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Julia Kristeva : les mots d’une féministe

Julia Kristeva rédactrice en chef d’un jour de L’Humanité

D 7 mars 2014     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Julia Kristeva était la rédactrice en chef d’un jour de l’Humanité pour son édition du vendredi 7 mars.

Voici pourquoi.

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Première page de l’Humanité du vendredi 7 mars 2014.
Pour agrandir, cliquer sur les images. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Autour du traditionnel café de bienvenue, dans le bureau du directeur de la rédaction, Patrick Apel-Muller, la philosophe, psychanalyste et écrivaine Julia Kristeva s’excuse presque d’avoir préparé des papiers d’avance. Elle n’imagine pas à quel point sa prévenance détonne, dans une profession où flirter avec l’heure du bouclage est monnaie courante. « La psychanalyse peut-elle quelque chose pour aider les journalistes qui ont du mal avec les contraintes du bouclage ? » s’enquiert, au second degré, Patrick Apel-Muller. « Cela mérite en effet le divan. Mais je ne me promène pas avec mon Sigmund Freud sous le bras », répond Julia Kristeva sur le même ton de plaisanterie. Modeste, elle prévient tout de suite qu’elle aura besoin d’aide pour son travail d’écriture dans le journal, en se tournant vers notre consoeur Mina Kaci, véritable cheville ouvrière de la rencontre. Une aide bien particulière, rarement implorée par les journalistes, « celle d’un sabre », pour couper ses papiers qu’elle imagine déjà trop longs : « Les psys se taisent toute la journée, donc on se rattrape hors du cabinet. »
Le dialogue qui s’enclenche ainsi, subrepticement, entre frustrations professionnelles de journalistes et de psy, n’a rien de grincheux. Bien au contraire, il ouvré à une libération mutuelle, ô combien nécessaire pour se mettre à l’écoute des soubresauts du monde, de ses espoirs mais aussi de ses maux qui se bousculent chaque matin au portillon de la conférence de rédaction. A suivre Julia Kristeva, l’Europe est peut-être la meilleure incarnation des contradictions de notre temps. Préoccupée par la crise multiforme qui frappe le continent, elle estime que « les peuples européens, même s’ils sont écrasés, se sentent européens ». « La culture européenne est une fierté blessée », ajoute-t-elle encore, avec son sens de la formule. Alors que la rédaction s’interroge sur la place à accorder respectivement à un sujet sur les difficultés croissantes des maires de petites communes, dans un contexte de baisses des dotations de l’État, et à un autre sur les suites de l’affaire des enregistrements clandestins de Buisson, la rédactrice en chef du jour suggère de les lier, comme deux illustrations d’un même état de délitement du politique.
Plus tard, dans le défilé des sujets, elle évoquera sa préoccupation face à la « dissolution de l’individu et du lien social ». Le fil conducteur de l’analyse émerge d’entre les mots : c’est, au fond, la certitude qu’un idéal est nécessaire, non seulement pour faire tenir ensemble les individus, mais pour les faire tenir debout eux-mêmes. Avec bien sûr, chez cette militante féministe, une priorité accordée à la situation des femmes. Elle, « enfant d’une Europe blessée », née dans la Bulgarie d’avant la fin du rideau de fer, n’hésite pas à rappeler que le 8 mars a été reconnu par son pays d’origine bien avant de l’être par les Nations unies (en 1977). Elle sait aussi surprendre son auditoire. Comme lorsqu’elle décline une intervention dans les pages culture en lançant, elle, la femme de lettres et de savoir : « Je suis un peu perdue dans la culture, je suis très foot. » En ce lendemain de victoire de l’équipe de France, Julia Kristeva marque un but dont l’Humanité se souviendra.

LAURENT ETRE
REPORTAGE PHOTOS : BRUNO ARBES

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Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

