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Portraits de Michel Leiris

Dossier (avec des documents radiophoniques rares)

D 10 août 2022     A par Albert Gauvin - C 8 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



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Voici un extrait des entretiens entre Michel Archimbaud et Francis Bacon, qui ont eu lieu dans l’atelier de l’artiste d’octobre 1991 à avril 1992 :

M. Archimbaud — [...] Leiris occupe une place un peu à part parmi les écrivains contemporains que vous avez connus. Une longue et forte amitié vous liait. Pouvez-vous me parler un peu de lui ?

Francis Bacon — Ah oui, parce que la première chose que je voudrais dire à son propos, c’est que les Français ne lui ont pas donné, je trouve, la place qu’il mérite. C’est, je pense, un grand, un très grand écrivain et il demeure peu connu chez vous, et c’est dommage. [...] J’aimais beaucoup Michel Leiris, c’était un ami merveilleux et un homme tout à fait passionnant. Il avait une réelle connaissance de la peinture, une connaissance en quelque sorte de l’intérieur.

Bacon tenait ses propos quelques jours avant son départ pour Madrid où il devait mourir le 28 avril 1992. Leiris, lui, est mort le 30 septembre 1990. Trente-deux ans après sa disparition et avant de retrouver, si le temps (weather, time) le permet, Yannick Haenel sur les chemins de Bataille et de Leiris, je rouvre ce dossier, non sans l’avoir complété de quelques nouveaux documents. Fermez les volets, coupez la télé. Lisez, écoutez.

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Michel Leiris sur un banc avec le canotier, 1922.
ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

A l’occasion de la publication de la Correspondance inédite entre Michel Leiris et Jacques Baron (éditions Joseph K., 190 p., 16,50 euros), Philippe Sollers, dans Le Nouvel Observateur du 30 mai 2013, revient avec une nostalgie non dissimulée sur la « Jeunesse du surréalisme », c’est-à-dire les débuts du mouvement, mais aussi ses contradictions et son éternelle jeunesse... Le texte a été repris dans L’Infini 124 à l’automne 2013.


Jeunesse du surréalisme

Le 2 juillet 1925, un banquet est donné à Paris, à la Closerie des Lilas, en l’honneur du poète Saint-Pol-Roux. Une vieille écrivaine célèbre, Rachilde, clame, de façon patriotique, que jamais une Française ne pourra épouser un Allemand. De jeunes énervés « surréalistes » sont là, notamment un type de 24 ans qui explose, se met à la fenêtre, et crie : « A bas la France ! Vive Abd el-Krim ! » Son nom ? Michel Leiris. Le lendemain, il écrit à son ami Jacques Baron, 20 ans, qui accomplit son service militaire en Algérie :

« Je vous écris, le visage et les jambes tout endoloris des coups que j’ai reçus hier... Il paraît que j’ai mérité la mort pour avoir laissé échapper quelques cris du cœur, et la foule a voulu m’écharper. J’en suis heureusement quitte pour quelques ecchymoses et une forte courbature. »

Crier « A bas la France ! » et « Vive Abd el-Krim ! » en 1925, ce serait hurler la même chose aujourd’hui, à l’Arc de Triomphe, en remplaçant Abd el-Krim (tueur de soldats français à l’époque, pendant la guerre du Maroc) par « Vive Al-Qaida ! ». Ces jeunes gens sont fous, et on appréciera la retenue de Leiris dans sa lettre, quand on sait (notes épatantes de cette Correspondance inédite) qu’il a été rossé par la foule attroupée devant la brasserie, qu’il lui a échappé grâce à des policiers, lesquels l’ont eux-mêmes roué de coups au poste où il a été conduit. Un autre ami, du nom de Louis Aragon, raconte à Baron :

« Tu sais qu’on a failli se faire tuer (mais vraiment), tu as vu ça dans les journaux. Leiris a été abominablement arrangé. Ça a été fantastique, terrible et merveilleux. »

La presse de l’époque réagit violemment. Ces terroristes sont des « aspirants-apaches, métèques du cloaque toléré de Montparnasse, où pullulent les indésirables, les espions, les peintres fous... Ces jeunes bourgeois peints en rouge veulent ouvertement la mort de tout ordre français et crient très haut leur goût pour la trahison. Ils souillent les morts, et s’assemblent pour frapper une femme ».


Juan Gris, Roland Tual, Michel Leiris
et André Masson ensemble Rue Blomet [1].

Le spectre de Mai-68 se profilait donc déjà en 1925 ? Heureusement, après tous ces débordements catastrophiques, les principaux agitateurs de ce lointain passé effervescent ont disparu ou ont été mis hors d’état de nuire. L’un d’eux a même été décrété, il y a peu, « trésor national ». Certes, on continue à repérer, ici ou là, des individus réfractaires, que le journal Le Monde, dans son supplément littéraire, ne manque pas de stigmatiser : ce sont les « sentinelles du politiquement incorrect », les « prétendus marginaux qui règnent sur l’époque » (des noms ! des noms !). Décidément, une certaine fureur (c’est le mot préféré de Leiris à l’époque, comme celui d’Antonin Artaud, sans parler de ces fous furieux que sont aussi Breton et Bataille) doit être matée. Périodiquement, la censure y veille, et peut-être, en 2013, plus que jamais. D’où l’importance de ces témoignages historiques (les dates, les clans, les ruptures, les engagements), et l’atmosphère passionnelle qui s’en dégage, parfois de grande amitié.

Leiris et Baron ont beaucoup traîné ensemble, la nuit, dans les bars et les boîtes de Montmartre et de Montparnasse. L’alcool coule à flots, il y a le jazz, le cinéma, les femmes, et, très vite, le tourbillon surréaliste. Leiris sera très actif, Baron, plutôt paresseux, non. Baron dira en 1965 :

« A 17 ans, j’étais un espoir du surréalisme et j’ai dû me complaire dans cette idée. Je le suis resté... Comme si on restait toute sa vie un espoir. »

Ni lui ni Leiris ne sont faits pour la discipline de groupe (d’où la rupture avec Breton, qui leur reproche leur mode de vie).
Curieusement, ces deux-là resteront très proches. Leiris à Baron :

« Sachez que vous êtes le meilleur de tous mes amis, le plus sensible, et que je ne pense jamais à vous sans une grande émotion. »

Baron à Leiris :

« Adieu, Michel, je vous aime beaucoup. Comme la poésie. »

Ils se vouvoient, comme Breton vouvoie tout le monde, sauf Aragon (ça finira mal). Les questions politiques (communisme ou pas) vont diviser les uns et les autres, la référence centrale restant, pour Leiris et Baron, le fantôme de Jacques Vaché. Leiris : :

« Je préférerai toujours de beaucoup Vaché, vous le savez, qui se piquait d’être avant toute chose un jeune homme à la mode, à tous les révolutionnaires organisés que nous connaissons. »

Et Baron, en 1933 :

« Moi toujours un peu voyou. Je compte devenir tout à fait gentleman-voyou d’ailleurs. »

En 1931, Aragon, après la publication de son poème Front rouge, est inculpé pour incitation des militaires à la désobéissance et appel au meurtre. On ne voit pas un leader d’extrême gauche réciter aujourd’hui ces vers insurrectionnels : « Dépasse la Madeleine Prolétariat/ Que ta fureur balaye l’Elysée. » On connaît la suite, et le long séjour d’Aragon dans le bunker du Parti communiste. Leiris, à l’époque, est tout de suite très lucide :

« La folie a été selon moi de chercher à identifier la poésie avec la propagande politique. »

On voit bien comment tout bascule dans les années 1930. Baron :

« La haine des milieux mondains s’affirme farouchement contre les surréalistes et sous-produits. C’est naturellement aussi dégueulasse que leur affection imbécile d’avant. »

Leiris, après son aventure chez les Dogons en Afrique (L’Afrique fantôme), et avant de commencer La Règle du jeu, parle, en 1933, d’un « chimérique désir d’on ne sait quelle réhabilitation ».

« Près de quatre années durant lesquelles j’ai changé de milieu n’ont fait que me rapprocher de mes amis et me montrer — en me faisant toucher du doigt le manque complet d’humanité qui sévit dans les autres milieux — combien notre milieu à nous, en dépit de tous nos défauts, faiblesses, bêtises, etc., vaut mieux et à quel point il se révèle, en fin de compte, le seul possible des milieux. »


Man Ray, Jacques Baron, vers 1922.
Négatif gélatino-argentique sur support souple.

Leiris a 32 ans, il est en plein cafard, rien ne va plus pour lui, ni son mariage, ni sa cure psychanalytique, ni ses voyages, ni son activité prétendument révolutionnaire pour masquer le vide (il tentera de se suicider en 1957). Il reste quoi ? La « petite bande » d’autrefois, l’amitié « peu commune ». Cette amitié, on la lit aussi dans une notation de Baron à propos de Georges Bataille. Ils sont dans un bar, l’atmosphère est vulgaire, et Baron écrit :

« Bataille est vraiment très gentil et il a la rareté d’un cœur d’or, il est un peu tapé, moi aussi. »

Qui a jamais parlé du « coeur d’or » de Georges Bataille ? A ma connaissance, personne.

En réalité, ce qui frappe le plus, par rapport à notre époque étriquée et sinistre, c’est l’importance que tous ces nouveaux venus attachaient à la poésie. Pas à la poésie des « poèmes », bien sûr, mais à celle de l’expérience intérieure de vivre, fête ou tragédie. Revendication de liberté chez Leiris :

« Je ne peux vivre que dans l’antithèse et le changement. »

De sensibilité, chez Jacques Baron, cet enfant perdu du surréalisme :

« Il y a quelque chose qui unit les gens, une question de chair, de peau (affinités électives si l’on veut), qui dépasse l’idéologie. »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 30 mai 2013
(sous le titre : Quand les surréalistes criaient : « A bas la France ! »).

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Portraits de Michel Leiris


André Masson, Portrait de Michel Leiris, 1939. Encre de Chine sur papier, 31,8 x 24 cm.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Dans une note du 10 septembre 1939, parlant de lui-même et de ce portrait de Leiris, Georges Bataille écrivait :

« Je crois que nous sommes unis en ceci que nous sommes l’un et l’autre ouverts sans défense — par tentation — à des forces de destruction, mais non comme des audacieux, comme des enfants que n’abandonne jamais une lâche naïveté. Son visage aux traits accusés, marqué par une correction distante, en même temps crispé, fiévreux, blessé par le déchirement constant d’une agitation intérieure impossible, son crâne ras (de couleur presque uniforme comme s’il était de bois ou de pierre) forment peut-être ce que j’ai jamais rencontré de plus contradictoire : une lâcheté évidente (plus évidente que la mienne) mais si empreinte de gravité, si impossible à délivrer que rien n’est plus navrant à voir ; à la fois petit garçon en faute et vénérable vieillard, naïf marin en bordée et stupide divinité perdant une tête de roches dans l’obscurité des nuages... » (Oeuvres Complètes, T. V, Le Coupable, p. 497-498)

En relisant toute la collection de la revue Tel Quel et de L’Infini, on serait frappé de constater que, si « Bataille est toujours là » (cf. Bataille politique), le nom de Michel Leiris n’apparaît jamais au premier plan.
Les noms de Leiris, de Barthes et de Sollers seront pourtant associés, en 1970, dans les préfaces à Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat. Leiris jouera alors un rôle déterminant pour la publication du livre, puis contre son interdiction. Guyotat le rappellera encore en 2009 dans un entretien avec Alain Veinstein (cf. Guyotat parle de Michel Leiris).

Dans Un vrai roman, Mémoires, Sollers écrit en 2007 :

« Leiris ? Le scrupule même, l’honnêteté. Fermeté fermée, pas très drôle. Grand appartement sur les quais. Présence dans l’ombre de Raymond Roussel. » (Folio 4874, p. 98)

Leiris lui-même, par timidité, modestie, scrupule, admiration excessive ou exigence fondamentale, n’a d’ailleurs jamais voulu jouer les premiers rôles. Des années 20 à sa mort en 1990, sa présence discrète s’impose pourtant. Ami (ami fidèle) de Bataille, de Picasso, de Bacon, de Sartre, il est de toutes les aventures importantes : le surréalisme, puis, après la rupture avec Breton, la revue Documents dont il est secrétaire de rédaction (Bataille en est le secrétaire général), Acéphale (dont Leiris refusera les rites d’initiation), le Collège de sociologie... En 1955, à l’occasion du 6e anniversaire de la République Populaire, il est en Chine avec une délégation de l’Association des amitiés franco-chinoises (il parle de son voyage dans Fibrilles, lu par moi, dès sa sortie, en 1966) [2]...

Des peintres, et les plus grands, ont dressé son portrait (Giacometti, Picasso, Bacon). Quel autre écrivain, au XXe siècle, eut cette chance ? Pourquoi ?


