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Les larmes du Caravage

Jordi Savall & Dominique Fernandez

D 8 avril 2020     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



En 2005, Jordi Savall, violiste catalan, donne une série de concerts à Barcelone, lors de la rétrospective Caravage du musée des Beaux-Arts de Catalogne. Le projet « Lachrimae Caravaggio » (Les larmes du Caravage) naît peu après. C’est le fruit d’une rencontre entre le musicien et Dominique Fernandez, auteur du roman La course à l’abîme. Le CD sort en avril 2007, avec un livret de 169 pages (Alia Vox). En 2012, Savall donne un concert au Festival de Maguelone. Ce concert a été mis en ligne le 2 avril (à regarder sur youtube). J’ai retrouvé un bel article de Renaud Machart et quelques interviews.

Jordi Savall : Lachrimae Caravaggio (Hespèrion XXI)

Festival de Maguelone 2012
L’Europe musicale au temps de Caravage.

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Jordi Savall - viole de gambe
Ferran Savall - voix
Philippe Pierlot - viole de gambe
Sergi Casademunt - viole de gambe
Lorenz Dufschmidt - viole de gambe
Xavier Puertas - violon
Xavier Diaz-Latorre - luth, theorbe & guitare
Perdo Estevan - percussions

Cantus Carravaggio 1. 1 Lachrimae tristes. Deploratio 1, 2, 3 & 4. Planctus Caravaggio 1 & 2. Extasis (improvisation). Fantaisie "Moro, Lasso" (d’après Carlo Gesualdo). 2 Lachrimae invocantis (improvisation). Sinfonia di Guerra (d’après Monteverdi). Pugna & damnatio. Imploratio (improvisation). Concentus : Aria, Recit, Lamento, Aria (d’après A. Stradella & L. Rossi). Lachrimae dolcissima (improvisation). Durezze ligature (d’après Trabaci). Passacaglia "Umbrae" (improvisation). Cantus Caravaggio 2 "O Lux". 4 Lachrimae amara (improvisation). Transitio (improvisation). Passacaglia "libertas". 5 Lachrimae dolente (improvisation). Consonanze stravaganti (d’après Trabaci). Cantus Caravaggio 3 "Extempore". 6 Lachrimae gementes (improvisation). Spiritum morientis. Liberatio (improvisation). 7 Lachrimae exultantes (improvisation). Cantus Caravaggio 4 ’In memoriam".
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Les morsures sonores du Caravage


Le chef d’orchestre, chef de chœur, violoncelliste et violiste Jordi Savall.
ANDY SOMMER/MEZZO. ZOOM : cliquer sur l’image.
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A l’occasion d’un beau concert, capté dans l’Hérault en 2012, le violiste Jordi Savall propose un contrepoint musical aux toiles du peintre italien.

Par Renaud Machart

Jordi Savall joue naturellement le répertoire pour son instrument, la viole de gambe, dont il est le plus éminent interprète. Il dirige aussi des concerts symphoniques, des opéras. Mais le Catalan à la belle et noble figure, né en 1941, aime surtout créer des programmes thématiques (souvent entre Orient et Occident) et s’entourer d’une bande de musiciens complices – dont certains sont ses partenaires depuis la formation, en 1974, de l’ensemble Hesperion XXI (qui, au XXe siècle, s’appelait d’ailleurs Hesperion XX).

On notera particulièrement, au cours de cette captation d’un concert donné en 2012 dans la belle cathédrale de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), lors du Festival de musique ancienne de Maguelone, la présence du génial et impassible percussionniste Pedro Esteban qui donne leur sel et leur nervure rythmique à ces musiques le plus souvent affligées, mais, parfois, enjouées.

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Le programme, intitulé «  Lachrymae Caravaggio, l’Europe musicale au temps de Caravage  », trouve sa source dans la rencontre, il y a dix ans, de Jordi Savall et de l’écrivain Dominique Fernandez, tous deux «  fascinés par l’art et la vie de ce peintre visionnaire qu’a été Michelangelo Merisi da Caravaggio  », écrit Savall dans le livret d’accompagnement de l’enregistrement, paru en 2007, de ce subtil programme pour son propre label Alia Vox.

