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La trace de l’écrivain et philosophe Umberto Eco

A New-York avec Sollers et Kristeva

D 20 février 2016     A par Viktor Kirtov - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Ce philosophe de formation, célébré sur le tard alors qu’il approchait de la cinquantaine, a réussi un coup de maître avec son premier roman publié en 1980. « Le Nom de la rose » s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires et a été traduit en 43 langues.


Umberto Eco
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Le chemins d’Umberto Eco et Philippe Sollers (son cadet de quatre ans) s’étaient croisés dans les années 60. Ces deux « théoriciens de la littérature » ne pouvaient que se rencontrer. Tous deux portent grand intérêt aux idées de Roland Barthes, à la sémiotique - la science expérimentale des signes - qu’adopta aussi Julia Kristeva, disciple accomplie et militante de Barthes. Grand intérêt commun aussi d’Umberto Eco et Sollers pour Joyce…

Sollers, dans les débuts de la revue Tel Quel, publia plusieurs articles signés Umberto Eco. Notamment :

Tel Quel N°11 - Automne 1962 - « Pour Erza Pound » (Umberto Eco)

Tel Quel N° 55 - Automne 1973 - « Sémantique de la métaphore » (Umberto Eco)

Et ici, un extrait relatif à Finnegans Wake dans Confessions d’un jeune romancier où l’on peut lire « L’interprétation d’un texte » selon Umberto Eco

Sur Finnegans Wake et Umberto Eco, cf. également cet article (en italien) « Finnegans Wake H.C.E. o il mondo dei se(o)gni come caos ragionato. ».

Dans « Un vrai roman, Mémoires » (Plon, 2007), Sollers note :

« Je revois Umberto Eco, à New York, dans des boîtes de streap-tease chinoises, où nous parlions, le plus naturellement du monde, de Joyce et de saint Thomas. C’était avant ses tournées régulières dans les universités américaines, quelques histoires drôles, en yankee clownesque, balancées à des professeurs et des étudiants ravis, et hop, dans la poche. »

Notons au passage, qu’à partir de 1973, Umberto Eco et Julia Kristeva partagèrent une chaire commune à l’Université Columbia.

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Le Figaro,

Astrid Eliard, le 20/02/2016

Ce philosophe de formation, célébré sur le tard alors qu’il approchait de la cinquantaine, a réussi un coup de maître avec son premier roman publié en 1980. « Le Nom de la rose » s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires et a été traduit en 43 langues.
L’auteur qui souffrait d’un cancer est décédé, dans la nuit de vendredi à samedi, à l’âge de 84 ans.

A l’instar de l’ornithorynque, qui fut le héros d’un de ses essais (Kant et l’ornithorynque), Umberto Eco, a toujours posé problème à ceux qui voulaient le caser dans un classement. Il était à la fois universitaire spécialiste de Thomas d’Aquin, philosophe, sémioticien, romancier à succès. Un homme très sérieux, dans une enveloppe charnelle de bon vivant. Un savant débonnaire et facétieux, un bavard intarissable au cerveau plus gros que le ventre, c’est dire sa vastitude. Jacques le Goff, son ami, avait pointé chez lui deux ou trois faiblesses : il n’aimait que le vin rouge, était insensible au football, et sujet à la dispersion. C’est justement ce défaut, qui fit de lui ce chercheur reconnu, qui n’avait rien du mandarin universitaire, mais avait le don de toucher un public large.

Umberto Eco naît en 1932, dans les brumes d’Alessandria, dans le Piémont. Le patronyme dont il hérite prédestine sa passion pour les signes. Il lui vient de son grand-père, un enfant trouvé, qu’un employé de mairie, dans la tradition des jésuites du 17ème siècle, avait nommé Eco, acronyme de « ex coelis oblatus », « don du ciel ». Issu d’une famille d’ouvriers devenus petits bourgeois, le jeune Umberto, enfant de « l’Era Fascista », accorde déjà une place importante aux livres. Il y dédie ses loisirs, en jouant au typographe et en fabriquant sur des cahiers d’écoliers ses « premiers romans inachevés ». En imitant l’écriture d’imprimerie, il réalise les frontispices, les sommaires et dessine les illustrations de ces œuvres de jeunesses. Au même moment, Umberto, qui a une aura de chef de bande, se passionne pour tout : la musique (la flûte à bec dont il joue toute sa vie), la lecture et les aventures en tout genre. Quand il entre à l’université de Turin pour étudier la philosophie et débuter une formation de Pic de la Mirandole moderne, son père n’est pas rassuré, il aurait préféré un fils médecin ou avocat.