Picasso (28 avril 1963)

Picasso, Portraits de Michel Leiris.
ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Recueil factice de dix dessins. Mine graphite, pastel sur papier vergé, 37,2 x 27 cm chaque.
Catalogue de l’exposition « Picasso, Léger, Masson — Daniel-Henry Kahnweiler et ses peintres ».
LaM, Villeneuve d’Ascq, 26 novembre 2013.
ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Dans les Écrits sur l’art, Michel Leiris raconte sa rencontre avec Picasso :

« Je remontais la rue La Boétie, quand j’aperçus Picasso, marchant sur le même trottoir que moi et dans le sens opposé, en sorte que nous nous croiserions d’ici peu de secondes. Que devais-je faire ? Saluer (mais dans ce cas, j’aurais eu l’air de me prévaloir de notre précédente et si fugace entrevue , pour imposer mon souvenir au grand peintre). Marcher les yeux fixés droit devant moi et faire comme si je ne le voyais pas (mais j’eusse risqué alors de paraitre étrangement impoli si, par hasard, j’étais reconnu par l’intéressé). Nulle des deux solutions n’était satisfaisante et je ne trouvais donc dans un cruel embarras. J’en étais encore à peser le pour et le contre sans parvenir à un choix, quand je vis à deux pas de moi, un Picasso qui s’avançait la main tendue et me disait, comme s’il m’avait toujours connu : "Bonjour Leiris ! Alors , vous travaillez ?"... »

Leiris continue :

« si je rapporte cette anecdote... parce qu’elle me semble illustrer l’un des aspects les plus admirables du génie de Picasso : son infinie curiosité de ce que font les autres, cette prodigieuse ouverture d’esprit, grâce à laquelle il peut traiter de pair à compagnon avec quiconque, et l’espèce de doute méthodique qui, l’empêchant de se mettre sur un piédestal, lui a permis de garder intacte — travers les années — sa passion de recherche. » [3]

On peut voir aussi, à travers l’anecdote, la différence de caractère entre Picasso et Leiris... et, sans doute, une conception différente de la tauromachie (à laquelle Leiris comparera le littérature. Cf Miroir de la tauromachie et De la littérature considérée comme une tauromachie).


Jacqueline Picasso, Michel Leiris dansant et Pablo Picasso à la guitare.
La Californie, 1955.

Photo A.G., 10 septembre 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Carte postale de Picasso à Leiris. 1960.
Photo A.G., 10-09-15. Zoom : cliquez sur l’image.
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Brassaï, Michel Leiris, octobre 1962. Au mur : Picasso, L’Atelier, 23-10-55.
ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Giacometti (pour Michel Leiris, Vivantes cendres, innommées, 1961)

31 mars 1961. Achevé d’imprimer de Vivantes cendres, innommées, livre illustré par Giacometti et publié chez Jean Hugues à 100 exemplaires, qui sera considéré comme un des plus beaux livres illustrés français du XXe siècle.


Vivantes cendres, innommées, 1961.
Photo A.G., 10-09-15. Zoom : cliquez sur l’image.
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Vivantes cendres, innommées, 1961.
Photo A.G., 10-09-15. Zoom : cliquez sur l’image.
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Vivantes cendres, innommées, 1961.
Photo A.G., 10-09-15. Zoom : cliquez sur l’image.
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Giacometti, Leiris, 1961.
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Francis Bacon et Michel Leiris dans la cour extérieure du 14 rue de Birague, Paris, années 1970.
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Et, bien entendu, Francis Bacon

Dans Les passions de Francis Bacon, Sollers écrit :

Leiris écrit des œuvres de Francis Bacon « qu’elles aident puissamment à sentir ce que pour un homme sans illusions est le fait d’exister ». Ce désillusionnement est, en effet, la question centrale : elle est absolument singulière, mais elle est aussi historique, comme si l’individu qui la pose revenait de très loin dans le temps. Pour décrire la personnalité de son ami, Leiris doit d’ailleurs recourir à des identités multiples : Oreste, Don Juan, Hamlet, Falstaff, Maldoror, un « flambeur » à une table de jeu (dés, cartes, roulette), un empiriste anglais du XVe siècle « philosophant devant un verre de brandy ou de jerez ». Beaucoup de libertés, donc. (Éloge de l’infini, Folio 3806, p. 76)

et aussi (parmi les hommes qui ont compté pour Bacon) :

« Mention spéciale pour l’ami écrivain Michel Leiris, qui a eu droit à son portrait (où l’on s’aperçoit, ce qui n’était pas évident dans la réalité, qu’il était très beau). » (Éloge de l’infini, Folio 3806, p. 103)

Portrait de Michel Leiris [4], que David Sylvester considérera « comme le portrait de petit format le plus remarquable [que Bacon] ait jamais peint [...], image hypnotique [qui] est à la fois portrait profondément ressemblant et merveilleuse reconstruction de l’architecture de la tête humaine. » [5]

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Francis Bacon Portrait de Michel Leiris, 1976.

« Voisinage revigorant et appel au travail : un visage qui pèse tout son poids de viande et tout son poids de peinture (couleurs apposées en larges touches savoureuses qui bousculent profondément le motif). Tel m’apparaît quand je le regarde accroché à gauche de ma table à lire et à écrire dans ma chambre de Saint-Hilaire l’autoportrait que mon ami Francis Bacon m’a donné il y a plus de quinze ans pour me remercier du texte que j’avais écrit pour le catalogue de sa rétrospective au Grand-Palais. » Michel Leiris, Journal 1922-1989.


« Portrait de Michel Leiris » (1976) de Francis Bacon

France Culture, Les Regardeurs, 18.01.2015.

Aujourd’hui, nous regardons une peinture de l’artiste Francis Bacon, une petite Huile sur toile de 34 x 29 cm. C’est le portrait qu’il fit de Michel Leiris en 1976 et qui appartient aujourd’hui à la collection du Centre Pompidou à Paris.

Avec Marie-Laure Bernadac, commissaire de l’exposition du Centre Pompidou-Metz (avril-septembre 2015) et le plasticien Kader Attia, présent sur l’exposition.

Plus d’infos sur France Culture

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Michel Leiris découvrant son portrait à la Galerie Claude Bernard, 1977.
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Francis Bacon Portrait de Michel Leiris, 1978.

Après l’exécution en 1978 d’un deuxième portrait, Bacon dira :

« des deux peintures de Michel Leiris, celle que j’ai faite qui lui ressemble moins d’une manière littérale [la première ci-dessus, celle de 1976] lui ressemble plus d’une manière poignante [6]. »

Exposition Michel Leiris. Centre Pompidou-Metz.
Photo A.G., 10 septembre 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Dans les Entretiens avec Michel Archimbaud, on trouve ce précieux témoignage :

M. Archimbaud — [...] Leiris occupe une place un peu à part parmi les écrivains contemporains que vous avez connus. Une longue et forte amitié vous liait. Pouvez-vous me parler un peu de lui ?

F. Bacon — Ah oui, parce que la première chose que je voudrais dire à son propos, c’est que les Français ne lui ont pas donné, je trouve, la place qu’il mérite. C’est, je pense, un grand, un très grand écrivain et il demeure peu connu chez vous, et c’est dommage (je souligne. A.G.). Je l’ai rencontré à vrai dire à la fois par Sonia Orwell qui les avait connus, sa femme Louise et lui, par Merleau-Ponty, je crois, et lorsqu’il est venu ici à Londres pour l’exposition Giacometti à la Tate Gallery. Sonia, ou peut-être David Sylvester lui-même, lui a demandé, lors d’un dîner, qui pourrait traduire en français, d’après lui, les conversations que nous avions eues Sylvester et moi [7]. Peu de temps après, il a proposé de le faire lui-même, en disant que ça l’intéressait. J’ai eu une chance extraordinaire car il a fait une traduction magnifique, qui est peut-être meilleure que l’original. Il a fait passer toute sa sensibilité, tout son instinct, et il est parvenu à donner un sens plus profond à ce que j’avais pu dire. C’est extraordinaire, je me suis senti beaucoup plus intelligent en le lisant. Je ne pensais pas avoir dit de telles choses. C’est parce que c’est un grand écrivain, et c’est probablement le seul cas où une traduction est possible, lorsque c’est un écrivain, un vrai, qui s’en charge. J’aimais beaucoup Michel Leiris, c’était un ami merveilleux et un homme tout à fait passionnant. Il avait une réelle connaissance de la peinture, une connaissance en quelque sorte de l’intérieur. Il admirait énormément Picasso. Il m’a dit un jour : « Pour moi, Picasso était un phare. » Picasso illuminait tout pour lui. Je n’étais pas aussi enthousiaste que lui, parce que, comme je vous l’ai dit, il y avait beaucoup de choses que je n’aimais pas chez Picasso, mais lui l’aimait dans sa totalité. Il aimait beaucoup Giacometti, mais je pense que Picasso restait la référence absolue. C’était peut-être aussi une question d’âge. Il y avait, je crois, près de vingt ans de différence entre les deux, et Picasso était vraiment le grand aîné, il était indépassable. Avec Leiris, comme avec d’autres amis français, j’ai néanmoins toujours eu un problème, celui de ma connaissance insuffisante, fragmentaire de votre langue. Je l’ai apprise au fur et à mesure, par goût pour la France, mais comme je pense qu’on ne peut parler de son travail que dans sa langue, ou du moins dans une langue qu’on maîtrise parfaitement, j’ai toujours eu l’impression que les conversations que j’avais en français demeuraient limitées. Je l’ai beaucoup regretté, surtout avec Leiris. De même pour ses livres. Il a écrit des ouvrages que j’admire beaucoup comme La Règle du jeu ou L’Age d’homme, ainsi qu’un texte très remarquable sur mon travail, mais lorsqu’il m’a donné ce dernier texte à lire en français, je me souviens que j’ai eu du mal à en saisir toute la profondeur et toutes les nuances [8]. Pour moi c’est toujours un peu le même problème avec les Français. Leiris avait un très bon ami, Jacques Dupin, le poète, que j’aime beaucoup et que Michel admirait, mais pour apprécier tout à fait son œuvre, voilà, il y a toujours pour moi l’obstacle de la langue. (Folio essais 289, p. 108-111. [9])


Michel Leiris et Francis Bacon par Leo Morhor,
photographie retrouvée dans l’atelier de Francis Bacon [10].

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Michel Leiris par Daniel Faunières, juillet 1966.
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Merveilleux Leiris

Quand ai-je découvert Leiris ? Sans doute vers l’âge de dix-huit ans en lisant L’âge d’homme... Puis, en 1966, en lisant le troisième volume de La règle du jeu, Fibrilles, dont la lecture me marqua si profondément que j’envoyai à son auteur, à une adresse improbable et sans doute fictive, de très mauvais poèmes qui, « ...reusement », ne parvinrent jamais à leur destinataire !

Comment, aussi, plus tard, en 1976, n’aurais-je pas été sensible, et doublement, à ces passages de Frêle bruit (La règle du jeu, IV, Gallimard), livre dont le bandeau, que j’ai conservé, disait :

et où je pouvais lire — avant de relancer les dés (je porte aujourd’hui sur ces lignes un oeil amusé) :

« Des noms de personne comme YVAIN ou GAUVAIN (dont la rime fait de quasi-jumeaux) et UTER PANDRAGON que je n’ai connu que plus tard, des noms de lieu comme AVALON, sont des manettes qu’il me suffit d’actionner pour que s’ouvrent des vannes et que m’emporte une onde indéfinissable, que je me garderai de dire ineffable, jugeant que ce mot, en feignant de renoncer à dire, veut tant dire qu’au bout du compte il ne veut rien dire. »

ou encore :

« De force égale à celle de ces noms-là, TABLE RONDE, à la solidité de bois plein et nettement circonscrit, façonné par de dures mains de bûcheron, ce qui en fait un lest pour l’idéalité du GRAAL, dont le nom, quoique rocailleux et cristallin (comme d’un sucre extraordinairement blanc qui serait substance sacrée), ne s’achève pas mais, grave vibration de diapason ou grêle crissement d’harmonica, reste en l’air et s’étire en d’invisibles courants. »

ou encore :

« Notant ma carence et voulant m’en expliquer le mécanisme, j’ai donc été conduit — ma plume me guidant presque autant que je la guidais — à reconnaître qu’il y a deux ordres de merveilleux : l’un, inscrit dans les événements ; l’autre, créé par l’imagination. D’une part, les aventures d’Yvain, Gauvain, Lancelot, Perceval ou Galaad et les réalités brûlantes qu’elles auraient été pour eux s’ils avaient existé ; d’autre part, ce qui défile dans la tête de celui qui en lit le récit. Distinction fondée, mais qui paraît insuffisante car, lancé sur cette voie, comment ne pas compter encore — troisième ordre de merveilleux — l’opération qui avait pour théâtre l’esprit des auteurs de ces récits en lesquels des constructions plus vaporeuses que des nuées se sont cristallisées ? Ignorer que, si la réalité recèle un merveilleux, il n’est pas un décalque du merveilleux des livres et se distingue aussi de celui qu’on peut se plaire à inventer, telle est la folie de Don Quichotte, comme celle de Nerval fut d’oublier la frontière qui sépare la chose vécue de la chose imaginée, que celle-ci soit rêve ou création concertée... Mais cette folie, porte ouverte trop grande à un déferlement de prodiges, est-elle autre chose qu’un comble d’obéissance à ce mouvement qui fonde le merveilleux : qu’on les vive ou qu’on les sache imaginaires, qu’on les vive en les innervant d’imaginaire ou qu’en les sachant imaginaires on croie pourtant les vivre, une adhésion presque amoureuse à des faits incommensurables avec ceux dont l’existence ordinaire est tissée ? Et n’est-ce pas à un mouvement du même ordre que répond la poésie qu’on écrit : fixer les incommensurables par quoi l’on s’est laissé subjuguer ou, à l’inverse, tenter de fabriquer, par l’écriture, des incommensurables qui — un temps au moins — pourront nous subjuguer ? Merveilleux, poésie, amour, n’existent que si je m’ouvre, sans marchandage, à quelque chose — événement, être vivant, objet, image, idée — que mon désir d’illimité coiffe d’une auréole durable ou momentanée. »

ou encore :

« Coup de foudre, le merveilleux jaillit entre deux pôles dont je dois être l’un et l’autre et dont le sort me propose l’autre, aussi attirant peut-être que le site singulier où le taoïste choisit de bâtir son temple, mais nul si rien en moi ne répond à cette offre. A chacun, donc, la merveille qu’il peut et qu’il veut accueillir : pour Tamino, la fille de la Reine de la Nuit ; pour Papageno, l’oiselle Papagena et les tables superbement garnies ; pour don Juan, dont le choix est de tout braver, la main de marbre que lui tend le Commandeur. Sous quelque forme qu’elle se présente, pas de merveille pour moi qui ne soit une merveille mienne, comme est mien ce que, conscient ou non, je souhaite profondément. Une merveille à mon image, à mon échelle, ou du moins à celle de ce que je voudrais être : quelqu’un qui aurait le courage d’être heureux si pareille chose lui arrivait. Mais, en ce dernier cas, merveille qui, survenant, me consternerait sans doute plus qu’elle ne me comblerait, et qui n’est donc merveille que dans le rêve que j’en fais... »

« Sous quelque forme qu’elle se présente, pas de merveille pour moi qui ne soit une merveille mienne » : qui dit mieux ?

