Désir, le dernier livre de Philippe Sollers est sorti sans aucun écho préalable dans la presse (sauf erreur).
Philippe Sollers ne les recherche plus et s’en était chargé lui-même :
- En pré-publiant, un large extrait dans l’Infini 145, Automne 2019, repris sur pileface, ici
- Avec le film de ses assistants G.K.Galabov et Sophie Zhang où Sollers lit et commente son livre.
- En publiant la lettre que lui a adressée Antoine Gallimard, témoignage d’amitié à la suite d’un long compagnonnage [1] et de fait, première critique du livre. Une critique courte mais très pertinente.
Gallimard
Collection Blanche
144 pages
Quatrième de couverture
- Philippe Sollers.
Livre publié le 5 mars 2020, quelques jours avant la Journée des femmes du 8 mars .
Exergue
"Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie."
RIMBAUD
Le début
La confiance est la clé. Sans elle, rien ne serait possible […]
Livre à contre-courant puisant ses références dans un XVIIIe siècle oublié
En 1790, à Paris (notez bien le lieu et la date), Louis-Claude de Saint-Martin, plus connu sous le nom du « Philosophe Inconnu », publie L’Homme de Désir, claire déclaration révolutionnaire de l’Illuminisme :
« Sois bénie, lumière brillante, splendeur visible de la lumière éternelle, d’où ma pensée a reçu l’existence.
Si ma pensée n’était pas une de tes étincelles, je n’aurais pas le pouvoir de te contempler. »
Quoi de plus décalé, de plus à contre-courant que ces lignes dès la première page du livre, vous direz-vous ? Poursuivons un peu, est-ce vraiment à contre-courant ? Mais pas du tout ! Un masque, un leurre ! Dès la page suivante vous trouvez un chapitre intitulé CONTRE-DESIR. Et voilà, que l’écrivain, en magicien-jongleur prolonge ces références d’un autre temps dans notre contemporanéité en sortant de son chapeau :
CONTRE-DESIR
Laurence, en tant qu’avocate, récolte beaucoup de renseignements sur le chemin de la foule menant au contre-désir. Là, règnent la défiance, les passions négatives, les opinions changeantes, l’erreur. Le désir doit être contredit sans cesse, rien de sa vérité ne doit arriver. Les réseaux de Laurence sont ceux du Barreau, redoublés par son appartenance maçonnique. Bien entendu, elle ne parle jamais de sa société secrète, juste un signal, de temps en temps.
Elle est gaie, très intelligente, déjeuner avec elle est une fête du vocabulaire. La méchanceté humaine est son élément. Divorces, héritages, fraudes, diffamations, dénonciations calomnieuses affluent vers son étude, rue Esprit-des-Lois, à Bordeaux. En deux heures de TGV, elle est à Paris, au Palais de Justice. Je la rejoins là, et elle est très chic dans sa robe d’avocate qui fait ressortir sa désinvolture. Je la laisse parler, elle croule sous des dossiers et des anecdotes. Sa vie est un roman permanent.
Le grand sujet, désormais, est la violence sexuelle, les agressions multiples et les viols, révélés par la libération de la parole des femmes. Ça a commencé aux États-Unis dans le cinéma, mais l’explosion est vite devenue générale, avec les slogans sur Internet, « Balance ton porc » et « Me too ». Les plaintes évoquent parfois des faits très anciens, et crépitent dans tous les sens. La chasse aux porcs masculins est ouverte dans les entreprises, les services publics, les milieux politiques et cinématographiques. Une journaliste porte plainte, vingt ans après, pour agression sexuelle contre une célébrité mâle, qui, lors d’une interview, a mis sa main sur sa cuisse. Le concept de cuisse résonne partout.
Les abus de faiblesse ne se comptent plus. En réalité, les femmes ont été harcelées, agressées et violées depuis la plus haute Antiquité, mais pourquoi parlent-elles maintenant ? Effondrement du patriarcat ? Mise en place de la reproduction technique ? Découverte plus que tardive de la différence sexuelle ? Sans doute, sans doute. En tout cas, un monde nouveau surgit, celui du contre-désir. Le désir était brutal et absurde, le contre-désir ramène la sécurité. Les hommes étaient ridicules de poursuivre les femmes de leurs fantasmes. Ça va continuer, mais le truc est crevé.
