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Dominique Rolin – Philippe Sollers : l’horloge sidérale

Les Lettres françaises du 14 décembre 2017

D 16 janvier 2018     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dominique Rolin – Philippe Sollers : l’horloge sidérale

C’est en 2000 qu’une émission de télévision a rendu publique l’identité de Jim, qui hantait les livres de Dominique Rolin depuis plusieurs décennies (notamment depuis Trente ans d’amour fou, Gallimard, 1988). Jim se trouvait invité près d’elle ; c’était Philippe Sollers, qui lui-même parsemait ses livres d’allusions, moins récurrentes et moins transparentes (et dans le dernier, qu’il venait promouvoir, Passion fixe, un peu plus clairement). Que cet événement, médiatique, ait fait partie de la construction d’une relation à la fois sentimentale et littéraire n’avait rien de surprenant. Être conscient du regard des autres et vouloir y échapper, construire une sorte de niche visible et invisible, faisait partie du double pacte scellé entre ces deux écrivains qui se sont rencontrés en 1958, aux éditions du Seuil où tous deux étaient publiés, qu’elle fuira et où il travaillera pour fonder une revue et une forme d’école littéraire, appelées Tel quel, auxquelles elle s’associera un temps, discrètement, mais d’une façon finalement notable dans son œuvre même.

Dominique Rolin est morte en 2012, peu avant son quatre-vingt-dix-neuvième anniversaire, laissant une œuvre que sa longévité n’est pas seule à rendre remarquable. Depuis les Marais, ouvrage paru chez Denoël en 1942 et souvent republié, à Lettre à Lise (Gallimard, 2003), elle a édifié une sorte de monument aux relations familiales et à la vie intérieure sur un ton très combatif, très sarcastique et très passionné, mais sous des formes diverses. Elle n’a jamais pu échapper au foyer infernal qui l’a vue naître, mais elle y a dénoncé avec acharnement et lucidité les folies, les mensonges, les ambiguïtés, les désirs, les frustrations, tout en éclairant, d’une façon très nouvelle en littérature, un univers dominé par les fantasmes, la nuit, un imaginaire débordant, revendiquant ainsi son héritage nordique, souvent rappelé par sa passion pour la peinture flamande. Mais Dominique Rolin ne se laissait pas pour autant enfermer dans une littérature romanesque de nœuds de vipère familiaux (elle aurait pu écrire dans la lignée de Julien Green et de François Mauriac, avec qui elle a des traits en commun). Sollers mettra le doigt sur sa caractéristique : « On se rendra compte, peu à peu, que tu es un grand écrivain génétique, généalogique, ayant sondé comme personne les molécules « familiales” en transformation. » (lettre du 21 juillet 1977).

Elle a progressivement opté pour un autre type d’écriture, apparentée à un véritable travail d’autoanalyse frontalement exprimé dans l’Infini chez soi (Denoël, 1980) et dans la trilogie de la mort vivante qui a suivi (le Gâteau des morts, la Voyageuse, l’Enfant Roi), mais déjà présente dans le For intérieur (Denoël, 1963) dont, généralement, on date sa mutation stylistique. En vérité, ses premiers livres, de facture plus classique, étaient déjà marqués par une communication directe avec les rêves et la pénombre des sentiments ambigus. La biographie qui laisse çà et là des traces dans ses livres montre assez que son parcours sentimental a été chaotique, approchant souvent la mort, la dérive, la folie. Elle a été le témoin, parfois l’actrice, de tragédies dont elle a rendu compte avec un mélange de sérénité (Dominique Rolin a une écriture calme, même pour décrire de très violents orages) et d’ironie sèche, mordante, insolente, peu bien-pensante.

Guère soucieuse du qu’en-dira-t-on, elle n’a pourtant jamais été une marginale. Elle a été intégrée à une société littéraire parisienne où elle avait sa place respectée, cadrée, qui lui assurait des parutions régulières et très libres, saluées par une critique attentive et parfois accueillie par un réel succès public, dans toutes les périodes de sa production (le Souffle, Seuil, 1952, qui obtient le prix Femina ; le Lit, Denoël, 1960, qui raconte son amour pour le sculpteur Bernard Milleret et sa mort, et Journal amoureux, Gallimard, 2000, qui coïncide donc avec la révélation de son amour clandestin et durable pour Philippe Sollers, sur le plateau d’Apostrophes [1]).

