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La musique savante de Watteau et de Sollers

D 12 mars 2019     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le Donneur de sérénades de Watteau qui figure en couverture de l’édition Folio du roman de Sollers Centre (paru le 7 mars 2019) (cf. l’article de VK) nous donne l’occasion de regarder quelques toiles du peintre, d’écouter un peu de musique savante et de relire quelques textes de Sollers.

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« La musique savante manque à notre désir. »

Rimbaud, « Conte », Illuminations.

En marge de l’exposition Bozar de Bruxelles : Watteau la leçon de musique

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Rosalba Carriera, Portrait d’Antoine Watteau, 1721.

« Le génie, la grâce, l’élégance aristocratique de Rosa Alba Carriera est sans commune mesure... et son effigie ne figure sur aucune monnaie... Féminine comme il n’en existe plus depuis le XVIIIe siècle... Magnifique portrait de Watteau ! [...] Elle regagne Venise, où elle est de nouveau active en avril. Elle y reçoit une lettre de Pierre Crozat qui lui annonce la mort de Watteau. »

Marcelin Pleynet, Chronique véntienne, 2010.

Watteau, la main du musicien


Le Matin des musiciens
par Edouard Fouré Caul-Futy

avec Béatrice Martin, claveciniste,
et Florence Gétreau, directrice de recherches au CNRS

Émission du 15 avril 2013. L’émission alterne analyses de l’art de Watteau dans ses tableaux et ses dessins et interprétation de musiciens contemporains du peintre. Pour la facilité de l’écoute et de l’étude (au sens aussi musical), je l’ai découpée selon les différentes thématiques évoquées. J’ai évidemment ajouté quelques extraits des Folies Françaises de Sollers dont il vous apparaîtra qu’ils ne sont pas déplacés.

« Watteau reste le peintre du XVIIIe siècle qui a le mieux compris la musique de son temps : il en a donné un équivalent pictural... Ce que Couperin et les compositeurs contemporains avaient conçu en musique, Watteau l’a réalisé en peinture avec un métier de qualité exceptionnelle, alliant l’élégance désinvolte à la rêverie tendre, l’amour de la nature et le raffinement de la vision — et toujours avec cette pointe de moquerie qui évite à l’expression des sentiments l’emphase pathétique et l’émotion larmoyante. »

Albert Pomme de Mirimonde, chercheur en iconographie musicale, 1961.


Ouverture

Voix : Herbert Pagani, La Leçon de peinture
Georges Charensol, Nous avions commencé à parler de la peinture.

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Antoine Watteau, Le Contrat de mariage,
vers 1712-1713, huile sur toile
©Museo Nacional del Prado, Madrid.

Marin Marais, Fête champêtre (Quatrième Livre de pièces de viole : Suite d’un goût étranger)
Jordi Savall, viole de gambe/Pierre Hantaï, clavecin / Rolf Lislevand, théorbe [Alia Vox 9851]


Il y a aussi La Gamme composé par Marin Marais en 1723 (Watteau est mort depuis deux ans). Sollers en parle dans Les Folies Françaises (1988). « La viole est un crime »...