La mère libre n’est pas encore née

Les femmes veulent tout : et l’avortement et la maternité, les officines « tradi » viennent de s’en apercevoir ! En reprenant le combat de l’IVG, pour que l’avortement soit compris et exercé non seulement comme un soulagement de la détresse, mais comme un droit de chaque femme à la liberté de disposer de son corps, nous savons que cette liberté est inséparable du choix et de l’expérience de la maternité. Pourtant, le 8 mars, on a tendance à oublier les mères, casées le 25 mai dans la « fête — commerciale — des mères ». Merci pour les fleurs ! Mais qu’est-ce qu’une mère ? On croit savoir ce qu’est une mère juive, peut-être même une mère catholique avec la Vierge Marie... Notre société sécularisée serait-elle la seule civilisation qui n’a pas de discours sur la passion maternelle ? Le féminisme a beaucoup insisté sur la jouissance féminine, et la psychanalyse affine aujourd’hui la distinction entre la psychosexualité de l’amante et celle de la mère qui crée le premier lien culturel entre la génitrice et le nouveau-né. L’enfant, le premier autre, à aimer comme et autrement que soi-même, à s’en séparer, à le rendre libre installe d’emblée l’insoutenable alchimie de l’empathie et du rejet. L’actualité ne cesse de révéler ses échecs, congélations et infanticides. Et pourtant, la majorité des mères parviennent à construire avec chaque nouveau venu un code sensible, le prélangage, antérieur au système de la langue dite « maternelle » dans laquelle elles introduisent l’enfant. La reliance maternelle est cet érotisme qui amorce la culture, et le temps comme re-commencement, comme perpétuelle créativité tout au long de la vie... Comment serait-ce possible qu’une femme, amante de surcroît et chargée de plus en plus de responsabilités professionnelles, puisse tenir en ce carrefour qu’est la passion maternelle ? Les religions nous oublient ou font de nous des déesses, mais nos tendresses, nos finesses, nos ruses, notre passion leur échappent. À nous de réinventer la reliance maternelle du troisième millénaire : un processus permanent d’adoption de ces étrangers que sont les nouveaux venus au monde, perpétuel renouvellement dans la vie de nos corps et de nos esprits, avec nos enfants et petits-enfants... « La femme libre n’est pas encore née », écrivait Simone de Beauvoir. La mère libre encore moins, et il n’y aura pas de nouvel humanisme sans que les mères aient su prendre la parole.
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A la mémoire des handicapés exterminés

Rassemblant 35 000 personnes, dont 90 personnalités (historiens, philosophes, écrivains, médecins, responsables politiques, journalistes, etc.), un appel solennel est adressé au président de la République rappelant le sinistre programme hitlérien d’extermination des personnes fragilisées par la maladie ou le handicap. Sur toute la période 1933-1945, Hitler et ses bras armés ont mis en œuvre une stérilisation systématique des personnes affectées d’une déficience d’origine congénitale : surdité, cécité, déficience mentale ou psychique, déficience physique, épilepsie, etc. Les femmes refusant de se soumettre à l’hystérectomie imposée étaient déportées. Il en était de même pour les hommes réfractaires à la vasectomie. On estime à 400 000 le nombre des victimes, en incluant celles relevant des territoires annexés par l’Allemagne après 1937, tenus d’appliquer la même loi ; 6000 d’entre elles meurent à la suite de ces stérilisations. Au regard du sombre récit commun de la Seconde Guerre mondiale, notre pays s’honorerait à inscrire sur un mémorial : « Aux plus humbles, aux plus fragiles, la Patrie reconnaissante. »
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Arrêt sur image

Sarkoleaks, CopéBygmalion, couacs à répétition de l’exécutif, politiciens locaux qui ne se reconnaissent plus dans leurs leaders nationaux : l’État délétère se généralise. Que faire ? Silence, nous apprend la psy, les humains ne sont pas fiables, les institutions s’en ressentent naturellement, et une crise chasse l’autre, il suffit d’attendre. Il n’y a rien à faire dans la finance globalisée. Mais les sondés, qui se découvrent sartriens, sont convaincus : tout homme politique est fait de tous les politiques qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. Attention ! Les improbables électeurs, ou ce qui en reste, vont déjà à toute allure vers le n’importe quoi, me prévient Sollers.
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Ces ados, amoureux, en quête d’idéaux