[…]
Grâce aux tornades de dénonciations, l’humanité prend enfin conscience que 80% des femmes n’ont aucun intérêt pour la sexualité, et sont en général obligées d’y souscrire pour des raisons de pouvoir ou d’emprise. On peut répartir les 20% qui restent en 10% de spécialistes de l’auto-érotisme, et 10% d’homosexuelles plus ou moins installées ou mariées entre elles. Inutile de dire que les hommes, à part le réseau gay en extension fulgurante, ne sont pas au courant de ces 20%. Ces hétéros primaires foncent dans le tas, gros bêtas.
Ainsi parle, non pas Zarathoustra mais Philippe Sollers dans Désir, un thème éternel auquel son ami Jacques Lacan avait consacré une année entière avec son séminaire N° 6 « Le désir et son interprétation », c’était en 1958. Philippe Sollers ajoute un nouveau chapitre de la comédie humaine, vu sous l’angle du contre-désir qui se développe à la vitesse d’une épidémie de coronavirus, une pandémie mondiale. Mais Sollers va nous rappeler aussi que le grand désir a existé.
Je reprends la voie du grand désir, et je tombe là, tout de suite, sur le beau jardin de Laurence, à Bordeaux. On a 15ans, elle m’invite de temps en temps chez elle, ses parents sont absents. On est assis côte à côte sur le banc vert, à côté du laurier en fleurs. Elle vient de poser sa tête sur mon épaule gauche. On va sûrement s’embrasser. Qui va décider ? Elle.
Autodérision : quand le Philosophe Inconnu chausse les bottes de l’auteur
Le Philosophe peut compter sur quelques disciples solides en Allemagne. Il évite le tintamarre criminel allemand et russe, n’a aucun espoir dans l’Amérique, se cache le plus souvent en Italie, mais poursuit sa mission en Asie. Il a fait suffisamment de chinois pour se débrouiller à Shangai avec la Triade qui l’accueille. On perd sa trace pendant l’ère Mao (mais la rumeur veut qu’il ait soutenu, et même conseillé, le délire de ce dictateur criminel). L’expression-piège « Que cent fleurs s’épanouissent » serait de lui, ainsi que la décision blasphématoire de s’en prendre à Confucius. Le Philosophe Inconnu aurait-il été un taoïste infiltré au cœur du pouvoir ? Avouez que ça ne manquerait pas d’envergure.
Rentré à Paris, il change brusquement de technique, et, pour rester inconnu, décide de se faire connaître à outrance. En quelques années, on le voit et on l’entend partout dans l’univers médiatique, il écrit dans les journaux les plus influents, puis passe sur Internet où il se déchaîne. Soudain, il est injoignable, mais le Système a pris goût à ses improvisations. Il réapparaît, cherche le contact direct, et augmente, du même coup, sa clandestinité. Ce genre d’acrobatie exige
Sur la progression de la folie spectaculaire
Le Philosophe, lui, n’aura pas connu, dans sa première vie, le stockage des ovocytes, le trafic des paillettes de sperme, les « marches blanches » en hommage aux fillettes violées et étranglées par des tueurs dopés au Viagra. Il constate que l’être humain post-moderne, mâle ou femelle, contemporain de l’intelligence artificielle et de l’immersion dans le numérique, est désormais conçu à l’hôpital, naît à l’hôpital, travaille à l’hôpital, meurt à l’hôpital, et est incinéré au crématorium de l’hôpital. Ces nouveautés le laissent d’ailleurs impassible, rien ne pouvant plus l’étonner dans la progression de la folie spectaculaire. Il a compris très vite la violence illimitée et burlesque du Contre-Désir.