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Francis Bacon regrettait que Michel Leiris ne soit pas plus reconnu en France. Vingt trois ans après sa mort (actualisons : trente-deux ans aujourd’hui), les jeunes lecteurs connaissent-ils mieux l’oeuvre protéiforme de l’écrivain ? On peut en douter. Complétons donc notre petite encyclopédie sonore.

Michel Leiris, aspect autobiographique de son oeuvre

Recherche de la France, Anthologie vivante (1ère diffusion : 05/12/1962 France III Nationale)

Par Jean Paget. Avec Jean Paget et Michel Leiris.
Lectures Loley Bellon, Roger Blin, Roger Coggio, Robert Liensol, Alain Cuny des œuvres de Michel Leiris : "L’âge d’homme", "Présages", "Frère et sœur", "Biffure" et "Nuit sans nuit".
Réalisation Georges Gravier.

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Pages arrachées au journal de Michel Leiris

Devenir son propre témoin, établir un inventaire de soi, se faire en somme à la fois sujet et objet d’enquête, tel est bien son projet.

Octobre 1922. Michel Leiris a 21 ans, il fait son service militaire à Paris et fréquente assidûment les boîtes et bars américains de Montmartre où il a découvert la musique de jazz. De vagues études de chimie commencées voici deux ans, mais qu’il n’achèvera pas, n’ont fait que confirmer par réaction, son goût pour l’alchimie et l’occultisme. Il vient de dîner chez le peintre André Masson, au 45 rue Blomet, Paris 15ème. Rentré chez lui, il commence à écrire son journal sur un cahier d’écolier, d’une écriture serrée, tracée avec une plume fine, peut-être une plume Sergent-Major.

Il ne l’interrompra que le 7 novembre 1989, moins d’un an avant sa mort. Dans ce journal, Michel Leiris n’a pas seulement noté au jour le jour, impressions, pensées, images, rêves, détails de la vie quotidienne, titres d’ouvrages, mais également son travail en cours, sa recherche autobiographique, s’employant à décrire des états intérieurs comme s’il s’agissait de choses physiques et palpables.

Pages choisies et présentées par Jean Jamin,
Lues par Jean-Louis Trintignant.
Enregistrées au festival d’Avignon en 1992 par Monique Burguière et François Caunac, dans une réalisation de Claude Guerre.
Remise en onde : Sébastien Labarre et Claude Guerre
Assistant à la réalisation Félix Levacher.

1/5 : Rêves et langage

1924 : Michel Leiris adhère au surréalisme sous l’influence d’André Masson.

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2/5 : La poésie

Tenter de faire une poésie aussi précise, souple et directe que les meilleures musiques américaines.

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3/5 : Poésie et philosophie

Le comble de l’horreur aujourd’hui n’est-pas Paul Valéry, philosophe-poète qui n’est qu’un Sully Prudhomme ayant lu et mal lu un Mallarmé.

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4/5 : Mai 1929, il commence à faire chaud

Les terrasses des cafés sont pleines. Rien de cela n’est humain mais purement bestial : foutrerie, ventre sans pli. Belle saison pour la repopulation.

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5/5 : Les livres

Faire un livre, c’est nier les livres, et les remplacer par de l’expérience vécue, de l’expérience qui se fait et non qui se reçoit de l’extérieur.

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VOIR : "Haut Mal", extraits de poèmes de Michel Leiris

Le journal de Michel Leiris est publié aux éditions Gallimard, sous le titre « Journal : 1922-1989 ».

Entre octobre 1922 à novembre 1989, dans cinq cahiers au format écolier, Michel Leiris se livre à l’écriture d’un journal, qu’il rédige depuis sa chambre à coucher - dissociant ainsi son activité professionnelle de celle à laquelle il se livre dans ce confessionnal d’un autre genre, où jour après jour, il consigne d’autres types de faits. À la différence de L’Afrique fantôme (lui aussi écrit au quotidien sur des blocs manifold), ce journal « parisien » laisse peu de place à la description, à la narration, à la remémoration. Son style y est bref, nerveux, d’une écriture presque « minérale » : l’émotion face aux événements, aux paysages, aux situations ou encore l’affection vis-à-vis des proches n’y font qu’affleurer. Ce journal n’est intime qu’en raison d’une classification commode. Tout au long de ces pages, c’est sur le sens autant que sur la fonction d’une telle entreprise que Leiris s’interroge, s’attachant à y « projeter son propre reflet d’une manière absolument concrète », c’est-à-dire sans retouches ni ornements. Notées au jour le jour, avec des interruptions allant parfois jusqu’à des mois (voire des années lorsqu’il se trouve en voyage ou en mission ethnographique, comme entre 1931 et 1933 lors de la mission Dakar-Djibouti), les observations et réflexions sont plutôt celles d’un journal d’enquête dont soi-même serait devenu à la fois l’objet, l’informateur et l’interlocuteur. Ni Mémoires, ni chroniques, ni « confessions » donc, mais « journal à bâtons rompus » comme cela peut se dire d’une conversation, qui confère de la présence, donne de la voix à ce document publié ici dans son intégralité. L’édition Quarto : Fondée sur l’édition dans la Blanche parue en 1992, la présente édition a pour vocation de livrer au lectorat de Leiris une édition complétée, augmentée et mise à jour à la lumière des découvertes et travaux récents.
Le volume contient : Présentation - Note sur la réception de l’édition de 1992 - Vie et oeuvre illustré Journal (1922-1989), établi et annoté par Jean Jamin - Appendices : Carnet de citations - « Souvenirs (1901...) » - Textes variés - Bibliographie - Index Nouvelle édition, revue et augmentée par Jean Jamin.

VOIR : Leiris, maniaque de la confession (avec Jean Jamin).

Jean Jamin était anthropologue, directeur d’études à l’EHESS. Il avait fondé avec Michel Leiris la revue Gradhiva et dirigé la revue L’Homme. Originaire de Charleville-Mézières, son décès est survenu ce 21 janvier 2022. Il avait 76 ans.

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Entretien de Michel Leiris avec Paule Chavasse

Quatre entretiens radiophoniques, France Culture, 22-25 janvier 1968.

Paule Chavasse, « Entretiens avec Michel Leiris (1967) », transcrits et annotés par Louis Yvert, dans Michel Leiris ou de l’Autobiographie considérée comme un art, sous la direction de Philippe Lejeune, Claude Le Roy et Catherine Maubon, Nanterre, Université Paris X, RITM, n° 31, 2004.

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Pour Michel Leiris — Signes de vie

Michel Leiris à Venise, 1952. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Une émission de Jacques Munier, France Culture, 10 août 1991.

Avec de nombreux extraits des entretiens accordés par Michel Leiris à Paule Chavasse en 1968.
Et les témoignages de : André Masson, Denis Hollier, Jean Jamin [11], Jean Lescure, Louis-René des Forêts...

Avertissement : Les enregistrements réalisés sur de vieilles cassettes, il y a plus de 20 ans, peuvent être, de courts instants, difficilement audibles ou à la limite de la saturation. Patientez : cela finit toujours par s’arranger. — A.G.

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Portrait de Leiris par Masson, 1923

1. Bataille et Masson

« Aurora ».
« Bataille l’impossible ». « Contre-attaque ». « Le non-savoir ».
Le 45, rue Blomet. André Masson [12]. Max Jacob. Roland Tual.
Corridas. La revue Documents.

Musique : Mozart, Don Giovanni.

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LIRE AUSSI : De Bataille l’impossible à l’impossible Documents

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2. En mission en Afrique

Autoportrait. L’enfance. Une famille petite-bourgeoise. L’opération chirurgicale.

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Avec Max Jacob, 1923

3. Etre poète ?

Max Jacob. Surréaliste de... 1924 à 1929.

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3. a. Sur Raymond Roussel

[Présence dans l’ombre de Raymond Roussel. Sollers, Mémoires.]

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Antonin Artaud dans ’Les Cenci,’ 1935.
Mise en scène de Balthus. ZOOM : cliquer sur l’image.
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4. Je me rappelle Antonin Artaud

Michel Leiris parle d’Artaud.

Avec la voix d’Antonin Artaud.

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5. L’ethnographe

« Une sorte de bourgeois artiste » .
Retour de la mission Dakar-Djibouti. Denise Paulme [13].
Leiris sur l’injustice coloniale.
A propos de Claude Lévi-Strauss (à l’occasion de la publication de Tristes tropiques).
La psychanalyse avec le Dr Borel.
Bataille et l’origine de L’âge d’homme.
1938 : le sacré dans la vie quotidienne. Jean Jamin.

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DAKAR-DJIBOUTI 1931, le butin du musée de l’Homme

16 mai 1931. Dirigée par Marcel Griaule, une équipe de 6 jeunes ethnographes, dont l’écrivain Michel Leiris, part pour un périple de deux ans à travers l’Afrique, de Dakar à Djibouti. Ils ont hâte de mettre en pratique de nouvelles méthodes pour faire reconnaître l’ethnologie comme une science moderne et humaniste et collecter des centaines d’objets sur le terrain pour compléter les collections du Musée d’ethnographie. Mais Leiris et Griaule n’attendent pas la même chose de l’ethnographie. Leiris fuit Paris et ses mondanités pour se mettre à l’épreuve dans un continent "sauvage". Il cherche à faire des rencontres authentiques avec les habitants et apprendre de l’autre par la subjectivité. Griaule au contraire veut appliquer ses méthodes et utilise l’administration coloniale pour organiser sa collecte d’objets.

DAKAR-DJIBOUTI 1931, le butin du musée de l'Homme from Marc Petitjean on Vimeo.

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6. Le Collège de sociologie

Denis Hollier [14]. La prise de distance avec le Collège.
Etre poète.

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Dédicace à Georges Bataille.
Zoom : cliquez l’image.
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7. « L’âge d’homme »

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Louis-René Des Forêts

Leiris : « la corne du taureau pour le matador ».
Témoignage de Louis-René Des Forêts.
Le goût de l’opéra (Verdi contre Wagner).
Erik Satie. Le chant.

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8. Des périodes de grande difficulté

La peur de ressasser. Il vivait par l’écriture.
« Ce que j’ai toujours voulu, c’est être poète. »
« L’horreur de la pensée discursive ».
Avignon, 3 août 1986, Michel Leiris par Jean Jamin.
Jean Lescure : Leiris et le groupe « Message » (1943).

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9. Pendant la guerre

Les tragédies. La rencontre avec Sartre.
Jean Lescure. La libération de Paris.
Beuveries. Pataphysicien.

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10. Leiris et les artistes

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Jacques Dupin

Jacques Dupin.
Giacometti. Chercher sans trouver.
Miro. Francis Bacon. Picasso.
A nouveau sur la tauromachie (Florence Delay).

Musique : Concerto d’Aranjuez.

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11. Politique

Leiris sur La règle du jeu. « L’examen de moi-même ».
Apparition du thème politique. Deux grands génies : Marx et Freud.
« Engagé », jamais apparatchik.
Au congrès culturel de La Havane.
Jean Jamin sur le Journal de Michel Leiris. (1922-1989).
« 1968 : pour moi, année de la vieillesse littéralement touchée du doigt ».

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12. Tout dire ?

Leiris : « Tout dire, étant entendu qu’on ne dira jamais tout ».

Générique de fin de l’émission.

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Michel Leiris par Man Ray, 1930.
ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Au risque de soi

Une émission de Mathieu Bénézet, France Culture, 19 mars 2000.

Avec la voix de Michel Leiris (extraits des entretiens avec Paul Chavasse).
Et les témoignages de Jacqueline Risset, Jean Jamin, Jacques Dupin, Francis Marmande, Denis Hollier, Georges Balandier, Marc Augé, Edouard Glissant, J.-B. Pontalis, Michel Contat, etc.

Lecture : Françoise Lebrun.

1. La poésie

Jacqueline Risset, Jean Jamin, Jacques Dupin.
Apollinaire, Max Jacob...

