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Centenaire de la naissance de Jean Paul II : so what ?

Le pape Jean Paul II (1920-2005) dans les romans de Sollers

D 17 mai 2020     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le pape Jean-Paul II est né le 18 mai 1920 à Wadowice, en Pologne. Le pape émérite Benoît XVI, retiré dans les jardins du Vatican, a publié une lettre Pour le centenaire de la naissance du saint pape Jean-Paul II. Le pape François célébrera la messe lundi matin à 7 heures sur la tombe même du pape polonais, dans la basilique Saint-Pierre. En Italie, les messes en présence des fidèles, suspendues pendant le confinement, reprendront à partir du 18 mai.


Saint-Pierre de Rome.
Photo A.G., 28 juin 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Jean Paul II est un « saint » : so what ?

27 avril 2014.

Le vrai sujet

« En l’honneur de la Sainte Trinité, par l’exaltation de la foi catholique et l’accroissement de la vie chrétienne, avec l’autorité de Notre Seigneur Jésus Christ, des saints apôtres Pierre et Paul, après avoir longuement réfléchi, invoqué plusieurs fois l’aide de Dieu et écouté l’avis de beaucoup de nos frères dans l’épiscopat, nous déclarons et définissons saints les bienheureux Jean XXIII et Jean-Paul II, et nous les inscrivons dans le catalogue des saints et établissons que dans toute l’Église ils soient dévotement honorés parmi les saints ».

C’est par cette formule prononcée en latin, langue de l’Église catholique, que le pape François, très grave et, manifestement, très ému, a « déclaré » et « défini » saints le pape polonais Karol Wojtyla (1978-2005) et le pape italien du Concile Vatican II, Angelo Giuseppe Roncalli (1958-1963), le dimanche 27 avril à 10h30.

Jean XXIII et Jean-Paul II, deux papes canonisés le même jour. François et Benoît XVI, deux papes célébrant ensemble la messe de canonisation ce 27 avril... On dira ce qu’on voudra, c’est un double événement dont la force symbolique mondiale dépasse largement l’ordre spectaculaire. Où sont les intellectuels, les écrivains pour dire de quoi il s’agit ? Aux abonnés absents. Sauf un, peut-être... (A.G., 27 avril 2014, 15h)

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De la double canonisation qui vient d’avoir lieu à Rome, je retiens les deux reliquaires embrassés par le Pape François et dans lesquels vous êtes tenus de penser que sont présents deux fragments terrestres de deux saints désormais au Paradis céleste. Tout le reste est anecdotique et échappe à tout le monde comme aux caméras.
Rien à ajouter, et bonne soirée.

Philippe Sollers
Venise, dimanche 27 avril 2014, 19h30

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Vous aurez reconnu le début du Gloria de Vivaldi dans une interprétation particulièrement allègre. C’est le plus célèbre des trois « Gloria », connu sous le simple nom de « Gloria de Vivaldi » (RV 589). Il a été composé par le prêtre roux alors qu’il exerçait à la Pietà de Venise au début des années 1700.
Vous aurez aussi remarqué que Sollers ne vous demande pas de « croire », mais de « penser ».

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Rome, le 24 avril 2014.

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Le temps du discernement

26 avril 2014.

J’ai écrit l’article que vous lirez plus bas le 1er mai 2011, le jour où Jean Paul II a été déclaré « bienheureux » par le pape Benoît XVI. Je l’actualise (en changeant le titre) au moment où Jean Paul II est déclaré « saint » par le pape François en même temps que le pape Jean XXIII qui fut, lui, béatifié par Jean-Paul II à l’occasion du Jubilé de l’an 2000 [1]. Le blog d’un journal du soir titre : Jean XXIII et Jean Paul II : des canonisations prématurées ? :

L’un fut un homme humble qui ouvrit une Église catholique romaine sclérosée aux vents porteurs de la modernité et de l’œcuménisme grâce à l’aggiornamento (« mise à jour ») issu du concile Vatican II (1962-1965) ; l’autre fut un insatiable et charismatique globe-trotteur de la foi, qui regarda en face la chute du communisme.

Et de s’interroger, presse américaine à l’appui :

Bien que la popularité des deux ex-souverains pontifes ne soit nullement remise en cause, certains jugent pourtant que ces canonisations, fruits d’une procédure complexe, sont prématurées, voire déplacées, observe le Washington Post. Car si la canonisation de Jean XXIII, surnommé « le bon pape », est peu contestée, celle de l’ancien pape polonais, mort le 2 avril 2005, nourrit quelques crispations. Non pas que son « courage » et sa « grande humanité » soient niés, mais d’aucuns lui reprochent a posteriori un manque de combativité face au fléau de la pédophilie (New York Times, USA Today) et une « rigidité doctrinale » de mauvais aloi (The Huffington Post). Les détracteurs de Jean Paul II lui reprochent notamment une trop grande concentration du pouvoir et sa sévérité avec les théologiens dissidents, notamment ceux de la théologie de la libération [2].

Questions redoutables qui ne peuvent pas cependant éclipser l’importance géopolitique et théologique du pontificat de Jean Paul II (Lire le livre d’Antoine Guggenheim, Pour un nouvel humanisme - Essai sur la philosophie de Jean-Paul II, 2011 [3]).

Pourquoi revient-il aujourd’hui au pape François, un Jésuite d’Amérique latine [4] de canoniser à la fois Jean XXIII et Jean Paul II ? S’agit-il simplement pour lui de « réconcilier les conservateurs et les libéraux » de l’Église catholique comme on le lit ici et là ? De « tourner une page » [5] ? De bousculer les repères ? D’être, à sa manière, « absolument moderne » ? Le débat est ouvert.
Dans l’entretien publié récemment par la revue Études [6], François dit du temps du « discernement » :

Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement. Parfois au contraire le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois. »

A propos de la « stratégie » du pape François, écoutez Le pape doit-il être moderne ?, une émission d’octobre 2013.

Avec :
Paule Masson, éditorialiste à l’Humanité
Olivier Bobineau, sociologue des religions
François Euvé, rédacteur en chef de la revue Études
Antoine Guggenheim, directeur du pôle recherche au Collège des Bernardins

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Crédit : France Culture

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Sur l’importance du pontificat de Jean XXIII [7], vous pouvez relire Vatican II : l’effet de la cure, l’entretien de Philippe Sollers avec Michel Crépu qui date de 1985.