Cruautés harmoniques

Dans ce même livret, Dominique Fernandez a signé sept textes d’admiration pour ce peintre à la vie aventureuse et scandaleuse, qui «  aime représenter l’acte de tuer [et] y trouve à la fois une volupté funèbre et une exaltation dionysiaque  ». Chacun d’entre eux décrit autant de tableaux fameux du Caravage, tandis que sept «  stations  » offrent un contrepoint musical à ces toiles.

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On retrouvera, dans certaines des belles musiques du début du XVIIe siècle, jouées, improvisées et chantées (par Ferran Savall, fils de Jordi) au cours de ce concert, des cruautés harmoniques et des douleurs aiguës  : une «  correspondance   » (au sens baudelairien) aux tableaux du Caravage, dont chaque exemple, écrit Savall, «  contient mystérieusement toute une vie, avec ses souffrances, ses doutes, ses moments de bonheur, d’ombre et de lumière  ».

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Manque, cruellement, depuis sa disparition, le 23 novembre 2011, la grande, belle et si poétique Montserrat Figueras. La chanteuse était présente dans presque tous les programmes que donnait Hesperion XXI, notamment, chaque été, au Festival de Fontfroide, près de Narbonne, dans l’abbaye de ce lieu enchanteur où, avec son époux Jordi, elle avait fondé un beau rendez-vous de musique.

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Quelques mois après la disparition de «  sa muse, sa compagne et sa meilleure amie  », le Catalan lui rendait hommage au début de ce beau et ténébreux concert qui lui est consacré  : «  Elle ne mourra jamais, car, comme disait le poète, on ne meurt que quand on nous oublie. C’est pourquoi les larmes, dont toutes ces musiques parlent, ne sont pas seulement des larmes de tristesse, mais aussi des larmes de joie pour toutes les années qu’elle a été avec nous.  »

« Lachrymae Caravaggio, l’Europe musicale au temps de Caravage » (œuvres de John Dowland, Orlando Gibbons, William Brade, Antonio Cabezón…) par Ferran Savall (voix), Hesperion XXI, Jordi Savall (viole et direction). (France, 2012, 82 min).

Renaud Machart, Le Monde.

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Caravage sous le regard de Savall et Fernandez

JORDI SAVALL, inspiré par l’oeuvre de Michelangelo Merisi, dit le Caravage, a improvisé, entouré de ses musiciens du Concert des Nations, d’Hespèrion XXI, et de son fils, le chanteur Ferran Savall, plusieurs stances musicales intitulées Lachrimae Caravaggio. Le CD est accompagné d’un livret commenté par Dominique Fernandez, qui comporte un choix de sept toiles du peintre. Histoire et explication d’une correspondance esthétique.

Par JEAN-LOUIS VALIDIRE
Le Figaro. Publié le 7 avril 2007 à 06:00, mis à jour le 15 octobre 2007 à 02:05

LE FIGARO. - Pourquoi précisément ces sept tableaux ?

Dominique FERNANDEZ. - Il y a deux Caravage, celui de la jeunesse, plus frais, et puis celui qui tombe dans la violence, la cruauté, la douleur. J’ai choisi les tableaux de la seconde partie, plus dramatiques. À travers les motifs religieux, il exprime des souffrances humaines.

Jordi SAVALL. - J’ai essayé de choisir une mélodie qui rende compte de la description des martyrs et de cette tendresse qu’il porte sur les êtres humbles, comme dans un film dont le thème serait le Caravage. Ensuite, je décline toutes les improvisations. La lecture du texte a aidé à construire la forme du projet autour de sept tableaux, car le chiffre sept a un caractère symbolique. À l’instar des Sept dernières paroles du Christ sur la Croix, le projet, c’est pour moi les sept dernières paroles de Caravage. C’est comme si j’étais entré dans cette peinture musicale.

D. F. - Quand j’ai écouté pour la première fois la bande musicale, je me suis dit que c’était dommage qu’il n’y ait pas de voix. La peinture du Caravage c’est aussi une sorte de cri.

Autant le commentaire installe le peintre dans son actualité, autant la musique l’accompagne dans son siècle. Est-ce que ce décalage est voulu ?