Soirées cartables où l’alcool tue, agression brutale d’un jeune homme par trois ados, recrutement « à la chaîne » de jeunes français par les djihadistes... Que se passe-t-il avec les ados ? Ils fascinent et ils font peur. Parce qu’ils croient dur comme fer que l’Objet d’Amour Absolu existe, et qu’ils ne le trouvent pas — ni dans le quartier, ni dans le boulot, ni dans le sexe, ces Adam et Eve, ces Roméo et Juliette deviennent des nihilistes, des casseurs, des kamikazes. La quête d’impossible paradis s’inverse en enfer. Les ados : des malades d’idéalité. Nous sommes tous des ados quand nous sommes amoureux. Lorsque la culture du langage et du livre recule devant l’empire de l’hyper-connexion, lorsque les bénéfices de l’information immédiate et de l’expression spontanée se paient par la toxicité de l’image, celle-ci ne retient plus l’angoisse et la violence, mais tend à les diffuser. Dans ce contexte, le mal radical se répand. Et l’adolescent risque d’en devenir le passeur. Qu’est-ce que le mal radical (Kant, Arendt) ? Il consiste à considérer que certains être humains sont superflus et à les mettre à mort. Le mal radical a sévi à Auschwitz. Il peut prendre la forme de l’extermination d’une personne handicapée dans une province française, d’une mise à mort de soi sur Facebook, mais aussi réelle du gangstéro-islamisme (le tueur Merah à Toulouse, les recrutés en Syrie). Est-ce un échec du modèle français de la laïcité ? Il s’agit d’un phénomène plus grave qui saisit les ressorts de la civilisation en deçà de l’institution religieuse elle-même, et témoigne d’une destruction du "besoin de croire" pré-religieux et constitutif de la vie psychique avec et pour autrui. L’angoisse qui fige le pays devant ces explosions de la pulsion de mort sur fond de crise économique et sociale, exprime notre incertitude devant un enjeu colossal. Sommes-nous capables de mobiliser tous les moyens, policiers comme économiques, sans oublier ceux que nous donne la connaissance des âmes, pour accompagner avec la dé1icatesse de l’écoute nécessaire, avec une éducation adaptée et avec la générosité qui s’impose, cette poignante maladie d’idéalité qui déferle sur nous et qu’expriment aussi bien les adolescents des beaux quartiers que, plus gravement encore, le jeune dans les zones de non droit ?
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Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Créons une Académie des cultures européennes, ferment d’une fédération politique

Une nouvelle surprenante est venue de la place Maïdan : ils aiment l’Europe ! Utopique espoir mercantile contre le despotisme des oligarques corrompus ? Ou fervente appartenance aux « valeurs européennes » ? Lesquelles ?
Aujourd’hui experte en célébrations patrimoniales, l’Europe n’avait pas inscrit la culture dans le traité de Rome. Et les techniciens de l’UE ne semblent pas s’apercevoir qu’une culture européenne existe, bouquet des cultures et des langues nationales, mais aussi transversale à cette pluralité. Elle n’est pas seulement un sinistre reliquat de l’Inquisition, du colonialisme et de la Shoah. Une histoire de luttes émancipatrices et de résistances nous précède, tel un horizon fédérateur dans lequel se reconnaissent — avec une fierté aussi prudente que blessée — aussi bien le chômeur grec, portugais et italien que le plombier polonais, la blogueuse allemande et le twitteur français. Et les insurgés de Kiev. Indignés par l’abîme qui se creuse entre les contraintes économiques et financières d’un côté et le consentement populaire de l’autre, ils n’ont pas remis en question leur appartenance à la culture européenne, ils « se sentent européens ». Pour écarter le rejet du politique, quand ce n’est pas la régression suicidaire au nationalisme autistique, la nécessité s’impose d’envisager une profonde mutation du politique. Elle n’est possible qu’à partir de cette vitalité historique qui n’est autre que la mémoire culturelle de notre continent.
Quelle identité ?
Serait-ce parce que l’Europe a succombé à la barbarie jusqu’au crime, mais qu’elle en fait l’analyse mieux que bien d’autres, NOUS sommes à l’heure où il est possible d’assumer le patrimoine européen en le repensant comme un antidote aux crispations identitaires : les nôtres et celles de tous bords.
L’identité mise en question dérive souvent en haine de soi : autodestruction dans laquelle les Français et les Européens aiment à se complaire. Mais cette interrogation permanente peut déboucher aussi sur une identité plurielle.
L’Europe est désormais une entité politique qui parle autant de langues sinon plus qu’elle ne comporte de pays. Le multilinguisme est en train de devenir la langue des Européens : les étudiants qui traversent les frontières avec les bourses Erasmus en sont l’exemple vivant et prometteur. Une nouvelle espèce émerge peu à peu : le citoyen polyglotte d’une Europe plurinationale.
Dépression nationale.
Les nations européennes, déprimées comme les individus peuvent l’être, attendent l’Europe, et l’Europe a besoin des cultures nationales valorisées, pour réaliser dans le monde cette diversité culturelle dont nous avons donné le mandat à l’Unesco. La spécificité culturelle des nations est le seul antidote au mal de la banalité, cette nouvelle version de la banalité du mal.
L’humanisme n’est pas une nouvelle religion.
L’humanisme est un féminisme ; il est un souci constant pour l’éveil de l’expérience intérieure avec et malgré l’hyperconnexion, pour l’interaction avec la vulnérabilité, pour l’accompagnement de la mortalité ; il propose une morale qui nécessite une réévaluation respectueuse de l’héritage religieux et spirituel.
Constituée depuis deux siècles comme la pointe avancée de la sécularisation, l’Europe humaniste est appelée aujourd’hui à élaborer des passerelles entre les trois monothéismes, et avec les autres religions. Pour ce faire, la tolérance et la fraternité sont nécessaires mais ne suffisent pas. L’humanisme n’est pas l’auberge espagnole de toutes les croyances. A la lumière de la philosophie et des sciences humaines issues de la sécularisation, la laïcité républicaine invite croyants et non-croyants à considérer que si « personne n’est propriétaire de la vérité », il incombe à tous de réévaluer leurs propres idéaux et de dépasser les dogmes meurtriers. Plus encore que les politiques, les intellectuels européens, les artistes et les écrivains portent une lourde responsabilité dans le malaise européen, quand ils sous-estiment ou oublient cette refonte.
Suis-je optimiste, trop optimiste ? Je me définirais plutôt comme une pessimiste énergique. Et je propose un premier pas : mettons en évidence les caractères, l’histoire, les difficultés et les potentialités de la culture européenne, en créant une Académie des cultures européennes. Elle sera le tremplin et le précurseur de la véritable fédération politique.
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Les élections européennes, pas si mal aimées ?