Attiré par James Joyce

La thèse d’Umberto Eco porte sur le « Problème esthétique chez Thomas d’Aquin ». En 1954, tout frais docteur en philosophie, il s’engage dans une voie peu académique : la télévision, ce qui lui vaut d’être négligé par le monde universitaire qui ne lui propose une chaire que tardivement, en 1971. Avant qu’il ne devienne ce chercheur charmant, adulé par ses étudiants, Eco travaille dans l’édition, chez Bompiani - où il rencontre son épouse, Renate - publie ça et là des articles dans la presse sur l’air du temps. Ses amis sont Boulez, Stockhausen, Eduardo Sanguinetti, Luciano Berio, des artistes d’avant-garde qui défendent un art ouvert à l’expérimentation. Intellectuel respecté en France, il est publié dans la revue de Philippe Sollers, Tel Quel.

Pendant ces années marquées par l’avènement du groupe 63, Umberto Eco est naturellement attiré par James Joyce, qui était parti de St Thomas pour imaginer une nouvelle poétique. Ce sontces va-et-vient entre le passé et le présent, l’esthétique médiévale et le monde télévisuel, qui le mènent à la sémiotique, l’étude des signes. Un sémiologue, disait Barthes, est un homme qui voit du sens là ou les autres voient des choses. Eco trouve du sens en tout, il décode les médias, les formes, les musiques, les images. Il accumule dans sa bibliothèque - un couloir de dix-sept mètres dans lequel il recensa 30000 ouvrages, de Platon à Houellebecq - un fonds digne d’un curieux de la Renaissance : incunables, documents, éditions rares, fac-similés du Book of Kells ou du Songe de Poliphille. Le sémiologue boulimique ne sait pas encore que de ce savoir naîtra son œuvre romanesque.

Un coup de maître à la cinquantaine

Un jour, une éditrice lui propose d’écrire un roman policier. Le médiéviste refuse net : « Si j’écrivais un policier, cela se passerait dans une abbaye au Moyen Age et le livre aurait cinq cents pages. » L’idée de son premier roman, Le Nom de la Rose, naît fortuitement. Il se met à l’écrire au moment de l’affaire Aldo Moro. A sa sortie - Eco a quarante-huit ans - le livre est tout de suite best-seller, et un best-seller qui dure (il a été traduit dans une trentaine de langues, près de vingt millions d’exemplaires ont été vendus, et Jean-Jacques Annaud en a tiré un film).

Un véritable miracle pour ce livre difficile, labyrinthique, truffé de citations latines. Il peine pourtant à trouver un contrat chez un éditeur français. Le Seuil et Gallimard, entre autres, le refusent et laissent le champ libre à Grasset, qui n’aura pas à s’en plaindre. A l’aube de la cinquantaine, une nouvelle vie de voyages, d’interviews, de conférences, de Yale à la Sorbonne, commence pour Eco. Sans se départir de sa bonhomie, il reçoit les journalistes à Rimini, où il possède une maison, leur prête un maillot de bain s’il faut et les emmène « fare il bagno » dans l’Adriatique.

Déçu par les années 2000

Huit ans plus tard, il publie son second roman, Le pendule de Foucault, un feuilleton savant de plus de six cents pages, où il convoque les Templiers, les vieux grimoires, la kabbale, les sociétés secrètes et le fameux pendule. Il règle son compte à l’occultisme dans ce livre qui a pourtant lancé cette mode du complot, du mystère et du surnaturel, dont le Da Vinci Code a profité. Umberto Eco, ce savant au don d’ubiquité et d’omniscience, a aussi le pouvoir de faire plusieurs choses en même temps. En sus des thèses qu’il dirige, des colloques, des romans qu’il « s’amuse » à écrire : L’île du jour d’avant, ou l’étonnant Baudolino, inspiré de la lettre de Prêtre Jean, il signe de nombreux essais : de Lector in fabula, De la littérature à Comment voyager avec un saumon ? (Grasset), qui oscillent entre érudition et un humour décapant.

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Déçu par les années 2000, celles de Bush et de Berlusconi, Umberto Eco avait trouvé une solution pour lutter contre cette époque à la censure facile et aux mœurs corrompues, pour maintenir notre curiosité et notre esprit critique en alerte : lire et relire Sylvie, de Gérard de Nerval, son livre préféré. En 2015, son court roman Numéro Zéro qui s’attaquait avec vigueur et humour aux tares du journalisme à scandale avait enchanté le public. À cette occasion, il confiait dans une interview au Figaro tenir son « goût pour les livres de sa grand-mère maternelle, lectrice furieuse, qui allait très souvent emprunter des livres à la bibliothèque ». Le romancier déplorait aussi le trop plein d’informations caractérisant notre époque.