Le destin et la carrière de Philippe Sollers sont plus connus, et son lien avec les médias plus ferme et régulier. Mais l’autre lien féminin de Sollers, avec Julia Kristeva, rendait plus compliquée la visibilité d’une relation aussi singulière avec Dominique Rolin. Pour beaucoup d’écrivains, la révélation d’amours cachées n’est au fond qu’anecdotique. On découvre tardivement que des couples sont des couples de façade, même s’ils sont parfois revendiqués dans l’œuvre même. Et que d’autres relations fortes, intenses, stimulantes, inspiratrices, mais pour des raisons qui n’appartiennent qu’à la littérature (plus qu’à la crainte d’un jugement moral, ou plus exactement moralisateur), elles, sont restées secrètes. Ou n’ont pris que des formes cryptées, peu apparentes. Ainsi, Simone de Beauvoir avait évoqué Nelson Algren dans les Mandarins, mais ce n’est que la publication posthume de ses lettres à l’écrivain américain qui ont révélé la profondeur assez dévastatrice de cet amour et un aspect inattendu d’une amoureuse fragile et passionnée, qu’on ne soupçonnait pas vraiment à la lecture de ses mémoires dominés par la figure écrasante de Sartre et par un ton très contrôlé, très distant, sur ses amours contingentes avec des hommes ou des femmes. On est, en ce qui concerne la relation de Sollers et de Dominique Rolin, dans un tout autre cas de figure, parce que les deux écrivains signaient, sans le signer, un pacte de solidarité sentimentale et littéraire, et décidaient de s’installer, comme l’écrit Dominique Rolin au début de Journal amoureux, dans un autre temps : « Une horloge qui serait sidérale. » Ils inventaient donc un autre type de relation où il s’agirait d’échapper, pour reprendre l’expression de Flaubert dans Madame Bovary, aux « souillures du mariage » et aux « désillusions de l’adultère ». Et, si possible, d’échapper à la jalousie, à la possessivité, au malheur, et d’y faire échapper les autres êtres concernés.

Cette correspondance, dont seule la partie écrite par Philippe Sollers paraît, est, pour l’instant, limitée à la première moitié de cette relation qui se poursuivra jusqu’à la mort de Dominique, et sans doute au-delà. Mais, même s’il faut attendre la publication des réponses de Dominique Rolin pour avoir une idée claire des événements et de sa façon de les avoir vécus, on peut déjà juger de leur importance, non pas simplement pour des lecteurs friands de détails intimes de deux écrivains aussi connus et aussi différents l’un de l’autre, mais pour quiconque s’intéresse à la construction et à l’évolution d’une œuvre liée à une autre œuvre.

Lorsqu’ils se rencontrent, Philippe Sollers a vingt-trois ans moins un mois, Dominique Rolin en a quarante-cinq. Elle a été profondément affectée par la mort de son compagnon. Et elle va renaître. Ce n’est pas la première fois. Ce n’est surtout pas la première fois qu’elle confie à un nouvel amour la tâche de la reconstruire et à la littérature celle d’accompagner, de solidifier, de dynamiser cette reconstruction. Philippe Sollers, adoubé par Mauriac et par Aragon dès son premier livre, Une curieuse solitude, qui vient de paraître, a besoin d’un cheminement à la fois moins dépendant de « valeurs sûres » de la littérature (si éloignées l’une de l’autre soient-elles comme dans ce double parrainage insolite), et plus volontariste de sa part. La part visible sera confiée à l’édition, à la revue, au monde de Tel quel, puis de l’Infini. On trouve dans cette correspondance de nombreux échos de cette part-là. Ce ne sont pas les plus intéressants, même s’ils ont déterminé une période de l’histoire littéraire et éditoriale française, comme Philippe Forest l’a déjà montré dans son Histoire de Tel quel (Seuil, l995).