La Gamme

«  La Gamme ?... Mais Marin Marais, bien sûr [...] !... Entends-moi ça : le tissu, le crépuscule en sous-bois... Danse grave, abstraite, continu sans cassure pour mieux faire sentir l’interruption nette, voulue... On est loin, on refuse le ciel ouvert... Entends ces trous cachés dans la mousse, imagine les invisibles danseurs... Tu sais qu’on est des animaux parlants, les joujoux font grève, ils sortent la nuit de leurs boîtes, ils parlent le La Fontaine, belettes, lapins, hérons, chats, renards... Secousses du vent, on est tragiques, mais toujours au deuxième degré, au troisième... L’interrogation valant comme réponse... Pas de début, pas de fin... Le sous-sol bat, il y a des étangs, des biches... C’est austère ! C’est très orgueilleux !... Et noble et charmant, comme dans les allées cavalières... Chevaux sans montures... Sens la bride qui se tend toute seule, — à droite, droite — à gauche, gauche, gauche ! — on est enragé, on ne communique jamais... Pas de témoins ! Personne !... Et puis quelques confidences en cercle, quand même... Dans le taillis... Pas d’extérieur ? Jamais ? Non. Courage. Quelle déclaration ! Pas cathédrale pour un sou, la forêt, à Versailles, Fontainebleau, Rambouillet... Pas Noire... Combat de roseaux... Un peu grave... Légèrement... Un peu gay... Sarabande... Très vivement... Doux... Gigue...
« Mais que j’aye fait mes estrennes,
Honneste mort ne me déplaist. » Il a écrit sa gamme en forme d’opéra en 1723, le violiste... Plus que le violon ou le violoncelle, la viole est un crime... Par-dessus, dessus, taille, basse... Au bras, à la jambe, à la gambe, plutôt, on ne dit pas jambader... Vous avez de bonnes gambes ? Tu sais prendre tes gambes à ton cou ? Toute la gamme ! A l’endroit, à l’envers, à l’oblique endroit de l’envers... Boîte à outils : lime, râpe, tournevis, rabot, ciseau, couteau, scie, gouge, fraise... Vrillant quand il faut... Copeaux...
Tu es ma fille et tu es ma langue. Viens, ferme les rideaux, viens là.
 »
*


Et, bien sûr, il y a les folies françaises. On sait que Sollers a choisi le titre de son roman en hommage à Couperin et que la fille du narrateur s’appelle France (elle est par ailleurs juive).

Les Folies françaises

« Et musique !... La Bourrasque, le Rapporté, le Retour... Tombeau Les Regrets... Passacaille, chaconne, gavotte, menuet, courante, ballet ten-dre... Les Pleurs... « Joye des Elizées »... Rigodon, forlane en rondeau, musette... Le rossignol en amour... Guillemette... Les vergers fleuris... Les calotins et les calotines... Les folies françaises ou les dominos... Quoi encore ? Mais les jongleurs, sauteurs et saltimbanques, avec les ours et les singes... Vielleux, gueux, tambourins, bergeries, commères... Et la favorite, les moissonneurs, les gazouillements... Chaque mot disparu pour nous seuls. Dictionnaire enchanté. Chut ! Attention, sorcière ! Ne va pas te confier ! Ne va pas dire que j’écris cette langue maudite !... Les Dominos !... Sept à huit !... Do-ré-mi-fa-sol-la-si-do ! »
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Philippe Sollers, Les Folies Françaises, 1988.

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François Couperin, Les Folies françaises ou les Dominos (Troisième Livre de pièces de clavecin : Treizième Ordre)
Béatrice Martin, clavecin / Edouard Fouré Caul-Futy, voix
[Bande non commercialisée]

« un grand portrait de l’amour »

*


Les charmes de la vie

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Antoine Watteau, Les charmes de la vie (détail),
vers 1717-1718, huile sur toile
©The Wallace Collection, Londres

François Couperin, Les Charmes (Deuxième Livre de pièces de clavecin : Neuvième Ordre) [1]
Béatrice Martin, clavecin [Bande non commercialisée]

« une science de la résonance »

*


Flûtes

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Antoine Watteau, Flûtiste vu en buste, vers 1715-1717,
sanguine, pierre noire et craie blanche
©The Fizwilliam Museum, Cambridge

Jacques Hotteterre, Deuxième Suite en ut mineur pour flûte et basse continue : Prélude
François Lazarévitch, flûte traversière
Les Musiciens de Saint-Julien [Alpha 148]

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Antoine Watteau, La déclaration attendue (détail),
vers 1719-1720, huile sur toile
©Musées d’Angers, Pierre David.
*


