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pile ou face, Ludi, Nelly

D 16 mars 2006     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Pile ou face selon Frédéric Vignale ( illustration) ou selon Philippe Sollers dans « une vie divine » avec la blonde Ludi « une merveilleuse menteuse », « blonde épanouie aux yeux noirs », « ses seins, son ventre, ses cuisses évoquent aussitôt de grands lits ouverts »
et la brune Nelly, « de vraies études de philo », spécialiste de la philosophie dans le boudoir.

Remake de « Les hommes préfèrent les blondes mais épousent les brunes » ? Ou bien, Ludi et Nelly, les deux visages de la même femme ? De la dualité des êtres et de nos désirs.

Ludi ou Nelly ?
PILE OU FACE...
OU PILE ET FACE ?

Leçon de texte sollersienne :
(tous les extraits sont de « une vie divine ») [1]

Pile ou Face, Frédéric Vignale

collages

LUDI
« Ludi est une merveilleuse menteuse. C’est d’ailleurs la phrase que je me suis murmurée au bout de trois ou quatre rencontres : "merveilleuse menteuse". Mère en veilleuse, très bonne menteuse. Il suffit de la voir, là, bien blonde épanouie aux yeux noirs, cheveux courts, avec sa robe noire moulante, sur la terrasse de cet hôtel, en été. Elle est fraîche, bronzée, elle sait qu’elle se montre, elle laisse venir les regards vers elle, elle s’en enveloppe comme d’une soie. Oui, je sais, elle vous dira qu’elle a pris deux kilos et que c’est dramatique, mais non, justement, elle est parfaite comme ça, rebondie, ferme, ses seins, son ventre, ses cuisses évoquent aussitôt de grands lits ouverts. Ah, ce croisement de jambes, ses fesses lorsqu’elle va au bar, sa façon de sortir et de rentrer et de ressortir et de rerentrer son pied de son soulier gauche - la cheville, là, en éclair -, et puis de rester cinq secondes sur sa jambe droite, et de recommencer, rentrer-sortir, rentrer-sortir, comme pour dire j’ai trouvé chaussure à mon pied, et c’est moi, rien que moi, venez vous y frotter si vous croyez le contraire. Son corps se suffit à lui-même et elle n’a pas à s’en rendre compte. Il dit tout ce qu’il y a à dire, mais elle ne pourrait pas le parler. » p 19-20.

« La peau de ludi est une profondeur de parfum, joues, cou, intérieur des cuisses, satin de seins, ventre velours, mains fines, précises, et venant de loin, fruité global, qu’elle caresse, qu’elle aime. Dans les bons moments, je suis son bébé, sa poupée, son petit lion, son petit philosophe, son nounours, ou toute autre chose dans ce genre. Les femmes n’aiment ni les hommes ni les femmes mais les bébés : il faut leur offrir ce qu’elles aiment. Quand les hommes vont du côté des femmes, ils aiment les mères ou les putains et Ludi est idéale dans ces deux rôles. » p. 25

« Ludi est au milieu d’elles comme un bouton d’or » p. 31.

« Ludi a un disque tout prêt à mon sujet : casanier, replié sur lui-même, tout le temps fourré dans ses papiers, un hibou, mais drôle, tellement différent. Un peu d’acide : il a oublié d’être bête, mais pafois qu’est-ce qu’il est chiant » p.32

« Il n’y a pas que Ludi dans ma vie, il y a aussi des passions discrètes. Pour l’instant, j’en compte neuf : cinq consommées, stables et tournantes, quatre en attente. Pas de double vie, mais vie redoublée » p. 60

« Une femme bien
branlée rit. Une femme bien embrassée rajeunit.
N’est-ce pas, Ludi ? »
p. 403.

Le baiser


NELLY
« Pour les exercices spirituels, Nelly est ma préférée.

Elle est philosophe, c’est le couvent d’aujourd’hui. Je doute qu’ait jamais existé une putain plus délicate, une dévote plus décalée. C’est une bourgeoise brune, jolie, la peau douce et blanche, ironique, reservée, violente, avec quelque chose dans le regard qui appelle aussitôt l’attention.
[...] De vraies études de philo, une thèse hyper sérieuse sur Héraclite, elle connaît à fond le district. Celui du grand Autrefois, comme celui de nos temps confus et moroses. De l’Antiquité à nos jours, de Platon à Dupont, du grec au sabir, de la dialectique au décousu propagande, comme qui dirait de saint Augustin au curé sportif, de Moïse au rabbin de famille, du Prophète au recteur de mosquée locale. »
(soulignement par vk) p 60-61.