Nous le sentons tous : l’Europe est une nouvelle réalité historique, qui émerge péniblement de la diversité des nations européennes percutées par la crise et les flux migratoires de la globalisation. Et le politique est incapable de structurer cette réalité aléatoire. L’-abîme se creuse entre les contraintes économiques et financières, d’une part, et le consentement populaire, de l’autre. Si les sondages concernant les intentions de vote aux élections montrent un score plus important que jamais du bloc socialiste européen, les extrêmes ne progressent pas moins de manière considérable, qu’il s’agisse des droites nationalistes ou des Verts et des gauches sociales. L’Europe pour laquelle nous allons bientôt voter ressemble davantage au règne imaginaire d’une principauté impitoyable mais sans existence réelle, qu’aucun Machiavel génial et encore moins un eurosocialiste ne s’aventure à cautionner. Pourquoi ? Le politique qui s’est constitué en se détachant de la mémoire culturelle se « spécialise » dans l’adaptation du pacte social à la production, la reproduction et surtout à la finance. Il en résulte une gestion « sans cap », dit-on, qui néglige les énergies singulières, refoule les passions et se prive d’actions productives. Ce politique-là est verrouillé par le temps électif d’une législature, et son « cap » est celui de la promesse électorale que les premières statistiques viennent invalider. Il ne s’aperçoit pas que le véritable gisement des énergies politiques, le site de la libido aussi bien personnelle qu’historique, est dans la mémoire des citoyens et des nations.
Les tensions qui secouent l’Ukraine, à la frontière qu’on pourrait dire interne à l’Europe, en sont une preuve supplémentaire. N’a-t-on pas trop vite oublié que ce pays porte non seulement l’histoire du communisme et les tragédies de la Seconde Guerre mondiale avec une exacerbation tragique des purges et des exterminations, Shoah par balles et autres abjections, mais qu’il est coupé en deux territoires religieux (uniate et orthodoxe) et linguistiques (ukrainienne et russe) ? N’a-t-on pas trop vite réduit la Russie post-perestroïka à une dictature d’oligarques, ce qu’elle est aussi, en oubliant le culte ancestral de la « sainte Russie » et l’émergence de l’eurasisme, qui occupent le terrain laissé vide du stalinisme ? Les tractations économiques peuvent calmer le jeu provisoirement, les tensions demeurent. Les mouvances qui recueillent, en Europe et à ses frontières ainsi que partout dans le monde, une large adhésion populaire, s’adressent, par-delà les frustrations économiques et sociales, aux peurs apocalyptiques, aux expériences religieuses, au sentiment national. Faisons le pari qu’il est possible, qu’il est urgent de reconnaître cette « mémoire monumentale » (Nietzsche), de l’apprivoiser et de l’innover. À la lumière de la philosophie et des sciences humaines, issues de cette coupure qui s’appelle la sécularisation, qui a eu lieu seulement en Europe, au siècle des Lumières, avant de se répandre dans le monde, et qui porte les risques de la liberté. Les élections européennes vont bousculer le paysage politique, en modifiant le poids des forces en présence. Cette nouvelle composition sera une invitation à penser et faire de la politique autrement : au regard d’une temporalité historique qui nous habite et demande à être réévaluée. Vue sous cet angle, l’expérience européenne n’est pas en retard, mais en avance sur l’essoufflement politique global, qui peine à rencontrer les singularités culturelles des traditions, des croyances et autres différences conscientes ou inconscientes aujourd’hui en souffrance, autrement que pour les comptabiliser dans des logiques financières et de marketing. Il s’agira donc de voter pour... une autre pratique politique ?
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Pas un livre, mais DES livres à inventer