Joueurs de musette

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Antoine Watteau, Deux Etudes d’un joueur de musette, vers 1716,
trois crayons sur papier gris-brun
©RMN / Michèle Bellot

Michel Pignolet de Montéclair, La Plainte d’Iphise
Les Musiciens de Saint-Julien, direction François Lazarévitch [Alpha 148]

François Couperin, Les Chinois (Troisième Livre de pièces de clavecin : Vingt-Septième Ordre)
Béatrice Martin, clavecin [Bande non commercialisée]

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Guitares

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Watteau, Le donneur de sérénades (Mezetin)
vers 1715, huile sur bois
Musée Condé, Chantilly.
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Antoine Watteau, La Surprise,
vers 1718, huile sur bois
©Christie’s Images Limited (2008)

Antonio de Santa Cruz, Jacaras
Vincent Dumestre, guitare Voboam [Bande non commercialisée]

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Antoine Watteau, La Partie carrée, vers 1713-1714,
huile sur toile
©The Fine Arts Museums of San Francisco
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Les plaisirs du bal

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Antoine Watteau, Les plaisirs du bal, vers 1715-1717,
huile sur toile
© Dulwich College Picture Gallery (London).

Jean-Philippe Rameau, Courante (Premier Livre de pièces de clavecin)
Béatrice Martin, clavecin [Bande non commercialisée]

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Rameau

« Je revois l’atelier de Maud, il y a dix ans... Les murs bleus, la lumière violente, les projecteurs et les parapluies blancs, l’escalier à pic, dans le Village... Intrigue... Comme dans les films... Mythologie de New York ? Police !... Sirènes, cent acteurs survoltés, voitures dans les vapeurs, évacuation des corps... Je montais chez elle vers sept heures. Elle avait fini ses spots publicitaires. Whisky et musique. Rameau... Dardanus... Pygmalion... Anacréon...
« Le vol du temps qui nous presse
Nous fait mieux sentir le prix
De l’instant fortuné que le désir nous laisse »...
Qu’est-ce qu’on a ri !
Ballet en un acte, troisième entrée ajoutée aux Surprises de l’Amour... 1757... Télévision sans le son... Police !...
« Le théâtre représente l’appartement d’Anacréon. »
Matelas par terre...
« Point de tristesse !
Buvons sans cesse !
Passons nos jours
Dans les amours Et dans l’ivresse ! »
Hangar loin de tout... Les Français du douzième étage... La petite photographe brune et son french boy... Gentils...
Chœur des ménades :
« Quel bonheur, quelle gloire !
Tout s’unit pour nous enflammer
Bacchus ne défend pas d’aimer
Et l’Amour nous permet de boire ! »
Bourguignon, Rameau... Ça se sent un peu... Tant pis... Et La Mer, du rose-croix Debussy, vaporisant le décor... Et retour aux Indes Galantes... Entrée des quatre nations... Air polonais... Menuets... Air pour les guerriers portant les drapeaux... Air pour les Amours... Air pour les esclaves africains (chut !)... Rigodon et rondeau... Air des sauvages (chut ! chut !)... Contre-danses... Ritournelle. Loure en rondeau (lourer : lire les notes en appuyant sur la première de chaque temps)... Passepied et air vif (« je te le danse ! »)... Pavane (Espagne !)... Gavotte, gigue, chaconne (encore !)... Orage (magnifique, l’orage !, et dans la partition, simplement : pluie)... Air pour Borée et la rose (souffle, goutte qui tombe, pétale)... Marche des Persans (chut !)... Air grave pour les Incas du Pérou (rechut !)... Adoration du soleil (« personne ne nous voit ? »)... Les mots qui reviennent le plus souvent ?... Modéré, doux, fort, vite, gai... N’oublions pas gracieux... So nice ! »
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Philippe Sollers, Les Folies Françaises.