«  Le problème de l’évaluation du temps à partir de la Seconde Guerre mondiale est encore en cours. Je veux dire par là que quarante ans, pour la fin de cette guerre, c’est très peu de chose et que, étant donné l’effondrement qui s’est produit là dans ce creuset, on est probablement au tout début aujourd’hui d’une évaluation du noeud de l’événement. Sur tous les plans.
Alors si on attaque la question religieuse occidentale, il est bien évident qu’on est soumis à une double interrogation. D’une part, les effets de la Seconde Guerre mondiale sont à peine en cours et, d’autre part, les effets d’un concile comme celui de Vatican Il sont eux aussi en cours ; à peine, je dis bien à peine... Au fur et à mesure que le temps va passer, je crois que beaucoup de spéculations, de vagues et de réactions vont se trouver petit à petit périmées.
L’histoire nous enseigne que les effets d’un concile catholique ne sont pleinement appréciables, visibles, qu’avec un certain recul...
 » (Je souligne)

Disposons-nous aujourd’hui d’un recul suffisant ? Ce n’est pas sûr. Mais « la scène catholique » ne se limite pas là. Dans les romans et les essais de Sollers, la présence de Jean Paul II est très prégnante, et cela dès le début, dès son élection (voir plus bas).

Dans Un vrai roman. Mémoires (2007), parlant de ce pape qui le bénit en 2000 lorsqu’il lui offre son livre sur Dante et La Divine Comédie, Sollers écrit par anticipation :

«  La béatification de ce pape est probable, sa canonisation possible, avec miracles à la clé. J’aurai donc, à ce moment-là, reçu l’encouragement d’un saint. »

Il y a beaucoup de saints dans l’oeuvre de Sollers : le saint de Tchouang-tseu, saint Augustin, saint Artaud, saint Warhol, etc... Mais qu’est-ce qu’un saint pour l’Église catholique ? Vous l’ignorez sans doute. Bref rappel, donc, avec Stéphanie Le Bars, Comment le Vatican « fabrique des saints ».

Et maintenant, relisez.

A.G., 26 avril 2014, 12h.

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Jean-Paul II a été déclaré « bienheureux » ce 1er mai 2011 à Rome par le pape Benoît XVI.

« À cette occasion, Philippe Sollers a imaginé les conseils qu’il pourrait donner à son successeur ».

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J’ai été moi-même béni par Jean-Paul II, en lui remettant mon livre sur Dante. Il y a une photo en couleur qui montre que j’ai été béni par un bienheureux, auteur d’un miracle. Si un second miracle est prouvé, j’aurai été béni par un saint. Voici les quelques conseils que le futur saint adresse à l’actuel pape.

"Continuez à lire Dante, notamment le chant 33 du paradis"

Benoît XVI ne cesse de citer Dante dans ses homélies, notamment le passage où saint Bernard apparaît. J’espère y être pour quelque chose.

"Ne cherchez pas à vous comporter en rock star"

En jouant du Mozart au piano, Benoît XVI s’est distingué de son prédécesseur. Il n’y a pas de contradiction entre soulever les foules, faire la révolution en Pologne et jouer du Mozart au piano...

"Félicitation pour avoir compris que plus personne ne savait rien"

Benoît XVI a compris que plus personne ne savait qui était Jésus de Nazareth. Posez des questions basiques sur les évangiles à la sortie d’une messe et vous serez consterné.

"Faites donc un livre sur la Vierge Marie"

Cela serait passionnant et aurait du sens dans la mesure où Jean-Paul II a toujours pensé qu’il avait réchappé de son assassinat grâce à la Vierge Marie. (Le Point.fr du 28-04-11)

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Figure charismatique majeure des dernières décennies, Jean-Paul II est aussi un personnage central — peut-être l’un des principaux personnages — des romans de Philippe Sollers. Le roman anticipe souvent sur la réalité, « mais personne ne peut croire, n’est-ce pas, que la vie peut devenir un roman permanent pour certains... Happy few... » écrit Sollers dans Le Coeur Absolu.
Voici quelques morceaux choisis de celui qui écrivait dans Paradis, à l’automne 1978, face à la montée de l’«  occultisme satanisme féminisme moonisme », de la religion de «  lafâme » et du «  yakmamankikontt » et au moment précis où Karol Wojtyla venait d’être élu pape sous le nom de Jean-Paul II :

au fond je fais aujourd’hui comme tous les écrivains conscients de leur temps un exposé méthodique véridique apologétique une masse éminemment catholique bien qu’évidemment anarchiste bien entendu c’est-à-dire pas le moins du monde bien entendu et quant à l’universel catholique même a contrario c’est essentiel pour des motifs cliniques architecturaux sculpturaux picturaux musicaux poétiques mathématiques physiques et hautement politiques [8]

Sollers nomme également Jean Paul II quelques pages plus loin en faisant allusion à son voyage au Mexique du 26 janvier au 1er février 1979 :

«  jean-paul 2 pologne se pose alighieri au mexique trouble perplexité du laïque » [9]
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Jean-Paul II est le premier pape planétaire

France 5, Émission Droits d’auteurs de Frédéric Ferney, octobre 2003.

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1978 : « So what ? » (Un vrai roman, 2007)

À l’automne 1978, je suis dans le bureau du directeur du « French and Italian studies », à New York University. Avoir regroupé les Français et les Italiens dans le même département d’enseignement et de surveillance m’a toujours paru comique, et, au fond, très juste. Mais pourquoi pas aussi l’espagnol ? Mon directeur momentané est très francophile, entendez par là qu’il est imbattable sur toutes les publications des Éditions de Minuit, et qu’il se fout éperdument du reste. Normal.
Je téléphone devant lui à Julia, à Paris, qui m’apprend, événement qui lui paraît très curieux, qu’un Polonais vient d’être élu pape. Je vois immédiatement la suite logique et métapolitique. Je me tourne vers mon Américain et je lui répercute la nouvelle. Je n’oublierai jamais sa réaction : « So what ? » Mais oui, c’est bien ça, so what ? Je crois savoir qu’il n’a pas changé d’avis par la suite. So what ? So what ? Comme quoi mon directeur, probablement honorable correspondant de la CIA, c’est-à-dire de l’ensemble des Services, est bien léger dans sa vision du monde. Il n’est pas le seul.

