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Matisse au Centre Pompidou : d’une exposition à l’autre

Visite guidée

D 4 février 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


2020-2021, c’est l’exposition « Henri Matisse, comme un roman », au Centre Pompidou, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de l’artiste, et nous vous en proposons une visite guidée par Aurélie Verdier, conservatrice au Centre Pompidou et commissaire de l’exposition.

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En 2012, c’était l’exposition « Matisse : paires et séries » qu’accueillait le Centre Pompidou.
D’où le titre de cet article et l’ajout de cette partie I en complément du reportage de 2012.

Partie I - Visite exclusive de l’exposition Matisse 2020/2021| Centre Pompidou .
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À l’occasion du 150e anniversaire d’Henri Matisse, le Centre Pompidou rend hommage à l’un des plus importants artiste du XXe siècle à travers l’exposition « Matisse, comme un roman ».
Du 21 octobre 2020 au 22 février 2021.


Catalogue de l’exposition
Henri Matisse, « La Blouse roumaine », 1940. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Don de l’artiste à l’État, 1953 © Succession H. Matisse Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / G. Meguerditchian / Dist. RMN-GP
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Avec plus de 200 œuvres et documents provenant autant de la riche collection matissienne du Musée national d’art moderne que de grandes collections nationales et internationales, cette exposition retrace la carrière de l’artiste selon un parcours chronologique, de ses débuts vers 1890 au contact des maîtres pendant lesquels il élabore progressivement son propre langage pictural, jusqu’au début des années 1950.

Le catalogue de l’exposition emprunte les codes de l’édition d’Henri Matisse, roman de Louis Aragon, et se déploie autour de cinq essais et d’une ample chronologie / anthologie illustrée et enrichie de nombreuses citations et documents inédits, afin de « bâtir le roman » du peintre Matisse et de son œuvre, à la manière d’une biographie. La monographie est complétée par un petit cahier de reproductions de la revue Verve à laquelle l’artiste a activement contribué.

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La visite guidée

Pour nous faire patienter pendant le confinement, le musée a mis une visite en ligne.

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L’exposition « Matisse, comme un roman », est riche de plus de deux cent-trente œuvres et soixante-dix documents et archives. « L’importance d’un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu’il aura introduits dans le langage plastique », déclarait Matisse. Sa vie durant, il a été ce novateur décisif.

L’exposition raconte en 9 chapitres la façon dont la littérature agit comme un terreau créatif pour le peintre. Cette exposition, c’est sa vie, racontée comme un roman. De ses débuts en 1890 aux années 1950, chaque période de sa vie est coupée par une interlude littéraire, nous rappelant ainsi l’origine de certaines oeuvres, ses liens avec de grands auteurs, à l’instar de Mallarmé, dont ses poèmes furent illustrés par Matisse, ou encore de Louis Aragon, auteur d’Henri Matisse, roman.


Dans les salles de l’exposition -
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Ce n’est pas seulement la littérature en tant que telle qui est mise à l’honneur dans la création du peintre. Cette exposition met aussi en lumière la façon dont le langage pictural du peintre change, comment ses mots de peinture s’adaptent aux changements, tant intimes que sociaux. Elle donne ainsi une dimension complète pour revoir les chefs d’oeuvre de l’artiste, mais aussi des projets avortés, des tentatives, des oeuvres inédites  !

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Le catalogue

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Partie II – Autour de l’exposition "Matisse : paires et séries" au Centre Pompidou de 2012 .
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Matisse ? « Trop contemplatif... ». C’est ce que déclare Philippe Sollers interviewé par Valérie Duponchelle du Figaro à l’occasion de l’exposition "Matisse : paires et séries" au Centre Pompidou, jusqu’au 17 juin. 2012.


...Quoique enchantement, couleur, calme et volupté soient aussi au programme :

Matisse est un enchantement permanent. Il a su dessiner dans la couleur de façon unique. Mais je ne trouve jamais quelqu’un dans sa peinture si figurative, dans ses femmes fondues dans le décor, enveloppées dans leur atmosphère, dans ce confort de l’oeil qui n’est que luxe, calme et volupté.

Qu’en disait aussi Sollers en d’autres temps ?