Avec d’autres grands noms de la littérature italienne, il avait décidé en novembre dernier de quitter sa maison d’édition historique Bompiani, récemment rachetée par le groupe Mondadori (propriété de la famille Berlusconi), pour en rejoindre une nouvelle et indépendante baptisée « La nave di Teseo » (le bateau de Thésée, le mythique roi d’Athènes).

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Umberto Eco avait reçu Le Figaro Magazine, chez lui à Milan, quelques jours avant la sortie de son dernier livre Construire l’ennemi. :

Crédit : Le Figaro

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Le Monde

Par Philippe Ridet (Rome, correspondant)
20.02.2016

Le prochain livre d’Umberto Eco sortira au mois de mars en Italie

Umberto Eco, dans la bibliothèque de sa maison à Milan.OLIVER MARK / FOCUS / COSMOS


La mort d’Umberto Eco, disparu samedi 19 février à l’âge de 84 ans à Milan, prive l’Italie d’un de ses plus grands intellectuels. Tous les journaux de la péninsule – au moins ceux qui ont pu s’affranchir de la contrainte du bouclage pour accorder l’espace que mérite cet événement – commémorent la disparition de celui qui a « su transformer la science en roman », à « l’écrivain qui a changé la culture italienne ». Fait rarissime, le quotidien La Repubblica– informé en premier par la famille – consacre ses deux premières pages à cet « amateur de whisky, de calembours et de Moyen-Age », sous le titre « Addio Umberto ».

Si les nécrologies s’attardent sur l’œuvre du sémiologue, du philosophe, du romancier, de l’interprète de la modernité, du chroniqueur, si elles soulignent la notoriété et l’influence d’Eco à l’étranger, elle dresse aussi le portrait d’un homme simple, ironique et engagé, aussi bien dans son enseignement à l’université de Bologne que dans ses prises de position publiques. De nombreux sites, comme celui du Corriere Della Sera, publie ses déclarations les plus fameuses, dont celle-ci :« celui qui ne lit pas à 70 ans n’aura vécu qu’une vie : la sienne. Qui lit aura vécu 5000 ans. »

Mort à jamais ? Editeur historique d’Umberto Eco, Mario Andreose, a annoncé quelques heures après la disparition de l’écrivain, la parution d’un nouveau livre intitulé Pape Satàn Alleppe (un verset de Dante qui ne veut rien dire tiré du septième chant de L’Enfer) et sous-titré « chroniques d’une société liquide », une société dont il cherchait le sens. Cet ouvrage est un recueil de ses collaborations hebdomadaires pour le magazine L’Espresso dont il avait eu le temps de relire les épreuves.

Pape Satàn Alleppe sera publié par la nouvelle maison d’édition La Nave di Teseo que l’auteur du « Nom de la rose » a contribué à fonder en décembre2015. Avec d’autres actionnaires, il entendait enfoncer un coin dans la situation de monopole créé dans l’édition italienne après le rachat de la maison Rizzoli par Mondadori, propriété de la famille Berlusconi. A cette occasion, il avait confié :« ce projet est pour moi une façon de lutter contre la maladie d’Alzheimer. C’est plus efficace que les mots croisés. »

Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Journaliste au Monde

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Le livre sur amazon.fr

Suite à une conversation dans un taxi new-yorkais avec un chauffeur pakistanais qui ne comprend pas qu’un pays puisse exister sans ennemis, Umberto Eco s’interroge. Après avoir constaté les ravages d’idéologies totalitaires telles que le nazisme ou le fascisme, la société actuelle ressent-elle la nécessité de se définir par rapport à un ennemi et de le diaboliser ? Les Etats renonceraient-ils, aujourd’hui, à l’opportunité de créer de nouveaux boucs émissaires pour renforcer le sentiment d’identité nationale et leur pouvoir ?
Le grand érudit qu’est Umberto Eco traite dans ces « écrits occasionnels » de questions qui l’intriguent et le passionnent, sans jamais oublier d’amuser son lecteur.