Le soir, sur CBS, je vois le nouvel élu, Wojtyla : il a l’air sportif, il parle très bien anglais, c’est le premier pape non italien depuis quatre cent cinquante-cinq ans, pas difficile de prévoir que ça va chauffer, depuis la Russie, en Pologne. Je vais suivre de près cette histoire. Malgré toutes les dénégations, je pense qu’avec la scission sino-russe il s’agit de l’événement capital de la seconde moitié du vingtième siècle. En mai 1981, attentat contre Jean-Paul II place Saint-Pierre, à Rome. Tueur turc, KGB via les Bulgares, opacité de cette tentative d’assassinat inouïe, signe des temps majeur. Ici, voir mon roman Le Secret, publié en 1993, livre aimablement archivé au Vatican, et pour cause.
So what ?

Philippe Sollers, Un vrai roman — Mémoires, 2007, folio, p. 173-174.

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1983 (Femmes)

Je prends un train du matin... J’arrive au Vatican à l’heure dite... Je pénètre à l’intérieur... Impression de se retrouver au Tibet, ou plutôt nulle part, tout à coup, en plein Rome... Espace négatif... Antimatière du décor... Un petit prêtre polonais rebondi, jovial, me reçoit aussitôt... On file à travers des bureaux, des galeries, des couloirs, des bibliothèques... Calme et branle-bas de combat... Les gens ont l’air d’être en guerre... Ils le sont... Chantier en cours en plein musée... Veille de ruine ou de renaissance... On avance, on tourne, on monte, on descend, on remonte, on redescend... Il m’abandonne dans une petite pièce obscure, en me disant d’attendre... Me fait un signe de la main... S’en va...
J’attends assez longtemps... Presque une heure... La pièce est si sombre que je distingue à peine les meubles anciens... Les tableaux... Volets et rideaux fermés... Je dois être quelque part au-dessus de la place Saint-Pierre, à l’est...
La porte du fond s’ouvre... Silhouette blanche... C’est Wojtyla... Il me fait signe d’entrer... Me prend la main... Me fait asseoir devant son bureau... S’assoit en face de moi... Me regarde...
« Nous parlons anglais ? dit-il en anglais.
— En français aussi bien, dis-je en anglais.
— Ou en italien ? dit-il en italien.
— Ou en russe ? » dis-je en russe.
Il rit.
« Pourquoi pas en polonais ? dit-il en anglais.
— Disons en français, dis-je en français, si Sa Sainteté le veut bien.
— Eh bien, dit-il en français, vos articles m’ont plu... Je les crois bienvenus après mon voyage à Londres... Vous connaissez les difficultés... Les préjugés... L’incompréhension que rencontrent les dogmes mariaux... J’ai peu de temps, mais j’ai vu que vous aviez aussi des intérêts littéraires et théologiques ?
— Oui, dis-je. Je pense que nous sommes à la veille de grands événements sur ce plan.
— Cet écrivain irlandais... Difficile... Joyce ?
— Une merveille, Votre Sainteté.
— Il y a tant de choses que je n’ai pas lues ! dit-il en levant un peu la main droite... Mais tout n’est pas dans les livres, n’est-ce pas ? ».
Il me regarde en souriant. Oeil perçant. Corps très ramassé sur lui-même, pas près de se rendre... Habitué à souffrir, se taire, passer. Fatigué, aussi... Sculpté...
« Et Duns Scot ? dit-il. Notre Subtil ? Il vous intéresse aussi ?
— Beaucoup. II me paraît très moderne.
— Il l’est ! Il l’est ! dit le Pape en tapant de la main sur le rebord de son fauteuil rouge. Vous écrivez autre chose dans le même sens ?
— Non, dis-je. Ou peut-être si. Un roman.
— Un roman ? »
Silence.
« Écoutez, dit-il, j’ai très peu de temps, mais je tenais à vous voir. Vous êtes jeune, vous écrivez. Vous pouvez faire beaucoup pour l’avenir... Vous savez que nous allons créer un Centre de Culture Pontifical ?
— C’est une excellente idée, dis-je.
— On verra ! On verra ! » dit-il en riant.
La question sur l’attentat me brûle les lèvres... Ce Turc qui a tiré sur lui... Qui est derrière ? Quoi ?.. Les Russes ?.. Comment se sent-il ?.. Non...
« Votre Sainteté écrit toujours des poèmes ? dis-je.
— Pensez-vous ! Où prendrais-je le temps ? Ce n’étaient d’ailleurs que des exercices de jeunesse... Mais en voici la dernière traduction... En hébreu... »

Il se lève assez souplement, passe derrière son bureau, me tend un petit volume en caractères hébraïques...
« L’hébreu est une langue pleine d’avenir, dis-je.
— Vous pensez aussi ? J’ai demandé à notre Commission d’être plus active...
— La Bible, dis-je... En hébreu...
— Vous parlez comme saint Jérôme ! Hebraicam veritatem... Oui, oui... Il y a encore beaucoup à faire. »...
Je n’ose pas lui demander pourquoi le Vatican ne reconnaît pas encore, diplomatiquement, l’État d’Israël...
« Le temps presse, dit-il... Je vous propose que nous récitions ensemble un Notre-Père... Cela dit tout. »...
Il se lève. Je me lève.
Notre Père qui es aux cieux
Que ton Nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
Mais ne nous soumets pas à la Tentation
Et délivre-nous du Mal
Ainsi soit-il.

Là, il se produit quelque chose... Comme si la voix du Pape était devenue verticale, soudain... Il vient à la fois de s’élever et de s’enfoncer sous mes yeux... Style caverneux, abîme... Et en même temps aérien, transparent... Bon. Chaque mot a été chargé... Bizarre prière, si on y pense... Le silence, maintenant, est énorme. Il reste là... Figé... Je plie le genou droit... Je sens sa main voltiger au-dessus de ma tête, et c’est le latin, cette fois :
« In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. »
C’est terminé.
Il me prend la main, m’entraîne de l’autre côté de la pièce, ouvre une petite porte dans le mur. « Par là... Par là... Au revoir... Portez-vous bien...
— Merci », dis-je.
Petit geste... Il referme la porte. L’escalier privé dévale à pic jusque dans une cour... Cent mètres, et je suis sur l’esplanade de Bernini... En pleine lumière... Jets d’eau d’argent... Souffle bleu...