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2. Les années 30

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Picasso et Leiris

Francis Marmande, Denis Hollier.
La rencontre avec Picasso, le « sacré »...

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3. L’âge d’homme — L’ethnologie

Georges Balandier.

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4. Politesse de Leiris

Denis Hollier, Edouard Glissant

Sartre... Les phénomènes de la « possession ».

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5. L’Afrique... fantôme

Edouard Glissant, Georges Balandier.

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L’Afrique fantôme pdf

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6. Le jazz

Francis Marmande, Yannick Seité.

L’art nègre, la sculpture africaine...

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VOIR AUSSI : L’art de Leiris (avec Francis Marmande, écrivain, critique littéraire et critique de jazz français).

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7. Le sacré

Michel Leiris et « Acéphale ». Denis Hollier, Jean-Bertrand Pontalis.

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Leiris en 1944

Sartre et L’âge d’homme. « Bluffé par Sartre ».
La règle du jeu et l’autobiographie.

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8. Sartre à nouveau

Michel Contat.

Bataille, Simone de Beauvoir, Zette...
A propos de la tentative de suicide de 1957.

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9. Bataille/Leiris : portraits croisés

L’élégance. Le corps.
Dédicace de L’érotisme à Leiris.
Dédicace de la deuxième édition de L’âge d’homme à Bataille.
L’amitié réelle — Encore Masson.

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10. Retour sur La règle du jeu

Jean Jamin. J.-B. Pontalis.

Fibrilles. Fiches. Parler de soi sans nommer les autres.
L’enterrement de Michel Leiris.

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VOIR AUSSI : La solitude sonore de Michel Leiris (4 épisodes).

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Jacqueline Risset parle de La règle du jeu

« Un des grands écrivains du XXe siècle »
Alain Veinstein lit un passage du livre [15] (8’30).

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Guyotat parle de Michel Leiris

La rencontre de Pierre Guyotat avec Michel Leiris.
Cette rencontre se situe au milieu des années 60. Guyotat en parlait avec Alain Veinstein le 22 janvier 2009 [16]. Il évoque le voyage à Cuba de 1967. La personnalité discrète et attachante de Leiris, son rôle important, mais aussi celui de Sollers, au moment de la publication d’Eden, Eden, Eden, et, surtout, le très grand écrivain qu’était Leiris, notamment à travers L’Afrique fantôme et les volumes de La règle du jeu.

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Exposition Leiris & Co. Centre Pompidou-Metz.

Paris, ce vendredi 4 septembre 1970

Cher Michel Leiris, voici donc, fraîchement imprimé, ce texte qui vous doit tant. Recevez-le comme l’hommage d’un militant et d’un écrivain débutants à l’homme et à l’auteur que vous êtes, pour moi et des milliers d’autres.
Avec ma respectueuse admiration. Pierre Guyotat

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Exposition Leiris & Co. Centre Pompidou-Metz.
Photos A.G., 09-09-15.

Pour Michel Leiris,
les retombées d’un combat récent auquel il a pris une part inoubliable
avec mon admiration
Pierre Guyotat le 9/2/72.

Crédits : France Culture — Archives A.G.

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Leiris & Co. Picasso, Masson, Miró, Giacometti, Lam, Bacon…
Du 3 avril au 14 septembre 2015 au Centre Pompidou-Metz.
« Au croisement de l’art, de la littérature et de l’ethnographie, l’exposition consacrée à Michel Leiris (1901-1990) est la première grande exposition dédiée à cet intellectuel majeur du XXe siècle. Pleinement mobilisé par les questionnements et idéaux de son temps, Michel Leiris fut tout à la fois poète, écrivain autobiographe, ethnographe de métier et ami intime des plus grands artistes et écrivains de son temps. »
Le catalogue de l’exposition est publié chez Gallimard.

Présentation de l’exposition


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Marcelin Pleynet et le Journal de Chine de Michel Leiris


Exposition Michel Leiris. Centre Pompidou-Metz.
Photo A.G., 10 septembre 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Quand j’ai rédigé ce dossier en 2013, je notais l’absence de Leiris dans les références de Tel Quel et de L’Infini... Après le numéro 124 de L’Infini et le texte de Sollers sur la Jeunesse du surréalisme, le numéro 143 (automne 2018) rompt à nouveau ce silence. En effet, Marcelin Pleynet y publie son Journal du 23 au 29 octobre 2017 où, à la date du 24 octobre (pages 109 à 111), ayant découvert « par un curieux hasard » dans sa bibliothèque le Journal de Chine de Leiris (que, semble-t-il, il n’avait pas lu jusque-là), il revient sur le voyage qu’il a lui-même effectué en Chine avec le groupe Tel Quel en 1974... Peut-on rapprocher ce voyage de celui de Leiris vingt ans plus tôt ? Si Pleynet ne le dit pas tel quel, il n’est pas interdit de le sous-entendre (il y eut quand même des illusions communes, disons : le partage d’une même « croyance révolutionnaire » (je reprends la formule de Milner) que la Chine pouvait encourager)... Assez réservé par rapport à certains écrits de Leiris, Pleynet évoque, plus que le Journal de Chine, le troisième volume de La règle du Jeu, Fibrilles — qu’il a aussi découvert « tardivement mais sûrement, comme incontestablement à suivre... » — et que Leiris a publié en septembre 1966. En 1966 je venais de quitter le lycée Louis-le-Grand où commençaient à se faire entendre quelques militants pro-chinois de l’UJCML que Godard mettra en scène en 1967 dans La Chinoise (dont Omar Diop qui fut un de mes condisciples [17]) et j’ai dit plus haut à quel point, à vingt ans, ce livre Fibrilles m’avait marqué. Dans le premier chapitre, Leiris revient en pas moins de cinquante pages sur le voyage en Chine qu’il a effectué onze en plus tôt (en 1955). Comme ce sont sans doute les premières pages que j’ai dû lire moi-même sur la Chine révolutionnaire, j’en rappelle le début où, d’une certaine manière, Leiris dit l’essentiel.


Michel Leiris, Fibrilles, manuscrit des premières pages.
Photo A.G., 10 septembre 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Novembre 1955.
Je rentre d’un nouveau voyage qui, cette fois, eut pour théâtre l’Extrême-Orient, derrière ce que les journaux bourgeoisants de nos pays nomment encore « rideau de fer ». De tous les tours que j’ai faits, c’est celui-là, sans doute, qui m’a donné le plus de contentement. Mais pourquoi, s’il m’a comblé à ce point, est-ce celui-là aussi qui, au retour, m’aura probablement laissé le plus désemparé ?
Cinq semaines à me promener dans cette Chine qui doit à son antiquité comme à son gigantisme d’être pour nous une manière de sœur aînée. Cinq semaines de contact avec des gens qui mènent tambour battant un travail de domptage des forces naturelles et de rationalisation de la société que je dirais prométhéen si cette référence à l’un des thèmes centraux de notre mythologie n’appelait, encore plus que l’image héroïque de l’acquisition du feu, celle d’une défaite sanctionnée par un interminable supplice. Cinq semaines de tête­ à-tête avec le communisme en train de transformer l’Asie et d’euphorie telle que je pus penser que, plus jeune et seul maître de mes mouvements, j’aurais cherché vraisemblablement à me fixer dans cette République populaire de Chine qui m’avait invité, parmi de nombreux délégués d’Orient et d’Occident, à juger aussi bien de l’ampleur de son effort que de la réalité des progrès accomplis.
Or, ces cinq semaines révolues, et quelques autres écoulées depuis que je suis revenu, je garde bien la conviction que d’ici peu d’années la Chine sera la première — au lieu d’être seulement la plus ancienne — de toutes les grandes nations [18] ; mais je constate qu’après m’être cru presque au seuil d’une existence nouvelle (et ne pas m’être privé, tant s’en faut, de le dire à mes hôtes en des toasts dont j’aurais aimé que chacun sans avoir l’air de rien fût une œuvre accomplie, à la manière d’un poème chinois) je me retrouve sensiblement au point où j’en étais auparavant et que, mon voyage devenant plus douteux à mesure que son recul dans le temps agrandissait la marge déjà considérable qu’il devait à la simple distance, il a suffi d’une brève période (durant laquelle je respirais l’air de Paris alors que mes poumons étaient encore tout imprégnés de celui de Pékin) pour que le charme en arrive à se rompre. Comment ce qui m’avait paru doué d’une solidité de roc a-t-il pu si vite se désagréger ? Comment ces cinq semaines de plénitude, après le court flottement dont j’ai parlé, se sont-elles vidées de leur substance à tel point que je me demanderais pour un peu si je ne les ai pas rêvées ? Toutes affaires cessantes, j’examinerai cette question, dût le programme que je m’étais tracé pour organiser mes approches d’une « règle du jeu » en être bousculé ou dût-il même — au regard d’autres questions soulevées inopinément — m’apparaître n’embrasser qu’une masse inopérante de vétilles, en sorte qu’il me faudrait m’avouer contraint de le refondre sinon de l’annuler, quitte à perdre la face.
[...] Sans m’attarder par trop à faire précéder la Chine de toute ma « pré-Chine » et ne cédant qu’à moitié à cette manie qui m’est restée d’aborder par un biais — le plus souvent après maints détours — une question à quoi j’attache de l’importance, je livrerai ici des chinoiseries tirées de mon passé proche ou lointain et notées presque toutes (comme si l’énonciation de ce que j’ai à dire exigeait ce prodrome) alors que le voyage en Chine était déjà derrière moi, et devant moi une étape nouvelle du voyage non localisé que j’effectue avec pour tapis volant ma table de travail.


Carnet Michel Leiris. Centre Pompidou-Metz.
Photo A.G., 10 septembre 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Journal du 23 au 29 octobre 2017

Marcelin Pleynet

Paris, mardi 24 octobre

Dans ma bibliothèque je découvre le Journal de Chine de Michel Leiris (1955). Lorsque je sus, en 1974, que j’allais, à l’initiative de Philippe Sollers et en tant que secrétaire de rédaction de la revue, avec Roland Barthes, Julia Kristeva et Philippe Sollers, faire partie du voyage du groupe Tel Quel en Chine, je consultais un certain nombre d’ouvrages : le Tao te King, le Yi King que je pratiquais déjà depuis bien des décennies... quelques poètes traditionnels du VIIe siècle, comme Li Po, Wang Wei, par ailleurs, les livres de Marcel Granet : La Pensée Chinoise et La Civilisation chinoise, et les essais de Joseph Needham... Et comme ce voyage était en partie programmé par Maria Antonietta Macciocchi, son livre De la Chine, livre qui venait d’être interdit à la vente annuelle de L’Humanité... Mais j’en restais en quelque sorte là, sans plus m’inquiéter des voyages et des voyageurs qui nous avaient précédés...

Je découvre aujourd’hui seulement, par un curieux hasard, le livre de Michel Leiris, Journal de Chine, rendant compte des groupes qui, dès 1955, visitèrent la Chine. Or, il se trouve que ces groupes comprenaient un certain nombre de personnalités qui sont loin, très loin d’être négligeables... Je relève, entre autres, d’abord Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir [19], que Leiris rencontrera à sept reprises, Claude Roy, auteur de Clefs pour la Chine, que j’avais lu et qui ne m’avait pas paru très intéressant...

Mais ce que je remarque aujourd’hui comme singularisant ces premiers voyageurs, c’est la présence de plusieurs d’entre eux ayant collaboré à la revue de Georges Bataille, Documents  : Michel Leiris, bien entendu, qui entre autres assura le secrétariat de rédaction en 1929, avant d’en devenir directeur-gérant en 1930, Paul Pelliot, Carl Einstein et Georges-Henri Rivière...

Le volume comporte, en quasi-introduction, une carte du voyage de ce groupe de Russie en Chine, avec les villes visitées par Michel Leiris de Pékin à Kumming (Yunnan) en passant par Shanghai...

Reste que l’organisation politique de ce type de voyages a d’évidentes tendances à se ressembler, et que le Journal de Chine de Michel Leiris n’évite pas les écueils du genre, à savoir rapporter aussi soigneusement que possible les discours et pourcentages propres à la propagande politique d’un régime communiste, alors explicitement lié à l’Union Soviétique, et qui a tout intérêt à se présenter comme ayant transformé la société... Nous eûmes, à peu de chose près, les mêmes discours lors des mêmes visites d’ateliers et d’usines... mais dans une Chine en complète rupture avec ses anciens alliés russes, ce qui évidemment change beaucoup de choses, pour ne pas écrire change tout.

Dans ce livre les voyageurs font quelques escales en URSS, à Moscou, qu’ils visitent avec un grand intérêt... Il faut savoir que, dans les années cinquante, le parti communiste français stalinien comptait un très grand nombre de voix aux élections (presqu’un tiers de l’ensemble de l’électorat). C’est dans ces conditions qu’à mon retour des États-Unis (où, après avoir enseigné à l’université de Northwestern (Chicago), j’ai passé plus de trois mois), la revue Tel Quel, à mon initiative, fera un bout de chemin en dialogue avec les intellectuels du parti communiste...