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Trois confidences d’Umberto Eco (Les Echos)

« Houellebecq vaut mieux que Modiano »

Si vous me demandez qui est le plus grand romancier français d’aujourd’hui, je vous répondrai que nous le saurons dans cinquante ans. Quand Roland Barthes était vivant, toute la Sorbonne était contre lui. Aujourd’hui, c’est un mythe de la culture française. C’est à distance qu’on découvre les vraies valeurs. Il est évident que nous ne sommes pas aujourd’hui dans une époque comme celle où Sartre et Camus dominaient la culture française. Pour moi, Houellebecq vaut mieux que Modiano, qui a toujours écrit le même livre. Même si c’est un peu notre sort à tous. Certains se plaisent à escalader le mont Blanc, mon plaisir c’est d’écrire des romans. D’ailleurs, il ne faut pas croire qu’ils se vendent forcément mieux que les essais au fil du temps. Certes, Alexandre Dumas a vendu plus de livres qu’Auguste Comte, mais Descartes est plus publié que de nombreux romanciers du XVIIe siècle que nous avons oubliés. Et le succès du Capitalisme de Thomas Piketty est une belle illustration du potentiel des essais, quand ils comportent une qualité d’écriture et de narration.

« Berlusconi conserve un immense pouvoir »

Silvio Berlusconi peut disparaître demain comme homme politique, mais il reste un tycoon avec un immense pouvoir dans le champ de la culture et des médias (télévisions, édition, journaux…). Son emprise n’est plus liée seulement à sa personne. Ce serait la même chose si Rupert Murdoch ou Donald Trump étaient dans la même position. Des rumeurs courent comme quoi toutes ces acquisitions qui ont donné naissance à Mondazzoli dans l’édition se seraient faites dans l’optique de revendre tout le paquet à un investisseur étranger. Je ne peux pas dire si c’est vrai ou faux.

« Il n’y a pas de véritable alternative à Renzi »

Il n’y a pas d’autre solution. Il a réussi à donner une accélération à la politique italienne. En soi, c’est déjà un fait positif. Silvio Berlusconi n’est plus une alternative, la gauche reste fragmentée et quant au M5S de Beppe Grillo, on ne comprend pas bien ce qu’ils veulent. Il n’y a donc pas de véritable alternative à Matteo Renzi. Cela dit, nous assistons à la naissance d’une nouvelle droite extrémiste bien pire que la droite berlusconienne. Hormis le problème de conflit d’intérêts de Silvio Berlusconi, le centre berlusconien était plutôt assez tranquille.

Crédit : Les Echos

"le plus rond et le plus carré" des hommes, selon son traducteur

20 février 2016

Umberto Eco était "le plus rond et en même temps le plus carré" des hommes et chez lui, le rire était "fondamental", a souligné samedi Jean-Noël Schifano, qui a traduit depuis 30 ans tous ses romans en français.

"Il était rond de chair, de coeur et carré d’esprit", se souvient l’écrivain, éditeur et traducteur, qui était "très proche" d’Umberto Eco. "Rondeur dans le contact, l’amabilité, l’écoute et en même temps carré dans la vivacité, les répliques, la captation des réalités. C’était le plus rond des hommes et en même temps le plus carré", résume-t-il.

"La construction de ses romans est magistrale. C’est quelqu’un qui a introduit dans le roman les plus grands savoirs du Moyen Age jusqu’à nos jours avec une richesse, une générosité, une profusion et en même temps, une maîtrise remarquable", explique Jean-Noël Schifano à l’AFP. Cette maîtrise "fait la grandeur et la beauté de ses romans".

Pour Umberto Eco, le rire était aussi "fondamental, c’était l’esprit qui éclatait de joie", note celui qui a partagé avec lui "30 ans d’aventure littéraire".

"A tous les niveaux, il introduisait une légèreté dans les échanges. On pouvait parler des choses les plus sérieuses et tout d’un coup, ça devenait léger et rieur, parce qu’il avait une telle possession du savoir", souligne-t-il.

"Quand on était six mois sans se voir et qu’on se retrouvait à Paris, on ne se disait pas bonjour : il me disait tu connais la dernière, et il me racontait une blague", ajoute Jean-Noël Schifano, évoquant aussi un grand francophile, "très proche de la culture française et de nos grands historiens du Moyen Age", qui "adorait Cyrano de Bergerac et récitait des tirades par coeur".

Crédit AFP

Quand Umberto Eco expliquait comment se préparer à la mort (Courrier International)

Umberto Eco présente son dernier roman, “Numéro Zéro”, à la Fnac des Ternes, à Paris, le 12 mai 2015. FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Comme l’ensemble de la presse italienne, L’Espresso rend hommage à Umberto Eco. A cette occasion, l’hebdomadaire republie une lettre dans laquelle il explique avec humour et philosophie comment aborder sereinement la mort.

Je ne suis pas sûr de dire là une chose originale, mais il me semble que l’un des problèmes majeurs qui se posent à l’être humain est la question de comment affronter la mort”.