Sur sa fin de vie et mort
Pour aujourd’hui, puisqu’il continue de vivre, le Philosophe laisse des instructions précises pour le cas où il se trouverait dans un état grave. Pas d’acharnement thérapeutique, pas de maintien dans un coma foireux, la mort plutôt que le moindre risque d’une existence diminuée plus ou moins gâteuse. Quand on a vécu la mort, une vie qui ne serait pas à sa hauteur n’a plus d’intérêt. Encore une fois, pas de suicide, pas de crémation, une navigation seloois n la nature. En dehors de toute déclaration verbale, seule une rose pourra être sculptée sur sa tombe [C’est le vœu de Philippe Sollers qui a déclaré plusieurs fois vouloir, en guise d’épitaphe, une simple rose sculptée sur sa pierre tombale dans le cimetière d’Ars-en-Ré].
Désabusé
Le Philosophe a bien connu les philosophes de son temps. Il a pu observer de près leurs limites, et, peu à peu, leur décomposition en « intellectuels » salariés. À quoi bon des philosophes dans un déluge de publicité et de journalisme ? Publicité absolue, journalisme absolu. Où se cacher, pour penser, devant ce qui ne s’arrête jamais ? Tout indique pourtant que le Philosophe avait trouvé sa cachette. Appelons-la le Verbe, puisqu’il lui est arrivé de dire : « Ils parlent, ils parlent, mais ils ne verbent pas. »
Il a d’ailleurs écrit ce qui suit : « Les mots sont devenus dans les langues humaines ce que la pensée est devenue dans l’esprit des hommes. Les mots sont devenus comme autant de morts qui enterrent des morts, et qui souvent même enterrent les vivants ou ceux qui auraient le désir de l’être. Aussi l’homme s’enterre-t-il lui-même journellement avec ses propres mots altérés qui ont perdu tout leur sens. »
Après la séance d’autodérision, réunion au sommet dans le ciel des esprits libres
Mort de Mozart en 1791, mort de Rimbaud en 1891. En 1991, le Philosophe publie, sous un autre nom, un roman, La Fête à Venise, dont l’exergue étrange est une formule de Spinoza :
« Qui a un corps apte au plus grand nombre d’actions, a un esprit dont la plus grande partie est éternelle. »
Que vient faire Spinoza dans un récit de la fin du XXe siècle, consacré principalement à Watteau ? Ce signal illuministe aurait dû attirer l’attention, mais la critique littéraire, aveugle comme d’habitude, n’a rien vu. L’auteur, pourtant, a multiplié les allusions très claires. Ayant plutôt du succès pour d’autres raisons, il semble s’être amusé d’une incompréhension aussi massive, le conduisant, depuis toujours, à une curieuse solitude.
Spinoza, célèbre évadé de sa communauté d’origine, n’a jamais été professeur, le Philosophe Inconnu non plus. Un génie, évadé de l’Université, est le personnage principal d’un autre roman du début du XXIe siècle, au titre ouvertement illuministe : Une vie divine. Vous avez reconnu là l’illuminé de Sils-Maria et de l’Éternel Retour, Nietzsche. Savait-il que le Philosophe Inconnu avait écrit un Ecce homo ? Pas forcément, mais cette rencontre est logique, à croire que tous les esprits libres évoluent dans un ciel commun. Il suffit d’avoir le courage de s’évader du bourbier. Supprimez l’Illuminisme de l’Histoire, et tout devient sombre, chaotique, boueux. Introduisez-le, et tout s’éclaire.
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La fin : « Le cœur peut s’arrêter, la pensée vivra ».
L’illumination écrase le temps, et le fait bouillonner. Sans elle, la vie serait une routine, mais, grâce à elle, le désir reste désir, au cœur d’une possibilité toujours révolutionnaire. Les Illuminés continuent d’agir, on les croit absents, mais écoutez mieux ces romans très spéciaux, qui vous parlent directement, malgré le vacarme : ils sont là, ils n’ont pas cessé d’être là.
Après s’être oublié à fond pendant trois quarts d’heure, le Philosophe se remercie humblement d’exister. Il salue les arbres, les oiseaux, les marées, les étoiles, les brises, les fleurs. La pensée est un remerciement constant, rien d’autre, et son intensité envahit le corps tout entier, dans ses moindres ramifications nerveuses. Le cœur peut s’arrêter, la pensée vivra.