Pour le reste, si je puis dire, Leiris donne bien entendu (?) une sorte de compte rendu des divers discours que lui tiendront les responsables des lieux et diverses usines qu’il visite... Rien d’inattendu, cela va de soi, et à la longue, j’en sais quelque chose, ces discours sont plus fatigants qu’instructifs et ne tardent pas à devenir ennuyeux... La chose est aussi évidente que possible lorsque Leiris se croit obligé de donner la liste des minorités à laquelle appartiennent les étudiants participant au Mouvement de la Paix, pas moins de 26 minorités recensées page 181 ! Mais c’est page après page que Leiris rapporte les informations que lui fournissent les responsables politiques de l’université de Pékin, ou encore de je ne sais quelle ferme modèle... C’est si vrai, et il n’est pas impossible que Leiris en soit conscient, que dans l’édition publiée en 1994 (soit quatre ans après la mort de Leiris) les passages où l’auteur parle en son propre nom des paysages et événements plus en accord avec sa sensibilité sont imprimés en italique...

En 1974, le groupe Tel Quel, sous la surveillance d’un employé des éditions du Seuil, aura bien entendu une feuille de route établie par les responsables politiques chinois... et ce que nous demanderons ne sera pas forcément respecté... J’ai moi-même tenu une série de carnets, aujourd’hui déposés à la bibliothèque Jacques­ Doucet, avec l’ensemble de mes archives. Carnets qui ne comportent que le relevé, parfois mot à mot, des discours qui nous étaient tenus lors des diverses assemblées auxquelles nous avions l’obligation d’assister... Carnets évidemment inutilisables à mon retour en France... et que je doublais à l’époque d’un journal plus subjectif, que j’ai publié sous le titre Le Voyage en Chine, en 1980, aux éditions Hachette-POL, puis republié, en 2012, aux éditions Marciana...

Ce voyage de trois semaines en Chine a dû malgré tout impressionné Michel Leiris, puisque à peine terminé en novembre 1955, il l’évoque à l’entrée de ce qui sera le troisième et dernier tome de La Règle du jeu, Fibrilles, sorte de biographie psychologique qui, publié aux éditions Gallimard en 1966 (soit 11 ans après le séjour en Chine), comporte de nombreuses références au Journal de Chine...

Bref, Michel Leiris, qui obtient le Prix des Critiques en 1952 (?) et refuse le Grand Prix national des Lettres en 1980, ne sera jamais plus clair sur ce voyage que dans ce troisième et avant-dernier tome de La Règle du jeu, que je découvre tardivement mais sûrement, comme incontestablement à suivre...

Si le volume s’ouvre sur les souvenirs du voyage en Chine, il ne tarde pas à manifester une résistance à ce que Leiris était alors. Conflit et résistance tels qu’après avoir pris conscience de son rôle de « cryptocommuniste », les contradictions à l’intérieur desquelles il se débat, et où il ne faut pas exclure de sérieux problèmes sexuels, le conduiront à une analyse et à une très sérieuse tentative de suicide... dont il sortira tant bien que mal en acceptant finalement son statut d’écrivain ...

De cette dramatique aventure il écrira, à l’hôpital Claude-Bernard, où il est soigné : « Mentalement, avec la crise conclue par une plongée de plus de trois jours dans le néant du coma, j’avais subi un choc plus rude que je ne l’imaginais. »

Mon livre préféré de Michel Leiris reste encore à ce jour et de loin celui qu’il a publié, avec des illustrations d’André Masson, d’abord aux éditions GLM, puis repris en 1981 aux éditions Fata Morgana, sous le titre Miroir de la tauromachie... J’ai dans ma bibliothèque chacune de ces éditions.

En ce qui concerne les Cinq études d’ethnologie (Coll. « Tel », Gallimard, 1988), la première, « Race et civilisation », qui doit dater de 1951, respire comme la plupart des suivantes le politiquement correct, à savoir : le racisme c’est pas bien, même chose avec la seconde que l’on peut ranger sous la rubrique : le colonialisme c’est pas bien... Ces Cinq études témoignent d’abord de la bonne volonté d’un homme politiquement correct de la gauche plus ou moins libérale... Quant à l’essai sur Tristes tropiques de Lévi-Strauss, rien que je n’ai pensé en le lisant sur la recommandation de L’Observateur de l’époque, lorsque j’avais 18 ans. Le seul essai qui se distingue un peu des autres, c’est l’hommage que Leiris rend à Alfred Métraux , « Regard vers Alfred Métraux », où Leiris parle à la première personne et évoque ses souvenirs, et dit ce qu’il doit au grand ethnologue. Mais pourquoi faut-il que cela soit suivi, en 1969, d’une « Communication au Congrès culturel de La Havane » ?

Les temps passent et changent, et ce qui hier n’était que bien-pensance n’est plus aujourd ’hui que triste manifestation d’une ambiguïté politique... On se dit qu’un honnête homme nommé Michel Leiris a existé, avec toutes les ambiguïtés humanistes de son monde... et que, en conséquence, il s’est à sa façon imposé... Faisant aussi, si l’on veut, histoire...

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Michel Leiris, son voyage en Chine


Michel Leiris, « Les musées des villes et des campagnes ».
Paris-Pékin. Bulletin intérieur de l’Association des Amitiés Franco-chinoises, n°5. 1955.

Centre Pompidou-Metz. Photo A.G., 10 septembre 2015.
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Yunnan, 27 octobre 1955 (une des nombreuses fiches manuscrites de Leiris).
Centre Pompidou-Metz. Photo A.G., 10 septembre 2015.
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Portrait de l’interprète de Leiris Wang-Yuen-Chen.
Centre Pompidou-Metz. Photo A.G., 10 septembre 2015.
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Lettre de l’interprète de Leiris Wang-Yuen-Chen.
Centre Pompidou-Metz. Photo A.G., 10 septembre 2015.
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En Chine 1955.
Centre Pompidou-Metz. Photo A.G., 10 septembre 2015.
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En Chine 1955.
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En Chine 1955.
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Les temps passent et changent...

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Michel Leiris par Marc Trivier. DR.

Le dernier entretien de Michel Leiris

Bernard-Henri Lévy

C’est le 18 septembre 1989 qu’eut lieu cette rencontre entre Michel Leiris et Bernard-Henri Lévy. S’il y a eu un personnage secret, dans la seconde moitié du XXe siècle français, c’est bien lui, Michel Leiris. Cet entretien est le plus détaillé qu’ait jamais accordé l’auteur de L’Âge d’homme et de La Règle du Jeu. Et c’est, aussi, le tout dernier – un an avant sa mort, le 30 septembre 1990.

« C’est le 18 septembre 1989 que j’ai rencontré Michel Leiris. J’avais d’abord essayé, sans trop y croire, de le convaincre de se laisser filmer. Il avait refusé fidèle, en cela, à une éthique qu’il partageait avec quelques autres mais à laquelle il s’était, lui, toujours scrupuleusement tenu. Je suis revenu à la charge quelques mois plus tard pour une interview enregistrée, mais non filmée, et qui porterait, lui avais-je dit, sur quelques points restés obscurs de l’histoire d’Acéphale, de Contre-Attaque ou du Collège de Sociologie et il avait, non sans hésitation, fini cette fois par accepter. L’entretien se déroula chez lui, quai des Grands-Augustins, dans le bel appartement bourgeois, rempli d’objets et de beaux meubles qu’il habitait déjà au temps des surréalistes et qui les impressionnait sûrement. Il était tel que je l’avais imaginé. Petit. Râblé. La même tête de boxeur qu’il avait lui-même décrite dans des pages de L’Âge d’homme que je connaissais par cœur. Et s’il n’y avait eu cette voix malade à laquelle je m’attendais un peu mais que je n’imaginais ni si cassée, ni si douloureuse, je l’aurais reconnu sans l’avoir jamais rencontré. Beaucoup de courtoisie avec cela. Une patience infinie. Des réponses précises, détaillées, aux questions que je lui posais. Dois-je dire le prix qu’attachait à cette rencontre le futur directeur de La Règle du jeu ? »

Bernard-Henri Lévy : On a souvent parlé, notamment Klossowski, d’une « tentation fasciste » chez Georges Bataille. Qu’en pensez-vous ?

Michel Leiris : Ce n’est pas une invention de Klossowski, cela s’est dit. À mon avis, Bataille était profondément antifasciste. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il était impressionné par les moyens de propagande du fascisme, par le charisme de Hitler. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’il était fasciné. Son rêve, c’aurait été de trouver, au profit de la gauche, des moyens de propagande aussi efficaces que les moyens déployés à l’extrême droite. Je crois que c’est ça que l’on peut dire.

B.H.L. : On a beaucoup parlé aussi de cette histoire d’Acéphale. C’était deux choses. Une revue. Et une société secrète. Qu’est-ce que c’était que cette société secrète ?

M.L. : Je n’en étais pas !

B.H.L. : Vous n’en étiez pas, oui, je sais. Mais pourquoi ?

M.L. : C’était très personnel. Je trouvais que les choses se passaient entre un certain nombre d’entre nous comme si nous avions constitué une société secrète et que ça n’avait pas de sens de l’institutionnaliser. Il valait mieux que ça reste tacite, une entente tacite.

B.H.L. : Est-ce que vous pensez que c’était sérieux ? Même dans l’esprit de Bataille ?

M.L. : Je crois que c’était sérieux. Oui. J’en suis convaincu.

B.H.L. : Avec tout de même des choses bizarres, des rites absurdes.

M.L. : Je n’en sais rien ! Je n’ai pas été initié. Ceux qui étaient dans le secret ont été très corrects. Ils n’ont jamais livré les secrets d’Acéphale.

B.H.L. : Vous pensez donc qu’il y avait une initiation ?

M.L. : Il y avait une initiation, ça, je le sais. Ce qu’elle était, je l’ignore. Mais il y avait une initiation.

B.H.L. : Donc la revue était la face exotérique de cette histoire ?

M.L. : C’est ça.

B.H.L. : On a parlé, notamment, de scènes étranges à Saint-Nom-la-Bretèche.

M.L. : À Saint-Germain !

B.H.L. : Non, non, Saint-Nom-la-Bretèche…

M.L. : Saint-Nom-la-Bretèche aussi ? Ah, je ne le savais pas. Je n’en sais rigoureusement rien. Je vous dis que je n’ai pas été initié. J’ai des amis qui l’ont été. Notamment un ami disparu maintenant, Patrick Waldberg. Mais ils n’ont jamais soufflé mot de ce qu’était cette initiation.

B.H.L. : Tout cela ne vous paraissait pas un peu puéril ?

M.L. : Légèrement puéril, je vous l’accorde. Je considérais ça, je ne dirai pas comme un enfantillage, mais pas très loin.

B.H.L. : Et puis c’est l’époque où il y a tout ce travail sur Nietzsche : reprendre Nietzsche aux fascistes, en gros…

M.L. : C’est ça.

B.H.L. : Quel était le sens de cette réhabilitation ?

M.L. : C’était cela. Arracher Nietzsche aux fascistes. Bataille était suffisamment antifasciste pour déplorer qu’ils se soient approprié Nietzsche. Vous savez comment ça s’est passé, cette appropriation de Nietzsche ? Avec l’édition tout à fait tendancieuse, par les soins de la sœur de Nietzsche… Son nom m’échappe…

B.H.L. : Elizabeth Foerster-Nietzsche.

M.L. : C’est ça. L’idée de Bataille c’était de sauver Nietzsche des griffes des nazis.

B.H.L. : Dans cette opération, j’imagine que vous vous sentez proche de Georges Bataille ?

M.L. : Tout à fait ! Il connaissait Nietzsche beaucoup mieux que moi. Je dois avouer que je n’ai à peu près aucune culture philosophique. Mais enfin, je l’approuvais tout à fait. Ce n’était pas comme pour Acéphale.

B.H.L. : Et puis il y a eu Contre-Attaque…

M.L. : Contre-Attaque, je n’en ai jamais fait partie non plus. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Si, je crois que ça me paraissait… Bataille parlait, par exemple, de fêter la décapitation de Louis XVI sur la place de la Concorde. Dans son esprit, c’était un moyen de propagande du côté gauche. Mais ça me paraissait puéril. De sorte que je n’ai pas fait partie de Contre-Attaque. J’étais d’accord sur les buts. Mais ça me paraissait prendre des formes, comment dire ? pas très sérieuses…

B.H.L. : Et pourtant Contre-Attaque c’était la réconciliation de Breton et de Bataille.

M.L. : Évidemment.

B.H.L. : Donc ça aurait dû vous passionner…

M.L. : Si l’on veut.

B.H.L. : Parlons de cette réconciliation, voulez-vous. Qui des deux venait sur le terrain de l’autre ?

M.L. : Ils se sont rapprochés. Je ne crois pas que l’on puisse dire que l’un a fait des concessions à l’autre. Ils se sont rapprochés. C’est la menace fasciste, le danger commun, qui ont fait que les vieilles querelles ont été oubliées pour un temps.

B.H.L. : Breton avait pardonné à Bataille ? Il avait oublié le second Cadavre ?

M.L. : C’était du passé.

B.H.L. : Un passé récent, tout de même ?

M.L. : Sans doute.

B.H.L. : Soupault m’a dit un jour que pour lui, au contraire, Breton n’avait jamais pardonné et qu’au moment de cette attaque contre lui des amis de Bataille, il a eu peur, très peur comme s’il risquait de se retrouver très isolé…

M.L. : J’ai l’impression, en effet, qu’il avait très mal vécu cette histoire du Cadavre. Comme chacun sait, Breton avait mauvais caractère. Il ne se laissait pas facilement marcher sur les pieds. Mais enfin, je ne crois pas que ça lui ait fait grand peur.