Ainsi commençait une lettre d’Umberto Eco à un discipline imaginaire (qu’il surnomme Criton, à l’instar de celui de Platon) parue en 1997 dans L’Espresso, dans lequel il tenait alors une rubrique. L’hebdomadaire la republie ce 20 février, à l’occasion de la mort de ce géant de la littérature

Une certitude inaltérable

Dans la lettre confiée à L’Espresso, Eco raconte qu’un disciple, tel Criton, lui a demandé récemment comment aborder la mort. “Je lui ai répondu que la seule façon de s’y préparer est de se convaincre que tous les autres sont des couillons”.

Vois-tu, comment peux-tu aborder la mort, même croyant, si tu penses que, tandis que tu meurs, des jeunes prodigieusement désirables des deux sexes dansent en discothèque et s’amusent hors de toute mesure, que des scientifiques illuminés violent les derniers mystères du cosmos, que des politiciens incorruptibles œuvrent à créer une société meilleure, que journaux et télévisions ne visent qu’à donner des nouvelles d’intérêt, que des entrepreneurs responsables se font un devoir de concevoir des produits qui ne dégradent pas l’environnement […] ? L’idée que toutes ces choses merveilleuses se produisent tandis que tu t’en vas serait insupportable”.

A l’inverse, si en ce même moment “tu avais la certitude inaltérable que le monde est plein de couillons” – de ces jeunes gens qui s’amusent aux politiciens qui proposent des solutions malhonnêtes à nos maux – “ne serais-tu pas heureux, soulagé, satisfait, d’abandonner cette vallée de couillons ?”

Un art délicat

Le disciple pose alors une sage question : quand doit-il commencer à adopter cette conviction ? Le maître l’encourage à prendre son temps, et à n’y arriver que progressivement, car un jeunot qui s’en convaincrait trop prestement ne parviendrait jamais à la sagesse.

Il faut commencer en se convainquant que tous les autres sont meilleurs que nous, puis évoluer graduellement, avoir ses premiers doutes vers les quarante ans, amorcerune révision entre les cinquante et les soixante, et atteindre la certitude tandis que l’on rejoint les centans”.

C’est “un art subtil et délicat”, insiste le maître. Un cheminement progressif, afin de mourir sereinement. Jusqu’au jour dernier, il convient cependant de se convaincre que parmi cette foule,“il est un être, que nous aimons et admirons, et qui, lui, n’est pas un couillon. La sagesse consiste à admettre au moment propice (et pas avant) que même lui était un couillon. Alors seulement on peut mourir”.

Il est naturel, humain, propre à notre espèce de lutter contre la conviction que tous les autres sont indistinctement des couillons – autrement à quoi bon vivre ? Mais, quand à la fin, tu sauras, tu auras compris pourquoi il vaut la peine (et même, pourquoi il est splendide) de mourir”.

Criton se tourne alors vers son maître et ose cette remarque : “Maître, je ne voudrais pas prendre de décisions hâtives, mais je nourris le soupçon que vous soyez un couillon”. Et le maître de conclure : “tu vois, tu es déjà sur la bonne voie”.

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Le temps des écrivains (France Culture)

Emission spéciale Umberto Eco (16/05/2015)

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A partir du thème du complot - élément central de son dernier texte Numéro zéro qui vient de paraître, et qui sera son dernier roman, Umberto Eco, invité unique du "Temps des écrivains", échange sur quelques éléments récurrents de son long travail d’écrivain et sémiologue : la culture, la vérité ("la vérité romanesque a cette qualité de ne pouvoir être discutée"), le réel et la fiction, l’oubli (qui tend à prendre le pas sur l’Histoire), le journalisme, les poncifs.

Umberto Eco Crédits:Radio France
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Umberto Eco est l’invité de Christophe Ono dit Biot.
Umberto Eco, Numéro zéro, Traduit de l’italien par J.-N. Schifano, Grasset.
Ses choix musicaux : Sonate 6 bémol 35, Frédéric Chopin - La fourmi, de Robert Desnos, par Juliette Gréco -Sonate n°2 pour violon solo, Jean-Sébastien Bach.