GIF Dans La Guerre du Goût

Picasso et Matisse ont déclenché la peinture américaine (Pollock, De Kooning, Rothko), mais cette dernière est-elle allée plus « loin » qu’eux ? Eh non, tout le monde le sait, mais c’est une vérité qui blesse le grand fantasme new-yorkais : table rase et nouveau calendrier à partir de 1939. Maintenant, Guernica, à Madrid surplombe le Prado, et il s’agit d’une des plus grandes victoires de l’art sur la guerre, la politique, l’idéologie, la démence humaine. [... et] au MOMA, cet autre symbole du renouvellement des formes : Les Demoiselles d’Avignon (que je suis allé voir presque tous les jours pendant trois mois). [...]

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Matisse, chapelle du Rosaire de Vence

La chapelle de Matisse à Vence. Pour l’étude de la chapelle de Vence, comme « synthèse » de l’oeuvre de Matisse, voir : Marcelin Pleynet, Henri Matisse [1]. Deux défis conscients à l’art « moderne ». Une désorientation exorciste et volontaire du Temps.
La Guerre du Goût/Un Français à New York (Folio, 1996 p.71-72)



[Hôtel Biron-Rodin à Paris] C’est ici, et ici seulement, qu’on étudie de près la Luxure. Laissez-vous enfermer dans le Musée la nuit. La tour Eiffel et les Invalides vont vous chuchoter dans l’ombre des tas de bruits vénéneux et crus. Le Serpent est là. Le Paradis perdu, on va vous expliquer pourquoi il peut être retrouvé à l’envers. Dante ? Milton ? Il suffit pour les radiographier de prendre la matière en main, sans dérobade. Rodin se dévoue. Il a vu. [...] Ces incisions positives sont là pour dégager la très précieuse substance interdite, l’hormone auto-érotique qui donne droit à la consommation immédiate de l’ensemble des femmes possibles valant pour tous les autres corps dressés, modelés, fondus.
Le vieux Rodin ? Le vieux Picasso ? Le vieux Matisse ? Les voici en train de casser la loi des lois, le préjugé biologique. Ils n’ont jamais été plus jeunes, ou plutôt : la jeunesse satyrique ne s’obtient que par cette délégation d’une énergie enfouie, sans âge, au crayon, au pinceau. [...].. « Un dieu, dit Épicure, est un animal indestructible et heureux. » Rodin, comme après lui Picasso et Matisse, sait pourquoi et comment il est devenu très tard un animal indestructible et heureux.

La Guerre du Goût/Le secret de Rodin (Folio, 1996 p. 113-114)

GIF Dans Eloge de l’Infini

Ce pavé de 1160 pages (Folio), la suite de La Guerre du Goût, Matisse est cité 20 fois mais aucun article ne lui est consacré.
Notons toutefois :

[A propos de De Kooning ] La femme la plus épouvantable reste désirable et comique (leçon de Picasso), l’ "autre côté de la nature" est une signature en couleurs (aisance de Matisse).
Eloge de l’Infini/Adieu au vingtième siècle (Folio, 2003, p.341)


Picasso, le grand héros du vingtième siècle [2] [...] Si Picasso vous fatigue, reposez-vous avec Matisse, mais n’oubliez pas d’enregistrer la leçon de détachement de Marcel Duchamp ou d’Andy Wahrol.
Eloge de l’Infini/Adieu au vingtième siècle (Folio, 2003, p.704)

Diaporama, Matisse, 2012
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Les Nus bleus et l’érotisme de Matisse par Marcelin Pleynet

François Legrand [3] :. : Que révèlent alors les Nus bleus de l’érotisme de Matisse ?

