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Éloge de la contre-folie

Médium - à Luxembourg, 29 mars 2014

D 4 juin 2014     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Un Sollers en grande forme

Luxembourg, 29 mars 2014.
Philippe Sollers a lu quelques extraits de son nouveau roman « Médium » (paru en janvier 2014 chez Gallimard) et s’est entretenu avec Michèle Vallenthini, dix-huitiémiste luxembourgeoise et Dr. Paul Rauchs, psychiatre à Luxembourg et chroniqueur. Cette rencontre a débuté par la projection d’un film réalisé par Georgi Galabov et Sophie Zhang, Médium, (2014, 33 minutes).

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Philippe Sollers, Éloge de la contre-folie

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Entretien sur Radio 100,7 avec Frédéric Braun

Hôtel Le Royal, 29.3.2014.

L’écrivain français se livre dans un discours de la méthode décomplexé.

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Interview par Marie-Laure Rolland

Luxembourg, Die Warte, Luxemburger Wort, 3 avril 2014.

Marie-Laure Rolland : Votre livre s’intitule « Médium » : D’après le dictionnaire, que vous citez, cela désigne une « personne susceptible, dans certaines circonstances, d’entrer en contact avec les esprits ». Le roman met en scène un narrateur qui vous ressemble beaucoup et qui, précisément, possède cette qualité. En quoi vous intéresse-t-elle ?

Philippe Sollers : Vous savez, ce mot a une grande histoire. Il a surtout été employé au XIXe siècle. Prenez quelqu’un comme Victor Hugo, ce grand poète qui a eu droit aux obsèques nationales. Pourquoi s’est-il acharné à faire tourner les tables quand il était en exil à Jersey ? Cela, c’était de l’occultisme. Ce n’est pas du tout dans ce sens-là que j’emploie ce mot. Je l’utilise dans le sens de quelqu’un qui peut anticiper les phénomènes, les prévoir, voir à travers les personnes et, d’autre part, qui est en communication avec le temps passé. Être médium c’est au fond être capable de voir l’avenir à partir du passé. D’où l’importance dans ce livre du personnage central du duc de Saint-Simon (1675-1755).

Pourquoi cet intérêt pour Saint-Simon ?

C’est à mon avis le plus grand écrivain français. Et d’autre part il écrit à un moment de décomposition générale, alors que le règne de Louis XIV commence à s’effondrer. Ses Mémoires font huit volumes dans la Pléiade. On voit qu’il est très renseigné sur ce qui se passe à Versailles, qui est alors le centre du monde - un Royaume qui sera ensuite la Grande Nation de Napoléon, la Nation, la petite Nation et maintenant une municipalité située du coté de la Corrèze, si vous voyez ce que je veux dire... Nous sommes en désagrégation complète. Je trouve intéressant de regarder l’envers de l’Histoire d’aujourd’hui, exactement comme Saint-Simon observait la désagrégation de la monarchie qui va conduire à la Révolution.

Saint-Simon n’est pas le seul médium dans votre livre. Vous faites également référence à d’autres écrivains…

Il y a bien sûr Montaigne qui a vécu à Bordeaux comme moi. J’ai encore en mémoire la visite que j’ai faite quand j’avais 12 ans dans la Tour où il habitait. Il s’y était enfermé, en quelque sorte. Les poutres portaient des inscriptions en latin et en grec. On comprenait que c’était quelqu’un qui avait peur que les cultures latine et grecque disparaissent. Voilà un médium qui a senti qu’il était à la charnière d’un changement d’époque considérable, que l’on peut appeler la « Renaissance » si l’on veut.

Un autre médium important est Proust qui, dans La Recherche du temps perdu, a décrit la désagrégation de toute une civilisation avant la boucherie de 1914-1918.

Nous serions donc à la veille d’une révolution ?

C’est plus qu’une révolution. C’est une mutation. On change d’ère.

Mais les mutations font partie de l’histoire des hommes. En quoi faudrait-il s’alarmer davantage de celle que nous vivons ?

Cela nous mène à la mondialisation. Et j’observe que ce sont les Français qui la ressentent le plus douloureusement. Tous les autres peuples, même en état de crise virulente, sont moins désespérés que les Français. Cette mondialisation entraîne une redistribution des cartes comme elle n’a jamais eu lieu auparavant. Exemple : la Chine, première puissance virtuelle.

Cela devrait vous réjouir, vous qui avez une grande fascination pour la culture chinoise et avez été maoïste dans votre jeunesse - peut-être l’êtes-vous encore au demeurant...