Dans le train, je lis quelques articles sur l’évolution de la Papauté... Toujours le même refrain... Trop de politique... De spectacle... Le Pape superstar... Les dépenses exagérées... Publicité... Trop de conservatisme, encore, sur les questions sexuelles... L’homosexualité, la contraception, l’avortement... Le refus d’ordonner des femmes... Le célibat des prêtres... Rigidité à l’égard des transsexuels... Pèlerin de la paix ? Oui, mais... Et puis les scandales financiers... Banco Ambrosiano.. Pauvre Ambroise !... La Mafia... La loge maçonnique P2... Le cardinal lituanien douteux... Les transactions immobilières via les Bahamas... Finalement, on en revient toujours aux considérations organiques... Je n’arrive pas à comprendre comment les auteurs desdits articles imaginent un Pape à leur convenance... Tenant un bordel pour hommes ? Une clinique gynécologique spéciale ? Distribuant la pilule comme, autrefois, les indulgences ? Devenu la religieuse de ses religieuses ? Non, évidemment, le mieux ce serait plus de Pape du tout... Bien entendu... En finir avec cette absurdité d’un autre âge... La Vierge Marie ! L’Infaillibilité ! Tout cela est incompatible avec un humanisme ouvert... D’aujourd’hui... Ce n’est même pas à discuter... Peut-on imaginer un système plus rétrograde, irréel, que celui de l’Eglise catholique ? Défi aux mathématiques... A l’ethnologie... A la physique... A la physiologie... A la biologie... A l’astrologie... Pardon, je voulais dire à l’astronomie... De quel signe êtes-vous, au fait ? Moi, c’est Sagittaire, ascendant Verseau... Ah, excellent ! Tout à fait dans le vent !... Tiens, une interview de Borges... Il parle du voyage du Pape en Argentine... Il appelle Jean-Paul II « cet important fonctionnaire italien »... Il rappelle son origine à lui, méthodiste... Et le voilà reparti dans l’occulte, suis-je moi, ou bien suis-je un autre qui rêve être moi ?.. To be or not to be... Tchoang-Tseu... Alchimie... Formule magique... Deux vers de Dante, toujours les mêmes... Le livre de tous les livres... Babel... L’Aleph... Numéro habituel...

[...]


Arafat chez le pape, FR3, 15-09-1982. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

A propos d’Arafat chez le Pape... J’ai gardé la photo officielle de l’entrevue... Arafat, souriant, sans arme, tourné vers Sa Sainteté... Propagande... Et Jean-Paul II regardant l’objectif... Tout blanc... Le visage aussi... Mais ce geste, là... Oui... Personne ne le remarquera, sauf quelques-uns... La main droite sur le coeur, le pouce légèrement écarté [10]... In petto... Par-devers moi... Je n’en pense pas moins... Discours secret, lettre volée... Prisonnier !... Cerné par les puissances... Scandales financiers ? Pression russe ? Donnant-donnant ?.. Qui le saura ?.. Photo dramatique... Pour initiés... La NBC vient de révéler ce dont tous les professionnels se doutaient : que derrière l’attentat de la place Saint-Pierre, il y avait bel et bien le KGB... Le Pape aurait envoyé auparavant une lettre à Brejnev pour lui dire que si l’armée soviétique entrait en Pologne, il démissionnerait de ses fonctions pour rentrer à Varsovie... La presse américaine en parle beaucoup... Les journaux français, ou européens, à peine... Suicide ou pseudo-suicide du banquier Calvi à Londres... Sous un pont... Mafia passée à Kadhafi, trajet de la drogue... Saisie du fichier au Grand Orient d’Italie... Soupçons sur l’Opus Dei... Décidément, il est encore plus difficile aujourd’hui d’être Pape que du temps de Dante... Le tueur turc, Ali Aqça, passant sept semaines dans le meilleur hôtel de Sofia... Revanche de Lépante !... Au revolver !... Via Moscou !... Toucher intestinal direct !... Qu’est-ce que vous racontent les romanciers pendant ce temps ?... Bricoles... Exotismes... Provinces... Alors que le Roman, sous leurs yeux, est le plus fabuleux des siècles... A quoi s’intéressent les critiques ? Au fait de savoir si le grand écrivain d’avant-guerre Buste-à-pattes pelotait les petits garçons debout ou assis...

Philippe Sollers, Femmes, 1983, folio, p. 453-457 et 608-609.

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1985, La Fenice, le récit (Dictionnaire amoureux de Venise, 2004)


Venise, La Fenice (photo A.G., 19 juin 2011). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
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[...] On est en 1985, le pape Jean-Paul II est en visite à Venise. On donne un concert à La Fenice en son honneur. Je n’ai pas d’invitation, je suis très mal habillé, mais, chance, je suis en compagnie d’une très jolie femme élégante. Le théâtre est bouclé par la police et l’armée, personne ne peut passer sans contrôle et fouille (l’attentat contre le pape, en 1981, justifie ces mesures d’exception). Or, peu avant le concert, je sais que je pourrai assister à l’événement. Mon amie, à qui j’annonce que nous allons là-bas, me regarde comme si j’étais fou, mais ça l’amuse. Nous marchons tranquillement, et il faut croire que nous devenons invisibles puisque nous traversons tous les rangs de surveillance sans qu’on nous pose la moindre question.
J’avais un simple canif dans ma poche, j’aurais pu avoir un revolver chargé.
Nous arrivons donc sans encombre devant l’escalier du théâtre. Le public en smokings et robes longues se presse avec ses invitations. Je tombe sur un contrôleur ahuri, à qui j’explique rapidement en italien que je suis écrivain et qu’il est très important pour moi, Français, d’assister à ce concert. Je vais même jusqu’à lui dire que c’est comme si Stendhal le lui demandait lui-même.
Le type me regarde, nous regarde, et non seulement fait signe de passer, mais nous conduit en catimini, jusque dans la loge impériale.
Stendhal, sésame.

