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Friedrich Nietzsche superstar

D 15 juin 2013     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Parce que sa vie tragique fascine, parce qu’il est lu comme le penseur de la transgression, Nietzsche est devenu une icône culturelle.
Le Point Hors-série N° 14, en kiosque, lui consacre son numéro. La figure de Nietzsche est très présente dans les œuvres de Philippe Sollers et deux de ses livres lui sont entièrement consacrés : Une vie divine (2006), qui rapporte les aventures pétillantes d’un certain M. N. (monsieur Nietzsche), et aussi L’Évangile de Nietzsche (2006 ), un livre d’entretiens avec Vincent Roy.

Place à « Friedrich superstar » (Le Point Hors-série N° 14) par Alliocha-Wald Lasowski - par ailleurs l’auteur d’un « Philippe Sollers, l’art du sublime » [1] - que nous avons complété d’un extrait de Ainsi parlait Zarathoustra, où Nietzsche répond à la question « qu’est-ce qu’un grand homme ? ».

Nietzsche, superstar de la scène culturelle ? Le philosophe qui pensait que l’art devait évaluer et interpréter le monde est devenu une référence quasi incontournable du monde artistique, du rock’n’roll au cinéma, en passant par la littérature. Sur la scène musicale, ses groupies s’appellent David Bowie, le gothique Marilyn Manson ou le très sérieux compositeur Pascal Dusapin qui, dans 0 Mensch  ! (2011), fait chanter Nietzsche à un baryton. Depuis le célèbre Ainsi parlait Zarathoustra (1896 ), où Richard Strauss (1864-1949) mettait en musique la marche de l’humanité, à Aurore et crépuscule (2013) par la compagnie du Groupetto, en passant par Nietzsche : Le Fil d’Ariane, un spectacle plastique de la compagnie Jacques Bachelier portant sur sa vie, Nietzsche est là, toujours là. Une troupe a même décidé de se consacrer exclusivement à l’adaptation de son œuvre : Le Théâtre de l’Eternel-Retour ! Cela ne s’invente pas.

GIF L’ivresse de l’art

Personnage torturé, penseur génial, l’auteur d’Ecce Homo est devenu au fil du temps une icône culturelle au même titre que Marilyn Monroe, Freud ou Léonard de Vinci. Hier, en 1906, c’était le peintre Edvard Munch (1863- 1944) qui faisait de lui un superbe portrait, serein et apaisé (voir p. 79). Aujourd’hui, ce sont les dessinateurs de BD qui rêvent leur « Nietzsche » : Maximilien Le Roy, aidé du philosophe Michel Onfray, le met en bulles en dandy élégant sur fond de couleurs fauves dans Nietzsche Se créer liberté (éditions du Lombard, 2011). Nicolas Wild se fend d’un Ainsi se tut Zarathoustra (Boîte à bulles, 2013), mêlant polar et ésotérisme.

Le cinéma n’est pas en reste (cf. Hollywood sous influence, ci-après), mais c’est en littérature que le penseur de l’éternel retour est la référence incontournable, surtout à partir de l’entre-deux-guerres qui exalte, à travers le dandysme, l’ivresse de l’art, la quête de l’homme total, l’énergie vitale, la critique du progrès, l’esprit nietzschéen. André Gide (1859-1951) fut de tous ces écrivains qu’il a influencés celui qui fut son disciple le plus absolu (cf. encadré). Les Nourritures terrestres (1897), comme L’Immoraliste (1902), sont ainsi une ode à l’exaltation des sens, à l’individualité et aux origines pulsionnelles du désir. « L’amas sur notre esprit de toutes connaissances acquises s’écaille comme un fard et, par places, laisse voir à nu la chair même, l’être authentique qui se cachait, fait-il dire à son héros Michel dans L’Immoraliste. [...] Aussi bien n’étais-je plus l’être malingre et studieux à qui ma morale précédente, toute rigide et restrictive, convenait. Il y avait ici plus qu’une convalescence ; il y avait une augmentation, une recrudescence de vie[...]. Mon seul effort, effort constant alors, était donc de systématiquement honnir ou supprimer tout ce que je croyais ne devoir qu’à mon instruction passée et à ma première morale ».

Dans son bureau, Albert Camus a accroché deux portraits : l’un de Dostoïevski, l’autre de Nietzsche.