La lettre d’Antoine Gallimard
Cher Philippe,À ton retour de l’île de Ré, tu m’as fait parvenir ton dernier ouvrage « Désir » que j’ai lu avec le même grand bonheur que les précédents. Le salut est dans l’esprit, puisque seule la pensée vivra, dis-tu, et pour étayer ton propos tu fais appel à ce grand philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, lui-même relié à Joseph Haydn, à Mozart, à Rimbaud jusqu’au narrateur. Ainsi s’affrontent le désir et le contre-désir, l’esprit et donc l’espérance contre toute réduction matérielle. J’ai aimé les analyses sarcastiques et lapidaires sur notre époque, la mélancolie sous-jacente (vivons puisqu’on est déjà mort) et la force que nous donnent la nature et la musique, les cerisiers au printemps (j’en ai planté un chez moi à la campagne), le silence dans la montagne. Cette approche nous permet d’échapper à la congélation d’ovocytes, à la procréation en dehors de la sexualité pour être bercé par les figures de l’illuminisme. Très heureux de te publier, cher Philippe ¬ ! Je t’embrasse - Antoine
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ZOOM : cliquer l’imageCrédit : Philippe Sollers
DÉSIR : le film de G.K.Galabov et Sophie Zhang
Crédit : Philippe Sollers
ILLUSTRATION Détail de La Rencontre (ou La Surprise), 1771-1773, Jean Honoré Fragonard, (New York, The Frick Collection). Huile sur toile 318 x 244 cm.
Cette œuvre est la deuxième des quatre grandes toiles commandées à Fragonard par Mme du Barry. On a évoqué le théâtre comme source d’inspiration. Elle représente une rencontre secrète dans un agréable coin de verdure derrière une balustrade. Vêtue de blanc et de jaune, la femme (que l’on ne voit pas sur ce détail) adopte une pose théâtrale. Dans la main droite, elle tient une lettre cachetée. Des roses sont fixées dans sa chevelure. Fleur associée à l’amour, la rose est abondamment représentée dans cette toile. Une statue de Vénus et de Cupidon représente une saynète : Vénus refuse de donner ses flèches à Cupidon.
Vêtu d’un superbe pourpoint d’un rouge rosé, l’homme a fait usage d’une échelle pour franchir la balustrade. Tout comme la femme, il fixe au loin un point qui nous est invisible.
[1] Philippe Sollers qui vivait alors à New York fut le guide d’Antoine Gallimard dans la ville, au temps de leur jeunesse à tous deux
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En couverture : Fragonard, Les Progrès de l’amour, Le rendez-vous (détail), 1771 - 1773, New York, Frick Collection
Désir, roman, parution en folio : mars 2021
Le tableau dans sa totalité, en situation, à la Frick Collection . Dimensions : 317.5 x 243.8 cm
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Salle Fragonard
Lorsque M. et Mme Frick ont emménagé dans leur nouvelle résidence, cette pièce a été appelée le salon, en référence à la coutume selon laquelle les dames se "retirent" des messieurs après le dîner. L’acquisition par M. Frick des peintures de Fragonard a nécessité la reconstruction de la pièce pour les accueillir. Après avoir acheté les panneaux au marchand d’art Joseph Duveen, M. Frick l’autorisa à acquérir la sculpture, la cheminée, le mobilier, les porcelaines et les objets en bronze doré qui complètent le chef-d’œuvre de Fragonard ; ceux-ci sont restés dans la pièce depuis lors. Les boiseries, ou panneaux muraux peints, ont été conçus et exécutés à Paris par Auguste Decour dans le style Louis XVI. La salle Fragonard, nouvellement baptisée, a été ouverte en 1916.
(Source : Frick Collection. Traduit avec www.DeepL.com/)
Nota : La Frick Collection est fermée et va bientôt entamer sa première grande rénovation en quatre-vingt-cinq ans. Elle rouvrira au public au début de 2021 à Frick Madison.
