias publics chinois “ont montré un afflux de voitures aux barrières de péage de la banlieue de Wuhan immédiatement après la levée des restrictions”, et l’opérateur ferroviaire national chinois a estimé “que plus de 55 000 personnes quitteraient Wuhan en train” dans la journée de mercredi.

À lire aussi : Chiffres. À Wuhan, personne ne croit au bilan officiel des décès du Covid-19

Cette nouvelle étape dans le déconfinement de Wuhan, entamé le 29 mars, est intervenue alors que, selon les statistiques officielles relayées par le New York Times, “seulement trois nouveaux cas de coronavirus ont été signalés dans la ville au cours des trois semaines précédentes”.

D’après le quotidien, les habitants peuvent désormais quitter Wuhan et la province du Hubei après avoir présenté aux autorités une application téléphonique “approuvée par le gouvernement chinois” qui indique, sur la base “de leur adresse personnelle, de leurs voyages récents et de leurs antécédents médicaux”, s’ils présentent “un risque decontagion”.

Une ville “profondément meurtrie”

Ces derniers jours, “de plus en plus de magasins” avaient rouvert “souvent en installant des comptoirs dans la rue pour que les clients puissent acheter des légumes, de l’alcool, des cigarettes et d’autres marchandises”.Les transports publics (bus et métro) ont “redémarré, bien qu’ils semblent souvent avoir peu depassagers”.

Mais la ville qui a rouvert ses portes après 76 jours d’isolement est “profondément meurtrie”, souligne le New York Times :

Son rétablissement sera suivi dans le monde entier pour en tirer des leçons sur la façon dont les populations surmontent les ravages causés par un telfléau.”

À Wuhan, le “retour à la normale” n’est pas en vue, précise le quotidien. Les autorités locales “continuent de réglementer les allées et venues des habitants”. Des règles strictes s’appliquant aux individus et aux entreprises sont toujours en place “pour empêcher le virus de se propager à nouveau”. Les autorités continuent “d’exhorter tout le monde à rester chez soi autant que possible. Les écoles sont toujoursfermées.”

Quant aux entreprises, 94% d’entre elles “ont repris leurs activités”, a déclaré Hu Yabo, le maire adjoint de la ville cité par le New York Times. Cependant, ajoute le quotidien, “on ne sait pas exactement quel est leur volume d’activité réel” : dans les usines de Wuhan, “seuls 60% des ouvriers” ont repris le travail et la consommation d’électricité est inférieure de 20% “à ce qu’elle était à la même époque l’annéedernière”.

Crédit : Courrier International https://www.courrierinternational.com/

Wuhan, personne ne croit au bilan officiel des décès du Covid-19

Courrier international - Paris

Publié le 30/03/2020


À Wuhan, le 28 mars, des usagers attendent le métro le premier jour où les services de transports de la ville ont repris du service après le confinement décrété par les autorités. Photo Aly Song / REUTERS
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Avec 2 531 décès officiellement dus au nouveau coronavirus, la ville chinoise de Wuhan sort à peine du confinement.Mais les habitants, l’œil rivé sur l’activité des funérariums, remettent fortement en cause ces chiffres.

Les autorités chinoises ont annoncé 50 000 cas de Covid-19 et 2 531 décès dans la ville de Wuhan, qui compte 11 millions d’habitants. “Mais dans la population, quasiment personne ne croit ces chiffres”, écrit le site Radio Free Asia, ajoutant que tout un chacun se livre à des calculs basés sur des observations très concrètes.En particulier, sur le fait que les riverains ont constaté que les crématoriums ont fonctionné 24 heures sur 24 pendant des jours.

Fête des morts célébrée le 5 avril. Depuis le 23mars, alors que le confinement a été progressivement levé dans la capitale du Hubei, les sept funérariums de la ville ont commencé à rendre les urnes des défunts aux familles, au rythme de 500 par jour chacun. Cela renforce le sentiment général d’une sous-évaluation importante des décès. Radio Free Asia, en citant le décompte d’un résident,écrit :

À ce rythme-là, d’ici la fête des morts, on aura atteint 42 000 urnes”,

Le 5 avril est la fête traditionnelle des morts en Chine, où les familles vont se recueillir sur les tombes.

Ces évaluations sont confirmées par un reportage photo effectué par le magazine économique Caixin, le 26 mars.

Sur ces neuf photos, indiquent les légendes, on voit des personnes faisant la queue pour récupérer les urnes de leur proche au funérarium de Hankou, l’une des trois villes qui forment la municipalité de Wuhan, au nord du fleuve Yangtsé. Une file longue de 200mètres, avec des personnes attendant jusqu’à cinq heures par manque de personnel. Par ailleurs, un chauffeur livreur a indiqué au photographe qu’il apportait 2 500 urnes, et qu’il en avait apporté autant la veille.