B.H.L. : Qui a pris l’initiative du Cadavre ?

M.L. : Je crois bien que c’est Bataille lui-même.

B.H.L. : Parce qu’il y a deux versions : une version Bataille et une version Desnos.

M.L. : Desnos ? Tiens, je ne savais pas. Je ne connaissais pas cette version. Enfin, remarquez que moi je suis mauvais juge puisque c’est de Bataille que j’étais le plus proche et que c’est lui, Bataille, qui m’en a parlé. Donc, j’ai eu le sentiment que c’était une idée de Bataille.

B.H.L. : Quelle était l’idée, au juste ?

M.L. : Je vous l’ai dit : c’était de faire pièce à la propagande…

B.H.L. : Non, je vous parlais du Cadavre.

M.L. : Ah ! le Cadavre… C’est autre chose ! L’idée était de descendre Breton en flammes et de l’attaquer sur son propre terrain. Il y avait eu « Un cadavre » à propos d’Anatole France. On voulait reprendre le même titre, et la même méthode, contre lui… Cela dit, soyons sérieux. Je ne sais plus très bien ce que j’en ai pensé sur le moment. Mais ce que je puis vous dire, aujourd’hui, c’est que tout ça me paraissait quand même assez canularesque.

B.H.L. : Il y a deux ou trois hommes qui ont dominé cette époque. Bataille et Breton en tout cas. J’ai un peu de mal à les imaginer ensemble. Je crois que c’est vous qui les avez présentés l’un à l’autre…

M.L. : Non, non, je ne les ai pas présentés. Si ? En tout cas, ça ne s’est pas fait de façon particulièrement cérémonieuse. Par contre, j’avais fait se rencontrer Bataille et Aragon. Ça, je me le rappelle. Aragon s’était montré assez dédaigneux vis-à-vis de Bataille. Il le considérait comme un dadaïste attardé. Il me l’avait dit. Je ne sais pas s’il avait employé exactement le terme de « dadaïste attardé ». Mais enfin, c’est ça que ça voulait dire.

B.H.L. : Et Bataille ? Il était impressionné par Aragon ?

M.L. : Hum… Pas vraiment. Bataille était certainement impressionné par Breton. Hostile, mais impressionné. Par Aragon, je ne crois pas.

B.H.L. : C’est tout de même vous, si l’on en croit, notamment, le livre de Michel Surya, qui aviez organisé la première rencontre entre Breton et Bataille. Il était question, je crois, que celui-ci traduise les Fatrasies pour la Révolution surréaliste.

M.L. : C’est cela, oui. J’ai été l’intermédiaire. C’est-à-dire que j’ai remis le texte des Fatrasies à Breton pour la Révolution surréaliste. Est-ce que je les ai présentés l’un à l’autre, à ce moment-là ? Peut-être… Peut-être, oui, que j’ai amené une fois Bataille au Cyrano. Mais, je vous le répète, ça n’avait rien de solennel. Ce n’était pas une entrevue, la chose sûre, en tout cas, c’est que Bataille, malgré mes efforts, s’est absolument refusé à signer le texte de présentation de ces Fatrasies ! Même par ses initiales ! Il a consenti à nous donner le texte, certes. Mais sans que son nom apparaisse en quoi que ce soit.

B.H.L. : Pourquoi ?

M.L. : Parce qu’il se méfiait du surréalisme. Par amitié pour moi, il a accepté de donner le texte. Mais il voulait que ça reste incognito.

B.H.L. : Donc Bataille n’a jamais été fasciné par le surréalisme qui était, pourtant, l’aventure de toute votre génération. Il a échappé à cette fascination ?

M.L. : Il n’y a aucun doute.

B.H.L. : Si ce que vous dites est exact, c’est bien le seul parmi tous les esprits de cette époque…

M.L. : Ce qu’il y a, c’est que Bataille était, au fond, un peu comme Breton. Il aimait beaucoup créer des revues, être entouré, avoir son équipe. Alors l’équipe surréaliste était une équipe rivale de celle qu’il souhaitait constituer.

B.H.L. : Et qu’il a constituée ?

M.L. : Oui, à l’époque de Documents. Et puis, ce qui est certain, c’est que Bataille considérait Breton comme un idéaliste ce qui, pour lui, était un péché mortel.

B.H.L. : Que voulait-il dire par là ?

M.L. : Il voulait dire que le matérialisme affiché de Breton était purement verbal ce qui est la vérité vraie. Je ne reproche pas à Breton d’avoir été un idéaliste, mais le fait est qu’il l’était. Breton a vu la Révolution en idéaliste, ça c’est certain.

B.H.L. : Bataille n’était pas impressionné par le charme de Breton ?

M.L. : Sur le tard, peut-être. Puisque, comme vous le savez, les rapports Breton-Bataille se sont énormément adoucis quelques années après le Cadavre. Alors, il a pu être impressionné, un peu, par Breton qui n’était tout de même pas n’importe qui. Mais c’est venu sur le tard. À l’époque dont nous parlons, ce n’était pas du tout ça. Les manières mêmes de Breton ne pouvaient que déplaire à Bataille qui était beaucoup plus, comment dirais-je ? beaucoup plus sur ses pieds…

B.H.L. : C’est ça. C’est le fameux article de Documents sur, justement, « Le gros orteil »…

M.L. : Exactement. Je crois d’ailleurs que Breton s’est moqué de ce texte dans le « Second manifeste »… Je crois bien… Évidemment, « Le gros orteil », c’était comme cet autre article intitulé « Le bas matérialisme et la gnose ». Dans cet article, il y avait, il me semble, une note assassine contre Breton. Il s’agissait, en tout cas, d’un matérialisme moins abstrait que celui des surréalistes. Un authentique matérialisme.

B.H.L. : Aujourd’hui, avec le recul, qui avait raison : Bataille ou Breton ?

M.L. : Je me sens, bien sûr, beaucoup plus proche de Bataille. J’avais avec lui une intimité que je n’avais jamais eue avec Breton. Et puis cette idée selon laquelle le surréalisme serait resté trop idéaliste, je la partageais et je la partage encore.

B.H.L. : On peut parler une seconde de Documents  ?

M.L. : Documents, c’était une espèce de fourre-tout. Je ne sais pas si vous avez lu cet article que j’avais écrit qui s’appelait « De Bataille l’impossible à l’impossible Documents » ? Là, je dis à peu près ce que j’en pensais. C’était un rassemblement, assez hétéroclite, de gens de bords très différents…

B.H.L. : Est-ce que, dans l’esprit de Bataille, c’était une alternative au groupe surréaliste ? Est-ce que c’était sa bande à lui ?

M.L. : Ah oui ! Ça, certainement ! Il n’y a pas le moindre doute ! Il y avait d’ailleurs des dissidents surréalistes qui collaboraient à Documents à commencer par moi.

B.H.L. : Vous avez rompu avec Breton à ce moment-là ?

M.L. : Évidemment. À l’époque du Cadavre.

B.H.L. : Vous ne vous êtes jamais réconciliés ?

M.L. : Si, on s’est réconciliés sur le tard ; mais, là non plus, sans solennité. On s’est rencontrés à un arrêt d’autobus… On s’est serré la main et on a fait le voyage ensemble, dans l’autobus.

B.H.L. : C’était en quelle année ?

M.L. : Je ne peux pas vous dire. C’était peu d’années avant la mort de Breton. Au Trocadéro. C’était l’autobus 63.

B.H.L. : Si je comprends bien, il ne vous a, sur le moment, c’est-à-dire dans les années trente, pas pardonné votre alliance avec Bataille ?

M.L. : Sûrement pas ! Quand le Cadavre était, si j’ose dire, encore tout frais, la rupture était franche, et sérieuse. Ça s’est adouci peu à peu.

B.H.L. : Et tous les côtés religieux de Bataille ? Cette volonté de créer une nouvelle religion ou, en tout cas, de s’intéresser de très près à toutes ces histoires de Sacré ?

M.L. : Son biographe, Michel Surya, a parlé de ça de manière très documentée. Le premier écrit de Bataille était un écrit pour vilipender le sacrilège qu’avaient commis les Allemands en 1914, quand ils ont bombardé la cathédrale de Reims.

B.H.L. : Je pensais surtout à tout ce qui s’est passé autour du Collège de Sociologie…

M.L. : C’était basé sur le Sacré, en effet.

B.H.L. : Vous étiez proche du Collège ? Vous en étiez même l’un des fondateurs ?

M.L. : Oui, bien sûr. Puisque j’étais même, avec Caillois et Bataille l’auteur d’un des textes qui annonçaient tout ça à la NRF. Mais je trouvais (je l’ai exprimé dans une lettre qui a été publiée par Denis Hollier) que Bataille en prenait tout de même un peu trop à son aise avec les idées de Mauss.

B.H.L. : C’est-à-dire ?

M.L. : C’est-à-dire qu’il y avait des exagérations sur le Sacré. Comme si Mauss avait considéré le Sacré comme une explication de tous les phénomènes. En fait, c’était contradictoire avec l’idée même de « phénomène total  » que Mauss avait mise en avant. Quand il parle de « phénomène total », il dit que les phénomènes ont toujours un aspect religieux, un aspect économique, un aspect moral, etc. Ce n’est pas forcément le Sacré qui domine.

B.H.L. : Qu’est-ce que Bataille répondait à ça ?

M.L. : Il reconnaissait qu’il y avait un problème. Mais dans la lettre dont je vous parle, je demandais qu’on organise une grande séance, une sorte de congrès pour discuter de ça. Ça ne s’est jamais fait. Il faut dire, aussi, que j’ai envoyé cette lettre peu de temps avant la guerre. On a dû être empêchés par la guerre de donner suite.

B.H.L. : On voit bien, dans le livre de Denis Hollier, que vous êtes présent la première année et puis que, ensuite, vous disparaissez…

M.L. : C’est ça. Je trouvais que Bataille y allait un peu fort. Il exagérait. Il ne faut pas oublier que moi j’étais l’élève direct de Mauss. J’avais suivi ses cours. Je me serais considéré un peu comme un traître vis-à-vis de Mauss si je n’avais pas formulé ces objections, marqué ces distances.

B.H.L. : Pardon d’y revenir une dernière fois. Mais est-ce que, dans ces distances que vous prenez, entre aussi cette histoire de fascination pour le nazisme ?

M.L. : Je n’ai jamais pensé ça. Jamais. Klossowski l’a peut-être dit. Je lui laisse la responsabilité de cette déclaration. Ça n’a jamais été mon point de vue.

B.H.L. : Il y a quand même des textes bizarres à propos, par exemple, de la guerre.

M.L. : Que Bataille ait été fasciné par la guerre, ça c’est sûr. Il disait qu’il fallait être à la hauteur de la guerre. Ça se reflète d’ailleurs dans la déclaration du Collège de sociologie à propos de Munich.

B.H.L. : Dont vous étiez signataire…

M.L. : Dont j’étais signataire. Un peu réticent, mais signataire quand même.

B.H.L. : Réticent pourquoi ?

M.L. : Je vous le dis franchement : j’étais bien content que le spectre de la guerre soit écarté. Mais j’étais d’accord, peut-être un peu hypocritement, avec l’idée que les démocraties, et la France en tout cas, n’avaient pas su fournir aux gens les mythes qui auraient permis d’affronter la guerre.

B.H.L. : Toute cette littérature sur la guerre, ces appels à la destruction, à la convulsion généralisée…, ça ne vous gênait pas ?

M.L. : Je vous dis que j’étais réticent. Un texte, on peut le signer d’enthousiasme. Et puis on peut le signer en se disant qu’on est en désaccord avec certains de ses aspects…

B.H.L. : Le Collège, finalement, c’était surtout Bataille.

M.L. : Évidemment.

B.H.L. : Est-ce que Bataille avait un charisme aussi puissant que celui de Breton ? Est-ce qu’il avait la même autorité ?

M.L. : Je ne crois pas. La preuve, d’ailleurs, c’est qu’il n’a jamais fondé de mouvement analogue à ce qu’a été le surréalisme lequel, vous le savez, n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu Breton.

B.H.L. : Bataille était plus solitaire.

M.L. : Ce n’est pas ça. Vous parliez tout à l’heure du charme de Breton. Eh bien, Bataille n’avait pas ce charme. Il avait un charme à lui, c’est entendu. Mais ce n’était pas Breton. Et puis son idéologie était, il faut bien le dire, encore plus dure que celle de Breton…

B.H.L. : Vous voulez dire qu’il était plus facile de se rallier à Breton ?

M.L. : Oui, bien sûr. C’était un poète très poète, quoi. Il écrivait de jolies choses. Je ne dis pas ça pour le minimiser, mais pour dire que c’était plus attrayant que ce qu’écrivait Bataille. Je ne dis pas que c’était meilleur, mais plus attrayant.

B.H.L. : Bataille faisait peur ?

M.L. : Ah ! Beaucoup !

B.H.L. : Il avait cette réputation ?

M.L. : Il avait surtout la réputation de quelqu’un d’extrêmement débauché.

B.H.L. : Et puis il y a encore autre chose. Ce projet que vous avez eu, bien avant tout ça, du côté de 1924 ou 1925 : une organisation qui devait s’appeler « Oui »…

M.L. : Ça, c’était une idée de Bataille…

B.H.L. : Je croyais que c’était une idée de vous.