A propos de Fragonard (1732–1806)
Né à Grasse, Fragonard est encore un enfant lorsque sa famille s’installe à Paris. Il étudie brièvement avec Chardin, puis entre dans l’atelier de Boucher. En 1752, il remporte le prix de Rome, et après trois ans de préparation sous la direction de Carle Vanloo, il part étudier en Italie. Louis XV achète une de ses toiles en 1765, ce qui lui vaut le statut d’artiste membre de l’Académie, une résidence au Louvre et le titre de "peintre du roi". En 1773-74, il effectue un second voyage en Italie. Son activité d’illustrateur, de graveur et de peintre de sujets romantiques se poursuit jusqu’à la Révolution. En 1790, pour des raisons de santé, Fragonard se retire à Grasse, mais un an plus tard, il est de retour à Paris. Sous le parrainage de David, il occupe divers postes administratifs au Muséum des Arts - l’actuel musée du Louvre. Sa nouvelle éminence fut cependant de courte durée ; il mourut pauvre et presque oublié.
Source : Art in The Frick Collection : Paintings, Sculpture, Decorative Arts, New York : Harry N. >Abrams, 1996. (Traduit avec www.DeepL.com )
Dans l’émission littéraire de Vincent Roy sur la chaîne YouTube de l’Humanité, le 23 septembre 2020
Au programme de l’émission « Désir », le dernier livre de Sollers, « Conversation infinie » le livre de Josyane Savigneau, une longue conversation avec Philippe Sollers et aussi la rentrée littéraire 2020.
Le « Désir » de Philippe Sollers
Par Mithra-Nomadeblues
Club Mediapart
16 mai 2020
Blog : Résonances
« Désir » est le titre du dernier chef-d’oeuvre de Philippe Sollers, un "Philosophe" bien vivant qui, pages après pages, témoin de la non-vie ou du « non-désir » de notre monde actuel, nous fait appréhender le « désir ».
[…] « Désir » de Philippe Sollers est donc paru au tout début mars 2020, au tout début de notre ’’confinement", et aura donc passé assez inaperçu.
Pourtant, ce livre magistral, et - une fois n’est pas coutume, composé telle une oeuvre du divin Haydn -, devrait à nous tous nous parler - si tant est que nous soyons réceptifs aux choses essentielles...
Quelques passages, donc, ici, pour peut-être nous donner l’envie de poursuivre...
« Aujourd’hui, le grand penseur à la mode s’appelle Novaleur. Écoutez la rumeur : tout le monde, à droite, à gauche, au centre, vous parle de « nos valeurs ». Novaleur a réponse à tout, et il sait distinguer les valeurs rationnelles des valeurs raisonnables. L’atmosphère a été longtemps obscurcie par des idéologies douteuses ou criminelles, mais heureusement, Novaleur a surgi, et, désormais, la liberté de penser pour ne pas penser est garantie à tous les étages.
Novaleur est l’héritier naturel d’une grande tradition en ruine. Il continue à pérorer dès que vous ouvrez la télé. Dans la décomposition ambiante, il est puissamment aidé par la propagande féministe, issue du mouvement « Me too ». Tout homme qui n’apprécie pas Novaleur est un violeur virtuel. Les messages signés « Me too » se multiplient, au point qu’on a l’impression que les femmes, redevenues des petites filles, s’appellent toutes, maintenant, Mitou. Marie-Laure Mitou, Marlène Mitou, Delphine Mitou, Muriel Mitou occupent, pour l’instant, la scène. Elles disparaîtront un jour, mais pas Novaleur. » (page 82)
Et, en réponse à Edgar Morin, qui, angoissé, nous interpelle, sur Twitter, sur le sens de la vie...
"Alors si nous ne pouvons trouver de sens à la vie (soit qu’il nous soit inaccessible, soit qu’elle n’en ait pas), nous n’avons plus qu’à essayer de donner un sens à nos vies."
À cela, Sollers lui répond...
Quant aux préoccupations de notre ami abonné Luc Rigal sur ce qu’il pressent des "Prémices du fatal", Sollers, là encore lui répond...
... ... ...
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Ce penseur français fut une figure centrale de l’Illuminisme européen. On lui doit deux livres principaux : L’Homme de Désir et Le Ministère de l’Homme-Esprit.