Agnès Gaudu

La mémoire oubliée du coronavirus (Le bloc-notes de Bernard Henri Lévy)

Le Point 2485, 9 avril 2020

Eté 1968. Un virus inconnu déferle sur le monde. Il a démarré en Chine. Et fait, au bas mot, 1 million de morts, dont 50 000 aux Etats-Unis et, au moins, 30 000 en France. Un chef d’État, Willy Brandt, est touché. Des cheminots, faute de masques, sont à l’arrêt. On vaccine, racontent les médecins survivants (Libération, 07/12/2005), « sur les trottoirs », à tour de bras. On meurt, « les lèvres cyanosées », d’hémorragie pulmonaire ou d’étouffement. Et le m al va si vite que l’ on n’a pas le temps d’évacuer les cadavres qui s’ entassent dans les salles de réanimation. Que ceux qui ont l’âge d’avoir vécu cette pandémie soient honnêtes : ils n’en ont, à l’exception des soignants, gardé aucun souvenir. Que les plus jeunes, saoulés au coronavirus, y songent : on ne leur parle jamais, sur les chaînes d’information, de ce précédent baptisé « grippe de Hongkong ». Et que les archivistes vérifient : la presse de l’époque, dix-huit mois durant, en parle ; mais sans évoquer l’hypothèse d’un confinement ; et sans que l’ on imagine de mettre la vie à l’arrêt.

1957- 1958. Autre souvenir. L’épidémie, baptisée, cette fois, « grippe asiatique », est partie des provinces de Guizhou et du Yunnan, c’est-à-dire, à nouveau, de Chine. Elle est passée par l’Iran, l’Italie, le grand Est de la France, les États-Unis. Et il ne lui a pas fallu six mois pour faire, encore, le tour du monde. Deux millions de morts au total, notamment chez les diabétiques et les cardiaques. Cent mille aux États-Unis. Entre 25000 et 100 000 en France. Des scènes d’épouvante dans les hôpitaux sous-équipés et submergés. Mais, malgré l’horreur, malgré les deuils, malgré un débat au Conseil de Paris où l’on envisage, sans s’y résoudre, la fermeture de certaines écoles, toujours pas de confinement ; une vraie présence dans les journaux, mais qui n’éclipse ni la guerre d’Algérie, ni la signature du traité de Rome, ni le retour de De Gaulle au pouvoir ; et un très curieux phénomène qui fait que cette pandémie s’est, elle aussi, effacée de nos esprits.

Ces deux précédents, troublants de similitude avec la séquence actuelle, rappellent une évidence : le Spectacle fait loi ; et un événement n’est « historique », il ne « change le monde » et ne départage un « avant » d’un « après » que pour autant que les médias, dans leur griserie autoréalisatrice, en décident ainsi.

Mais on en tirera, surtout, deux conclusions.

La planète, d’abord, a progressé. Elle juge insupportable des hécatombes qui paraissaient, hier, dans l’ordre naturel des choses. On y fait du souci de la santé publique une mission régalienne des Etats au même titre que la sécurité ou les questions de paix et guerre entre nations. On y mobilise des moyens gigantesques pour, comme avec le sida qui a fait, soit dit en passant, un total de 25 millions de morts, inventer remèdes et vaccins. Et l’humanité, comme un seul homme, fait passer la vie avant l’économie. C’est magnifique.

Mais, de l’autre côté, on en fait un peu beaucoup sur le thème de la « pandémie sans précédent ». On se trompe lorsqu’on nous dit que l’on fait face, avec ce Covid-19, au « pire désastre sanitaire depuis un siècle ». À moins d’une accélération toujours possible mais que n’envisagent, pour l’heure, pas les experts, nous sommes encore loin, dans un pays comme la France, des chiffres de 1958 et 1968. Et l’autre conclusion qui s’impose, c’est qu’il y a - et Ie constat est moins heureux... - une part de surréaction et de panique dans nos attitudes d’aujourd’hui.

Alors, ceci est-il lié à cela ?

La hantise est-elle l’inévitable revers du progrès ?

Ou est-il encore possible d’avoir l’un (l’idée neuve, non seulement en Europe mais sur les continents les plus déshérités, qu’une vie est une vie et que rien ne vaut une vie) sans forcément céder à l’autre (une humanité apeurée qui, au train où va la viralité de l’opinion, acceptera un jour comme des évidences la fermeture des frontières, la méfiance vis-à-vis de l’autre ou le « tracking » numérique) ?

Il faudrait, pour cela, que nous apprenions à respecter aussi une distance de sécurité avec les réseaux asociaux et leur fièvre de fake news.

Il faudrait que les showcrates des chaînes d’information en continu repensent la mise en scène, inutilement anxiogène, d’un décompte des morts, planétaire et quotidien, que l’on ne nous a jamais infligé, par exemple, pour les victimes du cancer.

Il faudrait que nous nous demandions, tous ensemble, si la juste lutte contre l’épidémie nécessite vraiment le blackout, dans nos têtes, sur le retour de Daech au Proche-Orient, le progrès des empires russe et chinois ou la fatale déconstruction de l’Union européenne.

Il serait capital que, sans remettre en question l’union sacrée due à nos infirmières, infirmiers et autres personnels hospitaliers, nous mettions au programme de nos débats futurs la question de savoir quels privilèges, niais aussi quels droits et libertés, nous sommes prêts à sacrifier sur l’autel de notre rêve d’un État sanitaire nous guérissant de tout, jusqu’à la mort.

Et puis, s’il est vrai que gouverner c’est, non seulement prévoir, mais choisir, il ne serait pas inutile enfin que nos décideurs aient le courage de dire ce que la mise à l’arrêt de la production coûterait, si elle se généralisait, en termes de destruction de richesse, donc de chômage de masse, donc de misère et de souffrance sociale et, donc, de vies humaines.