Marcelin Pleynet : Évidemment, Matisse n’a plus l’âge qu’il avait lorsqu’il a peint le Nu bleu, souvenir de Biskra. Les Nus bleus de la fin sont beaucoup plus dans le charme, même s’ils sont « découpés à vif dans la couleur », que dans la violence érotique, ce qui bien entendu ne les écarte pas, bien au contraire, de l’espace d’une intelligence sensuelle propre à l’ ?uvre de Matisse. Ils sont souvent trahis par la reproduction. Les nus bleus doivent être pris en considération avec les traits au crayon qui les accompagnent. Ces gouaches découpées accompagnent un dessin très singulier qui produit une profonde ambiguïté spatiale. Les photos d’Océanie, le ciel, Océanie, la mer créent un effet similaire. Aux murs de l’atelier du Bd. Montparnasse, Matisse les accroche en angles. Ils ne sont pas frontaux, ils suivent l’angle du mur ; de telle sorte que ces ?uvres sont autour de vous lorsque vous les considérez ainsi disposés dans l’espace.


Matisse, Nu bleu souvenir de Biskra
cliquer l’image

On retrouve ce même phénomène avec les papiers découpés de la fin. En angle au-dessus d’un radiateur, La Perruche et la sirène devient une oeuvre in situ. Si vous regardez l’atelier de Nice, tel qu’il a été de nombreuses fois photographié, vous constatez que Matisse confère un caractère cinétique à ses grandes gouaches découpées ; loin de former des pièces uniques, elles s’enchaînent les unes les autres. Qui plus est, les papiers découpés au ciseau ne produisent pas une ligne pure et tranchante. Ils sont découpés dans l’espace et se constituent de la ligne souple et inégale qui produit un dynamisme du trait et des surfaces par rapport au fond. C’est encore la troisième dimension. Matisse crée un espace singulier et sensuel qui ne renvoie qu’à lui-même tant il reste irréductible à toute norme moderniste de surface comme à toute perspective rationaliste académique. L’art de Matisse échappe par essence à la norme. Il faut toujours avoir à l’esprit cette phrase de Matisse, prononcée lors de l’inauguration du musée du Cateau en 1952 : « L’art a toujours été quelque chose d’étranger à ma vie d’homme normal ». Une semblable déclaration mérite la plus grande attention.

*

F. L. : Matisse serait-il le peintre de l’art d’aimer  ?

M. P. : Quand Matisse écrit « Qu’y a t-il de plus délicieux que l’amour quand on sait en user comme le feu, l’eau, l’air et la mer, et ne pas exagérer les responsabilités de celles qui les provoquent », on n’est pas très loin de la phrase de Lacan : « il n’y a pas de rapports sexuels » mais il y a une jouissance. L’art de Matisse ne cesse de signaler cette jouissance. Et cette jouissance n’est pas une platitude, elle a vraiment trois dimensions, dans une âme et dans un corps. Ne voulant pas savoir ce qu’il en est du corps d’une femme, notre époque ne veut pas savoir ce qui constitue l’essence même de l’oeuvre de Matisse, la volupté. Alors vous avez des expositions sur Matisse et les tissus, Matisse et les arbres, mais jamais, du vivant et depuis la mort de Matisse, d’expositions sur Matisse et les femmes, ce qui vous laisse imaginer l’épaisseur du refoulement.

Dans une lettre de 1947, Matisse écrivait pourtant à Rouveyre : « En écoutant une cordoba d’Albéniz, je me demande pourquoi nous ne sommes pas tous deux en train de pivoter sur le nombril de savoureuses gitanes », Autrement dit, la couleur matissienne est chargée d’un érotisme musical traversant un corps. D’où le rapport très particulier de Matisse au corps de ses modèles. Chez Matisse, ça se passe toujours avec un modèle. Le modèle « est pour moi un tremplin, une porte que je dois enfoncer pour accéder à ce jardin où je suis seul et si bien ». Une lettre à Camoin, je crois, évoque cette autre interpénétration amoureuse : « Pour bien peindre une huître, il faut avoir le goût de l’huître dans la bouche ». Pour bien peindre une femme ... C’est en cela que Matisse est un contemporain du XVIIIe siècle, de la liberté libre du XVIIIe siècle. Son intelligence sensible en fait le grand peintre du sentiment amoureux.

*

F. L. : Henri Matisse, film réalisé en 1946 par le cinéaste François Campeaux, montrait au ralenti l’« étrange voyage » de la main de l’artiste avant que le crayon ne touche le papier ou le pinceau la toile. Comment expliquer le trouble de Matisse lors de la vision de cette séquence  ?