Selon Sollers, “Certains, contre toute évidence, prétendent qu’il n’est pas mort, et qu’il continue ses singulières activités révolutionnaires. Il aurait ainsi rencontré Rimbaud, et peut-être aussi, mais restons prudents, le narrateur de ce livre.“
Néanmoins, pour l’auteur ce n’est pas l’essentiel. Existent avant tout le souffle de ce philosophe etun appel àl’extravagance que le désir ne cesse de faire exploser par-delà sa pensée.
Pour le faire vivre, un imaginaire est en marche, traverse le temps et crée un tableau parfois cruel de notre époque dans une langue précieuse, souvent peu éloignée de celle d’un Maurice Scève. Sans doute parce que, pour les poètes philosophes de tous les temps, le regard et les mots sont plus “larges” que le réel.
Surtout lorsqu’ils se nomment Sade, L-Cl de Saint-Martin, Huysmans (première manière) ou Sollers lui-même.Ce dernier, àmesure qu’il vieillit, enfante l’air de grands oiseaux de désir. Ils ne cessent de briserles cieux de l’estuaire de Bordeaux, de la lagune de Venise ou des quais deParis.
Cela était déjà patent dans son précédent roman “famillial”. Ici aussi, les merveilleux nuages emportent vers la communauté du désir et son énergie qui ne supporte plus de masques ou de parures — ce qui n’a pas été toujours le cas chez l’amoureux de Venise. En contrepoint àtout ce qui aujourd’hui le contraint, le désir reste ici àcarburation libre.
Convulsif, il cherche les autres en les arrachant àla société ordinaire. Et le texte évoque une marginalité, rompt avec le monde. Ivre de sa liberté, il inverse le sacrifice. Tout en espoir et lutte, s’y crée ce qui invente la destruction d’une société annihilée et qui ploie sous l’avoir.
Il ne s’agit plus de se « calculer » mais de se donner. Et dansla communauté inavouable envisagée ici, il faut parler d’engagement pas d’obligation. La spontanéité existe mais elle est d’abord réfléchie.
Et si Sollers avait pu prévoir le moment où son roman allait être publié, il aurait ajouté que le désir parfois passe par son confinement pour qu’il ne soit pas sacrifié.
Dans le cas inverse, ce serait trahir la cause que l’auteur embrasse.
Pour le jaillissement du désir — en cas de pandémie et lorsque l’objet est loin — il faut savoir ne retenir pour un temps que son parfum “infini”.
feuilleter le livre
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, Désir , Gallimard,coll. Blanche, 2020, 144 p. —14,50 €.
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par christophe
14 Mars 2020, demain-lecole.over-blog.com
Je reprends la voie du grand désir, et je tombe là, tout de suite, sur le beau jardin de Laurence, à Bordeaux. On a 15 ans, elle m’invite de temps en temps chez elle, ses parents sont absents. On est assis côte à côte sur le banc vert, à côté du laurier en fleur. Elle vient de poser sa tête sur mon épaule gauche. On va sûrement s’embrasser. Qui va décider ? Elle.
On s’est donc beaucoup embrassés, ce printemps-là, avant mon départ pour Paris. Elle a continué son droit à Bordeaux, on est restés amis, avec une couleur spéciale. J’aime sa lucidité et son insolence. Sa voix est nette et rapide. Si j’avais un problème juridique, elle me défendrait très bien. Elle pense que j’aurais pu faire un excellent avocat, et ne comprend pas que je passe mon temps à m’occuper de littérature. Je suis son Philosophe Inconnu. Ce surnom l’amuse, mais elle n’a pas vraiment envie d’en savoir davantage. Selon elle, il y a au moins une loge maçonnique, à Bordeaux, où les Hauts Grades entretiennent le souvenir de Louis-Claude de Saint-Martin. Loge plutôt spiritualiste, donc, issue du camp girondin pendant la Révolution française, et restée très « anglaise », au sens traditionnel du mot.