Ces questions sont difficiles.

À bien des égards, elles sont terribles.

Mais, sauf à céder à l’ivresse d’une guerre au virus dont on ne mesurerait pas les dégâts collatéraux, ce sont elles que doit poser une démocratie responsable et digne de ce nom.

Nouvel ordre mondial : le grand jeu de la diplomatie sanitaire de Pékin

Claude Leblanc

L’Opinion : 02 Avril 2020

Face à la crise sanitaire actuelle, les Occidentaux semblent marquer le pas face à une Chine qui profite de leur affaiblissement pour imposer sa vision du monde


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Illustration de la confiance de Pékin dans sa diplomatie, l’ambassade de Chine en France n’hésite plus à s’exprimer publiquement sur les réseaux sociaux. De l’attitude française à l’égard de Huawei et de la 5G aux réponses cinglantes vis-à-vis des critiques émises contre son pays, elle adopte une attitude offensive aux antipodes de la discrétion dont elle avait fait preuve jusqu’à présent.

Après une annus horribilis pour la Chine, en raison de la contestation à Hong Kong et de sa mise en cause dans la gestion de la population ouïghoure dans sa province occidentale du Xinjiang, 2020 n’a pas commencé sous de meilleurs auspices, avec l’épidémie de coronavirus qui l’a frappé de plein fouet. Vu d’Occident, la crise sanitaire que la seconde puissance économique de la planète a dû affronter, dès la reconnaissance officielle fin janvier de la gravité de la situation, a été perçue comme une fragilisation de Xi Jinping, principal maître d’œuvre de la poussée chinoise dans le monde.

La comparaison avec Tchernobyl en 1986, manifestation des prémices de la chute de l’Union soviétique, ou encore la mise en avant de la mort du docteur Li Wenliang, symbole de résistance à la censure opérée par les autorités sur la réalité de la pandémie, ont largement été mis en avant pour estimer que la Chine communiste pouvait sinon vaciller, du moins se montrer moins ambitieuse sur le plan international.

Cela aurait pu se réaliser si la propagation du coronavirus avait été limitée au territoire chinois et à petit nombre de pays, et si, dans le contexte des tensions entre Pékin et Washington, la plupart des Occidentaux n’avaient pas adopté une attitude de spectateur avec le secret espoir que la Chine sorte définitivement affaiblie de cet épisode tragique.

Il faut se rendre aujourd’hui à l’évidence que ce scénario ne s’est pas réalisé et que les Chinois sont en mesure de prendre leur revanche et reprendre leur politique visant à contester la prédominance occidentale sur l’ordre mondial. Les difficultés rencontrées par les Etats-Unis, désormais premier pays le plus touché par le coronavirus, mais aussi par l’Europe, dont sept pays figurent dans le top 10 des plus contaminés, offrent la possibilité à la Chine de se présenter comme un modèle pour sa gestion de la crise et comme un leader pour ce qui est de l’aide apportée à la communauté internationale.

Publicité. La fameuse « diplomatie du masque » est l’illustration la plus visible de cette stratégie. D’ailleurs, après quelques jours de tergiversations, les Européens ont fini par critiquer la publicité que Pékin a faite autour de ses fournitures alors qu’ils s’étaient montrés très discrets, à sa demande, quand l’Union européenne lui avait adressé 56 tonnes de matériels sanitaires à la mi-février. Mais les responsables chinois n’ont que faire de ses remarques dans la mesure où ils représentent la seule alternative aujourd’hui.

Dernière illustration de cet état de fait, la commande d’un milliard de masques par La France qui lui seront livrés par l’intermédiaire d’un véritable « pont aérien ». Une formulation qui en dit long sur l’image salvatrice de la Chine auprès de nombreuses opinions publiques dans le monde. Même si elle fait aussi l’objet d’attaques sur la réalité des chiffres diffusés lors de sa propre épidémie, elle est entrée dans la phase d’un retour à la normale que la plupart des autres pays sont encore loin d’entrevoir.

C’est bien cette faiblesse, en particulier des Occidentaux, que Xi Jinping veut exploiter pour accélérer l’offensive diplomatique chinoise entamée, en 2008, lors d’une autre crise majeure, financière celle-là. Depuis son accession à la tête du Parti communiste en novembre 2012, l’actuel dirigeant a renforcé les moyens de son pays pour y parvenir. Comme le rappelle Alice Ekman, responsable de l’Asie à l’European Union Institute for Security Studies (EUISS), « la Chine possède désormais le premier réseau diplomatique au monde (en termes de représentations diplomatiques – ambassades et consulats – à l’étranger), devant les Etats-Unis et la France, son influence dans les organisations et forums multilatéraux (de l’ONU au G20) s’est fortement renforcée au cours de la dernière décennie, et elle parvient à promouvoir ses priorités et ses intérêts avec un activisme qui prend souvent de court d’autres diplomaties ».

Pourtant, le président chinois n’a pas caché ses objectifs puisque, lors de son discours d’ouverture du 19e Congrès du Parti communiste, en octobre 2017, il a clairement affirmé qu’il voulait amener son pays au « premier rang du monde en termes de puissance globale et de rayonnement international ».