J. S. - Si vous écoutez bien, la musique parle de l’époque, comme le texte explique les symboles. La musique est aussi totalement d’aujourd’hui dans le traitement des dissonances, les mélodies sont traitées avec une totale liberté. Pourquoi renoncer lorsque l’on fait un portrait musical d’un peintre du XVIIe siècle aux éléments de l’époque qui le caractérisent ? Mais il faut en même temps le situer dans notre temps. La modernité n’est pas déterminée par le moment où l’objet a été conçu. Notre-Dame de Paris est ancienne, mais elle fait aussi partie du Paris d’aujourd’hui.

Quelle place occupe Caravage dans l’histoire de la peinture ?

D. F. - C’est une révolution. C’est l’introduction du vérisme. Toute la peinture de la Renaissance idéalise. Raphaël et même Michel-Ange dessinent des êtres parfaitement intemporels, éthérés, à la limite qui ne sont pas des êtres humains. Caravage prend ses modèles dans la rue, et particulièrement les mauvais garçons, les prostituées, et il les peint tels quels, sans les idéaliser ni les transfigurer. Sa Vierge, c’est une prostituée enceinte qui s’était suicidée et que l’on a retrouvée dans le Tibre. Elle était donc à trois titres pécheresse. Il prenait les gens le plus en dehors de la société et les mauvais garçons, il ressemble à un modèle de Pasolini. C’est lui qui introduit le clair-obscur, l’éclairage indirect qui tombe sur une partie du tableau, et qui sera repris par Rembrandt, La Tour et tout le monde. Avant, il y avait une lumière intemporelle, dont on ne sait d’où elle vient, comme dans les tableaux de Raphaël. Il y a ensuite cette double lecture. Les sujets sont religieux parce que c’est l’Église qui commande les oeuvres. Mais à travers, il raconte une histoire de violence et de passion. C’est très autobiographique, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai pu écrire mon roman, La Course vers l’abîme.

J. S. - Il y a un autre parallèle avec la musique. Caravage, c’est une découverte des années 1950, comme la musique ancienne. Ce sont deux mondes qui se situent dans le même contexte. Avant 1950, qui connaissait Machaut, Monteverdi ? Cela m’a fasciné de mettre ensemble musique, littérature et peinture pour actualiser cette période. L’époque du Caravage était révolutionnaire et, à un moment, on ne l’a pas compris. Stendhal n’avait rien compris à la musique baroque.

D. F. - Il n’avait pas plus compris Caravage. Il le cite une fois pour dire « ce scélérat de Caravage ». Ce n’est pas sa faute, mais celle de l’époque... Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur le double retour de la musique baroque et de la peinture du Caravage.

Est-ce que vous entendez de la musique lorsque vous regardez un tableau ?

D. F. - Oui. Dans les Caravage, en plus, on trouve beaucoup de musiciens, le Joueur de luth ou Les Musiciens qui est à New York, où quatre jeunes gens jouent. Dans La Fuite en Égypte, il y a un ange qui joue du violon et quatre jeunes gens qui jouent.

J. S. - Dans la musique, il y a quelque chose de très proche de la peinture. Les instruments graves sont pleins de couleurs sombres, le chant est ambré ; le violon, c’est l’éclat et la lumière éblouissante. J’ai été très à l’aise pour me plonger dans cette époque, car le son de la viole de gambe nous envoie directement dans les ténèbres.

Lachrimae Caravaggio, 1 CD Alia Vox, 20 eur.

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Jordi Savall au tableau

par Bertrand Dermoncourt, publié dans L’Express le 04/04/2007.

Tout commence en 2005, à Barcelone, lors de la grande rétrospective Caravage au musée des Beaux-Arts de Catalogne. Savall y avait donné une série de concerts, illustrant le parcours de l’artiste (1571-1610) à l’aide de compositions de son temps, signées Monteverdi ou Gesualdo. Fort de cette expérience, il a voulu aller plus loin, en écrivant une musique qui rende compte des impressions ressenties face aux toiles du Caravage. "Son oeuvre est d’une grande modernité et témoigne d’une époque en pleine crise spirituelle. Comme la nôtre", souligne Jordi Savall.