M. P. : Dans tout fini d’une réalisation, il y a l’infini de l’oeuvre. Ce suspens va devenir très clair, si vous imaginez que cet acte est un acte de jouissance. Matisse y revient constamment. Dès que le crayon touche le papier, il se passe quelque chose dans le corps tout entier qui passe par la main. Mais cela, il ne s’était jamais vu le faire. Le voyant, il se sent mis à nu. C’est encore plus évident avec les papiers découpés : l’ambiguïté propre à l’espace matissien relève des ambiguïtés de sensations propres à ce que je dirais un espace rapproché. Quand il travaillait avec son modèle, Matisse aimait que ses genoux touchent les genoux du modèle. Le modèle est toujours très près. Or un espace rapproché transforme sensuellement et concrètement la figure et le trait. La sortie de la métaphysique - qu’incarne au plus au point l’art de Matisse - c’est la fin d’un espace idéaliste et transcendant, et l’entrée dans un espace étroitement et existentiellement rapproché au monde.

Matisse, une seconde vie (extraits)
L’Infini n°92 (Automne 2005),
Une version de l’entretien a aussi été publiée dans Beaux-Arts magazine ( mars, 2005).

Matisse, l’art de la répétition

Par Valérie Duponchelle [4]

GIF Quel « Luxe » !

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Le Luxe I, Collioure, été, 1907, huile sur toile, et Le Luxe II, Paris, hiver 1907-1908, détrempe sur toile.

Stylisé, plein comme la pierre et monumental comme une sculpture grandeur nature, Le Luxe II (1907-1908) est un tableau si important dans l’oeuvre de Matisse qu’il est lié directement à deux de ses icônes : La Danse II (1910), trésor du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, et L’Atelier rouge (1911), trésor du MoMA à New York, qui inspira Rothko dans sa série rouge sang du Seagram Building. Ce Luxe II, Matisse l’a d’ailleurs représenté, tableau dans le tableau, comme l’oeuvre maîtresse de L’Atelier rouge peint à l’automne 1911, comme de L’Atelier rose peint au printemps (Musée Pouchkine, ancienne collection Serguei Chtchoukine). La même cimaise marie ici les deux versions comme les deux réponses à une recherche formelle. Le Luxe I (1907), tout en touches suaves que permet la peinture à l’huile, seins roses de la déesse, dos vert amande de la servante qui lui essuie les pieds, mauve de l’horizon qui oscille entre le gris doux et l’amorce du vert céleste (Centre Pompidou). De format, de sujet et de composition identiques, Le Luxe II est une détrempe sur toile peinte au retour d’Italie, sous l’influence de Giotto, une technique qui accentue la matité des à-plats très secs. Le dessin continu et tonique souligne cette platitude lisse de la matière picturale, ce hiératisme volontaire des formes, et crée une modernité étonnante pour 1907. Le collectionneur Johannes Rump pensait avoir acheté le premier en 1917 et fut décontenancé par le second. C’est aujourd’hui une des gloires du Statens Museum for Kunst de Copenhague.

GIF Matisse, l’art de la répétition

En confrontant les toiles soeurs du « peintre inquiet du bonheur », le Centre Pompidou décrypte son processus créatif.

Peindre, qu’est-ce que cela veut dire ? La réponse vous attend chez Matisse, univers de mesure qui respire la joie, la simplicité et la volupté, et qui se révèle une construction obstinée de la main et de l’oeil. Plutôt qu’une énième célébration du « peintre du bonheur » adoré de tous (4,27millions de réponses sur Google !), le Centre Pompidou s’est lancé sur la piste de la création. Comment l’esprit vient-il au peintre ?

Comme toute discipline qui vise la perfection et le renouveau, il se débusque par la recherche incessante, la critique et la répétition, répond cette exposition conçue d’emblée avec un angle. L’essai pictural en seulement 60 tableaux et 40 dessins est un vrai antidote à la surdose souvent de mise. Vu les tableaux de légende mis en couple pour étayer l’hypothèse, la leçon d’histoire de l’art a tout de la promenade sur l’Olympe.