L’enjeu est clairement celui-ci. Et il n’entend pas laisser l’occasion de reprendre les choses en main après les difficultés rencontrées au cours des derniers mois. Tout d’abord, dans la gestion du coronavirus, la Chine fait la démonstration de son influence dans les organisations internationales qu’elle a pu consolider grâce, notamment, au retrait progressif des Etats-Unis dans bon nombre de ces instances.

L’Organisation mondiale de la santé en est la meilleure illustration : elle a réglé son attitude sur l’agenda de Pékin à la différence de crises antérieures où elle s’était montrée plus prompte à décréter une « urgence sanitaire mondiale ». Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, Washington avait été le principal donateur.

A ce propos, on peut noter que le Covid-19 constitue le premier cas où les Américains, jusque-là gendarmes du monde, n’ont pas joué leur rôle de leader, laissant aux Chinois la possibilité de prendre la direction des opérations. La campagne de l’administration Trump consistant à évoquer le « virus chinois » pour pointer la responsabilité de la Chine a été une des seules réponses face à ce défi. Ce qui est un peu court pour l’empêcher d’avancer ses pions.

Initiatives. Les difficultés qu’ont les Occidentaux ont à s’entendre sur la stratégie à adopter face à cette crise ouvrent la voie aux Chinois qui prennent des initiatives tous azimuts. Le sommet extraordinaire du G20, en vidéoconférence, le 26 mars, a été justement l’occasion pour Xi Jinping de montrer à la fois son désir de coopération pour en finir avec la pandémie et sa « sagesse » en matière de propositions pour en tourner la page.

« Guidée par la vision de la construction d’une communauté de destin pour l’humanité, la Chine est plus que prête à partager ses bonnes pratiques, à mener des activités conjointes de recherche et de développement de médicaments et de vaccins, et à fournir une assistance, dans la mesure du possible, aux pays touchés par l’épidémie croissante », a-t-il d’abord déclaré avant d’appeler à « renforcer la coordination internationale des politiques macroéconomiques ». Quand la plupart des pays semblent tentés par le chacun pour soi, Pékin sort la carte de l’intérêt général et du « faire mieux ».

A l’instar de l’ancien président chinois Hu Jintao qui avait déclaré, après la crise de 2008, que « l’actuel système monétaire international est un produit du passé », Xi Jinping est tenté de montrer que le modèle libéral n’est pas capable de répondre à ce type de situation. L’intervention financière de la Chine, il y a une décennie, avait été déterminante. Aujourd’hui, Pékin tend la main au monde pour l’aider à se battre contre le Covid-19.

« La Chine va augmenter son approvisionnement en principes pharmaceutiques actifs, en produits de première nécessité et en produits antiépidémiques et autres sur le marché international », a rappelé Xi à ses homologues du G20, le 26 mars. Dix jours auparavant et presque un an jour pour jour après l’engagement de l’Italie dans l’Initiative une ceinture, une route, il a offert au Premier ministre italien Giuseppe Conte de relancer la « Route de la soie de la santé » proposée il y a un peu plus de deux ans, afin de « promouvoir l’amélioration de la gouvernance internationale en matière de santé publique ». En d’autres termes, la Chine veut en profiter pour réviser l’ordre mondial.

« Elle veut prouver au monde que l’idéal communiste n’a pas disparu avec l’URSS. Le président chinois, qui prône un marxisme technologique d’un nouveau genre, moderne et revisité, se voit comme le rénovateur du socialisme dans le monde », estime Alice Ekman. « Plus concrètement, face à ses interlocuteurs étrangers, la diplomatie chinoise ne tient pas de discours marxiste au sens strict du terme, mais présente le modèle chinois comme une alternative qui serait viable, et même supérieure, à d’autres modèles, et en premier aux modèles américain et européen. La Chine se positionne de plus en plus, notamment face aux pays en développement, comme un exemple à suivre », ajoute-t-elle.

Même Donald Trump semble aujourd’hui changer de discours à son égard. Après un entretien téléphonique avec son homologue chinois, le 27 mars, il a tweeté : « Je viens de terminer une très bonne conversation avec le président chinois Xi. Nous avons discuté en détail du Coronavirus qui ravage de grandes parties de notre planète. La Chine a beaucoup souffert et a acquis une bonne compréhension du virus. Nous travaillons en étroite collaboration. Beaucoup de respect ! ».

Celui qui accusait encore tout récemment les Chinois de tous les maux entame un virage à 180°. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la rivalité sino-américaine est terminée, mais Donald Trump concède à la Chine une place de leader qui pourrait être durable si les Etats-Unis ne parviennent pas à endiguer l’épidémie. Les prochaines semaines seront déterminantes pour le futur ordre mondial.