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Le secret d’Umberto Eco ? Aristote + Sherlock Holmes

par Laurent Binet,
JDD, 21 février 2016

Dans son dernier roman, « La septième fonction du langage » : (Grasset), Laurent Binet avait fait d’Umberto Eco un personnage à part entière. Une « satire débridée et fort savante – très érudite sous les éructations » autour de l’intelligencia littéraire des années 60 : Roland Barthes, Philippe Sollers, Julia Kristeva. Umberto Eco complétait le tableau. Qui aime bien châtie bien, car l’auteur agrégé de lettres s’est nourri au lait de ces auteurs. Et son roman dont le thème est la quête d’un manuscrit perdu de Roland Barthes s’inspirait de la trame du « Nom de la Rose ». Il rend ici, hommage à son modèle et maître :


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Un roman, dont l’action se situe dans une abbaye italienne du XIVe siècle et dont les héros.sont des moines franciscains, base son intrigue sur la disparition du second livre de la Poétique d’Aristote et devient un succès planétaire. Cherchez l’erreur ? Il n’y a pas d’erreur puisque Le Nom de la rose s’est vendu à 17 millions d’exemplaires dans le monde.

Ce roman est la preuve que l’absence d’ambition littéraire et le peu de considération dans les capacités du lecteur ne sont pas les fatalités du best-seller. Cette croyance est si peu répandue dans le milieu éditorial qu’il aura fallu deux ans avant que la France traduise et publie Le Nom de la rose, en 1982, et c’est lentement mais sûrement que le roman (avant le film de Jean-Jacques Annaud toutefois) rencontrera une audience mondiale. Le structuraliste qu’a été Umberto Eco ne nous en voudrait sans doute pas si nous résumions le secret de son succès par une équation :
Aristote + Sherlock Holmes.
Culture savante et culture populaire.
Docere, placere  : instruire et plaire...

Il voyait dans James Bond et Superman
des mythes modernes
d’une richesse foisonnante
qui les rendait dignes d’étude,
au même titre que la Bible ou Kafka

Deleuze disait d’Umberto Eco qu’il savait tout sur tout et qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour qu’il se mette à discourir sur n’importe quel sujet. Mais l’érudition légendaire du sémiologue italien n’aurait sans doute pas suffi à lui assurer cette place à part dans le paysage intellectuel. Dans le sillage de Barthes, Eco sémiologue a fait déborder son champ d’analyse de la littérature classique vers des objets de la « sous-culture ». Il voyait dans James Bond et Superman des mythes modernes d’une richesse foisonnante qui les rendaient dignes d’étude, au même titre que la Bible ou Kafka.

Cette absence de snobisme aura sans doute été à la source de son ouverture d’esprit et, du coup, de la fécondité de ses analyses : tout le contraire de ces anti-modernes pour qui c’est soit Bossuet soit Internet. Eco n’était pas pourri de cet esprit de sérieux qui selon Kundera ravage notre époque ; bien au contraire, il avait cette tournure d’esprit qui lui permettait d’aborder les problématiques les plus ardues, linguistiques ou narratologiques, sous un angle toujours ludique.

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Le romancier italien, à Paris. 11/2009
ERIC DESSONS/JDD

Dans Lector in Fabula, pour développer ses théories sur les « mondes possibles » de la fiction, il se met dans la peau de sa belle-mère : « Que se serait-il passé si mon gendre n’avait pas épousé ma fille ?  » Et cette question, en apparence triviale, est le point de départ d’une vertigineuse réflexion sur la complexité des rapports entre réalité et fiction, qui débouche sur d’autres interrogations, essentielles pour la littérature : « Que signifie reconnaître, à la lecture d’un roman, que ce qui s’y passe est plus "vrai" que ce qui se passe dans la vie réelle ?  » Réfléchir en s’amusant, s’amuser à réfléchir : c’était ça, la méthode Eco.

Cependant, cette jovialité, ce goût du jeu ne signifiaient pas absence d’engagement. Certes, Umberto Eco n’avait pas le passé militant d’un Toni Negri et a fait preuve de davantage de prudence durant les années de plomb en Italie. Mais son engagement était d’un autre ordre : lorsqu’il démonte l’idéologie fasciste sous-jacente qui gouverne les romans, de James Bond, par exemple, il participe, comme le faisait Barthes, à l’exposition et la dénonciation d’une propagande invisible qui innerve la société occidentale d’après-guerre.

Par ailleurs, l’un de ses ultimes combats aura été de s’opposer au rachat de Bompiani, sa maison d’édition historique, par le groupe Mondadori, propriété de la famille Berlusconi. Pour ce faire, il a fondé, avec le soutien de ses amis, une maison d’édition au nom évocateur : la Nave di Teseo, ce bateau de Thésée dont on remplace les pièces une par une, jusqu’au point où plus aucune pièce d’origine ne subsiste. Et pourtant, c’est toujours le navire de Thésée. Voilà encore Eco en la simple évocation d’un mythe antique, nous donner une piste de réflexions sur un problème contemporain, l’identité, mille fois plus stimulante que tous les discours entendus à longueur de journées.