Le Philosophe Inconnu semble avoir abandonné assez vite les rituels maçonniques, puisqu’il a prétendu avoir bénéficié d’une illumination particulière de la part de l’Être Infini, qui n’a pas grand-chose à voir avec l’Être Suprême de Robespierre. Après tout L’Homme de désir paraît en 1790, année où Mozart est encore vivant. Personne ne se risque à dire que Mozart aura été un franc-maçon comme un autre. Il n’en reste pas moins que l’influence des « Illuminés de Bavière » se propage très vite, à l’époque, dans l’Europe entière, mais surtout en France, grâce au Philosophe Inconnu.
L’homme de désir est d’abord un homme de l’instant. Il vit, s’il le veut, à la seconde près, ce qui a parfois des inconvénients au milieu du bruit des sociétés modernes. Il y a eu, au cours du XVIIIe siècle, des sociétés discrètes, dont l’une, La Société du Moment, peut faire longuement rêver. Le Philosophe Inconnu l’a-t-il fréquentée ? C’est probable, mais pas longtemps non plus, si on relève sa réserve instinctive à l’égard du mot « Société ».
On ne sait presque rien sur sa vie. Il a sûrement lu le Mysterium Magnum de Jakob Böhme, mais ses activités, pendant la Révolution, restent obscures. Il est quand même plus qu’étrange qu’il ait été chargé de faire l’inventaire des livres de la religion catholique en cours de liquidation. Pas un mot là-dessus, pas un mot non plus sur les projets d’une nouvelle religion nationale. Le Philosophe reste philosophe, il n’aspire à aucun pouvoir spectaculaire. Un esprit curieux s’étonnera peut-être de la coïncidence suivante. En 1764, le musicien Joseph Haydn, alors âgé de 32 ans, compose, à Vienne, une symphonie éclatante en mi-bémol majeur, la 22e de son œuvre, et l’appelle Le Philosophe. Saint-Martin a 21 ans à ce moment-là. Il paraît exclu qu’il y ait eu le moindre contact direct entre Haydn et le jeune et étrange illuministe. Tout n’est pas démontrable, mais ce rapprochement musical attire l’attention.
L’Homme-Esprit est né, il est à l’attaque, mais presque personne ne s’en rend compte (sauf Hegel, en 1806). Peu à peu, à travers des événements gigantesques, l’homme courant devient l’Homme-Atome, à la recherche de ses identités perdues. Il court en poursuivant ses incarnations flottantes, se transforme en sac de molécules, disponible pour servir une intelligence supérieure transhumaine. Son corps polysexuel n’a plus besoin de penser ni de désirer. Le Philosophe Inconnu, sauf métamorphose secrète, est donc porté disparu.
Désir - Philippe Sollers - Gallimard 2020
Chanson bretonne suivi de l’Enfant et la guerre, de J.M.G. Le Clézio. Gallimard, 160 pp., 16,50 euros. Ebook, 11,99 euros.
Le prix Nobel 2008 évoque magnifiquement les étés de son enfance en Bretagne, mais il ne se contente pas de faire miroiter parties de pêche, courses à bicyclettes, grincement de la pompe, il évoque aussi la manière dont les paysages ont changé, plonge rapidement dans l’histoire de la Bretagne lorsqu’elle a perdu son indépendance, parle de la langue bretonne, se connecte à la préhistoire. Dans le deuxième « conte », Le Clézio revient sur ses premières années, la faim, la peur, le terrible impact de la guerre sur un enfant.
Désir, de Philippe Sollers. Gallimard, 144 pp., 14,50 euros. Ebook 10,99 euros.
Et si on laissait Sollers présenter lui-même son nouveau et hautement recommandable roman ? Voici : « Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), dit "le Philosophe inconnu", est un penseur français, figure centrale de l’illuminisme européen. On lui doit deux livres principaux, publiés à des dates très significatives : l’Homme de désir (1790) et le Ministère de l’Homme-Esprit (1802). Certains, contre toute évidence, prétendent qu’il n’est pas mort, et qu’il continue ses singulières activités révolutionnaires. Il aurait ainsi rencontré Rimbaud, et peut-être aussi, mais restons prudents, le narrateur de ce livre. »
Ecorces, de Hajar Bali. Belfond, 304 pp., 18 euros. Ebook, 12,99 euros.