Le public entre, les autorités arrivent, les cardinaux s’installent au parterre, et le pape, dans un fauteuil spécial, dans l’allée centrale. Dans notre loge, personne. Et personne ne fait attention à nous (c’est d’autant plus étonnant que je porte une veste mao grise, déjà très usée, que j’ai ramenée dix ans plus tôt de Shanghai). Seul un journaliste de télévision américain, de la NBC, viendra nous demander s’il peut installer sa caméra près de nous. La vue est imprenable. Pour assassiner une bonne fois le pape (style film de Hitchcock), il n’y a pas mieux.

Je devais donc assister à ce concert (on en trouve le récit dans Le Coeur absolu, avec d’autres détails sur la visite de Jean-Paul II, cette année-là, à Venise). Concert ahurissant, avec l’interminable cinquième symphonie de Gustav Mahler (en contrepoint, donc, Thomas Mann et Mort à Venise de Visconti). Auparavant, le pape a prononcé un discours classique sur l’art, Aristote, etc., évidemment très applaudi [11].

La musique déferle, le pape s’ennuie. Je le vois tapoter avec nervosité sa jambe gauche avec son éventail. Ça n’en finit plus. C’est tellement à contre-emploi que la scène devient extravagante. On fait subir Mahler à Jean-Paul II. C’est un attentat acoustique. Pourquoi pas, courtoisement, un peu de Monteverdi, de Vivaldi, de Mozart ? Mais non, Sa Sainteté est prise en otage, il n’y a plus qu’à attendre la fin de ce tintamarre avec patience et bonne humeur.
On sort, on s’éclipse, on disparaît dans la nuit, et c’est bientôt le silence des quais vers la Salute.

J’ai eu quelques moments très spéciaux dans ma vie, mais celui-là n’arrive pas à se constituer en souvenir. Il reste là, au présent, bloc surréaliste actif.

Moralité prophétique : La Fenice, pour éviter d’autres incendies, devrait être entièrement consacrée à Vivaldi et Mozart. Encore, encore et encore. Sans quoi, je ne réponds de rien. Brève suggestion, au moins pour tout le XXIe siècle.

Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, 2004, Plon, p. 233-235.

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1985, La Fenice, le roman (Le Coeur Absolu, 1987)