"Nouvelles Route de la soie de la santé"

Comment la Chine entend profiter de la pandémie pour promouvoir sa diplomatie sanitaire

par Antoine Bondaz,
Fondation pour la Recherche Stratégique, 26 mars 2020

« Avec la construction d’une Route de la soie de la santé (…), la Chine est prête à se joindre à ses partenaires internationaux pour promouvoir l’amélioration de la gouvernance mondiale en matière de santé publique et améliorer la santé dans le monde »

Le Quotidien du Peuple, 24 mars 2020


« La Route de la soie de la santé afin de défendre la vie : on ne peut lutter contre l’épidémie sans prendre en compte notre communauté de destin », Le Quotidien du Peuple, 24 mars 2020.
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Lors de son récent appel au Premier ministre italien Giuseppe Conte, le Secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping lui a indiqué que la Chine était prête à aider l’Italie dans sa lutte contre l’épidémie de Covid-19 et a proposé de construire une « Route de la soie de la santé »

« President Xi Jinping Talked with Italian Prime Minister Giuseppe Conte over the Phone », Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China, March 16, 2020.

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Cette proposition n’est pas anodine. A l’instar du don par la Chine d’équipements de protection et d’assistance médicale à plus de 80 pays, elle s’inscrit dans une stratégie chinoise initiée depuis plusieurs années visant à utiliser pleinement la diplomatie sanitaire comme un outil d’influence. Alors que les autorités chinoises tentent de faire oublier leurs responsabilités et de minimiser leurs erreurs dans la gestion initiale de l’épidémie de Covid-19, , elles cherchent désormais à profiter de la pandémie en promouvant la diplomatie sanitaire du pays afin d’atteindre des objectifs politiques, diplomatiques et économiques.

Le 23 mars, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, nous rappelait que la gestion de la pandémie inclut une composante géopolitique dans laquelle la Chine s’efforce, à travers une « politique de générosité », de faire passer le message que, contrairement aux États-Unis, elle est un partenaire responsable et fiable. Il est fondamental de mieux comprendre la stratégie de la Chine en matière de diplomatie sanitaire, notamment en la contextualisant, afin que la France et l’Union européenne (UE) soient en mesure de convaincre leurs interlocuteurs internationaux qu’ils demeurent des partenaires incontournables en matière de santé publique.

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Le Communiqué de Pékin sur la Route de la soie de la santé rappelle de grands principes de coopération bilatérale et multilatérale. Il précise cependant certaines initiatives, comme la création d’un Réseau de recherche sur les politiques de santé de la Ceinture et la Route ou la promotion de la médecine traditionnelle chinoise, qui « devrait être davantage institutionnalisée et renforcée ». Il annonce la formation d’une Alliance pour le développement durable de l’industrie de la santé le long de la Ceinture et la Route, chargée de soutenir le commerce des services liés à la santé comme le tourisme médical, mais aussi de favoriser une reconnaissance mutuelle de normes d’accès aux médicaments et aux dispositifs. Clairement, la Chine n’entend pas seulement coopérer sur le plan sanitaire : elle veut aussi accroître les parts de marché de ses industries et faire adopter par les pays en développement ses normes et standards

La promotion de la Route de la soie de la santé au cours de la pandémie de Covid-19La diplomatie sanitaire étant désormais au cœur de la diplomatie chinoise, il n’est pas étonnant que le pays cherche à la promouvoir à l’heure où de nombreux pays peinent à répondre à l’épidémie de Covid-19, avec des moyens souvent insuffisants. En plus de l’expérience solide développée ces dernières années, la Chine possède des atouts nombreux vis-à-vis de ses partenaires.

Le pays est parvenu à contenir puis à réduire l’épidémie sur son territoire, ce même si les chiffres exacts doivent prêter à caution ; à développer une expertise médicale mais aussi technique spécifique, avant les autres pays, après avoir traité plus de 80 000 patients atteints du Covid-19 ; et surtout à considérablement accroître ses capacités de production d’équipements de protection (dont les masques) et de respirateurs, dont les autres pays, qui dépendaient déjà en partie des entreprises chinoises, ont cruellement besoin

Ce qui a débuté comme une crise sanitaire de grande ampleur se transforme de plus en plus en opportunité politique pour la Chine. Elle endosse ainsi un rôle jusque-là traditionnellement joué par les grandes puissances occidentales. Alors que quelques semaines auparavant le pays recevait des dons de masques et matériels médicaux de nombreux pays et d’une dizaine d’organisations internationales, le pays, afin de redorer son image, s’est lancé dans une campagne de communication sans précédent

. Cela passe par la médiatisation forte de nombreuses initiatives – comme un don de 20 millions de dollars à l’OMS, l’envoi d’experts médicaux en Iran et en Italie, la construction d’un laboratoire en Irak pour conduire des dépistages, ou encore l’acheminement de tests diagnostiques aux Philippines et d’équipements de protection au Pakistan et en France. Cette initiative ne se limite pas à la « diplomatie du masque » même si celle-ci en est une partie intégrante, la plus médiatisée.

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Cfédit .FRStrategie.org/

Frankopan : « Les Chinois vont réécrire l’Histoire »

Que va devenir, après la crise, le mégaprojet des nouvelles routes de la soie ? Et quel monde se dessinera ?
Peter Frankopan, professeur
à Oxford, l’auteur du best-seller «  Les Routes de la soie » livre quelques pistes.