M.L. : Non, non, c’était une idée de Bataille. C’était un mouvement d’acquiescement. Dans un esprit zen. Je ne sais pas s’il connaissait le zen, à cette époque. Mais c’était bien dans l’esprit zen. Une espèce d’acquiescement apporté à toute chose. Une absolue non-résistance. Il trouvait qu’au mouvement « Non » qu’avait été dada, il fallait opposer un mouvement « Oui » qui serait un dadaïsme d’acquiescement au lieu d’être de négation…

B.H.L. : Et alors ? Pourquoi est-ce que ça ne s’est pas fait ?

M.L. : Je n’en sais rien. C’est resté comme ça, dans des conversations.

B.H.L. : À cette époque-là il n’avait rien écrit, n’est-ce pas ? En tout cas rien publié ? Or, ce qui est frappant c’est l’extraordinaire autorité dont il jouissait quand même. Ça reste très mystérieux pour quelqu’un comme moi. Sur quoi se fondait cette autorité ?

M.L. : Sur sa conversation. Sur les propos qu’il tenait. Il avait, en effet, un très grand rayonnement…

B.H.L. : Là aussi, c’était le contraire de Breton qui s’appuyait, lui, sur des monceaux de textes ?

M.L. : Naturellement.

B.H.L. : Vous gardez du respect pour Breton aujourd’hui ?

M.L. : Beaucoup. Je ne suis pas un thuriféraire de Breton, c’est entendu. Je sais qu’il avait de gros défauts. Mais enfin je garde beaucoup de respect. Je sais que je lui dois beaucoup puisque je dois beaucoup au surréalisme et que, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il n’y aurait, à mon sens, pas eu de surréalisme sans Breton.

B.H.L. : Dans ces années-là, vous avez croisé Lacan, j’imagine ? Il était proche de Bataille ?

M.L. : Lacan, je l’ai connu, en effet. Je l’ai même connu très bien. Je le voyais tout le temps. Je n’ai jamais suivi ses séminaires. Mais enfin, nous étions amis. Surtout par sa femme, Sylvia, qui avait été la première femme de Bataille.

B.H.L. : Vous l’avez rencontré quand ?

M.L. : Lacan, j’ai dû le rencontrer, attendez… Je l’ai rencontré chez Marie Bonaparte… Quand je suis rentré d’Afrique. Ça devait être en 1934… Marie Bonaparte s’était intéressée beaucoup à la mission à Djibouti dont j’avais fait partie. Alors il m’arrivait d’aller chez elle. Et elle m’avait dit une fois qu’elle connaissait un jeune psychanalyste qui serait très content de me rencontrer. C’était Lacan.

B.H.L. : Vous vous êtes liés tout de suite ?

M.L. : Je dois dire qu’il m’a tout de suite époustouflé avec ce que j’appellerai son hyperintellectualisme. Il y a toute une part de ses écrits qui me passent au-dessus de la tête, littéralement. Mais ça n’empêche pas une certaine sympathie.

B.H.L. : Il était proche des surréalistes, réellement, à ce moment-là ?

M.L. : Oui, il était assez proche.

B.H.L. : Par quel biais ?

M.L. : Par ce que Dali appelait « la méthode paranoïa-critique ». Je crois que c’était par là.

B.H.L. : Il avait des rapports avec Breton, par exemple ?

M.L. : Bien sûr. Ils avaient de la déférence réciproque.

B.H.L. : Revenons à vous. Quand vous vous rapprochez des surréalistes, c’est Bataille, cette fois, qui en prend ombrage, j’imagine ?

M.L. : C’est exact. J’aurais voulu qu’il devînt surréaliste lui aussi. Mais rien à faire. Il a considéré, non pas exactement que je passais à l’ennemi, mais enfin que c’était un peu une trahison amicale, que je cessais d’être tout à fait de son bord pour devenir du bord Breton.

B.H.L. : Et vous lui répondez quoi ?

M.L. : Tout ça était implicite… Tacite… Il en a parlé, cela dit, je ne sais plus où… Dans Le Surréalisme au jour le jour, je crois…

B.H.L. : L’impression qu’on a de Bataille c’est celle d’un personnage très noir.

M.L. : Impression superficielle.

B.H.L. : C’est ça. Voilà.

M.L. : Le reproche que je fais au livre de Surya, qui est très bien fait, très bien documenté, c’est qu’il n’a, justement, pas connu Bataille et qu’il en fait un portrait un peu trop noir. Bataille avait un côté bon vivant. Il ne faut pas s’imaginer que ces histoires de partouzes, etc. ressemblaient à des messes noires. Je n’y ai jamais participé. Mais enfin, je crois que ce n’était pas si noir que ça. C’est lui-même (là, c’était son vieux fond de catholicisme) qui dépeignait ça sous l’angle de la transgression, c’est-à-dire du péché. Mais, cela dit, il était quelqu’un, dans les rapports qu’on pouvait avoir avec lui, de souvent gai. Je ne dirai pas plutôt gai, mais souvent gai.

B.H.L. : Vous avez bien connu Colette Peignot qui était, à la fin de sa vie, la compagne de Bataille.

M.L. : Très bien. C’était quelqu’un de très fascinant, pour le coup. Sa beauté… son intelligence… son côté inexorable… Elle ne supportait pas les demi-mesures… Elle avait d’ailleurs été l’amie de Souvarine. Pendant plusieurs années, je crois. Et c’est de là qu’est venue l’hostilité absolue Bataille-Souvarine, que Souvarine a exprimée avec beaucoup d’injustice dans la préface à la réédition de la Critique Sociale, lorsqu’il taxe Bataille d’« antisémitisme ». C’est une accusation aberrante. De la méchanceté pure. Le fait est que Bataille ne pouvait pas souffrir Simone Weil. Mais cela n’avait, évidemment, rien à voir.

B.H.L. : Est-ce que Colette Peignot avait un rôle dans la Critique Sociale ?

M.L. : Elle y écrivait. Il y a des articles d’elle, des comptes rendus de livres signés Claude Arax.

B.H.L. : Est-ce qu’elle n’en était pas également un peu le financier ?

M.L. : Je crois qu’elle était de famille, sinon riche, du moins très aisée ce qui n’était pas le cas de Souvarine. Elle a donc dû participer au financement de la Critique Sociale.

B.H.L. : Est-ce que c’est quelqu’un qui s’intéressait à la politique ?

M.L. : S’intéresser à la politique, je ne sais pas. Elle n’était pas une personne de compromis et quelqu’un de « politique » c’est quelqu’un qui est nécessairement obligé d’accepter certains compromis. En ce sens-là, elle n’avait pas la tête politique. Mais elle était, en revanche, passionnément révolutionnaire.

B.H.L. : Il y avait aussi, dans le paysage, Jean Bernier qui fut également l’amant de Colette Peignot et qui était lui aussi un singulier personnage.

M.L. : J’ai connu un peu Bernier. Pas très bien. Mais je l’ai connu au moment du rapprochement entre Clarté et La Révolution surréaliste.

B.H.L. : Parce que vous étiez là, en 1925, rue Jacques-Callot, au moment de la fameuse grande réunion ?

M.L. : Oui, parfaitement. Avec aussi Morhange, Politzer, Guterman. J’étais parmi les surréalistes qui étaient d’accord avec ce rapprochement. Tout cela remonte à si longtemps !

B.H.L. : Merci en tout cas de tous ces témoignages. L’important, pour moi, c’était cette question d’une éventuelle fascination de Bataille pour le fascisme, je tenais absolument, sur ce point, à avoir votre sentiment.

M.L. : Mon sentiment c’est que, vraiment, Bataille n’a jamais été fasciste. Il était, si vous voulez, fasciné par le génie de la propagande qu’avaient les nazis. Son souhait c’était que la gauche manifeste un égal génie de la propagande, dans le sens opposé. Voilà. Je ne sais pas si le nom de « Contre-Attaque » est de lui. Mais cela se pourrait. Car c’était vraiment comme ça que Bataille voyait les choses. C’était une contre-attaque. Il y avait l’attaque fasciste, avec ses moyens massifs de propagande. Et il fallait arriver à trouver des moyens aussi puissants pour la contre-attaque.

B.H.L. : Vous souvenez-vous de la manifestation du 12 février 1934 à laquelle vous allez avec lui et Roland Tual ?

M.L. : Oui, je crois. Je me rappelle, comme ça, vaguement, cette manifestation. Nous y étions avec Bataille. Mais cela ne m’a pas laissé, je vous l’avoue, un souvenir très précis. Si, tout de même… Attendez… C’est bien la fameuse manifestation où s’est matérialisé, dans la rue, le Front populaire ? Je me rappelle. C’était très émouvant.

B.H.L. : Le Front populaire, pour vous, c’était quelque chose d’important ou vous vous en moquiez ?

M.L. : Non, je ne m’en moquais pas. Je travaillais au musée de l’Homme à ce moment-là qui était, grâce à Rivet, en plein Front populaire.

B.H.L. : Parce que vous étiez membre du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes ?

M.L. : Oui, bien sûr.

B.H.L. : Je ne le savais pas.

M.L. : Oui, oui. Je n’étais pas un cadre du Comité mais j’en faisais partie. De même que Breton, d’ailleurs, qui lui aussi avait signé.

B.H.L. : Je ne savais pas, non, que les surréalistes étaient là-dedans.

M.L. : Si. Pour ma part, j’étais un peu, là-dedans, l’homme de Rivet. J’y étais plus à ce titre que comme surréaliste puisque, à cette époque, j’étais en rupture avec eux.

B.H.L. : Je vous remercie vraiment beaucoup. Je suis confus d’avoir tant insisté. Je sais que…

M.L. : Je vous en prie ! Je sais bien que je suis l’un des survivants. Peut-être le dernier. Avec Klossowski en effet.

La Règle du jeu

***

Portfolio

  • Picasso, Le rêve (24/1/1932)

[1Armand Salacrou Collection, Bibliothèque Municipale Du Havre.

[2Pendant ce voyage, Leiris tint son journal qui sera publié en 1994. Cf. Journal de Chine.

[3Ecrits sur l’art de Michel Leiris, édition établie par Pierre Vilar, CNRS éditions, 2011. Voir aussi : La rencontre de Michel Leiris et Pablo Picasso.

[4Donation Louise et Michel Leiris, n°4.

[5Catalogue de l’exposition Francis Bacon, Musée national d’art moderne, 27 juin-14 octobre 1996, p. 30.

[6Entretien avec David Sylvester, VI (1979), p. 195.

[7Entretiens avec Francis Bacon de David Sylvester et Michel Leiris, réédition Flammarion, 2013.

[8Leiris a écrit plusieurs textes sur Bacon : Francis Bacon, face et profil, Francis Bacon, Bacon : Le hors-la-loi, Francis Bacon ou la Brutalité du fait.

[10Crédit : husbands-paris.com.

[11Cf. Jean Jamin.

[15Emission « Surpris par la nuit ».

[16Du 18 au 22 janvier 2009, Alain Veinstein a consacré une série d’émissions à Michel Leiris sur France Culture, P. Guyotat était l’invité de la dernière émission.

[18Je souligne. A.G.

[19Je signale que la collection folio a réédité en mai 2022 La longue marche, Essais sur la Chine, 1955 que Simone de Beauvoir avait publié en 1957. Le livre fait 640 pages et c’est un document. A.G.

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8 Messages

  • Pierre Vermeersch | 16 août 2022 - 17:09 1

    Lors de l’été 1924, André Masson adressa à Michel Leiris une lettre ornée de dessins de nœuds.
    Mon cher Michel,
    Tout le secret de la peinture tient dans le nœud d’une corde Peu importe qu’il ait été tranché par Alexandre ou Pablo Picasso. Vive Dieu, il est toujours renoué par les poètes et les danseurs de cordes. – Monet a peint toute sa vie des reflets dans l’eau ; il a peut-être appris (à la longue) à attraper des alouettes dans ce miroir là. – Sois moins triste mon cher Michel – entraîne toi – suis ta route tracée si droite en décrivant des courbes- ne crains rien. – Ne faisons pas comme Alexandre, ne tranchons rien, dénouons et renouons des nœuds toujours nouveaux en pensant au vieil Héraclite. – Nous t’attendons tous avec joie- Mille choses à tous et surtout à ton adorable maman. André

    Masson A.,Les années surréalistes Correspondance 1916-1942, édition établie et présentée par Françoise Levaillant, La Manufacture, 1990, Paris.

    Voir en ligne : http://theoriedelapratique.hautetfo...

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  • Albert Gauvin | 31 janvier 2021 - 16:36 2

    La solitude sonore de Michel Leiris

    Il a rêvé d’une œuvre comme acte héroïque, sacrifice véritable, mise à mort, s’est saisi des mots avec les sens, comme on appréhende un corps, s’est fantasmé surréaliste, fondeur de mythes littéraires, forgeur d’un sacré du quotidien, a regretté enfin la nature modeste de sa littérature — dite selon lui de confession — face à l’ampleur du réel et de l’histoire, sans voir peut-être qu’il avait eu ce courage, que d’autres n’ont pas eu : celui de vivre poétiquement.

    4 épisodes de La compagnie des oeuvres A REECOUTER ICI.

    La lecture du Journal 1922–1989 de Leiris qui vient d’être réédité a inspiré à Philippe Lançon quelques réflexions sur l’actualité.