Auditorium de La Fenice Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Les invités arrivent de partout... Femmes en robes du soir ouvrant leurs sacs, hommes en smokings fouillés délicatement troncs et jambes... Ma veste grise mao ramenée de Shanghai et de la préhistoire gauchiste, gardée par superstition, interloque le contrôle... Je tends le mot cacheté de Marco... « Molto bene, avanti »... Il signore Martelli nous précède... Monte avec nous... Ouvre une porte... Non !... La loge d’honneur, bien centrale... En plein coeur de la bonbonnière rouge et or... Il est fou, Marco... Je place Liv et Sigrid en avant, je me cache un peu derrière elles... Le Pape doit s’asseoir en bas, au parterre, dans un fauteuil royal disposé dans l’allée centrale, tout seul... On va l’avoir juste en contrebas, là, à quelques mètres... Les gens commencent à s’installer, bavardent, se retournent, lèvent la tête vers nous... Je dois être pris pour un agent spécial de la sécurité, un faux pompier, un tireur d’élite... Qui n’a pas vu la Fenice un soir de gala n’a rien vu... Avec son plafond bleu clair, presque vide, fond d’air et d’eau renversé, île du lustre, image de la lagune au milieu du ciel... Je regarde le papier de Marco que m’a rendu le contrôleur... Il a juste tracé ces mots : « il signore Stendhal, in persona, con due donne »... Si j’écris ça dans un roman, personne ne me croira... Mais personne ne peut croire, n’est-ce pas, que la vie peut devenir un roman permanent pour certains... Happy few... Liv sort ses jumelles, observe les notables en évolution, passe les jumelles à Sigrid... « Restez tranquilles, je leur dis, on va nous changer de place, ce n’est pas possible... » Mais non, tout a l’air naturel... Italie... J’aurais pu rentrer trois revolvers... La porte de la loge s’ouvre... Ça y est, on est virés... Mais non, un cameraman américain de NBC vient nous demander respectueusement s’il pourra, tout à l’heure, venir filmer un peu à côté de nous... Pour mieux cadrer the pope... Je prends un air sévère... Je tâte ma veste chinoise sous le bras... The pope... The pope... Il n’insiste pas, il s’en va... On est fusillés par quinze jumelles, maintenant... Sigrid fait exprès de m’embrasser dans le cou... Mais voici les officiels... Quatre cardinaux... Et puis Sa Sainteté elle-même... Applaudissements, puis les mains se tendent... Présentations... Compressions... L’orchestre fait son entrée... Cecilia avec son violon, Marco avec sa clarinette, ils sourient, nous font signe avec leurs instruments, de loin... Flottements... Accords... Tout le monde s’assoit... Arrive le chef d’orchestre, Eliahu Inbal, un Israélien... On va donc être catapultés dans les quatrième et cinquième mouvements de la deuxième de Mahler... Résurrection... Il y a des affiches sur tous les murs de la ville annonçant un colloque sur « Mahler et le Judaïsme »... Coïncidence, bien sûr... Au théâtre du Phénix... Voilà, on y est... Le Pape a son petit secrétaire polonais habituel sur la gauche qui lui passe le programme... Les télévisions sont braquées comme sur un court de tennis... Boum... Attaque viennoise !... L’Autriche prussienne à Venise !... Les mouettes se tirent... Canaletto fuit en Angleterre... Tiepolo en Espagne... Da Ponte à New York... C’est l’Histoire !... Mahler !... Les cuivres à l’assaut !... Deux grosses cantatrices, tous seins dehors, défient Rome et le Saint-Père lui-même... Une soprano blonde en robe blanche, une contralto brune en robe noire... Elles ne sont pas là pour plaisanter... « Mon Dieu, ça va être quelque chose », me souffle Liv... Et en effet... Les éléments se déchaînent... Cors, trompettes, trombones, grosse caisse, timbales, cymbales, choeurs... C’est l’Apocalypse terrible... La fin du monde dans le boudoir... Merde, le théâtre est trop fragile, il va s’effondrer, on va tous finir dans la destruction du château de cartes... Les cantatrices s’en mêlent, leurs bouches s’ouvrent, leurs poumons sont bloqués, leurs matrices se mettent en turbines, elles hurlent au milieu du tourbillon des cordes, le chef les retient à peine, elles vont sauter dans la salle, culbuter Jean-Paul II, le violer, là, dans la fosse... Lionnes !... Baubonnes !... Pharaonnes !... Mahler ! Mahler !... La mort à Venise !... Morituri te salutant !... Heil !... Puissance !... Le Pape ? Combien de divisions ?... Il n’a même pas de gilet pare-balles !... On a dû oublier de lui donner des boules Quiès à mettre discrètement dans les oreilles pour pouvoir somnoler en paix... Je vois que les cardinaux sont pétrifiés... Très impressionnés... Ils sentent qu’ils ne pèsent pas lourd face à la nouvelle musique... Baraboum !... Triboum !... Slam ! Clang ! Blap ! Blorp ! Slurp ! Smack ! Munch !... Macht ! Nacht !... Et splot ! Et squirt ! Et ka-blum, slorch, glub, gulp, blub, splork ! Et growrr ! Et glom ! Et sploorge, snorr, wald, wham, heim, clonk ! Et furt ! Hit ! Schôn !... Berg !... Wangler ! Et bonzaï-squinck ! Et walter-thwop ! Et mmmglmghh !... C’est sublime... Plein de bonnes intentions... Pavés d’enfer... Épouvantablement ennuyeux... Le petit secrétaire, préoccupé, se penche de temps en temps, pour vérifier que Sa Sainteté n’est pas trop sonnée... Mais non, il en a vu d’autres, le Pape... L’Afrique en délire... Les Zoulous frappeurs... Les Indiens à plumes... Les foules à cantiques... Les stades-jeunesses... On ne lui perce pas les oreilles comme ça... Beati mundo corde... On sera quand même mieux de retour à la chapelle Sixtine... Avec les bons vieux choeurs d’enfants un peu aigres, doux, dérapants... Ou encore la messe quasi silencieuse à six heures du matin, religieuses-murmures... Ce n’est plus permis d’entretenir des castrats, adieu Farinelli, dommage... Maintenant, les deux chanteuses se surpassent... On dirait qu’elles ont lu le Président des Brosses, parlant, dans ses Lettres d’Italie, de la rivalité mortelle entre deux couvents de Venise pour décider lequel des deux donnerait une maîtresse au Nonce Apostolique... Des Brosses, en bon Français, est choqué par l’histoire des castrats... Il trouve que c’est se séparer de ses effets pour pas cher... Différence de point de vue sur la Bourse... Quoi qu’il en soit, la blonde prend l’avantage... S’installe dans le suraigu, ne le quitte plus... La brune résiste... L’orchestre la soutient... Le Pape les regarde gentiment, la tête un peu inclinée, tapotant des doigts sur son programme en papier glacé... Elles font de leur mieux... Miséricorde... On dirait qu’il est distrait, lui, presque désinvolte, léger... Flanqué des cardinaux terrorisés et des officiels et de leurs femmes, babas... « Il s’ennuie une tonne, dit Sigrid... — Même pas, dis-je... — A quoi pense-t-il ? dit Liv... — A rien. Aux horaires du lendemain. Ou bien peut-être qu’il prie... — Avec ce vacarme ?.. — Pourquoi pas »... La Résurrection Allemande à direction Israélienne est à son sommet, à présent... Les deux automitrailleuses vocales se rejoignent... Se montent dessus... Se chevauchent... Eliahu les baguette... L’orchestre tellurise un max... Embrasse les continents, les forges, les usines, les chemins de fer, l’industrie globale... C’est l’Humanité en marche... La manif !... Ploum !... C’est fini. D’un coup. Sec. Ah, on est épuisés... On n’en peut plus... On n’a même plus la force d’applaudir... Le Pape tapote aimablement ses deux mains l’une contre l’autre... Se lève... Le silence revient...

