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- James Joyce en Chine
(Sipa/photomontage D.C.)
Comment James Joyce conquiert la Chine avec Finnegans Wake ?
Pourquoi James Joyce cartonne en Chine ?
« Tout juste traduit en chinois, Finnegans Wake, l’un des romans phares de l’auteur irlandais James Joyce, se vend comme des petits pains. Un succès surprise pour une œuvre difficile, réputée impénétrable, à la grammaire complexe et qui mêle plusieurs langues, souligne avec étonnement le Guardian. Le tirage initial de 8 000 exemplaires a été épuisé en un mois seulement. »
(Le Monde dans son blog bigbrowser du 8/02/2013)
A Shanghaï, Fennigen de Shouling Ye (son titre en Chine) apparaît en deuxième place des meillleures ventes de livres, ces dernières semaines !
(AFP/Philippe Lopez)
Comment cela est-il possible ?
8000 exemplaires pour 1,4 milliards de Chinois, c’est quand même remplir la Mer de Chine à la petite cuiller. Mais deuxième place des meilleures ventes de livres à Shanghaï déclare son éditeur la Shanghai People’s Publishing House. Seulement un titre devant donc, est-ce à dire que les lecteurs chinois ne sont pas légion ? Une précision dans un autre compte rendu indique « deuxième place dans sa catégorie » ! Laquelle ? Celle des « bons livres » ! ...Vague ! A moins que l’on ne touche les limites de la traduction.
- "Finnegans Wake" de James Joyce arrive en deuxième place des meilleures ventes de livres à Shanghaï ces dernières semaines.
(AFP/Philippe Lopez)
Importante campagne de publicité.
Le buzz est parti de Shanghaï avec un communiqué, le 31 janvier, de Reuters et AFP Shanghai, cette dernièr repris par Le Monde dans son blog bigbrowser. Reuters, de son côté, reprenait une interview de Dai Congrong la traductrice chinoise réalisée par Elaine Lies pour Shanghai Newsroom. Une opération de communication bien orchestrée par la maison d’édition, précédée d’une campagne de publicité de l’éditeur encore inhabituelle en Chine pour un roman .
« Wang Weisong, le patron de la maison d’édition, est un modeste. Il s’est déclaré surpris pas le succès mais Il avait tout fait pour que ce succès advienne. La Shanghai People’s Publishing House a organisé dans les grandes villes du pays une campagne d’affichage inédite pour un roman, qui plus est de Joyce. Seize panneaux promotionnels gigantesques étaient ainsi dressés dans la seule ville de Shanghai. » [1]
- Joyce by Robert Scarth
L’éditeur peut d’autant plus dépenser en publicité qu’il n’a pas à dépenser en droits d’auteurs.
L’œuvre est en effet tombée dans le domaine public en 2012 et personne n’a plus à passer sous les fourches caudines de Stephen Joyce, petit fils de James. « Fuck you, Stephen Joyce ! » titrait le Nouvel Observateur du 12 janvier 2012, reprenant la formule au très bon site Ubuweb qui l’avait lancée sur Twitter. L’affreux Stephen Joyce, à travers la société Joyce Estate mise en place pour faire valoir ses intérêts, s’est illustré durant des années (depuis les années 1980) par des abus répétés dans la manière dont il a utilisé ses droits sur l’oeuvre de son ancêtre. Il réclamait de l’argent aux universitaires ; il empêchait les projets d’exposition des manuscrits ; il a même détruit une partie de sa correspondance. Il a poursuivi en justice pendant 20 ans la chercheuse américaine Carol Schloss en l’obligeant à purger ses travaux sur la soeur de James Joyce, avant que celle-ci ne parvienne à obtenir gain de cause devant les juges. Last but not least, Stephen Joyce empêchait également que se déroule dans de bonnes conditions en Irlande le Bloomsday, à savoir le jour de commémoration de la vie de James Joyce, organisé pour lui rendre hommage tous les 16 juin. A cette occasion, les habitants de Dublin, où se déroule l’action d’Ulysse, revêtent des habits évoquant le début du 20ème siècle et parcourent les rues en récitant des passages du roman. Mais Stephen Joyce ne l’entendait pas de cette oreille et il n’accordait par exemple que des autorisations très restrictives pour les lectures publiques, qui bridaient les initiatives. Comment ne pas citer aussi cette hallucinante assignation en violation de copyright du généticien Craig Venter par Joyce Estate pour avoir utilisé une phrase du roman Portrait de l’artiste en jeune homme dans le codage de la séquence ADN d’une bactérie de synthèse. [2]
Un ayatollah de l’œuvre de James Joyce a été mis hors d’état de nuire avec le passage dans le domaine public.