Xi Jinping dans son travail de déploiement des Routes de la soie, face à Trump qui résiste
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Dans Les Nouvelles Routes de la soie (Nevicata, 2018), Peter Frankopan notait déjà : « Tous les chemins me-, naient à Rome. Aujourd’hui, ils mènent à Pékin. » Cette situation va-t-elle changer avec les bouleversements entraînés par l’épidémie de coronavirus ? C’est ce que nous avons demandé à l’historien, professeur à Oxford, Princeton et Leiden, dont le best-seller Les Routes de la soie (Nevicata, 2017) a été salué par la presse internationale comme « le plus important livre d’Histoire publié depuis des Décennies ». Frankopan y retraçait avec précision et ampleur romanesque deux mille cinq cents ans d’Histoire, des campagnes d’Alexandre le Grand aux grands déséquilibres géopolitiques du XXIe siècle. Au détour des pages, l’historien montrait par ailleurs comment la peste noire du XIV siècle, qui s’était propagée des steppes eurasiennes à l’Europe à une vitesse grand V, avait considérablement bouleversé l’organisation du monde d’alors. Quid du nôtre, avec le coronavirus ?

••• Le Point : Avec la méfiance croissante vis-à-vis de la mondialisation et la tendance à la relocalisation des industries et au mieux-consommer, pensez-vous que le projet chinois des nouvelles routes de la soie, « One Belt, One Road », sera affecté par l’épidémie ? Le protectionnisme ne va-t-il pas se durcir dans le monde ?

Peter Frankopan : C’est ce qu’on entend dire en ce moment : la mondialisation est terminée car cette épidémie montre la fragilité de nos relations commerciales. On serait entré dans la prochaine ère, celle de la« démondialisation » et du néonationalisme. Dans de nombreux milieux, en particulier aux États-Unis, il y a non seulement une adhésion à cette hypothèse, mais on lui prodigue un soutien très actif. Certains y voient une occasion en or d’affaiblir économiquement le régime de Pékin. Un des conseillers les plus proches du président Trump n’a cessé de marteler qu’il était nécessaire de sécuriser les chaînes d’approvisionnement, et donc de « relocaliser » l’économie. Sauf que les chaînes d’approvisionnement impliquent souvent plusieurs producteurs dans plusieurs pays. Et puis, si l’on est déterminé à devenir isolationniste, on ne peut pas ignorer qu’il y aura aussi des représailles, avec un impact sur ses affaires intérieures. Ensuite, l’objectif des chaînes d’approvisionnement mondiales est de pouvoir produire au prix le plus bas possible. S’éloigner de cette conception fera augmenter les prix pour les consommateurs nationaux. Les gouvernements sont-ils prêts à cela ? Concernant « One Belt, One Road », pour l’instant, la pression économique est si forte qu’il y aura peu de déploiement économique pendant un certain temps. D’ailleurs, avant le Covid-19, l’économie chinoise ralentissait, comme l’a déclaré un responsable du Sichuan à la fin de l’année dernière : « On a déjà tous les ponts dont on a besoin. »

À quoi peut-on s’attendre, alors ?

Ce que va faire la Chine, désormais, c’est mettre l’accent sur sa volonté et sa capacité à aider les autres- comme ils le font en envoyant du matériel médical et même des médecins en Italie ou des millions de masques en France. Il s’agit pour eux de souligner l’efficacité de leur opération de nettoyage dans le Hubei, et c’est un véritable cadeau, dans ce contexte, que leur ont fait tant de gens en parlant de la Chine comme d’un Etat dont l’autoritarisme était voué à disparaître, plutôt que de se préparer au tsunami qui allait arriver. Voilà pourquoi le projet chinois « One Belt, One Road » va maintenant certainement mettre l’accent sur un leadership mondial qui ne soit pas uniquement économique, mais politique et philanthropique. Les nouvelles routes de la soie ne vont pas changer d’itinéraire, mais transporter autre chose que des biens matériels. Elles vont notamment véhiculer l’idée que la réponse apportée par la Chine au virus est meilleure que celle des autres pays, pour faire oublier que les atermoiements chinois ont permis à l’épidémie de Wuhan de devenir une catastrophe mondiale. Il s’agit bel et bien de réécrire l’Histoire selon ces termes : un triomphe chinois et un échec occidental. Et on ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenus.

Mais au vu des grands événements de !’Histoire, ne devons-nous pas relativiser notre pessimisme ?

En effet, le fait que tant de gens réagissent comme sile monde était surle point de se terminer demain me fait dire que les historiens n’ont pas très bien expliqué le passé. La situation actuelle est-elle plus terrifiante que la Seconde Guerre mondiale ? Que l’arrivée d’Attila et des Huns en Europe ? Que la crise des missiles cubains ? Que 1789 et les années qui ont suivi ? Il est d’ailleurs tout à fait possible qu’on regarde le printemps 2020 comme une période de paix et de calme, les premières gouttes de pluie avant le déluge... Les pires scénarios nous emmèneraient alors sur le territoire habituel des films de science-fiction : des villes désertes, l’abandon de la culture et son remplacement par la violence... Je préfère regarder en arrière et me dire que les pages d’Histoire qui concernent la stabilité et le bonheur, comme l’écrit Hegel, sont souvent celles qui sont laissées en blanc par les historiens. On a le droit de penser que la période qu’on traverse est inhabituelle, mais c’est méconnaître que les rythmes historiques sont toujours indexés sur les guerres, les épidémies, les révolutions ... C’est pour cela qu’on aime lire des livres ou voir des films : nous avons un attrait pour le désastre.