C’est à lui de jouer, maintenant... Le petit secrétaire polonais lui tend ses feuilles... Il s’avance dans l’allée centrale, prend le petit escalier latéral vers la scène, monte sur le podium du chef d’orchestre... On lui arrange son micro... Il commence à lire son discours de façon un peu appliquée, en italo-polonais, voix grave, un peu rauque... Il est question de l’Art... Du Logos... « Il y a toujours, quelque part, quelque chose de beau, quelque chose de bon, comme ici, ce soir »... Ça alors... On lui tire de partout dessus, et il vient remercier... A moins que le discours soit pour moi, opération invisible du Saint-Esprit lui-même... « Senza l’arte, il mondo perderrebbe la sua voce »... Oui, oui, merci... « Il ne faut pas craindre la solitude, l’incompréhension... Poursuivre dans l’humilité... — Ah, l’humilité, vous voyez », dit Sigrid... La voix s’affermit : « Courage ! »... Merci, merci... Le discours n’est pas mauvais du tout, un classique, avec Aristote à la clé, le petit secrétaire s’est vraiment défoncé, hier, à Rome,je l’imagine écrivant ça au petit matin, le regard de temps en temps perdu sur les jardins du Vatican... Sujet : l’Art. L’Art et l’Esprit, bien sûr. Aristote. La Poétique.
Voilà. Ne pas oublier que dans l’époque moderne, celle qui échappe à notre bienveillante sagesse, l’artiste est souvent incompris... Reconnu trop tard... Maudit... Un peu comme nous, tiens, là-bas, à Varsovie... « Coraggio ! »... Courage, Phénix !... Messie !... Israël en Égypte !... Israël en grec ? Qu’est-ce que vous voulez, c’est la tradition de la grande maison... Je sais, je sais... Mais quand même. On n’en sort pas. On les garde, les Grecs... Le Logos. Habillé en blanc, solo pour voix basse. « Sans l’art, le monde perdrait sa voix »... Dans l’avion : « Très Saint-Père, votre discours pour ce soir, au théâtre, après le concert »... « Qu’est-ce qu’on jouera ? »... « Un compositeur autrichien du début du siècle, Gustav Mahler. Un Juif. Le chef d’orchestre est israélien, il est en ce moment à Venise »... « Très bien, très bien »... Petits pas... Visite à la synagogue de Rome... Ah, et puis l’histoire des carmélites d’Auschwitz... Délicate affaire... Périphérie du camp... Expiation... Récitation des Psaumes... « Qu’en pense Macharski ? »... « Il est pour »... « N’est-ce pas un de nos plus grands théologiens ? »... « Oui, mais il y a des protestations très vives »... « On verra... Le Temps... On ne peut quand même pas laisser cet endroit sous l’emprise du souvenir des nazis ou des Russes »... « Mais c’est une question métaphysique »... « Certainement. Mais nous ne pouvons pas accepter un symbole définitif de la victoire de la Mort, n’est-ce pas ? » C’est la cohue, à présent, tout le monde reflue vers les issues, les bateaux, les ruelles... Je me rapproche du noyau effervescent papal... Il se laisse toucher les épaules, les bras... Le petit secrétaire finit par m’apercevoir... « Vous savez bien entendu pour K. et T.? » me dit-il rapidement en français... « Oui »... « Vous pouvez être demain matin à six heures et demie à la sacristie de la Basilique ? »... « Oui »... « A demain ? »... « A demain... »
— Qu’est-ce qu’il vous a dit ? demande Liv.
— Oh rien, il se souvient de m’avoir vu à Rome.
— Qui est-ce ? demande Sigrid.
— Un des secrétaires polonais du Pape. Un type délicieux.
— Il a aimé le concert ?
— Beaucoup.
— Quel boucan, dit Liv. Ils auraient quand même pu choisir quelque chose de plus intérieur.
— C’est la guerre.
— Comment ça, la guerre ? dit Sigrid.
— La guerre des ondes.
— Vous croyez qu’ils l’ont fait exprès ?
— Mais non. Ça s’est trouvé comme ça.
— Cecilia avait l’air affolée sur son violon, dit Liv.
— La brune n’était pas mal, dit Sigrid. Quel coffre. J’ai cru qu’elle allait exploser.
— Qu’est-ce que vous étiez bizarre avec votre veste mao, dit Liv. On n’en voit plus. C’est complètement démodé. D’où est-ce que vous sortez ce truc ?
— Un souvenir. J’y tiens beaucoup. Inusable.

Philippe Sollers, Le Coeur Absolu, 1987, folio, p. 185-191.

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1983 : Le secret (1992)

C’est pratiquement tout le livre qu’il faudrait citer. Retenons le passage où il est précisément question d’une « conversation secrète », sobrement filmée, au coeur de la société du spectacle.

Le 20h d’Antenne 2 - 27/12/1983.
Jean Paul II serre dans ses bras le jeune turc Ali Agca, qui a fait une tentative d’assassinat contre lui.
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La vérité, c’est que le pape lui-même, avec un profond instinct animal de sa sécurité — ou poussé par le Saint-Esprit, comme on veut —, n’a jamais rien raconté à personne de son entrevue avec son Turc de tueur, lequel, d’ailleurs, ne lui a peut-être rien révélé. On se rappelle la scène, chaise contre chaise, front contre front, chuchotements, confessionnal, messe basse. On revoit surtout, si je me souviens bien, la présence parfaitement surréaliste d’un radiateur électrique dans cette pièce de nulle part, infirmerie, salle de classe, centre de tri postal, morgue ou bureau de vote. Que peut-il y avoir de plus beau que la rencontre en direct, sous les caméras, d’un pape, d’un Turc qui vient de lui loger deux balles dans le ventre et d’un radiateur électrique ? Quel écrivain, quel peintre, aurait été capable d’imaginer ça ? Vous affirmez qu’il n’y avait pas de micros ? Que personne n’a la bande de cet entretien ? Qu’il s’agissait d’une mise en scène et d’une insolence délibérée, style : à vous la surface, à moi le mot de l’énigme ? Certes, les archives officielles conservent l’image sans le son, mais même les meilleurs spécialistes du déchiffrement sur les lèvres n’ont pas pu entrer dans le murmure de ces deux visages rapprochés par l’Histoire et surtout par le trafic, déjà intensif, de drogue dans les pays dits de l’Est... Oh, écoutez, ça suffit avec ce scénario, cent livres, deux cents émissions, au moins autant que pour le meurtre (réussi, celui-là) de John Fitzgerald Kennedy, famille catholique maudite... Cette religion porte malheur, juste résultat de ses abominations... Usurpation de Jérusalem ! Destruction des Templiers ! Moines fanatiques ! Sorcières ! Ghettos ! Inquisition ! Dragonnades ! Jésuites ! N’en parlons plus, et revenons aux vrais soucis concrets : interruptions volontaires de grossesses, déblocages d’ovules, stockages de sperme, mères porteuses, réseaux d’adoption — bref à l’immense, pathétique et cosmique aventure humaine... N’est-il pas bouleversant qu’une grand-mère de quarante-deux ans, aux États-Unis, puisse accoucher, par transfert, des jumeaux de sa fille, transformant ainsi les nouveaux venus en frère et soeur de leur propre mère ? N’est-il pas exaltant de voir une jeune vierge anglaise être enceinte sans avoir été touchée par le pénis du péché ? Un pape de plus ou de moins, quelle importance ? Pourquoi vous arrêter à ce folklore désuet ?

VOIR AUSSI

Votre fameuse note était peut-être (peut-être !) exacte, anticipatrice, prophétique, mais finalement tout n’est-il pas positif ? Un mal ne peut-il pas provoquer un bien ou un moindre mal ? Et un bien, un mal ? Et, de nouveau, un mal, un bien ? Et ainsi de suite, dans l’oubli des siècles et des siècles ?

Philippe Sollers, Le secret, 2007, Gallimard, p. 25-26.

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2000 : la bénédiction (Un vrai roman, 2007)

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Dans le « studio »... Rome, octobre 2000.