Cela ne veut rien dire, maoïste... Ce qui m’intéressait depuis toujours, c’est la pensée, la calligraphie, la poésie, la façon d’être, bref la culture chinoise que très peu de gens connaissent alors qu’elle a plus de 3.000 ans d’histoire.

Faute de culture, les hommes n’ont donc plus d’armes pour affronter l’avenir ?

Mon diagnostic, c’est que l’on vit dans un monde de fou. L’argent fou, la technique folle allant jusqu’à retraiter les cadavres dans des usines. Je cite dans mon chapitre sur « L’usine des cadavres », pages 73 et 74, des pratiques qui n’émeuvent personne. J’explique que l’être humain est devenu une marchandise dont tous les organes sont transformables en dollars. La principale usine de retraitement spécial se trouve, comme c’est étrange, en Allemagne.

Quelles sont vos sources ?

Je ne fais que reprendre une enquête anglaise très sérieuse que je cite sans idéologie, ou le moins possible.

Vous êtes par exemple contre les greffes d’organes ?

Mais je ne suis pas contre. Je décris les choses et j’observe que personne n’en tient compte. Rien n’est plus facile que de s’indigner. Moi, je suis ironique et froid. C’est beaucoup plus efficace.

Pourtant, vous y allez fort dans vos descriptions !

Eh bien j’y vais fort, mais sans me fâcher. Comme Saint-Simon.

N’y a-t-il pas de règlements de comptes dans votre livre, lorsque par exemple vous parlez de vos « fous et folles préférés, les journalistes », ou de la pire espèce que représente « la petite bourgeoise française » ?

Ce sont des portraits. Des descriptions d’époque. J’observe que la petite bourgeoise française de la classe moyenne a pris une puissance considérable.

Et cela participe de la décadence de la société ?

Ce n’est pas de la décadence, qui est un terme du XIXe siècle. Si on dit que tout est décadent, on devient un vieux réactionnaire imbécile, genre Front National, qui estime qu’il y a une renaissance possible. Moi je dis : non. Ce n’est pas une décadence. C’est bien pire, c’est une déliquescence (rire) !

Ce qui signifie ?

Eh bien, c’est comme le sucre dans le café. Vous avez vu comment il a fondu ?

Comment peut-on rester froid dans la description ?

Je n’espère rien de ce qui vient de la société, du social ou du sociétal, appelez cela comme vous l’entendez. Et je conseille à chacun de renforcer autant que possible sa singularité et sa vie privée. Tout le reste, c’est de la poudre de perlimpinpin et du blabla.

Philippe Sollers serait-il réac ?

Pas du tout. Ce que j’écris est très révolutionnaire au contraire. Vous avez dans ce livre un manuel de « contre-folie ».

Vous citez Pascal en exergue de votre livre : « Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel ». Une formule un peu énigmatique qui résume votre philosophie ?

Énorme formule ! Il s’agit du point métaphysique si vous voulez, où l’on est au-delà du bien et du mal.

Comment se construit un livre comme « Médium ». Au-delà de l’intention, votre texte suit-il une structure préétablie ?

Je ne commence pas avec un projet. Je pars avec des premières phrases. Là, c’était « Eh bien, la magie continue ». Cela me transporte dans un quartier excentré de Venise, un lieu aux antipodes de tout ce que l’on voit d’habitude lorsqu’on s’y rend : la Venise des biennales, des expositions, de monsieur Pinault à la Douane de mer avec sa peinture d’art contemporain qui est à mourir de rire car il y a beaucoup d’argent qui circule derrière tout cela. Le narrateur, lui, est absolument seul et tranquille.

Ce narrateur, c’est vous ?

Bien sûr, c’est moi... Mais qui suis-je ?

Vous êtes originaire de la région de Bordeaux. Cela a-t-il une influence sur ce que vous êtes ?

Bien sûr. Je suis un écrivain français, mais j’ai un lien particulier avec l’Angleterre. Bordeaux, c’est deux siècles de possession anglaise. Et je dois dire que le drapeau anglais est le seul que je salue avec émotion parce qu’il faut bien dire que ce sont les Anglais qui ont gagné la seconde guerre mondiale grâce à leur engagement entre 1940 et 1942.

Qu’est-ce qu’être un écrivain français ?

C’est la langue. Une langue qui est une merveille. Vous n’avez dans aucune autre civilisation des écrivains aussi importants que contradictoires dans leurs opinions ou leur façon de s’exprimer. C’est cela qui est propre à la littérature française. Les autres littératures n’ont pas cette richesse.

