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Nouée de bonheur

Dominique Rolin, Lettres à Philippe Sollers 1958-1980, éditions Gallimard.

D 20 novembre 2018     A par Olivier Rachet - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dominique Rolin est une amoureuse, éprise du bonheur comme seule peuvent l’être les saintes en extase. Après les lettres de Sollers, voici, dans une édition établie par Jean-Luc Outers, celles de la femme qu’il rencontre en 1958, sans jamais la quitter véritablement. Cette femme est éprise d’absolu et vit, comme tout amoureux qui ne serait pas libertin, dans la peur panique de perdre l’être aimé. L’aurait-on oublié, mais le plaisir d’amour révolutionne le corps tout entier et métamorphose durablement tous nos sens : « Et ce matin, écrit en 1959 Dominique Rolin, je retrouve ma joie d’amour : elle me dévaste, elle fait éclater toutes les limites de mon être ; je ne suis plus une femme mais une sorte de nuage ardent et sinueux, et frémissant de désir, qui s’étire par-dessus toutes choses, les traverse et se fait traverser par elles. » Plus loin, la romancière écrira qu’elle est « cellulairement heureuse à travers » l’homme qu’elle aime. Ce n’est plus une déclaration, mais un manifeste. La joie d’amour est inséparable de la passion qui conduit aussi le corps et l’âme aux limites de la déraison. Lorsque Sollers apprendra à Dominique Rolin qu’il s’apprête à épouser Julia Kristeva, elle en sera dévastée comme un champ de guerre anéanti par des armées ennemies. Assistant désarmée à « sa propre agonie », elle en tirera pourtant des éclairs foudroyants de lucidité lui faisant réinterpréter avec un génie rare le sens même de la Passion du Christ : « J’ai compris ce qu’est la crucifixion et ce n’est pas du tout ce qu’on imagine : pieds et mains cloués sur la croix, non ; c’est le contraire qui se produit : la croix est à l’intérieur du corps et elle n’est pas lourde mais légère, incandescente, et tire un peu dans un constant effort d’arrachement l’ensemble organique, charnel et nerveux vers le haut. »

Ces lettres valent aussi leur pesant d’or pour le portrait en creux qu’elles dessinent d’un Sollers, infatigable travailleur, écrivain tout autant épris d’absolu que Dominique Rolin peut l’être de l’amour : « Il n’y a pas de demi-mesures lorsqu’il s’agit de toi, lui écrit-elle toujours en 1959, c’est très curieux. Ton être rayonne d’absolu. C’est dangereux, l’absolu, et fascinant. » La même année, soit quelques mois après leur rencontre, elle lui déclare qu’il a « le génie du don ». Cette lucidité n’est possible que parce que les deux amants conjuguent en permanence l’amour et l’écriture. Dominique Rolin s’amuse à inventer des néologismes qui pourraient traduire ce qu’aucun mot de la langue française n’est capable d’exprimer : nous nous écrivaimons, nous nous aimécrivons. Si monstruosité lexicale il y a, elle est à la mesure de cette envie vorace, cannibale d’engloutir l’être aimé, tout entier. On ne le sait peut-être pas assez, mais la figure de Dominique Rolin innerve tous les premiers romans de Sollers : Drame, Nombres, Lois, H et Paradis dont elle est l’une des rares, à l’époque, à comprendre les véritables enjeux. N’en déplaise aux contempteurs de Sollers – ils furent nombreux ; on les a oubliés – mais il est sans doute le seul écrivain vivant avec Pierre Guyotat à perpétuer la révolution poétique du langage initiée par Joyce. Les Cahiers de Tinbad en savent aujourd’hui quelque chose. Dominique Rolin le pressent : Sollers a la trempe de ces écrivains tels que Faulkner, Dostoïevski, Joyce ou Melville, qui consiste à affronter la Loi révélée dans la langue des hors- la-loi, pour paraphraser l’auteur de Finnegans wake. « Je ne sais pour quelle raison, mais quand je pense à Lois, lui écrit-elle, je me sens tirée en arrière à l’intérieur d’un ancien Testament qui n’aurait pas encore été écrit. » Affronter la Loi n’est pas une mince affaire : c’est en finir avec l’idée de révélation, de jugement, de culpabilité à quoi l’on oppose la création permanente, l’amour perpétuel et sans cesse réinventé. « Je suis sûre, mon amour, que la recherche d’une “technique” romanesque est vaine. La beauté d’une technique naît de celle de la création, et non pas le contraire. » Aimécrire, vous disions-nous ! L’aventure continue...

Olivier Rachet, olrach.overblog, 20 Novembre 2018.


@crédit photographique : Najia Mehadji, Pivoine, craie à l’huile sur toile brute, 160x202 cm, 2003.
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