Nota sur les droits d’auteur : La durée des droits d’auteur, aujourd’hui de 70 ans (c’est une directive européenne de 1996, qui l’a fait passée de 50 à 70 ans). Pour autant, les traductions sont considérées comme des « oeuvres dérivées » (produites à partir d’une œuvre préexistante) et bénéficient de leur droit d’auteur propre. C’est dire, par exemple, que la traduction d’Ulysse de Joyce, parue en 2004 chez Gallimard, va rester protégée pendant des décennies, quand bien même le texte original ait rejoint le domaine public en 2012. Même la traduction la plus ancienne, celle de 1929, devrait rester protégée jusque vers les années 2040, au vu des dates de décès des différents traducteurs qui ont collaboré pour l’établir.
La traductrice
Qui a osé s’affronter à cette montagne ? Reuters Shanghai nous le dévoile de la façon la plus développée. Le traducteur est une traductrice et s’appelle Dai Congrong. Professeur de littérature à l’Université Fudan de Shanghai, 41 ans. Cela lui a pris huit ans pour traduire le volume publié, au désespoir de son mari... Le pauvre devait s’occuper de l’enfant du couple pendant que sa femme s’occupait de Joyce.
« C’était triste et déprimant les deux premières années » déclare Dai Congrong qui poursuit : « J’ai également commencé à avoir des doutes sur le projet parce que j’avais passé deux ans sur le livre, mais pas encore un seul mot n’avait été traduit.
La recherche sur Joyce avait commencé pour Dai Congrong dans le cadre de son doctorat et quand plus tard ’un éditeur lui proposa de traduire Finnegans Wake, cette offre s’est avérée irrésistible, et elle a commencé. Les inventions de mots par Joyce l’ont conduit à multiplier la consultation de dictionnaires d’anglais dans diverses versions, la prise de notes sur chaque page du livre. Deux ans de préparation suivis de six pour la traduction proprement dite - entre les cours d’enseignement à l’université ainsi que l’accomplissement d’autres tâches universitaires. Il y avait aussi des obstacles à la maison. « Je dois prendre soin de mon jeune fils. Qui plus est, ma famille - surtout mon mari - ne soutenait pas mon projet », a déclaré Dai. « Il pensait que, malgré le temps et l’énergie dont j’avais besoin pour ce projet, cela ne rapporterait pas beaucoup d’argent parce que le livre est trop difficile pour une personne moyenne. »
Malgré tout, Dai trouvait des satisfactions dans ses travaux.
« J’ai bien aimé le moment où j’ai finalement trouvé la traduction exacte et appropriée d’un mot ou d’une phrase. Maintenant, je sais plus sur Joyce et la culture irlandaise," dit-elle."Je pense que pour Joyce en tant que personne il était difficile de s’entendre avec les gens ordinaires, mais je pense que c’est une personne formidable et de talent. »
Satisfaction aussi à travers les encouragements sur Sina Weibo, l’équivalent chinois de Twitter (en fait plus de commentaires sur son travail, que sur le livre lui-même) :
"Oh mon Dieu ! C’est admirable Dai Congrong ! Comment a-t-elle pu continuer à traduire un livre pendant huit ans ?" a écrit Zhenghua.
Lorsque son éditeur lui dit que l’édition initiale du livre de 755 pages avait été épuisée en trois semaines, cela lui a fait plaisir bien sûr, mais elle en était étonnée.