Le constat que vous faites de la production littéraire française contemporaine n’est pourtant pas très élogieuse dans votre livre. Vous dites qu’en France « on publie de plus en plus, ou plutôt on poublie »...

Vous savez, comme dit Héraclite, il suffit qu’il y en ait un — d’écrivain — et s’il est bien il en vaut 10.000...

Qui est-ce ?

Moi (rire !)

Et à part vous ?

Il y en a, plusieurs. Mais ce qui est le plus flagrant n’est pas le manque d’excellente littérature. Après tout il y a des écrivains notables, aux antipodes de ce que je peux faire... J’aime bien Houellebecq, Angot, Modiano, Quignard — ce sont des amis d’ailleurs pour la plupart. Le problème de la littérature aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas le sens historique. Ou alors ce sont des romans historiques, mais faux. Moi je m’intéresse à l’Histoire. De la France, du monde. Si vous supprimez l’histoire, vous pouvez avoir des bons livres, mais enfin du genre psycho...

Vous-même êtes directeur de collection chez Gallimard et contribuez donc à alimenter une production que vous jugez déjà trop importante...

On publie 600 romans à la rentrée littéraire en France, et on sait à l’avance que seuls 4 ou 5 sortiront leur épingle du jeu à travers les prix littéraires. Vous n’allez pas me dire que ce n’est pas une opération qui consiste à noyer le poisson ! Je n’aimerais pas débuter une carrière littéraire aujourd’hui. Il y a beaucoup de disparus dans le triangle des Bermudes. Pour ma part, je fais ce que je peux. Je prends la responsabilité de publier des gens plus jeunes.

Vous-même publiez régulièrement. Gardez-vous dans vos tiroirs, comme votre maître à penser Saint-Simon, des écrits qui seront publiés après votre mort ?

J’ai des cahiers. Mais j’ai pris d’autres dispositions car je ne crois plus aux institutions comme les bibliothèques, qui sont en très mauvais état. En ce moment, je vends mes manuscrits d’ouvrages publiés à des collectionneurs. Le manuscrit de Femmes par exemple, qui a été un best-seller, les intéresse. On verra s’ils le revendent beaucoup plus cher dans quarante ou cinquante ans. C’est une manière de jouer avec la mort sur un temps très long.

II n’y aura donc pas de fonds Sollers que le public pourra consulter ?

Si, mais je joue pour plus tard. Ou jamais. La postérité ne m’intéresse pas. Ce qui me plaît, c’est jouer la mort. Je n’ai pas envie d’être « reconnu » par des institutions. Je joue tout seul, en « lonesome cowboy »...

Quel est votre livre de chevet actuellement ?

C’est la Pléiade de Madame de la Fayette. C’est une œuvre extrêmement importante et qui ne perd pas de sa fraîcheur dans le temps. Je lis aussi les 13 volumes de la Correspondance de Voltaire. C’est un délice. Ma bibliothèque est faite de livres qui semblent avoir été écrits le matin même.

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Morceaux choisis

« La folie se prend pour Dieu, elle sait tout, elle connaît tout, d’emblée. Elle n’a aucune curiosité, sauf sexuelle ou malsaine. Elle pense avoir la clé des songes, des comportements, des désirs, des existences. Elle ne pense pas, elle juge, elle préjuge, elle a réponse à tout. Elle réécrit d’un trait l’archive humaine. » (p. 49)

« Ce sont les humains qui dérèglent tout, pas la technique. Les humains sont rarement dignes de leurs appareils, ils deviennent des prothèses plus ou moins infirmes par rapport à eux. » (p. 65)

« Là-dessus, vous tombez sur vos fous et vos folles préférés, les journalistes. Là, pas de quartier, c’est vous ou eux (ou elles), à l’arme blanche. » (p. 65)

« Vous approuvez hautement le mariage pour tous, c’est-à-dire l’abrutissement pour tous et pour toutes, au nom de l’amour, bien sûr. » (p. 71)

« L’avantage du français, c’est sa concision et sa commotion. Il n’est pas fait pour communiquer mais pour dégager, abréger, juger et tuer. » (p. 96)

« Et la magie continue, là-bas, en passant par les mains d’Ada couvrant la planète, bras, jambes, rivières, dos, montagnes, nuque, vallée, poitrine, plateau, omoplates, plaines. » (p. 32)

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