Plus de 600 romans français à la rentrée littéraire, un prestigieux Salon du livre bientôt à Paris avec l’Argentine en guest star... Et, en contrepoint, la crise de l’édition, l’industrie du livre qui s’installe dans la plainte, les gens ne lisent plus, les bouquins ne se vendent pas, Amazon dévore tout, les nouvelles désastreuses tombent tous les jours, encore 23 librairies non reprises qui voient leurs emplois disparaître avec la liquidation de l’enseigne Chapitre... Parce que nous sommes persuadés que le livre est au coeur de la culture européenne, à moins que ce ne soit au coeur de l’homo sapiens quand il s’obstine à continuer de penser et de parler, quelques visionnaires dont je fais partie rêvent de créer... une réplique de la villa Médicis. Ce sera dans une ville frontalière européenne, Trieste, par exemple, ou pourquoi pas Berlin. Des jeunes et moins jeunes écrivains de tous les pays européens, mais aussi des musiciens, des peintres, des philosophes obtiennent des bourses pour créer une oeuvre consacrée au présent passé futur, au choix, de l’Europe multiculturelle.
Le meilleur des livres, par exemple, serait traduit dans toutes les langues européennes, par un réseau créé ad hoc pour cette nouvelle renaissance. L’infini à la portée des libraires, eux-mêmes soutenus par des chaînes de distribution et des mécènes portés par le désir du livre. À traduire en chinois, en arabe, en persan... À numériser, à filmer, à débattre, à copier-coller, tout... Stéphane Mallarmé, le célèbre poète, pensait, à la fin du XIXe siècle, que le monde était fait pour aboutir à un livre... Et si c’était vrai ? Pas un, mais DES livres à venir, à inventer...
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À quoi bon des journaux en temps de détresse ?

La presse écrite est en crise. Hyperconnexion, projet de transformer Libération en une seule « marque » et même un restaurant ; l’Humanité, toujours soumise à une précarité économique... le génie du journalisme n’est-il plus qu’une survivance des siècles passés ? Une psychologue m’expliquait récemment que ni les jeunes (déstructurés) ni les profs (auxquels on n’apprend plus ni Piaget ni Freud) n’ont plus de « soi », en conséquence de quoi l’« enseignement laïque de la morale » ne sait pas à qui s’adresser. Le journal est un genre rhétorique particulier (ni roman, ni poème, ni théâtre, ni meeting politique.,.) qui relaie la civilisation du livre et de l’écriture au for intérieur d’un « soi particulier, un spécimen menacé : le citoyen supposé pourvu de conscience politique ». Le journal n’invite pas ses éventuels lecteurs à parcourir ou zapper les news. Il les accompagne à penser à l’unisson avec l’histoire qui se fait au jour le jour, en intégrant l’avant qui instruit et l’après qui pointe. À méditer les impasses des gouvernements qui piétinent, à incorporer les guerres qui n’arrêteront jamais, à rêver des impossibles qui deviennent des réalités : les familles recomposées, une fédération des États européens, l’arrêt du réchauffement climatique... Vous lisez le journal, et vous « en » êtes : de quoi ? Du présent concret qui vous concerne et vous transporte. Une prière, la 1aïque. Supprimer le journal comme genre, et vous supprimez le laboratoire de la pensée politique. Le numérique est trop pressé, le club convivial déconcentre. Le journal du troisième millénaire se doit d’affiner son adaptation à la diversité des citoyens. Je parie sur le génie du journalisme. Impossible ? C’est le laboratoire intime de la démocratie, l’expérience politique à la portée de lecteurs et lectrices singuliers qu’il s’agit de préserver et d’innover.

Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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