« En fait, les nouvelles étaient tellement incroyables que j’ai d’abord pensé que ce n’était pas vrai », a-t-elle dit. « Cela montre que nos compatriotes ont soif de culture et de savoir. »
Le travail de Dai labeur reste cependant loin d’être terminé, car seulement le premier tiers du livre a été traduit. Deux autres volumes sont prévus. « Même moi, je ne sais pas combien de temps il faudra pour terminer, at-elle ajouté. Mais je ferai de mon mieux. » [3]
Une petite idée du défi de lecture que représente Finnegans Wake ? Voici les premières lignes du roman... en version originale.
"riverrun, past Eve and Adam’s, from swerve of shore to bend of bay, brings us by a commodius vicus of recirculation back to Howth Castle and Environs. Sir Tristram, violer d’amores, fr’over the short sea, had passencore rearrived from North Armorica on this side the scraggy isthmus of Europe Minor to wielderfight his penisolate war."
- James Joyce. Par Donechaser
Comment le livre est-il reçu en Chine ?
Liu Wei, critique littéraire, déclarait dans un récent séminaire sur Finnegans Wake que le livre - dont l’intrigue reste ouverte à l’interprétation - mérite le respect.
« Les auteurs modernes ont en commun de s’être lancés dans des expériences textuelles ... au sein de ce groupe d’écrivains, Joyce est le plus inventif de tous », a-t-il dit, selon un relevé de notes en ligne.
Mais sur Weibo, Eudaimonus déclare « Ce travail n’est pas accessible à tous. Finnegans Wake est un livre pour les collectionneurs de livres et les critiques, mais pas pour les lecteurs ».
D’autres sont plus catégoriques encore, tel Jiang Xiaoyuan, professeur à l’Université Jiaotong de Shanghai : « Joyce devait être un malade mental pour créer un tel roman. »
Dai Congrong, la traductrice, avait prévenu en déclarant à Associated Press : « Je ne serais pas fidèle à l’intention originale du roman, si ma traduction était facile à comprendre. » On peut dire que son objectif est atteint, les lecteurs chinois sont tout aussi perplexes que ceux qui ont pu découvrir le livre en anglais originellement.
Comment expliquer alors ce succès relatif ? Pour l’éditeur, il ne faut pas minimiser l’importance du texte - ni sous-estimer la force du texte de James Joyce. La difficulté de lecture pourrait être en soi un des facteurs de réussite. « Il a la réputation d’être impénétrable, et les gens sont tellement curieux qu’ils veulent se faire une idée par eux-mêmes. Je suis certain que cela touche à l’universel, dans le monde entier. Cela ne révèle pas que les lecteurs chinois ont un goût supérieur. »
Le livre de James Joyce a toujours été considéré comme l’un des plus expérimentaux et impénétrables de l’univers du romancier. Entre les années 80 et 90, la demande de traduction de livres étrangers a littéralement explosé en Chine, avide de découvrir les oeuvres venues de l’étranger [4].
Joyce lui-même, qui a mis 17 ans à l’écrire, assurait que son récit a un sens très précis, que tous ses éléments, pour disparates qu’ils paraissent, sont liés. « Je peux justifier chaque ligne de mon livre », a-t-il déclaré.A un critique perplexe, il a dit : « S’il n’avait aucun sens, il aurait pu être écrit rapidement, sans réflexion, sans douleur, sans érudition ; mais je vous assure que [le seul chapitre I.8] m’a coûté 1200 heures de travail et une énorme dépense d’esprit. »
La traduction de Philippe Sollers
En forme de défi, Philippe Sollers aidé de Stephen Heath s’était lancé dans l’exercice en traduisant trois extraits du 17ème et dernier chapitre de Finnegans Wake (Joyce en a écrit un par an pendant 17 ans). Le résultat a été publié dans Tel Quel n°54, été 1973, puis repris dans l’Infini n°49-50, printemps 1995. En voici le début.
FINNEGANS WAKE, 17ème et dernier CHAPITRE. Premier extrait : « Sandhyas ! Sandhyas ! Sandhyas ! |
FINNEGANS WAKE, Premier extrait : « Sandhyas ! Sandhyas ! Sandhyas ! |
La traduction complète ici (pdf)
Voir aussi les commentaires associés sur pileface : Joyce de Tel Quel à l’Infini
Evocation de Finnegans Wake par Philippe Sollers
Dans une interview de Franck-Olivier Laferrère et Guillaume Chérel du 29 avril 2010.