    Piranhas

    Philippe Lançon

    Quand j’étais gamin, une histoire m’obsédait. Au Brésil, un bœuf traverse une rivière pleine de piranhas. Une branche entaille sa cuisse, le sang coule un peu. En quelques minutes, il est dévoré. Les piranhas l’attaquent par le ventre. Les intestins sortent, puis tout le reste y passe. À la fin, seuls restent les os et les cornes, qui disparaissent dans le courant, les eaux sombres de l’Amazone et de l’oubli. Je vivais intensément cette histoire. J’étais le bœuf. Comme on dit aujourd’hui, j’avais de l’empathie pour lui. J’éprouvais les longs instants de sa dévoration. Si c’était en rêve, je m’éveillais avant dissolution, et les piranhas rejoignaient la nuit. Je n’avais même pas, pour me consoler, la perspective de finir dans ce chef-d’œuvre de Rembrandt, Le Bœuf écorché. Dans son journal, republié aujourd’hui dans une belle édition augmentée d’une chronologie, de quelques textes intimes et d’un appareil de notes*, Michel Leiris évoque, le 28 octobre 1980, ce tableau, alors qu’il cherche une fois de plus à se « réconcilier » avec l’art : « Ce qu’il faut, ce n’est pas une fuite devant le réel ou un maquillage du réel ou encore un tri qui n’en retiendrait que les beaux éléments (en somme les beautés toutes faites), mais une reprise qui, sans s’écarter de lui, donne au réel une beauté. Si l’on veut : essayer d’aboutir à quelque chose d’analogue à la sublime beauté d’un boeuf écorché peint par Rembrandt. » Les piranhas interdisent cette beauté.

    Plus tard, Joe Dante a tourné Piranhas. Je n’ai jamais voulu voir ce film. Trop, c’est trop. Ma capacité d’empathie est comme ma capacité d’indignation : limitée. Je ne peux tremper dans le Bien, près de la victime, toute la journée. Je n’y arrive pas. C’est sans doute pourquoi, je le sens, le pire m’attend. Un jour ou l’autre, faute d’avoir rejoint le bénitier de circonstance, on me jettera dans un bassin aux piranhas. Par exemple, dans celui des réseaux sociaux. Il m’arrive d’y aller voir, comme tout le monde, mais j’y vais de plus en plus rarement, discrètement, en sachant que ces petits carnivores y règnent en masse. Si j’y mets un doigt de pied, c’est pour sentir la température du bouillon, de l’air du temps. Je le retire très vite, de peur d’avoir dit ou écrit quelque chose qui répande une odeur qu’ils aiment tant, celle du sang. Cette chose, j’ai pu la dire ou l’écrire il y a une heure, un mois, dix ans, dans un contexte ou un autre, peu importe. Les piranhas ont faim, c’est tout  ; et rien ne peut les détourner de leur appétit. Sont-ils l’avant-garde d’une révolution  ?

    En 1925, Michel Leiris a 24 ans et il croit en la révolution. Pour lui, elle est « une révolte désespérée de l’esprit contre la sottise ». Les réseaux sociaux me semblent plutôt une révolte désespérée de la sottise contre l’esprit. Est-ce une variante de la révolution  ? Vous avez deux heures pour rendre votre copie. Pour le surréaliste Leiris, la révolution ne peut alors être efficace que par le marxisme – un marxisme en dehors du Parti, « toujours naturellement à ­l’extrême gauche  ». Il analyse d’où elle provient, ce qu’elle exige. Elle place l’individu sous surveillance : « Les manifestations qualifiées d‘"individuelles" ne sont généralement que l’étalage de tics et de snobismes, sur un plan purement pittoresque. C’est ce plan qu’il faut abandonner à tout prix, et l’individualité profonde ne pourra que gagner à la répression de ces libertés toutes extérieures. » Mais qui définit ces «  libertés toutes extérieures », ce « plan purement pittoresque »  ? Selon quels critères  ? Tout révolutionnaire est menacé par le pouvoir qu’il donne à la vertu.

    Piranhas, le film de Joe Dante, sort en France le 15 novembre 1978. Deux jours plus tard, Michel Leiris écrit : « Écrire ne m’arrache plus, comme naguère, à l’angoisse… Peut-être y a-t-il un cercle vicieux  ? Angoissé de plus en plus, j’écris de plus en plus mal de sorte que, moins que jamais, cette écriture n’a le pouvoir de contrebattre l’angoisse. Et cela justement quand, l’angoisse s’étant accrue, il faudrait que cette écriture soit plus puissante que jamais  ! » Cette impossible nécessité revient souvent, dans son journal. Face aux attentats, aux piranhas, au climat, au virus, aux libertés réduites de toutes parts, au bord de la rivière comme tant d’autres, comme un bœuf, je ne me contente pas de la comprendre. Je l’éprouve.

    Charlie Hebdo 1488 du 27 janvier

    * Journal 1922–1989 (édition de Jean Jamin, éd. Gallimard, coll. « Quarto », 1 056 pages, 103 documents, 25 euros). La première édition datait de 1992, deux ans après la mort de l’écrivain.


  • Albert Gauvin | 20 juillet 2015 - 11:27 3

    Remise en vente de la grande monographie sur Bacon de Michel Leiris, épuisée depuis 2013, à l’occasion de l’exposition Michel Leiris au Centre Pompidou de Metz du 3 avril au 14 septembre 2015.

    Synopsis
    Michel Leiris traque dans l’art de Francis Bacon la hantise de la part de l’animalité en l’homme, dans ses différentes phases qui vont amener l’artiste à « peindre le cri plutôt que l’horreur », à violenter sa peinture plutôt que l’image de l’humanité. Après une enfance maladive et une formation d’autodidacte à l’école de la bohème, entre Paris et Berlin, le peintre Francis Bacon s’impose à partir de 1945, au lendemain de la guerre, avec une peinture de l’horreur : corps crucifiés, chairs exsangues torturées par sa palette et un style à la fois sauvage, expressionniste et raffiné Hazan.


  • Albert Gauvin | 21 avril 2015 - 01:46 4

    A l’occasion de l’exposition du Centre Pompidou-Metz Leiris & Co. Picasso, Masson, Miró, Giacometti, Lam, Bacon…, l’émission "Les Regardeurs" du 18 avril 2015 sur France Culture était consacrée au Portrait de Michel Leiris par Francis Bacon. A écouter ici.


  • Albert Gauvin | 10 avril 2015 - 16:36 5

    Archives : le dernier entretien de Michel Leiris

    C’est le 18 septembre 1989 qu’eut lieu cette rencontre entre Michel Leiris et Bernard-Henri Lévy. S’il y a eu un personnage secret, dans la seconde moitié du XXe siècle français, c’est bien lui, Michel Leiris. Cet entretien est le plus détaillé qu’ait jamais accordé l’auteur de L’Âge d’homme et de La Règle du Jeu. Et c’est, aussi, le tout dernier – un an avant sa mort, le 30 septembre 1990. Lire ici.


  • A.G. | 13 décembre 2014 - 15:02 6

    L’Âge d’homme précédé de L’Afrique fantôme
    Édition publiée sous la direction de Denis Hollier avec la collaboration de Francis Marmande et Catherine Maubon
    Collection Bibliothèque de la Pléiade (n° 600), Gallimard.

    Trois textes plus un : autant de façons de pratiquer l’écriture de soi, autant d’épisodes d’une quête autobiographique. Le premier en date n’aboutit pas tout de suite à un livre. En 1930, Michel Leiris rassemble « des souvenirs d’enfance et d’extrême jeunesse touchant tous à l’érotisme ». Il leur destine déjà la place centrale d’un ouvrage plus vaste. Intitulée Lucrèce, Judith et Holopherne, cette « confession » sera reprise, remaniée (autocensurée), dans L’Âge d’homme. On en révèle ici, en ouverture, la version originelle.
    Mais Leiris est las de la vie littéraire. Il accepte de participer à la mission ethnographique Dakar-Djibouti (mai 1931-février 1933). Le voyage n’est-il pas une « expérience poétique » ? Leiris tient un carnet de route. Rapidement, il donne à ses notes un tour personnel ; il ne raconte que les événements auxquels il a lui-même assisté et mêle aux observations ethnographiques des préoccupations plus intimes : rapports avec les autres, sentiments, obsessions érotiques, rêves... À sa publication, en 1934, le livre — L’Afrique fantôme — témoigne d’une pratique de l’autobiographie infléchie par l’expérience ethnologique.
    Puis Leiris rouvre le dossier de L’Âge d’homme. Il révise (adoucit) le texte de 1930. Il y ajoute des souvenirs — les vacances espagnoles de l’été 1935 sont à l’origine de pages sur la tauromachie — et compose un livre de « confessions » qui va du « chaos miraculeux de l’enfance » à l’âge « cruel de la virilité ». Sous l’influence de la psychanalyse, L’Âge d’homme entend dire « toute la vérité » : nouveau renouvellement dans la pratique autobiographique.
    À peine achevé, à la fin de 1935, le livre est accepté par Gallimard. Seulement il ne paraît pas. Tout était prêt, mais le public attendra 1939 pour découvrir L’Âge d’homme. Entre-temps, en 1938, Leiris est revenu sur la corrida dans Miroir de la tauromachie : la tauromachie est « plus qu’un sport » ; c’est un « art tragique », qui a partie liée avec l’érotisme et le sacré. Et avec l’écriture de soi.
    Comment tauromachie et autobiographie communiquent-elles ? par la confluence des risques. En 1935, les pages sur la tauromachie de L’Âge d’homme ne prennent pas encore en compte l’extension à la littérature d’une esthétique du risque. Mais dans le prière d’insérer joint à l’édition originale en 1939, cette idée est centrale. Et quand Leiris réédite son livre en 1946, il y ajoute une préface intitulée « De la littérature considérée comme une tauromachie » : écrire sur soi, se mettre à nu dans un livre, y confesser déficiences ou lâchetés, c’est créer un objet non pas semblable, mais équivalent à « ce qu’est pour le torero la corne acérée du taureau ».


  • A.G. | 27 novembre 2013 - 22:53 7

    « Picasso, Léger, Masson : Daniel-Henry Kahnweiler et ses peintres » : c’est la belle exposition qui est présentée au LaM de Villeneuve d’Ascq jusqu’au 12 janvier 2014. J’ai reproduit le Portrait de Michel Leiris réalisé par André Masson en 1925 et dix portraits de Michel Leiris réalisés par Picasso le 28 avril 1963 qui sont présentés dans cette exposition (voir ici).

    Extrait de la présentation de l’exposition

    « À l’occasion de son trentième anniversaire, le musée retracera dans un parcours exceptionnel l’histoire de la Galerie Louise Leiris. Riche en rebondissements, elle est étroitement liée à la collection d’art moderne du
    musée : Roger Dutilleul et Jean Masurel lui ont été fidèles pendant plusieurs décennies, y choisissant un ensemble d’oeuvres qui témoigne autant de leur goût que d’un dialogue esthétique presque ininterrompu
    avec le maître des lieux, Daniel-Henry Kahnweiler.

    Celui qui va devenir le marchand des cubistes « héroïques » — Georges Braque et Pablo Picasso — ouvre sa première galerie en 1907. Fernand Léger, Juan Gris et plus tard Henri Laurens rejoignent son « écurie ».
    La Première Guerre mondiale contraint Kahnweiler à ouvrir une seconde galerie en 1920, la Galerie Simon, qui accueille une nouvelle génération d’artistes : André Beaudin, Eugène de Kermadec et surtout André Masson, point de contact avec le surréalisme. À cette époque apparaît la figure de Louise Godon, qui assiste Kahnweiler dans la gestion de son établissement. Devenue l’épouse de Michel Leiris en 1926, elle rachète le fonds et donne son nom à la galerie lorsque le marchand est à nouveau contraint de quitter Paris, pendant la Seconde Guerre mondiale.
    Toujours maître à bord et fidèle à ses artistes, Kahnweiler organise à partir des années 1950 d’innombrables expositions Picasso, dont il a désormais l’exclusivité. Déployée dans les salles d’art moderne, l’exposition présentera aux côtés des chefs-d’oeuvre du LaM issus de la Donation Geneviève et Jean Masurel, ceux que Louise et Michel Leiris ont offerts au Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou en 1984. Assortie de prêts complémentaires provenant de collections publiques, comme le Musée du Quai Branly ou la Donation Maurice Jardot de Belfort, ainsi que d’importantes collections particulières, l’exposition reviendra sur les années
    héroïques et les heures plus sombres d’une galerie inséparable de l’histoire de l’art moderne. La figure de Michel Leiris, discrète mais présente pendant plusieurs décennies, permettra, en contrepoint, d’explorer certains terrains partagés par le poète, le marchand et leurs artistes : le primitivisme, l’autobiographie ou
    encore l’écriture dans le Théma Michel Leiris et le livre illustré.
     »


  • A.G. | 13 juin 2013 - 17:08 8

    Ouvrir ses archives révèle toujours des surprises et — quitte à démentir le mythe de la boîte de Pandore — il peut en sortir, non des maux, mais des merveilles. Je viens de retrouver une très vieille émission « Pour Michel Leiris — Signes de vie », passée sur France Culture en août 1991, un an à peine après la mort de l’écrivain. Je devais être en vacances, sans doute chez moi, et je l’avais enregistrée. Michel Leiris y est très présent (nombreux extraits des entretiens qu’il accorda à Paul Chavasse en 1968), et les témoignages, essentiels. Bonne écoute.