La liste est longue de ceux qui se sont nourris de Nietzsche. C’est avec lui que dialoguent L’homme et le sacré (1939) du sociologue Roger Caillois (1913-1978), l’œuvre de Michel Leiris (1901-1990) et celle de Pierre Klossowski (cf. p. 92).

UN AUTRE REGARD

« Une préface à toute dramaturgie future »

La figure de Nietzsche est présente dans la célèbre « Lettre à Angèle » du 10 décembre 1898, la sixième des chroniques du même nom que le jeune écrivain André Gide tient dans la revue L’Ermitage, où il exprime son enthousiasme profond et son admiration pour le philosophe. Aux yeux de Gide, Nietzsche est inséparable d’une pensée de l’art et du génie créateur. Chaque page de Nietzsche est saturée d’une énergie créatrice ; d’indistinctes nouveautés s’y agitent ; il prévoit, il pressent, il appelle — et il rit [...]. Dès le premier ouvrage, La Naissance de la tragédie, l’un des plus beaux, Nietzsche s’affirme et se montre tel qu’il sera : tous ses futurs écrits sont là en germe. Dès lors une ferveur l’habite qui va toucher à tout en lui, réduire en cendres ou vitrifier tout ce qui ne supporte pas tant de chaleur[...]. L’œuvre entière de Nietzsche est comme une préface à toute dramaturgie future [...]. La grande reconnaissance que je lui garde, c’est d’avoir ouvert une route royale où je n’eusse, peut-être, tracé qu’un sentier, d’avoir déblayé la besogne où peut-être mes forces se fussent usées, d’avoir désencombré mes propres livres.

André Gide,« Lettre à Angèle », VI, 1898, dans Essais critiques,© Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1999

Georges Bataille (1897-1962) va retenir de sa lecture l’excès, la transgression, la folie, mais aussi le goût du sacré. La transgression s’impose à la subjectivité, assure-t-il. Prônant à son tour le renversement des valeurs, Bataille déclare « détruire en soi l’habitude d’avoir un but » et « supprimer ce que des millénaires ont accumulé d’ordre dans la pensée » (La Part maudite, 1967). Ce dialogue avec Nietzsche se poursuit dans la revue du Collège de Sociologie, les cinq numéros d’Acéphale, parus de juin 1936 à juin 1939 : Bataille y dénonce l’asservissement de l’individu dans les sociétés « monocéphales » (unitaires et totalitaires) et défend plutôt une cité « acéphale » (sans tête), où la liberté fait de la vie une puissance explosive.

Contre le fascisme et le dogmatisme des religions, l’audace rend la communauté vivante, après la destruction de toutes les idoles. Une autre méditation contre le totalitarisme émerge à la même époque chez Albert Camus (1913-1960 ). Dans le bureau qu’il occupe chez Gallimard, l’ écrivain a accroché deux portraits, l’un de Dostoïevski", l’autre de Nietzsche.

Hollywood sous influence
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Rutger Hauer, réplicant dans Blade Runner (1982).

Friedrich a inspiré le Cinéma de deux façons différentes : il y a les films qui lui sont consacrés — comme en 1977, le scandaleux Au-delà du bien et du mal de l’italienne Liliana Cavani, ou, en 2012, Et Nietzsche a pleuré de !’Américain Pinchas Perry, adapté du best-selle rd’lrvin Yalom — , et les films qui se nourrissent directement de sa pensée.

Le film le plus nietzschéen dans son esthétique est ainsi sans conteste Blade Runner (1982) de Ridley Scott, d’après Philip K. Dick : ses « réplicants » qui n’auraient pas déplu au maître du soupçon, sont des surhommes en quête d’immortalité, des anges déchus dans un univers apocalyptique. Mais sa présence illumine des films aussi divers que Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979), Blue Velvet (David Lynch, 1986 ), Total Recall (Paul Verho-even, 1990), Fight Club (David Fincher, 1999), The Matrix Trilogy (Andy et Larry Wachowski, 1999-2003), Memento (Christopher Nolan, 2000) ou American Psycho (Mary Harron, 2000 ).

Quant à Stanley Kubrick (1928-1999), il a conjugué Nietzsche d’au moins trois manières dans ses films par le nihilisme actif à l’œuvre dans Docteur Folamour et Orange mécanique ; le nihilisme passif, avec le règne de la technique dans 2007, l’odyssée de l’espace et Full Metal Jacket ; le nihilisme extatique, enfin, qui associe le rêve à la mort de l’homme dans Shining et Eyes WideShut.
A. W. L.