*


L’art de la conversation

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Nicolas Lancret (1690-1743), Concert dans le salon ovale de la demeure de Pierre Crozat,
vers 1720-1724, huile sur toile
©Dallas Museum of Art

Giovanni Bononcini, Chi d’Amor tra le catene
Max Emmanuel Cencic et Philippe Jaroussky, contre-ténors
Les Arts Florissants, direction William Christie [Virgin Classics 5009907094323]

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Nicolas Lancret, Concert dans l’hôtel parisien de Pierre Crozat,
vers 1720-1724, huile sur toile
©Bayerische Staatsgemäldesammlungen

Crédit : France Musique.

En marge de l’exposition Bozar de Bruxelles :
Watteau la leçon de musique pdf .
François Couperin, l’Art de toucher le clavecin pdf .
Le toucher du clavecin à la lecture de François Couperin, Saint-Lambert et Rameau.

*


La musique de Watteau

La musique occupe une large part dans la peinture de Watteau, plus d’un tiers de ses tableaux. Sa représentation montre une évidente proximité avec les musiciens de son époque et un goût prononcé pour cet art. Les liens du peintre avec le riche banquier Pierre Crozat, fin connaisseur de la peinture vénitienne, lui ont ouvert les portes d’une des plus fabuleuses collections de dessins et de tableaux de ce XVIIIe siècle naissant et lui ont permis l’accès aux soirées musicales régulièrement données par le mécène.

Transposée dans un univers poétique, toujours en plein air, la musique devient la métaphore d’un échange amoureux qui prend la forme d’un duo allant jusqu’au quatuor. Ces formations musicales font écho à celles de la sonate ou de la cantate, très en vogue à l’époque. La danse s’invite dans le discours amoureux. Danse à deux qu’accompagnent en soliste cornet, musette ou vielle à roue. Dès le début du XVIIIe siècle, la guitare connaît un engouement sans précédent et, dans l’œuvre de Watteau, c’est elle qui a le privilège des galantes confidences. Watteau avait des liens privilégiés avec les musiciens professionnels, ce qui lui a permis de croquer des attitudes faisant apparaître toute la concentration d’un violoniste ou la précision du doigté d’un flûtiste.

Ce livre-disque (2 CD) vous invite à écouter la musique, dans l’œuvre de Watteau, à l’aide de nombreux exemples picturaux et musicaux, œuvres de Campra, Charpentier, Clérambault, Couperin, Locatelli, Lully, Marais, Pignolet de Montéclair, Rameau, Rebel, Scarlatti, Stradella, Vivaldi...

Le contenu des deux CD
harmoniamundi.com.

William Christie : « Watteau, c’est une peinture qui sonne ».

*


La musique en corps...

Watteau et les femmes

[...] Watteau ! Quel nom, d’ailleurs ! Qu’est-ce qu’un « watt » ? L’unité pratique de puissance (environ un kilogrammètre par seconde). Watteau, le feu et l’eau, l’énergie instantanée devenue liquide, l’invention électrique, le flash minutieux. Quoi ? Quoi ? Vous dites qu’il est nostalgique, mélancolique ? Toujours la propagande romantique ! Quel contresens ! Quelle culpabilité ressassée, quel ennui ! Comme cette erreur d’interprétation en dit long sur la peur de jouir, véritable malédiction des temps dits modernes ! Je pense au contraire qu’on en reviendra inlassablement à Watteau quand l’étouffement sera là, trop grand, insupportable ; quand nous n’en pourrons plus, chaque fois, de l’usure fatale des nerfs. Une date ? Par exemple le 18 décembre 1939. Or qui appelle Watteau ce jour-là ? Qui l’invoque à son secours comme un « messager de nacre », un « avant-courrier de l’Aurore », « moitié faon et moitié oiseau, moitié sensibilité et moitié discours, moitié sensibilité et moitié déjà la détente » ? J’imagine qu’il fait nuit. L’innommable charnier commence. Quelqu’un d’absolument seul, un écrivain à contre-courant des effondrements ambiants, fait signe à l’apparition suprême des parcs. Ce quelqu’un, c’est Claudel. Vous tournez la page de L’Œil écoute où figure cette prière à L’Indifférent, et vous tombez, le 8 juillet 1941, sur une apologie de Fragonard. C’est ce qui s’appelle mettre les points sur les i. Médicalement. Prophétiquement.