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Hommage à Umberto Eco à La Grande Librairie

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François Busnel rend hommage à Umberto Eco, l’écrivain et intellectuel italien disparu le 19 février. Connu du grand public pour ses oeuvres romanesques, notamment le « Nom de la rose », adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud, Umberto Eco fut avant tout un grand érudit, sémioticien, philosophe, linguiste, curieux de tout, ainsi qu’un homme en prise avec son temps.

Crédit : france5.fr

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Umberto Eco derrière les portes

C’est le titre de l’excellent documentaire que lui a consacré la chaîne Arte. Un documentaire qui permet de découvrir l’homme derrière l’écrivain et philosophe. Nous vous recommandons vivement son visionnage. C’est ICI..., avec des documents d’archive comme celui-ci :.


Elements de Biographie

Né le 5 janvier 1932 dans le Piémont, Umberto Eco est un universitaire, philosophe, et homme de lettres italien. Ses recherches en sémiotique et linguistique ont fait l’objet de nombreuses publications : "Les limites de l’interprétation" (1992),"Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs"(1996), "De la littérature" (2003), "Dire presque la même chose ; expériences de traduction" (2007), "L’expérience des images" (2011). Passionné par l’esthétique médiévale, il réussit à transposer ses connaissances dans un roman qui va le faire connaître du grand public : "Le nom de la rose" (1980). En effet ce "polar médiéval" a rencontré un énorme succès : vendu à plus de 17 millions d’exemplaires, il a été traduit dans une trentaine de langues, a reçu le prix Médicis étranger en 1982 et a été adapté au cinéma en 1986. Fort de ce succès, Umberto Eco a récidivé avec "Le pendule de Foucault" (1990), "L’île du jour d’avant" (1996) ou "Le cimetière de Prague" (2011). Cet universitaire aux trente titres de docteur honoris causa, qui a enseigné à Turin, Bologne, au collège de France, et fondé en 1988 l’institut international "Transculture", est également l’auteur de : "Pastiches et postiches" (1988), "Comment voyager avec un saumon (1998), "Histoire de la beauté" (2006) ou "Histoire de la laideur" (2007).

Umberto Eco en dates

5 janvier 1932 : Naissance à Alessandria

1955-58 : Assistant à la RAI

1962 : L’Œuvre ouverte (Seuil, 1965) texte fondateur de son œuvre sémiologique

1975 : Chaire de sémiotique à l’université de Bologne

1980 : Il nome della rosa [Le Nom de la rose(Grasset, 1982] adapté au cinéma en 1986 par Jean-Jacques Annaud

1992-93 : Titulaire d’une chaire européenne au Collège de France

2000 : Baudolino (Grasset, 2002)

2015 : Prix Alphonse Allais pour son sens aiguisé de l’humour que ne saurait cacher son érudition profonde.

2015 : Sortie de son dernier roman, Numéro zéro

19 février 2016 : Mort à l’âge de 84 ans

D’autres hommages :

Le Monde : Umberto Eco, auteur du « Nom de la rose » : mort du plus lettré des rêveurs

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5 Messages

  • Viktor Kirtov | 21 février 2021 - 12:08 1

    1982, Umberto Eco : "J’ai le Moyen Age comme vice et comme passion"

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    Umberto Eco mourait il y a cinq ans [le 19 février 2016 à Milan], à l’âge de 84 ans. L’intellectuel italien, à la fois sémiologue, spécialiste de philosophie médiévale, critique littéraire, était également un écrivain apprécié du grand public. Le 23 juillet 1982, il était l’invité de Bernard Pivot sur le plateau d’Apostrophes pour parler de son premier roman, Le Nom de la Rose (publié en 1980 en italien et en 1982 dans sa traduction française). Les invités de Pivot, et notamment Hector Bianciotti, semblaient captivés par cette histoire mêlant enquête policière et histoire médiévale.
    En l’an de Grâce 1327, dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie sise au sommet d’une plaine morne et humide, des moines sont retrouvés assassinés. L’un après l’autre, ils disparaissent dans des circonstances suspectes et sont retrouvés dans des mises en scènes macabres évoquant les récits de l’Apocalypse. Le héros, Guillaume de Baskerville, un moine franciscain, et son novice, Adso de Melk, mènent l’enquête… Lorsque Umberto Eco décide d’écrire ce premier roman, en 1980, il mélange ses passions pour le Moyen Age, la littérature, la symbolique, en un polar fascinant et plein d’érudition. Le succès est immédiat, tant le lecteur est captivé par cet univers proche et lointain à la fois, par cette enquête fascinante dont les ressorts paraissent échapper aux règles traditionnelles du roman policier.