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Malcom McDowell (à droite) dans Orange mécanique (1971).

Ses deux géants. Contre les aveuglements de l’histoire et les mésaventures perverses de la raison, Camus réhabilite à sa manière l’esprit grec en célébrant la glorification du corps et la sensualité à travers l’idée d’une joie tragique associant le soleil et la mort. « Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres » (Noces, 1937). Le 4 janvier 1960, quand la Facel Vega de Michel Gallimard percute un platane, le prix Nobel de littérature y laisse la vie et, dans sa serviette, Le Gai Savoir de Nietzsche. Jean-Paul Sartre (1905-1980) aussi sera nietzschéen dans sa jeunesse. Lycéen, avec son ami Paul Nizan (1905-1940), il conclut en 1920 un pacte de « jeunes surhommes ». En hommage à Nietzsche, ils décident de se rebaptiser par des prénoms celtes et gaëliques, R’hâ (Nizan) et Bor’hou (Sartre). En 1927, il écrit Une défaite, roman inachevé où il met en scène les relations du jeune Frédéric avec le compositeur Richard Organte, référence directe au binôme Nietzsche-Wagner. Plus tard, dans Les Mots (1964), son autobiographie, il écrit encore : « je fus amené à penser systématiquement contre moi-même au point de mesurer l’évidence d’une idée au déplaisir qu’elle me causait. » Geste nietzschéen qui refuse les formes de pensée immédiates et faciles.

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David Bowie. Le Zarathoustra de la culture pop, c’est lui, dans sa version Ziggy Stardust. En 1972, ce personnage mélange masculin et féminin, crée le trouble dans le genre et fait entrer le rock dans l’ère de l’intertextualité et du simulacre. « Tout est instable / Il n’y a pas de voix qui fasse autorité / Il n’y a que des lectures multiples », chante la star.
Aujourd’hui, Philippe Sollers conserve toujours son vieil exemplaire d’Ecce Homo à moitié déchiré, lu et relu, appris par cœur.

Dans Une vie divine (2006), qui rapporte les aventures pétillantes d’un certain M. N. (monsieur Nietzsche), comme dans L’Évangile de Nietzsche (2006 ), Sollers place le philosophe, avec Voltaire, dans la tradition des grands esprits libres. Nietzsche n’avait-il pas dédié Humain, trop humain à l’auteur de Candide, pour célébrer en 1878 le centenaire de sa mort ? Pour ne pas céder à l’amertume de notre époque, Philippe Sollers s’accorde avec Nietzsche sur la puissance de réaction : exaltation du sujet, enchantement du monde, ouverture à la beauté de la nature comme au désordre du moi. En un mot, le sublime contre le sinistre.

A.-W. L.

Hors-série Le Point N° 14, juin juillet 2013
p. 95-99.


Ainsi parlait Zarathoustra, 1885

« Qu’est-ce qu’un grand homme — un homme qui a été grandiosement construit et imaginé par la nature ? En premier lieu, il a dans l’ensemble de ses actes une logique continue, difficile à apercevoir dans son entier, à cause de sa longueur, donc trompeuse, une capacité de tendre sa volonté par-dessus de longs espaces de sa vie et de mépriser et de rejeter tous les détails, y eût-il parmi eux les plus belles, les plus "divines" choses du monde. En second lieu, il est plus froid que les autres, plus dur, plus hardi, il ne craint pas l’’opinion" [ ... ] En troisième lieu, il ne veut pas de cœurs "compatissants" [ ... ]. Il se sait impénétrable ; il trouve de mauvais goût de faire des confidences, et généralement il n’en fait pas, même quand on s’imagine le contraire. Quand il parle à d’autres qu’à lui-même, il porte son masque. Il aime mieux mentir que dire la vérité ; il en coûte plus d’ esprit et de volonté. Il porte en lui une solitude inaccessible à la louange et au blâme, une juridiction qui lui est propre et ne reconnaît aucune instance au-dessus d’elle. »
Friedrich Nietzsche

Cité par Philippe Sollers
in Eloge de l’Infini / Picasso, le héros, Gallimard, Folio, 2003, p. 132.


[1A.W. L. signe dans ce même numéro un deuxième article sur Nietzsche : « Au-delà du bien et du mal. »

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