Femme demi-nue vue de face, assise sur une chaise longue, tenant son pied gauche dans ses mains.
Sanguine et pierre noire sur papier blanc 341x221.
Ancienne collection Julienne, Londres, British Muséum. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Alors, un pas de plus. Et ouvrons le placard des femmes. Je dirai tout de suite ma préférée, depuis toujours : Femme demi-nue vue de face, assise sur une chaise longue, tenant son pied gauche dans ses mains. Voilà. Et s’il n’en fallait qu’une, ce serait celle-là. Le fauteuil-canapé l’emporte comme une barque. Sanguine et pierre noire sur papier blanc. Elle est au British Museum. Elle y prend son pied indéfiniment. Elle est formidablement à l’aise. Elle n’a rien à faire. Elle va se promener toute la journée dans une nature de convention travaillée, multiple, musicale, résumée par les cordes de la guitare ou du luth, le souvenir perlé et plumeux du clavecin. Le piano noir n’a pas encore envahi les salles anonymes, tout est fait pour dix ou vingt personnes qui se trient, se choisissent, se mêlent, s’accordent, se dispersent, s’oublient. Il y a des clairières pour tous, l’univers est fait d’îles, de nébuleuses précises, de quarks de charme, de buissons perdus de plaisir. La perspective n’est là que pour nous faire sentir la magie du coin. C’est, pour une éternité discrète et oblique, la récréation italienne. Il faut s’habiller pour ça, être un pli dans des plis pour ça, tenir sa note pour ça, en y rassemblant finement les bras, les mains, les cous, les nez, les oreilles. Corbeilles, roses, fontaines, guirlandes suggérées, voix. Les tissus sont du mercure, on ne les retient pas, ils donnent la température, modérée, mise en clavier, juste en train de se déséquilibrer dans l’instantané. On a déjà joui, bien sûr, on a connu la répétition qui n’ajoute rien, l’amour est une fonction du futur antérieur entièrement dédié au concert. C’est comme si on savait déjà que la mémoire ne retient, effarée, pressée, incrédule, que les moments suspendus, quand elle se célèbre elle-même. C’était tel jour, à tel endroit, avec celui-ci ou celle-là, il faisait beau, il fera toujours beau, ou bien on est seul, moment de toilette, intervalle des préparatifs, repos, retour en arrière, l’événement a eu lieu, il allait avoir lieu, on était prêt pour lui, on n’existe que dans son écho, presque rien, mais pollen de fête. Le moment où une femme croit avoir trouvé son partenaire sorti de la pesanteur est exactement du même ordre que celui où le peintre agit. C’est rare. [...]

Philippe Sollers, Watteau et les femmes, 1984.
Arts et Métiers Graphiques, Centre Pompidou, Flammarion, Herscher, Skira.