Scénographie aérée

« Pour une étude préliminaire, j’utilise toujours une toile de même taille que celle destinée au tableau définitif, et je commence toujours par la couleur, confiait Henri Matisse à la journaliste américaine Clara MacChesney, en visite dans son atelier d’Issy-les-Moulineaux en juin 1912. Je ne retouche jamais une étude ; je prends une nouvelle toile de la même taille, comme il m’arrive de changer un peu la composition. Mais je m’efforce toujours de rendre le même sentiment tout en allant plus loin. Une toile devrait toujours, selon moi, être décorative. Quand je travaille, j’essaie de ne jamais penser, seulement de sentir. »

La parole de l’artiste allège la visite qui s’abstient d’une avalanche de textes explicatifs. La scénographie est aérée, la couleur dosée comme un indice. Il suffit de regarder. Les tableaux s’éclairent mutuellement. Ils se ressemblent parfois aussi peu que des frères comme ces trois Pont Saint-Michel à Paris, peints autour de 1900 : ils semblent être de la main de trois peintres différents.

Quand Matisse peint au printemps 1914 son Intérieur, bocal de poissons rouges, le soleil irradie le quai Saint-Michel de sa lumière de fin d’après-midi (Centre Pompidou). Quand il y revient à l’automne 1914 via Poissons rouges et palette, la mobilisation a été décrétée le 1eraoût, dans une France en pleines moissons. Le noir a envahi la composition, l’homme ne s’y lit plus qu’à travers un code formel, la douceur des jours s’est évanouie, la nature morte mérite son nom. C’est l’une des gloires du MoMA de New York.

Un petit rien qui change presque tout. Là encore, la confrontation des deux huiles sur toile est une exploration en direct d’un esprit qui crée, contemple et invente encore. À l’été 1912, Matisse peint une nature morte dans son atelier d’Issy-les-Moulineaux. Une chaise en bois avec un coussin en tissu, un vase de capucines posé sur une sellette de sculpture. En arrière-plan, La Danse : la première version (1909), toute bleu azur, herbe émeraude et chair douce aux accents nacrés, enivre les visiteurs du MoMA ; la seconde (1910), vigoureuse, tonique et fauve à la chair orangée, ceux de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. En reprenant ces Capucines à la danse même composition et même format, il se décale légèrement sur la droite, petit rien qui change presque tout. La chaise au premier plan devient une demi-abstraction, la sellette une peinture en 3D que met en relief l’utilisation inversée du rose et du vert. Les danseurs à la carnation intense sur ce bleu plus dense jaillissent du mur. L’examen aux rayons X de la seconde version montre qu’elle ressembla d’abord beaucoup à la première, avant d’évoluer vers une audacieuse liberté synonyme de modernité affirmée. Les historiens évoquent la visite du Russe Chtchoukine dans l’atelier d’Issy-les-Moulineaux et la confrontation de ces nouvelles Capucines avec Conversation et Coin d’atelier, tout en intensité chromatique et en diagonales, dans la salle à manger du collectionneur. L’ ?il fait l’artiste qui en tira sa leçon.

GIF La vie en bleu -

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Nu bleu III, 1952
papiers gouachés découpés et collés sur papier blanc marouflé sur toile.

Il y a de l’éblouissement dans l’air lorsque s’achève cette promenade matissienne devant la série des Nu bleu I, II, III et IV, réalisée à l’hôtel Regina de Nice au printemps 1952. Grâce à cette exposition négociée au sommet dans le cercle fermé des plus grands musées du monde, voici une parentèle rarement réunie qui vaut toutes les leçons de peinture. Le Nu bleu I, stylisé à l’extrême comme l’acrobatie d’une danseuse, vient de la Fondation Beyeler à Bâle. Les Nu bleu II et Nu bleu III ont la rondeur féminine des Tahitiennes aux gorges pleines, galbe souligné de vide par le seul jeu du ciseau. Elles sont des déesses modernes du Centre Pompidou depuis 1984 et1982. Enfin, le Nu bleu IV ne mérite pas son numéro, car il est celui qui a donné naissance, par sa gestation complexe des volumes, à tous les autres. Le Musée Matisse de Nice a prêté cette merveille qui démontre le travail pensé et soupesé de Matisse. Le peintre procède à un collage très étudié de papiers gouachés et découpés pour obtenir ses à-plats monochromes et le mouvement réduit à son essence. Les traits au fusain courent sur la feuille de papier (102,9 × 76,8cm). L’élan spontané comme un jeu d’enfant qui anime les trois autres nus bleus est, en fait, la somme d’une recherche expérimentale rigoureuse.