QUAND L’AUTOFICTION SE RAPPROCHE DE LA REALITE
 [2]

« Nelly, en bonne carmélite mystique, est vite dégoûtée par le clergé universitaire et intellectuel, elle bascule, en me rencontrant, dans la philosophie pratique. Elle quitte les séminaires pour entrer au boudoir. Elle passe de sa clôture aux rendez-vous programmés du vice. De la vertu au vice, on le savait, il n’y a qu’un pas, mais le pas du vice à la vertu, c’est nouveau, excitant, un saut par-dessus l’abîme. Nelly, en effet, garde toute sa lucidité, sa pudeur, sa rigueur. Elle renforce aussi son horreur de la vulgarité générale. L’obscénité, soit, la faute de goût, non. Elle [...] a de beau bijoux de famille, ressemble à un personnage de Stendhal égaré dans un roman populiste ou américain. Elle est à la fois mode tranquille et complètement démodée, contemporaine et farouchement archaïque. Très frigide avant moi, précise depuis.

Elle croyait abandonner le rituel catholique de son enfance (déjà en miettes) pour la lumière philosophique : (soulignement par v.k.) elle n’a trouvé que prétention vide, bavardage, bouillie. Elle a quand même fait l’esprit fort, s’est baladée dans la contestation et la déconstruction, (soulignement par v.k.) a pris acte de la restauration, mais n’a aucune envie de rentrer à la maison, à la cuisine, dans la chambre des enfants, d’adhérer aux associations humanitaires, de relire la Bible ou le Coran, de porter la perruque ou le voile. Elle a lu tous les livres, elle connaît tout ça et tout ça, mais a fini par se demander pourquoi ça la laissait aussi insensible que la supposée existence de Dieu(soulignement par v.k.) , la rumeur de sa mort, les grandes causes sociales, l’altermondialisation, les succès d’argent, le rock, le pop, la techno, la coke, l’ecstasy, les partouzes, l’échangisme, ou tout bêtement l’alcool. Elle aime les fleurs, la soie, le silence. Elle trouve soudain une satisfaction dans la dégoûtante sexualité. C’est une surprise, elle frémit, elle se pince. » p 61-62

LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR

« Un des exercices avec Nelly consiste à prendre un texte philosophique bien idéaliste, pontifiant, moral, sentimental, abstrait, humaniste, correct, nigaud, faux. Elle s’installe sur le canapé, relève sa jupe, montre bièvement qu’elle n’a pas de culotte, et commence à lire sérieusement le texte en question, pendant que je la mets. Le résultat est assez vite atteint grâce à l’exubérante dissonance ambiante. Je citerai seulement, comme très efficace, des passages entiers de la Critique de la raison pure, vous savez, la loi, le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, tout ça. Jamais de noms d’auteurs, uniquement le sérieux des textes, leur pathos, leur emphase, leur bêtise, leur illusion. Les appels à l’au-delà, au sacrifice, au travail, à la patrie, à la responsabilité, à la solidarité, à la mort sont particulièrement bienvenus. Un certain lyrisme compassé est de bon augure, de même que toute évocation romantique ou naturaliste de crise d’identité ou de labyrinthe sans issue. Plus c’est idéalisant, prêcheur, tarte, plus ça fait bander. Plus c’est lourd, embarrassé, grave, morbide, plus ça fait jouir. Je suis dans la position du pénitent, du fidèle ou de l’aspirant qui écoute un cours d’instruction religieuse, militaire, civique, une exhortation à la maîtrise et au dépassement de soi. [...]Surtout pas de textes érotiques ou pornographiques, ils retarderaient l’érection, l’éjaculation, le spasme inspiré de Nelly. Je vois le Bien, je l’approuve, mais je choisis le Mal, c’est plus fort que moi. J’incarne la brute, l’animal, l’élève taré, l’ours, le nègre, le sale esclave inéducable. Il n’est pas question de rire (sauf après), tout cela est profond, sacré, immémorial. Nelly est sérieuse. Je suis sérieux. Notre histoire remonte le temps, se perd dans la préhistoire, depuis les cavernes jusqu’aux salles de bains. Nelly, à ce moment-là, cuisses ouvertes, seins dehors, est splendide, noire, hiératique, grande déesse et prêtresse de l’autre rive. Elle arrête brusquement sa lecture, éteint la lampe, change de voix, tombe dans les mots maudits, m’embrasse avidement, s’effondre. On reprend pied dans l’ombre avec un fou rire. Les morts sont contents » .p. 63-64