*


Watteau à Valenciennes


Jean-Baptiste Carpeaux, La Fontaine Watteau.
Photo A.G., Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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Jean-Baptiste Carpeaux, La Fontaine Watteau.
Photo A.G., Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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En découvrant telle photo de Picasso prise à Vallauris alors que j’avais dix ans, Stéphane Zagdanski m’écrit amicalement : « Cher Albert Gauvin, c’est ce qui s’appelle croiser son destin ! Félicitations ! » Le destin ? C’est beaucoup. En tout cas, la chance.
On ne mesure pas toujours ce qu’est la chance. N’est-ce pas encore la chance qui m’a fait naître à Valenciennes, patrie de Watteau (il faut prononcer « Wouatteau », m’a-t-on appris, comme « watt » ou « ouate » — et pas Vatteau). Il y avait dans la maison familiale, accrochée au mur une petite reproduction d’un dessin de Watteau (une sanguine) représentant une femme allongée. Enfant, je l’ai souvent regardée. J’ignore ce qu’elle est devenue. Sans doute a-t-elle contribué à former mes sens et mon goût [2].
Adolescent, j’allais chercher ma petite amie, ma camarade, aux portes du lycée Watteau, lycée où je travaillerai (peu de temps) une douzaine d’années plus tard, situé à côté du musée des Beaux-Arts où j’ai sans doute vu les premiers tableaux d’Antoine Watteau (de même que ceux de son neveu, Louis Watteau)...
Est-ce le hasard si, dans les moments libres, très libres, de ma jeunesse, j’aimais fréquenter, tantôt le square Froissart, du nom du célèbre poète et chroniqueur du Moyen-Âge (dont j’ai déjà parlé ailleurs [3]), tantôt le square Watteau, afin d’y lire des livres que personne ne lisait, assis, seul, sur un banc, parfois en conversant avec quelques clochards qui ressemblaient plus au « Boudu » de Jean Renoir qu’aux malheureux SDF qu’on voit de nos jours ?
J’aimais beaucoup le square Watteau. Il devait porter un autre nom à l’époque (le square saint Géry sans doute, du nom de l’église qui le jouxte [4]).
C’est là qu’en octobre 1884, deux siècles exactement après la naissance d’Antoine Watteau, fut érigée « la fontaine Watteau » (La Fontaine et Watteau !). Au départ, il s’agissait d’une simple statue du peintre, conçue en 1860 par un autre grand artiste valenciennois (trop méconnu, sauf par Alain Kirili [5]), le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux qui la réalisa en 1869 (notez la date). Ce n’est qu’en 1872 que Carpeaux proposa aux autorités de la ville « le projet de fontaine dont elle devait être le motif principal. Mort en 1875, il ne put en voir l’exécution. » C’est ce que je lis dans la « Petite histoire des rues de Valenciennes », écrite par... mon père, André Gauvin, journaliste et chroniqueur, qui ajoute que c’est sur la suggestion d’un autre sculpteur Valenciennois, Ernest Hiolle, que « les édiles acceptèrent que l’oeuvre de Carpeaux fut coulée en bronze » et installée sur la « place Carpeaux » (c’était alors une place et non un square, et il semblait juste de commémorer ensemble les deux artistes) [6].

La Fontaine Watteau.
Zoom : cliquez l’image.

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Tous les motifs de cette fontaine — Gilles, Arlequin, Finette, Colombine — sont très beaux. Mais la statue altière de Watteau domine l’ensemble. On y voit le peintre, le pinceau dans la main droite et tenant sa palette dans la main gauche. L’élégance même. Pourtant le plus important est sans doute la guitare baroque et le masque posés aux pieds du peintre. En haut, en bas, des pieds à la tête, les couleurs et les sons se répondent, nous dit Carpeaux, en strict contemporain de Baudelaire et de Rimbaud (quoi de plus proche des toiles de Watteau que les Illuminations ?).
L’oeil de Watteau écoute. Il a veillé sur moi. Je ne suis pas sorti du sujet.


Jean-Baptiste Carpeaux, La Fontaine Watteau.
Photo A.G., Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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Jean-Baptiste Carpeaux, Antoine Watteau.
Photo A.G., Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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Jean-Baptiste Carpeaux, Antoine Watteau.
Photo A.G., Musée de Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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Jean-Baptiste Carpeaux, Antoine Watteau.
Photo A.G., Musée de Valenciennes, 23 août 2015. Zoom : cliquez l’image.
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Le dernier numéro de Sprezzatura est intitulé « A l’oreille ». Il est illustré de dessins d’Antoine Watteau.