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Le Rêve, 1935. Henri Matisse
© Succession H. Matisse. CNAC/MNAM Dist. RMN.

Matisse l’audace tranquille

Véronique Prat [5]

De la période fauve des débuts aux dernières gouaches découpées, l’exposition que le Centre Pompidou consacre à Matisse livre une nouvelle vision de l’oeuvre du peintre. Visite en avant-première.

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Le Rêve, 1940 Henri Matisse

Un nouveau Matisse apparaît dans ces pages : un maître qui revient sur le même motif pour explorer de nouveaux processus créatifs (« Le Rêve », 1940, exceptionnellement prêté par une collection privée).

« Un fruit éclatant de lumière, comme une orange... » C’est ainsi que, en 1918, Apollinaire décrit l’oeuvre de Matisse. Près de quarante ans plus tard, quand le maître barbu, le vieux sage dionysiaque mourra à Cimiez, sur les hauteurs de Nice, après quatre-vingt-cinq ans d’existence et soixante-deux ans de perfectionnement obstiné, cette définition n’aura pas vieilli.

Pourtant, ce n’est pas en France que Matisse suscite le plus d’enthousiasme.

En Russie, il fut accueilli de son vivant comme une sorte de prophète de l’équilibre. Aux Etats-Unis, il est tout de suite vénéré dans la haute bourgeoisie de New York et de Philadelphie où il occupe une place de choix.
En France, c’est peut-être justement ce classicisme que les étrangers louent en lui qui nous refroidit. Comparés à Matisse, Chagall a trop d’imagination débridée, les expressionnistes, trop de goût pour la caricature, Schiele ou Kokoschka, trop de hantises maladives, Picasso, trop d’audace et d’ostentation, Miró, trop de volatilité.

GIF L’exposition ira au-delà du traditionnel parcours chronologique

Matisse, lui, rassure. Aux yeux des esprits solides, il est le peintre de la mesure et de la lumière, de la clarté et de l’acceptation de soi sans jamais une ombre de pathos ni la moindre concession au mystère. Cette vie apparemment si paisible semble avoir fini par lasser les biographes.
Qu’en est-il vraiment ? L’exposition qui débute dans quelques jours au Centre Pompidou ira au-delà du traditionnel parcours chronologique des oeuvres. Et au-delà des habituels clichés pour révéler un nouveau Matisse. Cette rétrospective,qui sera une fête pour les yeux, s’attache en effet à l’un des aspects les plus singuliers de l’oeuvre du maître, la répétition fréquente d’un même sujet qui, par ses interrogations, ses revirements, ses ruptures, ses conquêtes permet au peintre d’explorer de nouveaux processus créatifs, remettant chaque fois en cause ses avancées plastiques, contribuant à une réflexion profonde sur la forme.

Pour cela, l’exposition rassemble une sélection exceptionnelle de chefs-d’oeuvre empruntés à des collections publiques et privées souvent réunis pour la première fois depuis l’époque de leur création (Capucines à la danse, version I, New York, et version II, Moscou). Ces ricochets formels placent le spectateur au plus près de la réflexion du peintre. On le suit alors qu’il avance à tâtons, sans se payer de mots, creusant peu à peu les problèmes de la peinture, à la recherche de son propre langage. Soudain, cette confidence qui résume son travail : « Chaque nouveau tableau est un vertige. Je n’ai jamais commencé une toile sans avoir le trac. »

GIF Matisse n’est pas né peintre en 1869

Proche du « Rêve », « La Blouse roumaine », 1940, révèle les avancées de l’artiste, qui creuse les problèmes de la peinture à la recherche de son propre langage. Matisse, c’est aussi cela : la quête continue d’une harmonie d’ensemble.