« On va se laver l’un après l’autre, on revient dans la lumière, on fait comme si rien ne s’était passé, on va dîner. A partir de là, naturellement, la conversation est une moquerie continuelle contre la mascarade générale, le mensonge organisé. Organisé ? Non, sécrété, plutôt, comme une vapeur, une transpiration, une haleine. On parle de pics de pollution, mais là ce sont des montagnes d’air vicié, rebrassé. Nelly a ses favoris dans le sarcasme : le sociologue vaseux, le moraliste bêlant, le scout recyclé, le prophète de feuille de chou, le baveur progressiste ou réactionnaire, le trépignant révolté, l’alluciné apocalyptique, la mondaine astrologue, l’actrice de charité, la vieille féministe, l’homme d’affaire poète. Elle a toujours vu, lu ou entendu un truc marrant, idiot, pathétique, sénile, furieux. La société tout entière ressemble à une grande famille en rut de médiocrité et de haine. Comme le dit Héraclite, paraît-il ( mais cela n’a pas l’air de plaire à Aristote dans sa Métaphysique) : « Il y a toujours un moment où toutes choses deviennent feu. » p. 65.

SOLLERS DANS LE BOUDOIR N’EN OUBLIE PAS POUR AUTANT QU’UN ECRIVAIN REND COMPTE DE SON TEMPS

« Ces divertissements avec Nelly ne pourraient pas avoir lieu si elle n’y trouvait pas son compte. Revanche sur un poids millénaire, milliards de voiles accumulés, attentat contre des siècles de falsification hypnotique. Si on n’était pas de vrais terroristes, on ne s’entendrait pas. Désormais, les faus terroristes de sang pulllulent [...] » p. 65.

« Une séance avec Nelly, nue, Le Banquet en main.
Voici :
« Quand donc, en partant des choses d’ici-bas, en
recourant, pour s’élever, à une droite pratique de l’amour
des jeunes gens, on a commencé d’apercevoir cette sublime
beauté, alors on a presque atteint le terme de l’ascension.
[...]
La voix de Nelly est devenue un peu étouffée à partir de
« belles occupations ».J’ai commencé à jouir à partir de
« belles sciences ». « Essence même du beau » a été presque
inaudible, fondu dans les bouches, les langues, les
gémissements, les souffles. C’était très beau. » p183-184

La séance du Banquet avec Nelly


[1Source des extraits : VK ou Saneptia

[2Dans ses romans, Sollers emprunte souvent des traits physiques, psychologiques et autres à son épouse que l’on retrouve souvent dans un ou plusieurs personnages. Il y a sûrement du Julia Kristeva dans Nelly et Ludi, mais là, je verrais bien des traits empruntés à une autre philosophe psychanaliste.

Essai de décryptage :
« brune » : oui,
« bourgeoise » : oui,
« jolie » : dans sa jeunessse, sûrement,
« la peau douce » : je ne sais pas,
« peau blanche » : oui,
« ironique » : oui, dans ses écrits sur Sollers,
« réservée » : même très timide, à ses débuts, reconnaît-elle,
« violente » : possible, si l’on en juge par ses engagements de jeunesse : féminisme, communisme.
« De vraies études de philosophie » : agrégée de philosophie.
« Elle connaît à fond le district. Celui du grand Autrefois » : Lévy-Strauss et l’anthropologie n’ont pas non plus de secret pour elle.
« Comme celui de nos temps confus et moroses » : le héros d’un de ses romans à succès s’interroge sur les religions, mythes fondateurs et cosmogonies des principales traditions, et la psychanalyse ...autant de lunettes pour scruter nos temps confus et moroses.
« du grec au sabir ». sabir : Jargon mêlé d’arabe, de français, d’espagnol, d’italien qui était parlé en Afrique du Nord et le Levant dit le Petit Robert. Compagne de diplomate, elle a séjourné au Sénégal...
« de la dialectique au décousu propagande, » : Enquêtes psychosociologiques à ses débuts à des fins piblicitaires.
Du « curé » au « rabbin » : Née dans une famille mi catholique, mi juive.

Qui suis-je ? Ma machine à décrypter répond par deux initiales : « C. C »,
plus un commentaire : « a cosigné un ouvrage avec Julia Kristeva »
et un postscriptum : « je ne suis qu’une machine, ne me donnez pas des coups de pied quand je me trompe. »

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