Le plus passionnant tient aux transfigurations très volontaires que les deux écrivains font d’une situation qui pourrait être assez frustrante ou médiocre – cachotteries, mensonges, double vie, attentes, angoisses –, pour approfondir, chacun à sa manière, la connaissance de soi et une mise à nu d’une vérité (pour Dominique Rolin) et d’un jeu avec l’apparence, la culture, le sexe et le pouvoir (pour Philippe Sollers). Toute correspondance repose sur des silences conscients ou inconscients. On ne s’écrit pas sur ce que l’on partage, sur que l’on vit ensemble ou sur ce que l’on analyse pareillement : autrement dit, certaines crises (l’internement de Sollers pour échapper à la guerre d’Algérie, des maladies réelles ou feintes, des deuils, des moments de désespoir, lorsque Sollers épouse Julia Kristeva) sont à peine évoquées et précisées en note par l’éditeur (Frans De Haes), qui donne le contexte. Mais Sollers ne s’attarde pas nécessairement dessus. La volonté de bonheur et le besoin de s’en tenir à une élaboration positive de leur rapport et de leurs œuvres l’emportent toujours.

« La psychologie est la boue de l’humanité – il faut lui reprendre un certain espace – espace brillant, neuf, sans fin », écrit Sollers, en 1967, lorsqu’ils traversent la crise majeure, qui est son mariage avec Kristeva. Facile à dire. Encore plus à écrire. Méthode Coué à deux ? Il est rare qu’une correspondance ne tombe pas dans ce travers. On s’auto-convainc, on se convainc mutuellement. Pourquoi pas après tout ? Est-ce que s’accuser, se morfondre, exercer un chantage (recours fréquent chez des êtres plus ordinaires) seraient préférables ?

Dès la première lettre publiée (signalons qu’il ne s’agit que d’un choix assez sévère dont le principe n’est pas vraiment précisé par l’éditeur, qui peut avoir obéi à des principes de censure ou d’autocensure, même si, çà et là, quelques piques violentes contre des personnalités montrent la relative liberté de cette publication, qui ne craint pas de donner une image peu édulcorée d’un écrivain qui, comme n’importe qui dans une correspondance privée s’abandonne à des jugements à l’emporte-pièce, des délires, des vulgarités, des injustices), Sollers prouve qu’il a compris l’œuvre de Dominique Rolin et la comprendra toujours, en soulignant à propos de son livre Artémis (Denoël, 1958), « cette osmose (à laquelle je suis si sensible) entre l’extérieur et l’intérieur, comme si favorisée par les forces obscures (je suis sûr que vous avez vendu votre âme, une fois), vous aviez alliance avec la magie qui joue à certains moments entre certains êtres ».

La passion qui monte en lui, physique et mentale, rappelle, pourrait-on dire superficiellement, celle de Benjamin Constant pour madame de Staël, mais sans la volonté de manipulation qui n’a jamais abandonné l’auteur d’Adolphe. Ayant vite senti que la romancière était sous l’emprise de « quelque ténébreuse puissance », affirmée avec la grandiloquence d’un tout jeune homme, Sollers va s’autoriser un dialogue avec ce que lui-même comporte de nocturne, jusqu’à écrire le livre le plus proche de Dominique, et qui termine le volume : Paradis (Seuil, l980).

Ce lecteur de Rimbaud, de Joyce, de Lautréamont, de Dante, d’Ibn Arabi, de Mallarmé, de Céline, de Sade et d’Artaud tourne autour de ses maîtres, est distrait parfois par d’autres influences et par des techniques d’écriture mimétique, mécanique et desséchée, ou alors par des lectures chinoises de sa période maoïste, et, en même temps, craint de perdre le contact avec les lecteurs par trop d’obscurité, trop de références personnelles ou intellectuelles impossibles à déchiffrer. Il ne cesse de dire à son amie sa dette, tout en craignant que ce type de reconnaissance intellectuelle ne tue le désir.