Matisse n’est pas né peintre en 1869. Contrairement à Picasso qui, tout enfant, sait déjà dessiner, la vocation du futur champion du fauvisme bégaie. A 23 ans, il a une tête de médecin de famille, des yeux de myope et une barbe rousse. A Montparnasse, racontera Vlaminck, on l’appelait « le toubib ». D’abord clerc de notaire, il ne fréquente pas les musées. C’est une crise d’appendicite aiguë qui l’amènera à la peinture : pendant sa convalescence, il observe son voisin de chambre qui passe le temps en copiant des chromos.

Fasciné, Matisse réclame une boîte de couleurs et se met lui aussi à dessiner. Il n’arrêtera plus. Durant une année, il tente de convaincre sa famille de le laisser entreprendre des études artistiques à Paris. Exaspéré, son père finit par céder et lui lance, sur le quai de la gare : « Puisque tu tiens à mourir de faim ! » Les quinze années qui suivent ne sont pas faciles pour Matisse qui échoue à l’examen d’entrée aux Beaux-Arts.
Grâce à l’intervention de Gustave Moreau, il est tout de même admis comme auditeur libre. Quand il sera enfin reçu Quai Malaquais, ce sera 42e, il a déjà 25 ans...

Mais il y a les amis : Matisse se lie avec Marquet et Rouault, se laisse endoctriner par Signac, qui est devenu, depuis la mort de Seurat, le chef de file du néo-impressionnisme. Il le suit jusqu’à Saint-Tropez, alors petit port inconnu et désert où Signac loge dans sa grande bâtisse familiale toute une colonie de peintres « pointillistes ».
C’est là que Matisse peint, en 1904-1905, Luxe, calme et volupté. Mais Matisse est trop esthète, trop artiste pour se plier longtemps à la discipline de Signac. L’été 1905, il s’installe à Collioure aux côtés de Derain. Là, sa touche s’agrandit, sa couleur se libère : les toiles qu’il peint annoncent l’explosion du fauvisme. Désormais, la couleur n’a plus mission d’être fidèle au sujet.
Elle vaut par elle-même. Au-delà de la fidélité littérale, elle a sa propre force symbolique. Au tournant de la guerre, le fauvisme s’efface devant une nouvelle révolution, le cubisme, qui, depuis 1911-1912, domine toute l’avant-garde parisienne.

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Capucines à la danse I et Capucines à la danse II, Issy-les-Moulineaux, printemps-début été 1912, huiles sur toile.

GIF Insensible à toutes les avant-gardes

Comme le montre très bien l’exposition du Centre Pompidou, ce que Matisse prend au cubisme (Intérieur, bocal de poissons rouges, Poissons rouges et palette), c’est une méthode d’organisation des plans colorés, rien de plus. C’est peu. D’autres peintres auraient sans doute sauté le pas. Insensible à toutes les avant-gardes qui s’agitent autour de lui, Matisse n’en épouse aucune. Le violent fauvisme de Vlaminck, le cubisme de Braque et de Picasso, le futurisme de Balla ou de Boccioni, l’onirisme de Chirico sont incapables de le détourner de ce réel légèrement transcendé qui est son univers.

Il semble que Matisse soit à l’orée d’un monde plus rêveur ou plus trouble, mais qu’il refuse de s’y aventurer. Il est un peu comme Claudel en littérature : il ne cède pas aux tentations fallacieuses. En 1916, il quitte Paris pour Nice, où, tout de suite, il se sent chez lui : « Quand je compris que chaque matin je reverrais cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur. » Le bonheur, ce sera en effet son sujet pendant dix ans : fenêtres ouvertes sur une douce clarté, odalisques, vastes ateliers qui, comme le sien, sont transformés en volières où s’ébattent des pigeons et des colombes blanches parmi de grandes plantes vertes, des masques nègres, des sta


[1(La Manufacture, 1988 et Folio Essais, n° 215, 1993.)

[2Ph. Sollers se fait de l’autopromotion : « Picasso le héros » est le titre de l’ouvrage que Sollers lui a consacré

[3Matisse, une seconde vie. Entretien avec Marcelin Pleynet in L’Infini n°92 (Automne 2005), aussi publié dans Beaux-Arts magazine, mars, 2005, (extrait)

[4Le Figaro 09/03/2012

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