L’écorce protège, mais elle enferme aussi bien. Les non-dits, les secrets, ne filtrent pas. Dans cette saga familiale, premier roman d’une mathématicienne qui a transmis sa formation à son jeune héros, Nour, une matriarche règne sur un foyer de femmes. Baya, 95 ans, sa fille, sa petite-fille et cet arrière-petit-fils à qui elle raconte peu à peu sa vie, partagent un petit appartement à Alger. Quatre générations, et l’histoire d’un pays, la violence, les choix politiques, les tensions sociales, tels qu’ils s’impriment dans l’intimité des cœurs et des esprits. C’est aussi un roman sur le pouvoir féminin.
Labyrinthe, de Burhan Sönmez. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes. Gallimard, 218 pp., 20 euros. Ebook, 14,99 euros.
C’est une belle soirée, un jeune homme est coincé dans un embouteillage, sur un pont, il sort du taxi où il est monté, et il saute dans le Bosphore. Normalement, c’est la mort assurée. Il en réchappe, mais il est amnésique. Il ne se rappelle absolument pas pourquoi il a voulu se suicider, il a oublié qu’il était un chanteur populaire, il a oublié qui il était… Deuxième roman d’un écrivain turc d’origine kurde, qui a vécu dans la région d’Haymana, en Anatolie centrale, d’où vient son héros.
Quand je te frappe, de Meena Kandasamy. Traduit de l’anglais (Inde), par Myriam Bellehigue. Actes Sud, 256 pp., 22 euros. Ebook, 16,99 euros.
Comment lutter contre un tyran domestique ? Un mois après son mariage avec un brillant universitaire de gauche, tendance marxiste sectaire, une jeune femme découvre qu’en réalité elle a épousé un dictateur et qu’elle n’a plus aucune liberté. Laisser faire ? Se réfugier dans le silence ? Tenter de désamorcer la jalousie paranoïaque du bourreau ? Battue, violée, la narratrice se venge par l’imagination, l’écriture, la beauté.
Et retrouvez comme toutes les semaines les recommandations des libraires indépendants avec le site Onlalu.com.
Un livre d’à peu près cent vingt pages, un narrateur qui vole selon, un roman mais sans story, quelques figures majeures de la pensée la plus vibrante (Nietzsche, Hegel, Breton, Shakespeare, Freud, Lacan, Genet, Rimbaud, Bataille, Dante), des femmes libres, des réflexions entrelacées écrivant un journal de navigation dans la tempête du temps.
Vivre vraiment, c’est ne pas céder sur son désir, et c’est par exemple formuler Désir comme on compose une fugue, en imaginant stratégiquement sa désertion, pour maintenir les possibilités d’un monde dans le démonde – surtout pas de lamento, fors celui de la nymphe de Monteverdi.
L’Esprit souffle où il veut, éteignez vos écrans, n’éteignez rien, il est là, comme un bijou surbrillant au cou de votre voisine, là, au café.
Tiens, la voilà qui pose sa main sur votre cuisse. Retenez bien ce fait, dans vingt ans vous écrirez un livre à succès.
[…]
« Lisez Désir, vous vous reconnaîtrez, ou pas. » conclut Fabien Ribery qu’il faut toujours lire avec attention.
C’est selon moi un livre qui mérite d’être lu. J’ai essayé de dire pourquoi dans une note sur mon blog (http://jemiriel.hautetfort.com/) C’est avec avidité que je lirai les critiques qui paraîtront, car le roman de Sollers reste un livre riche et comp)lexe, qui n’épuise pas les commentaires. Au-delà des siècles, notre romancier déploie un bref et magnifique salut à l’un de ses devanciers (?), pour dire peut-être à quel point il croit aux forces de l’esprit. Beau "testament philosophique", comme on dit dans la franc-maçonnerie.
Voir en ligne : Le blog de Jacques-Emile Miriel
Merci encore une fois à Philippe Sollers pour sa lucidité courageuse en ces temps troublés.
Sa lecture nous entraîne sur la voie du grand désir et tout devient lumineux !