Dans cette vidéo, Sollers parle de son roman Fleurs et évoque une trace des fleurs dans Finnegans Wake.
L’annonce de la publication de Finnegans Wake en Chine n’est pas passée inaperçue de Frank-Olivier Laferrère, il avait encore la voix de Sollers dans l’oreille et poste un tweet en forme de clin d’oeil. Ce tweet n’est pas resté sans réponse. Comme Joyce avait ses détracteurs, Sollers a les siens et serait sûrement prêt à prendre aussi tous ceux de Joyce pour la même gloire posthume, surtout en Chine.

Finnegans Wake
James Joyce (Auteur), Philippe Lavergne (Traduction)
923 pages
Gallimard (1997, édition Folio)
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2013/02/07/casse-tete-pourquoi-james-joyce-cartonne-en-chine/
A Chinese Translation of Finnegans Wake : The Work in Progress
Deux documents de référence :
Sur pileface "Joyce, de Tel Quel à L’Infini (I)"
Sur riverrun.free.fr, site dédié à Finnegans Wake, ne pas manquer son Etude sur Finnegans Wake (pdf).
[1] Bibliobs
[2] En mai 2010, le généticien américain Craig Venter s’est illustré en donnant naissance pour la première fois àune cellule « synthétique », dont le génome a été produit de manière artificielle par un ordinateur codant les cellules d’ADN.
Cette « créature » était en effet issue de l’ADN d’une bactérie très simple - Mycoplasma mycoides -, mais pour différencier leur oeuvre de synthèse de l’ADN original, Craig Venter et son équipe décidèrent d’introduire dans les séquences de code des éléments distinctifs, comme une sorte de « signature » : Craig Venter utilisa une citation, tirée de Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce, fort bien choisie au demeurant :
To live, to err, to fall, to triumph, to recreate life out of life.
Crédit : Aka Lionel Maurel (Calimaq) ]
[3] Crédit : Reuters Shanghaï
4 Messages
Merci de signaler ma tripolution
Cher Halphé MIHCEL, suis allé sur votre site et y ai trouvé ce chapitre qui peut éclairer votre démarche pour nos lecteurs.
Pour les goûteux du charivari des mots, signalons aussi une « Trashédie gommique », reprise des Jeux de l’amour et du hasard de Marivaux
Pourquoi j’ai traduit Finnegans Wake ?
FINNEGANS WAKE,
17ème et dernier CHAPITRE.
Premier extrait :
Sandhyas ! Sandhyas ! Sandhyas !
Appel à toutes aubasses ! Appel à toutes aubasses au jour daigne. Arroi ! Surrection. Eireweeker à tout ce fwohltu blyndu monde. O rally, O rally, O rally ! Phlenxty, O rally ! A ce que vie comme thyne de l’oiseau barde être. Psyche toi tant d’ilémamant. P’haze la mer Est vers l’Osséanie. Ici ! Ici ! Tass, Patt, Staff, Woff, Havv, Bluvv et Rotteur. La brume s’envoie en air. Et déjà le viétilhomme du viétilhomme s’est redieu ressai dès autretemps pour litanier les bonnamours. Sonne fine, somme foihn avaunt ! Gule de mots de ningue, ave vous viusé Pier s’aube ? Il yaars tis ans agon a pris le thian puisqu’on mainte n’en a fusilité d’orthre. Appel à tous jurstes. Appel à tous jurstes de s’auber. La vieille cloutue sucrée culminauté des natiures à Foyn MacHooligan. Toi leader, toi leader ! Securest jubilends albas Temoram. Clogan slogan. Secoue toi, faible pénombre, tralève le tralala pour henroué ! Et que Billy Feghin sorte se baallader de son humuluation. Confindention aux joursins. Nous avons les plus hautes gratifications à annoncer au plus pieutre du plublikumst des pratyuseurs praticians, genghis se gourre foiriou.
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