C’est, d’une certaine manière, elle qui lui donne l’exemple avec le For intérieur : il réagit avec enthousiasme. « Cela devait arriver. Ta libération avec le For. Très bien. Promis. Dégorge le plus possible. C’est le mieux (et je suis tout à fait ravi : tu vois, je savais que ça viendrait). » Lorsqu’il ose, de son côté, dédier à Dominique Rolin Drame, il s’en tient à une initiale : D. Mais il lui écrit : « Drame, au fond, n’existe que par toi et pour toi. J’ai le droit de dire que l’individu qui croyait exister avant de te rencontrer n’est plus. Il y a, dans ce qu’on appelle une vie des coupures étranges. On voit de l’autre côté un cadavre – et qui était soi, paraît-il. »

À plusieurs reprises, Sollers qualifie de « magique », de « sacré » ce qui les réunit, en évacuant tous les doutes et en saluant en elle et en lui-même liberté et courage. Bien entendu, des détracteurs en douteront, eux. Et l’un et l’autre le savent, s’en amusent, sans les ignorer. Et c’est peut-être ce qui est le plus gênant dans ces lettres souvent inspirées : cette omniprésence du lecteur. Non pas qu’en écrivant Philippe Sollers ait immédiatement pensé à une publication. Mais parce que son combat pour la liberté tient constamment compte d’une voix étrangère, d’un regard différent contre lesquels il s’insurge, il a besoin de s’insurger. Ce livre n’est pas seulement une communication intime, mais autre chose – qui, d’ailleurs, justifie cette publication… –, comme si les destinataires définitifs et véritables de ces missives, c’étaient les lecteurs de leurs œuvres à tous deux, plus encore que Dominique elle-même.

René de Ceccatty, Les Lettres françaises du 14 décembre 2017.

Lettres à Dominique Rolin, 1958-1980, de Philippe Sollers.
Édition établie par Frans De Haes.
Gallimard, 398 pages, 21 euros.

Sollers jeune, tel quel

Correspondance avec Dominique Rolin autour du travail, du texte, de l’amour

par Claire Devarrieux
Libération, le 8 décembre 2017

C’est un choc, la lecture des Lettres à Dominique Rolin de Philippe Sollers. Contact direct avec une grande tradition littéraire française : celle des jeunes gens audacieux qui veulent à la fois conquérir le monde et le saisir tout entier dans leurs livres. Et qui s’en expliquent longuement, génialement, dans leur Correspondance. En décembre 1959 — il a 23 ans —, Philippe Sollers se souvient de ses entretiens du soir avec « les camarades Valéry, Proust, et Gide » dont l’œuvre ne pouvait qu’aboutir à la sienne. Il avait 18 ans, eux étaient morts, et alors ? Chez eux, il était chez lui, peu importe s’il les comprenait un peu de travers, comme il s’en aperçoit à présent avec « ces lettres de Valéry à Gide que je ne me lasse pas de relire et qui sont bien les meilleurs exemples de vigueur intellectuelle, de clarté soudain dévoilée à l’esprit ». Vigueur, clarté : excellente définition de ce qu’on ressent à découvrir ces pages.

La femme à qui elles s’adressent, la romancière Dominique Rolin, n’est pas n’importe quelle complice. Elle est née en 1913 (elle allait avoir 99 ans lorsqu’elle est morte, en mai 2012), et lui en novembre 1936. Elle en est à son huitième livre quand ils se rencontrent, en octobre 1958, et elle en écrira sept autres d’ici 1980, année où s’arrête ce choix de deux cent cinquante-six lettres. Il vient de publier son premier roman, Une curieuse solitude, un déjeuner est organisé avec une dame du Femina, c’est Dominique Rolin. « Coup de foudre » pour lui, « commotion » pour elle, écrira Sollers plus tard dans Un vrai roman. Mémoires. Dominique Rolin quitte le jury en 1964. On n’a pas ses réponses à Philippe Sollers — elles feront l’objet d’un autre volume — mais on mesure déjà une ou deux choses qu’on ignorait. Son rôle dans la comédie sociale, par exemple. On apprend, au passage, qu’elle a eu une liaison avec Maurice Blanchot, dont elle a détruit toutes les lettres, contrairement à celles de Sollers.