Pour élaborer son projet, Savall s’est imprégné du roman La Course à l’abîme, que Dominique Fernandez a écrit à partir des tableaux et de la biographie du Caravage. Il était donc naturel qu’il lui propose de participer à l’élaboration du disque. Dominique Fernandez a retenu sept tableaux du maître, qu’il présente et commente dans le très riche livret du CD. Pour L’Express, les deux complices reviennent, exemples à l’appui, sur ce travail original.

Parmi les sept tableaux du Caravage retenus par Dominique Fernandez, il y a Le sacrifice d’Isaac, Martyre de Saint-Matthieu, Dans la main de l’ange,

la Déposition de croix

Dominique FERNANDEZ : De ce tableau se dégagent une émotion intense et, en même temps, un pathos retenu. Il faut bien en observer la construction, qui s’apparente à une pyramide instable. Cette composition répond au goût baroque d’alors de la dissymétrie et de l’équilibre précaire. Ce n’est pas un hasard si notre époque, à la recherche de certitudes, se reconnaît dans l’art du Caravage. A l’idéalisation d’un Raphaël et des peintres de la Renaissance, on préfère le vertige et les doutes de l’art baroque.

Jordi SAVALL : Dans ce disque, j’ai cherché à restituer la violence très directe qui se dégage de ces peintures. Vers 1600, certains musiciens n’hésitaient pas à utiliser la dissonance afin de choquer l’auditeur. Je ne me suis pas privé de ces effets. J’ai également emprunté certaines techniques à des compositeurs d’aujourd’hui, comme Arvo Pärt. En juxtaposant des morceaux lents et denses à d’autres plus légers, en mélangeant les influences populaires et savantes, j’ai voulu retrouver ces équilibres instables dont parle Dominique Fernandez.

la Décollation de saint Jean-Baptiste

Dominique FERNANDEZ : C’est le plus grand tableau peint par le Caravage : 3,60 sur 5,20 mètres. Il représente la mise à mort de saint Jean-Baptiste. Pour un esprit non prévenu, la scène figure plutôt un crime crapuleux, tel qu’il peut se produire à n’importe quel coin de rue, plutôt qu’un épisode de l’histoire sainte. Comme souvent, le Caravage figure un monde cruel, où la grâce n’existe pas. Symboliquement, les deux tiers du tableau sont envahis par l’obscurité ; seul le meurtre est projeté dans la lumière, avec ce rouge profond qui jaillit de la gorge de l’agonisant. C’est avec ce sang que le peintre a signé son oeuvre, la seule signature qu’il ait apposée à l’un de ses tableaux.

Jordi SAVALL : Le Caravage utilise de forts contrastes de couleurs. En enregistrant le disque, je disposais, moi aussi, d’une large palette instrumentale, du simple violon au grand orchestre de 40 musiciens, de l’improvisation intimiste à la monumentale fanfare funèbre. Pour garder une cohérence à l’ensemble, et pour atteindre la même unité que le Caravage, des thèmes reviennent, obsédants, tout au long du disque.

David et Goliath


Caravage, David avec la tête de Goliath, 1605-1606.
Photo A.G., Rome, Galerie Borghèse, 23 juin 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Dominique FERNANDEZ : Miracle de l’art italien : les scènes les plus crues sont toujours belles. Sur le thème rebattu de David et Goliath, le Caravage invente autre chose, avec ce David accablé par l’acte qu’il vient de commettre. Le jeu d’ombre et de lumière est porté à un point dramatique inégalé. Le fameux "clair-obscur’’ est devenu une éclaboussure de lumière dans un gouffre de ténèbres.

Jordi SAVALL : Le défi musical le plus délicat de ce projet était de trouver un équivalent sonore à ces textures sombres. J’ai donc particulièrement développé les sonorités graves, avec une basse en ostinato [répétition d’une ligne mélodique], qui passe d’un morceau à un autre, comme le noir envahissant l’espace. Sur quatre titres, mon fils Ferran improvise, en chantant. Je crois que l’on y ressent le déchirement intérieur, l’humanité bouleversante de ce David et Goliath, impossible à exprimer en paroles. Avec ce disque, j’ai cherché à me laisser envahir par l’univers poétique du Caravage. J’espère être parvenu à rendre compte d’une expérience intime, de cet espace imaginaire né de la confrontation avec ces peintures.

(RE)LIRE : Yannick Haenel, La solitude Caravage

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