    Crédit INA


  • V. Kirtov | 24 février 2016 - 18:54 2

    Par Laurent Binet
    Dans son dernier roman, « La septième fonction du langage » (Grasset), Laurent Binet avait fait d’Umberto Eco un personnage à part entière aux côtés de Roland Bathes, Philippe Sollers, Julia Kristeva.
    Voir son hommage à Umberto Eco, ICI…


  • Albert Gauvin | 23 février 2016 - 16:54 3

    Hommage à Umberto Eco

    France Culture, Soft power, 21 février 2016.
    Avec Stefano Montefiori, correspondant à Paris du Corriere della Sera et par tél. : Teresa Cremisi, éditrice ; Julia Kristeva, écrivain ; Jean-Noël Schifano, traducteur.

    Crédit France Culture


  • Albert Gauvin | 23 février 2016 - 15:42 4

    Une vidéo extraordinaire d’Umberto Eco arpentant sa spectaculaire bibliothèque

    Lecteur assidu, bibliothèque vivante et collectionneur d’ouvrages, Umberto Eco en possédait des dizaines de milliers. Découvrez à quoi ressemblait sa propre bibliothèque : le fantasme de tout amateur de livres !

    50 000. C’est le nombre de livres que possédait Umberto Eco, dont plus de la moitié était conservés dans l’ancien hôtel devenu sa résidence de Milan. L’écrivain et sémiologue disparu le 19 février dernier, qui aimait comparer dieu à une bibliothèque, avait recouvert d’étagères les longs couloirs desservant les chambres pour y aligner des dizaines de mètres de rayonnages. Un dédale d’ouvrages dans lequel il allait régulièrement puiser des idées de sujets pour ses romans et au sein duquel il savait retrouver chaque titre en un instant. Amateur de manuscrits, Umberto Eco en avait même sélectionné quelques-uns pour les exposer sous des vitrines de verre, dans son salon.

    "C’est à rendre folle ma secrétaire"

    Au Monde de l’Education qui l’interrogeait en avril 1997 sur la façon dont était organisée sa propre bibliothèque, Umberto Eco avait répondu :

    Cela dépend des sections. Les livres anciens sont d’un côté, les romans contemporains rangés par ordre alphabétique, selon les pays. Mais les essais ont des divisions qui correspondent à mes centres d’intérêt actuels. Un livre sur l’esthétique médiévale est rangé dans le Moyen Âge. Mais si je fais un essai sur différents moments de l’esthétique, il quittera sa place pour rejoindre les livres d’esthétique. Cela change donc continuellement selon les critères de travail, avec néanmoins des divisions permanentes - la linguistique, la philosophie contemporaine, etc. Mais il y a des rayonnages de transit. Si je fais un certain travail, il y a un regroupement de livres de linguistique, de psychologie par exemple, qui se défera dans six mois. C’est à rendre folle ma secrétaire. Je ne peux pas lui téléphoner pour lui demander de me trouver un livre précis. Je peux juste lui dire, parce que j’ai une bonne mémoire visuelle : "Faites sept pas verticaux, après tournez 45° à droite, levez la main à 1,35 mètre". Peut-être alors aura-t-elle une chance de le trouver.

    Crédit texte : archimag.com


  • Albert Gauvin | 22 février 2016 - 20:08 5

    Umberto Eco : "La France a subi un choc qu’elle n’a pas encore digéré"

    Le philosophe et essayiste Umberto Eco est mort vendredi 19 février à 84 ans, a annoncé sa famille au quotidien italien La Repubblica. L’écrivain était "un exemple extraordinaire d’intellectualisme européen, associant une intelligence unique du passé à une capacité inépuisable d’anticiper l’avenir" , a déclaré le président du Conseil italien Matteo Renzi.
    Pionnier de la sémiotique et théoricien du langage, Umberto Eco avait signé en 2015 Numéro zéro, un court roman radicalement différent de ses précédentes productions Le Nom de la rose ou Le Pendule de Foucault. En novembre dernier, la Revue des Deux Mondes s’entretenait avec le philosophe pour qui la culture et l’éducation viendront certainement à bout des fondamentalistes de notre époque. « Mais l’éducation peut prendre deux cents ans… Si nous ne sommes pas là pour voir le résultat, tant pis. L’histoire n’a que faire de notre petite personne ! ». Retrouvez cet entretien en intégralité et en accès libre.