« Immunisés ». Ce sont des lettres d’amour, un amour voué à rimer avec toujours, ce que le jeune homme sait déjà. Reste à la convaincre qu’il lui est fidèle en ne l’étant pas. Essayons de comprendre. Vérité et mensonge relèvent de la « communication secondaire ». Il ne veut pas, entre eux, de la banalité ordinaire. Il propose de s’en extraire, d’être hors d’atteinte. Il vise l’éradication du « sordide », installe très naturellement « étanchéité », « cloisonnement », « secret » : voilà pour « une conception esthétique de Ma vie ». Quand il se marie avec Julia Kristeva en 1967 (« le libertin impénitent qui aime sa femme », et n’en épousera pas d’autre, voir les Mémoires), Philippe Sollers chasse de toutes ses forces la tristesse qui pourrait s’abattre sur Dominique Rolin. Le malheur n’est pas pour eux. Il lui dit qu’ils sont « séparés de tout et immunisés contre tout ». Il ne peut pas travailler sans elle, sans « la machine invisible que nous avons mise au point ».

Le travail, le texte, l’amour : leur partition. « Nous progressons », écrit Philippe Sollers. Il trouve que Dominique Rolin et lui sont « de plus en plus jeunes et dangereusement neufs », il l’écrit en 1965, mais ce pourrait être en 1960 comme en 1970. Juste une fois, on dirait qu’il a peur d’elle. Il a 25 ans. Jean Thibaudeau voudrait l’emmener passer le week-end de Pâques en Bretagne chez Jean-Edern Hallier. C’est la bande de Tel Quel, revue créée en 1960. Ces jeunes gens ne se haïssent pas encore. « J’avoue que cela m’amuserait. Mais : j’ai peur que tu soupçonnes là encore, derrière, des choses. Ce qui serait absurde. Tout simplement, ce petit déplacement me détendrait, me ferait bouger les idées. Il ne faut pas que tu te formalises de ce genre de désirs — idiots peut-être — chez moi. C’est une envie de "divertissement", rien de plus. » C’est le seul passage de la correspondance où on perçoit la différence d’âge.

« Plus vite ». Jeune, moins jeune, vieux, quel curieux caractère que celui de Sollers, identique à lui-même. Il a besoin d’ennemis. Il a 24 ans, et déjà des « insulteurs attitrés ». Il en a 45 qu’il peut affirmer : « On a eu raison constamment, et sur tout. » Ce qui irradie, ici, n’est pourtant pas le contentement de soi. Il va « plus vite » que quiconque, c’est dit sans forfanterie. 1960 : « Il y a chez moi une sorte d’élan assez formidable où je me supprime entièrement vers le dehors. » La plupart des lettres sont adressées depuis l’île de Ré, où la famille de Philippe Sollers a conservé une propriété, et où il s’isole pour travailler. Le jardin, l’océan, le ciel, la nuit : l’individu disparaît dans le cosmos.

Mais il ne craint pas les gouffres. Il y a des moments de désespoir, de douleur (hépatite, asthme). Echapper à la conscription est un enfer. La mort frappe, il perd son meilleur ami, et son père. Dix lignes dans le Figaro en 1962 signalent le décès de Georges Bataille, « tellement plus fort que les autres ». Disparition de François Mauriac en 1970, « un être délicieux ». Pour finir, en 1980 : « Enorme choc psychique de la mort de Barthes. » Ces lettres, enfin, accueillent l’Algérie et le Vietnam, Soljenitsyne, la Chine, et la France de Pompidou, « un pays bloqué, fermé ». Ce n’est pas ce qui fait leur intérêt à nos yeux. 1978 : « J’ai l’intention d’expliquer aux Américains, encore babas des audaces toutes timides […] du "nouveau roman", que je suis le premier écrivain de l’ère-post-atomique, le premier de l’époque de la mécanique quantique. » De l’Intermédiaire (1963) à Paradis (1981), on suit le tracé de l’œuvre en cours, toute en « rythmes » et « pulsations ». 1974 : « Ce que je cherche c’est le "carrousel" de tout ce qui peut être dit, pensé, chuchoté, crié, affirmé, nié, suggéré par un terrien de passage. » Le programme apparaît dès 1960.


[1Bouillon de culture, l’émission de Bernard Pivot qui succéda à Apostrophes. NDLR.

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