Et pour les grandes histoires de décadence...

Ou i ! Il est devenu populaire, par exemple, de parler de la « décadence » des Romains avant la chute de l’empire. Sauf qu’une telle analyse reflète des idées beaucoup plus tardives, notamment celle des Européens puritains qui ont écrit sur cette époque près de mille ans plus tard et qui souhaitaient s’en servir pour avertir leurs contemporains d’un danger potentiel. La disparition de Rome, en fait, a commencé avec une période de changement climatique, comme pour l’Empire maya en Amérique centrale.


Peter Frankopan,
historien britannique
et auteur des Routes de la soie (Nevicata, 2017).
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« Les nouvelles routes de la soie véhiculeront l’idée que la réponse apportée par la Chine au virus est meilleure que celle des autres pays. »

Le problème, c’est que ce changement climatique, un léger refroidissement, en l’occurence, a mis fin à la « tempérance » de l’environnement. Combiné à la pression géopolitique extérieure, notamment les grandes migrations à l’est, c’était un cocktail mortel. Dans le cas de Rome, les recettes se sont effondrées alors que les dépenses ont augmenté, et le gouvernement central n’a pas pu réagir à temps. C’est ainsi que tous les empires - et les entreprises – échouent : pas par la prétendue « décadence » des personnes impliquées, mais souvent par un choc bref et aigu qui n’était pas prévu. Comme mon ami Nassim Nicholas Taleb l’a dit, on dépense des milliards en armement chaque année. mais de quoi a-t-on aujourd’hui le plus peur ? De la poignée de main d’un barman qui touche le salaire minimum. Non, ce n’était pas prévu.

On note en Europe une brutale réduction des libertés individuelles. Le philosophe Peter Sloterdijk parle de re-surgissement du « fantôme de l’ordre retrouvé » et évoque Carl Schmitt. Cela vous alarme-t-il ?

C’est une question fondamentale : les élites au pouvoir vont-elles prendre des mesures pour resserrer leur contrôle sur les populations, comme si c’était le moment ou jamais ? Ça paraît fou, mais la mauvaise nouvelle c’est que cela s’est déjà produit.
On est convaincus qu’on vit encore dans une période de croissance, de progrès, de démocratie, d’avancée des valeurs libérales, mais on a permis la construction de plateformes numériques qui sont des outils parfaits pour la manipulation et la persécution. Et non seulement on l’a permis, mais on s’est volontiers impliqués dans ces dernières, au point d’instituer avec elles une forme de dépendance. Et on leur a donné nos données... Ajoutons que le niveau de confiance dans les principes démocratiques est de plus en plus faible en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Quelles pourraient en être les conséquences ?

Le phénomène est inquiétant car il semble résulter d’une perception globale d’un échec des gouvernements à réglementer la société équitablement. La crise actuelle pourrait donc donner un puissant coup aux forces de la démocratie, dont les dirigeants sont vus comme insuffisamment préparés. On parle beaucoup, par exemple, du rôle que les militaires pourraient jouer dans les Etats de l’Union européenne : on a tous vu des annonces de déploiements de soldats afin d’aider à l’approvisionnement en médicaments et en services médicaux. On peut penser qu’ils pourraient aussi jouer un rôle si les peuples se lançaient dans la désobéissance civile. Cette crise place donc l’armée dans un rôle hautement politique qui pourrait modifier la société. De nombreux pays - y compris dans l’Union européenne - ont des dirigeants populistes avec des opinions assez tranchées sur le statut des minorités, l’égalité sexuelle ou les idées libérales. Pour eux, c’est le moment idéal pour renforcer leur emprise sur leur pays et changer l’avenir. Se laver les mains est important, mais réfléchir à ces questions aussi.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

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3 Messages

  • Viktor Kirtov | 23 avril 2020 - 15:28 1

    Les efforts déployés par Pékin pour vendre au monde sa gestion exemplaire de la pandémie ne suffiront pas à masquer ses manquements.

    par Nicolas Baverez
    Editorial, 23/04/2020

    Par un étonnant paradoxe, la Chine semble le principal gagnant de l’épidémie de coronavirus née à Wuhan, tout comme la finance américaine sortit renforcée du krach de 2008 qu’elle avait engendré. Mais, de même que les États-Unis ont été emportés par le populisme déchaîné par la crise financière, la Chine pourrait voir sa position fragilisée par sa responsabilité dans l’origine et le développement de la pandémie.

    La crise sanitaire, sous sa gestion présentée comme exemplaire par Pékin, a souligné la nature totalitaire du régime, indissociable du mensonge et de la violence d’État. Il est aujourd’hui acquis que l’épidémie a été occultée pendant plus de deux mois – qui furent décisifs dans sa propagation. Les données sur les contaminations et les décès ont par ailleurs été tronquées. « La vérité doit s’inspirer de la pratique. Il faut corriger la vérité d’après la pratique », enseignait Mao Tsé-Toung. L’injonction a été strictement appliquée par Xi Jinping. La Chine n’a comptabilisé dans les victimes que les décès intervenus à l’hôpital, excluant les morts à domicile qui, sur la base de la révision du bilan à Wuhan, représenteraient le tiers des disparitions. Surtout, seuls ont été pris en compte les morts n’ayant contracté que le coronavirus – hors les cas de comorbidité qui, selon les études épidémiologiques chinoises, constituent 72 % des décès à l’hôpital. Le nombre réel des victimes en Chine serait donc au minimum de 25 000 personnes au lieu des 4 632 annoncées.