Voici un extrait du texte « collectif » d’ouverture.

Pour qui sonne l’inouï

FÉLIX GALLIOU, MICHAËL GORZEJEWSKI, LUC GUÉGAN, JEAN-HUGUES LARCHÉ,
SANDRICK LE MAGUER, STÉPHANE MARIE, MÉTIE NAVAJO
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Diapason — Paris, samedi 4 février 2012, 10 h du matin. L’appartement est radieux, clarté bienveillante, le soleil luit dans l’inouï. [7]

Il se passe donc encore quelque chose ? Mais oui. Autre chose que la muséification permanente ? Bien sûr. Que l’étouffement pseudo-avantgardiste ou révolutionnaro-politique dont l’obsolescence précède l’existence ? Pourquoi en douter ?
Écoutez attentivement. Oui, encore. Prenez votre temps, attribuez-vous de larges plages de temps. Écoutez-vous de la même manière qu’il y a dix, vingt ou trente ans ? Vous êtes sûr ? Quelque chose a changé n’est-ce pas ? Le diapason s’est modifié, les longueurs d’ondes aussi. Ici et là, on entend à nouveau la musique des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles [8]. L’événement est sans précédent : une certaine oreille s’est ouverte. Voilà qui est étrange car l’expérience montre qu’il existe un mur vertical du son, une surface à l’intérieur même de la parole, une bulle qui ne peut éclater, un cône de Mach qui ne peut s’inverser, bref, une surdité fondamentale. Y aurait-il donc la possibilité d’une écoute vraie ?

*

La rosace baroque — Il faut reconnaître qu’il est des périodes d’ouverture où l’on peut, tel Isidore Ducasse, « renier [...] le passé hideux de l’humanité pleurarde ». L’écrivain nous livre ses armes : « Jusqu’à présent, on a décrit le malheur pour inspirer la terreur, la pitié. Je décrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires. » La joie peut donc renaître d’elle-même sans complaisance.

À n’en pas douter, la renaissance actuelle de la musique baroque, porte la signature de cette lutte [9]. Comment expliquer un déploiement aussi singulier que conséquent ? La deuxième guerre mondiale n’est certainement pas étrangère à l’affaire. Et il ne s’agit pas ici d’une simple coïncidence historique, l’événement a une portée historiale. Parmi les insurgés, Harnoncourt ne cherche pas à retrouver une forme d’authenticité historique mais plutôt à percer la bulle de l’interprétation traditionnelle des oeuvres du passé. Promouvoir une interprétation critique, sans cesse renouvelée, libérer la musique des strates de l’histoire pour qu’elle donne à nouveau à penser. En 1995, au festival de Salzburg, il parle précisément de « dénazifier la musique ». Toute la musique baroque mise en avant depuis la seconde guerre mondiale est fondamentalement joyeuse, vibrante d’un désir d’expression de l’affect. La musique baroque est cet orbe où les sensations, toutes les sensations, jusqu’à la joie même, sculptent leur lieu depuis leur expérience. La joie musicale est première en ce qu’elle est condition de possibilité des choses elles-mêmes.
S’il y a aujourd’hui, dans le renouveau baroque, retour à quelque chose, c’est à une condition musicale porteuse de révolution [10]. [...]

Pour qui sonne l’inouï (le texte intégral) avec les dessins de Watteau pdf
Le site de Sprezzatura.