    Surveillance numérique. L’économie chinoise est repartie mais souffre d’un déséquilibre entre l’offre, reconstituée à 90 % par la reprise autoritaire du travail, et la demande, qui reste amputée de moitié. La consommation intérieure ne redémarre pas – malgré les aides aux ménages – en raison de la peur du chômage, des baisses de salaire et de la hantise d’être reconnu par les outils de contrôle numérique comme positif au Covid-19, ce qui entraîne une quarantaine immédiate. La crise a fourni par ailleurs l’occasion d’un développement fulgurant des nouvelles technologies. L’État subventionne à hauteur de 1 million de yuans toute entreprise innovant dans un projet lié à l’épidémie, il a raccourci les procédures d’homologation, systématisé les services publics en ligne et développé les partenariats avec le secteur privé, à l’image du passeport sanitaire pour les chauffeurs et les automobilistes géré par Alibaba. Une floraison de percées est intervenue. Comme dans la télémédecine avec la transmission des examens en 5 ; dans l’utilisation des drones pour les livraisons ou le contrôle du trafic ; dans la surveillance numérique, avec la reconnaissance par la rétine ou la collecte des données de santé, le tout sans consentement des individus.

    Sur le plan géopolitique, la Chine joue le premier rôle dans cette crise qui, fait sans précédent depuis 1945, voit l’effacement complet des États-Unis. L’épidémie accélère aux yeux de Pékin la désoccidentalisation du monde, les démocraties étalant leur impuissance à maîtriser l’épidémie et s’engageant dans la japonisation de leurs économies, marquée par la stagnation de l’activité et l’explosion de la dette publique. Simultanément, la Chine, selon les règles du jeu de go, poursuit méthodiquement leur encerclement en renforçant ses liens avec les émergents de trois façons : la diplomatie sanitaire avec les livraisons de matériel de protection, d’équipements médicaux et de médicaments ; le financement des États via les investissements des nouvelles routes de la soie et des banques centrales via les accords de swaps de la Banque de Chine ; la prise de contrôle des institutions multilatérales – OMS en tête.

    Demande de réparations. Le triomphe apparent de la Chine demeure cependant très ambigu. L’épidémie a souligné le dualisme d’un pays à la pointe des technologies mais parfois très archaïque dans ses modes de vie et de consommation, très peu sûr aussi dans l’organisation de la production. Le total-capitalisme de Pékin a fait la démonstration de sa culture du mensonge et de son absence de fiabilité. Enfin, le coût démesuré des pertes dans le monde suscite d’innombrables procédures judiciaires pour engager la responsabilité de la Chine et lui demander des réparations.

    La situation de la Chine est riche d’enseignements. 1. La reprise économique en sortie de confinement sera lente et dépendra largement du redémarrage du commerce international. 2. La crise du coronavirus se traduit par une accélération fulgurante de la numérisation. 3. L’affrontement avec la Chine sera au cœur de l’élection présidentielle aux États-Unis, dont la défaite et l’humiliation lors de ce Pearl Harbour sanitaire annoncent une ascension aux extrêmes de la guerre technologique. 4. La marginalisation de l’Occident par la Chine acte l’échec de la stratégie isolationniste de Donald Trump. 5. La disparition des États-Unis et les failles de la Chine laissent le monde du XXIe siècle sans véritable leader, ce qui rend d’autant plus urgent pour l’Union européenne de se repenser comme puissance.

    Illustration : Dusault
    Crédit : Le Point


  • Viktor Kirtov | 11 avril 2020 - 20:57 2

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    Vers une crise financière sans précédent ?
    Par Skype : Daniel Cohen, économiste, dans l’émission C-à-vous du vendredi 10 avril 2020, présentée par Anne-Elisabeth Lemoine

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  • Viktor Kirtov | 11 avril 2020 - 13:59 3

    L’initiative Covid-IA ou l’Intelligence Artificielle comme aide à la gestion du déconfinement

    ALEXANDRE MIGNON. Anesthésiste réanimateur à l’Hôpital Cochin à Paris
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    L’initiative Covid-IA, réunit des médecins et des chercheurs, et propose une stratégie alternative pour mieux gérer le déconfinement : faire appel à l’intelligence artificielle pour permettre d’arbitrer au mieux entre « sécurité sanitaire » et « retour rapide au travail des Français ».

    La crise économique et le chômage qui va en découler va frapper les classes les plus pauvres et les plus fragiles qui se soignent mal ou pas avec aussi des conséquences mortelles. (Dès à présent, on peut noter que le département 93, le 9-3, département où est concentrée une population plus précaire qu’ailleurs, le taux de mortalité par coronavirus y est plus élevé). Au final, la crise économique peut faire plus de morts que l’épidémie proprement-dite, même si elle est moins médiatisable que les séquences vidéos des lits de réanimation dans les hôpitaux débordés.

    Crédit : France 5,

    Le site de référence : https://covid-ia.org/