31 mai - 18 h 30
Rencontre avec Sprezzatura
à l’occasion de la sortie du numéro 5
au Verre à pied
118 rue Mouffetard
Métro Censier-Daubenton
*

Sprezzatura sur pileface

La naissance de Sprezzatura (Episode 1)
Sprezzatura et ses auteurs (Episode 2)
L’arc et la lyre / Sprezzatura

*

Portfolio


[2«  Au commencement était le goût » écrit Sollers dans Les Folies Françaises.
« De la lecture, du goût », « beaucoup de goût, de lectures » : ce sont les appréciations que je relis, avec un plaisir que je ne dissimulerai pas, sur de vieux bulletins scolaires, appréciations portées par mon professeur de Lettres qui, avec une belle persévérance, me proposait aux « Félicitations » (bien avant S.Z.) et au « Concours général » (en Français et en Latin), là où d’autres me refusaient le « tableau d’honneur » (seuls les cancres ne l’avaient pas) pour ma conduite... chahuteuse et mes trop bruyants fous rires. « Gauvin, cessez de faire le pitre ! » me répétait, avec son accent corse (style Pasqua), un professeur d’histoire communiste (très bon d’ailleurs) répondant au nom de Casanova (futur rédacteur en chef de la revue du PCF, La Nouvelle critique) !

[4Etrange d’ailleurs que le square Froissart donne aussi sur la rue saint Géry où j’habitais alors et que saint Géry fut consacré par Aegidius, archevêque de... Reims.

[6Le site du musée d’Orsay donne d’autres précisions : « en 1872 : Projet Carpeaux 1860. Indemnités votées par Valenciennes, 1863 : 3000 F ; 1864 : 3000 F. Etude reprise 1867. Modèle statue 1870. Projet fontaine polychrome 1871. Fonte posthume Moltz 1876. Gilles, Arlequin, Finette, Colombine exécutés par Ernest Hiolle, architecte Dussart. Inauguration place Carpeaux (square Saint-Géry), Valenciennes, 12 octobre 1884. »

[7Propos synthétisés par Michaël Gorzejewski, Stéphane Marie, Sandrick Le Maguer et Luc Guégan.

[8Cf. infra, Jean-Philippe Rameau, Préfaces harmoniques.

[9Cf. infra, Sandrick Le Maguer, La musique et la danse.

[10Cf. infra, Giulio Caccini, Les Musiques nouvelles.

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2 Messages

  • Arsène Vengeai | 14 mars 2019 - 06:56 1

    La coupe de "La dame à l’hermine" sur son trente et un me laisse penaud.


  • V. K. | 4 mai 2013 - 10:59 2

    «  Elles sont là fragiles, insaisissables, comme sortant d’un rêve et s’apprêtant à rentrer dans ce rêve, penchées, détournées, indiquant la sortie ou le cercle, l’avenir inutile, le passé sans cesse annulé ; elles sont accompagnées de leurs reflets scintillants, elles viennent de surgir, elles vont s’évanouir, comme la brève mélodie qui leur sert d’échelle .(...)

    On devrait écrire l’histoire d’une autre façon : ...en abandonnant l’idée folle d’une évolution en ligne droite, en interrogeant les spirales, les retours en arrière, les tunnels, les parenthèses, les éclaircies brusques et sans lendemain, on se donnerait une chance de comprendre enfin la force fluide et terrible qui nous habite... Watteau, le feu et l’eau, l’énergie instantanée devenue liquide, l’invention électrique ; le flash minutieux. Quoi ? Quoi ? Vous dites qu’il est nostalgique, mélancolique ? Toujours la propagande romantique ! Quel contresens ! Quel ennui ! ... Je pense au contraire qu’on en reviendra inlassablement à Watteau quand l’étouffement sera là. »

    Philippe Sollers, Watteau et les femmes, 1984


    Watteau, Les Deux Cousines, 1716, Musée du Louvre
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    Watteau, Le faux pas, vers 1716-1718, Musée du Louvre
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    Dans cette scène où le désir de l’homme lutte contre la résistance pudique de la femme, Watteau a saisi l’instant de la plus grande tension psycologique sans présumer de l’issue de la situation. Le thème rappelle des œuvres flamandes, particulièrement La Kermesse (Noce de village) de Rubens que l’on peut aussi voir au Louvre. (A partir du lien, observez le couple à gauche du tableau. Le bras de l’homme enlace la femme. Même geste, même désir.)

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