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Mon livre sur « la Divine Comédie » paraît donc en 2000, et, en octobre, je vais l’offrir à Rome à Jean-Paul II. Il y a des photos : grand scandale dans les sacristies intellectuelles. La remise du livre a lieu, en audience publique, place Saint-Pierre.

Je rappelle au pape que je lui ai déjà envoyé, sept ans auparavant, un livre tournant autour de l’attentat dont il a été l’objet (« le Secret »), et, en effet, il hoche la tête, et là, geste inattendu, il tend le bras et appuie longuement sa main droite sur mon épaule gauche, tout en me regardant droit dans les yeux. Rituel militaire plus qu’étrange, d’autant plus que l’intensité du regard est du genre laser rayon vert. Pas un mot, la main sur l’épaule, silence de vie criant, félicitations pour mon activité de mousquetaire libre, absolution de mes péchés (et Dieu sait). Archivé. Par la suite, envoi d’une lettre très élogieuse sur le bouquin, avec hyper-bénédictions à travers la Mère de Dieu : pour un assassiné-ressuscité, c’est un comble.

Philippe Sollers, Un vrai roman — Mémoires, 2007, folio, p. 311-312.

Rome, octobre 2000
L’Infini n°100 (automne 2007) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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La photo avec Jean-Paul II n’a pas plu. Du tout. Des remarques caustiques ou acerbes, et même des fureurs, des brouilles. Au lieu d’être félicité pour cette séquence hautement surréaliste, et, ô combien, situationniste, des gênes, des embarras, des pâleurs, des lèvres pincées. Et le livre ? Quel livre ? Il y avait un livre ? Où ça ? À droite, là, saisi courtoisement par un cardinal. Un livre ? Sur Dante ? Mais qu’est-ce qu’on a à foutre de Dante ?
L’ensemble de l’opération pourrait avoir comme titre : La nouvelle lettre volée. La police croit tout voir, et elle est aveugle.

Pauvre Jean-Paul II, si sportif en 1978, quand je le vois surgir sur CBS à New York, et si ravagé, en 2000... Comme beaucoup de monde en ce monde, j’ai suivi avec émotion ses funérailles en direct, avec les pancartes brandies par la foule « Santo subito ! ». Les ignorants ! Comme si on pouvait être décrété saint « subito » par acclamation populaire ! La béatification de ce pape est probable, sa canonisation possible, avec miracles à la clé. J’aurai donc, à ce moment-là, reçu l’encouragement d’un saint. Il y a eu, dans l’Église catholique, des docteurs angéliques ou subtils. Je prétends au titre de « Doctor in peccato », docteur en péché, donné, évidemment, sans aucune publicité, « in petto ».

Un de mes bons amis était indigné. « Comment, me dit-il, ton père ne t’a pas appris qu’il ne faut plier le genou devant personne ? » Je lui ai répondu que je ne voyais pas ce que mon père venait faire dans cette histoire. Sans parler de mes sentiments personnels, il s’agit du protocole, voilà tout. Je ne tape pas sur l’épaule de la reine d’Angleterre, je ne me vois pas non plus offrir un cadeau calculé au pape en le prenant par le cou et en lui criant « Alors, vieux, ça va ? ». Remarquez que j’aurais peut-être fait alors la une d’un journal de gauche.
À Rome, l’ambassadeur de France, pas renseigné, n’est pas content, la spécialiste de Dante n’est pas contente, la journaliste communiste est très fâchée, le correspondant de L’Express ironise, la Loge P2, ou ce qu’il en reste, est consternée, le cardinal culturel, pas mis au courant, est très froissé — bref, le bide. À Paris, c’est pire. Tout le monde me fait la gueule, sauf quelques amis qui savent lire, et ont gardé le sens de l’humour.
Par où est-il passé, cet écrivain français douteux, à Rome ? Par les toits.

Tout cela pourrait être anecdotique, sauf qu’on peut vérifier, dans ce genre de situation, le profond désir de séparation générale, la volonté de maintenir l’étanchéité des identités et des places, le contrôle des territoires et des chasses gardées (fussent-elles minuscules), le labyrinthe des douanes, les taxes plus ou moins symboliques, et, pour tout dire, les marchands du Temple au coeur de la gratuité.

Réaction quasiment unanime : Mao, et maintenant le pape ! ça suffit !

Philippe Sollers, Un vrai roman — Mémoires, 2007, folio, p. 314-317.

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Encore ? « Vers le Paradis »

Regardez maintenant la fin du film que Philippe Sollers a réalisé avec Georgi K. Galabov et Sophie Zhang en 2009, Vers le Paradis [12]. Après avoir entendu un Gloria de Monteverdi, on y voit à nouveau la photo de Sollers avec Jean-Paul II (musique : deux sons chinois qui valent dédicace) et, après que Sollers a lu un passage de la fin de Paradis II, écrit au début des années 1980 (ci-dessous), la célébration de l’Eucharistie par le pape, lors d’une messe à Saint-Pierre de Rome, le 29 juin 1985. On entend le « Credo » de la Messe en ut mineur K. 427 de Mozart. Générique.

gloria patri et filio et spiritui sancto sicut erat in principio et nunc et semper tant qu’il restera une voix pour chanter des oreilles pour écouter ça mes lignes auront un sens au coeur du sabbat mois d’avril flammé dans les bois bourgeons feuilles fleurs pâquerettes lent retour de l’air hors du froid sève de l’ombre travail infernal des ombres écume de toute la mort comprise venant redire son pourquoi je reste là je ne bouge pas je peux sentir couler tout l’après-midi dans mon bras pour quelques heures d’apparition sous cette forme dite humaine combien d’autres possibles dans une autre version hors d’ici c’est toujours ce qu’on se demande n’est-ce pas et avec raison en se réveillant parfois au bord de la solution

Philippe Sollers, Paradis II, 1986, Gallimard, p. 104.

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2011 : La béatification

Le 1er mai 2011, l’homélie du pape Benoît XVI est précédée de la lecture de l’Évangile selon Saint Jean.

Chers frères et sœurs !

Il y a six ans désormais, nous nous trouvions sur cette place pour célébrer les funérailles du Pape Jean-Paul II. La douleur causée par sa mort était profonde, mais supérieur était le sentiment qu’une immense grâce enveloppait Rome et le monde entier : la grâce qui était en quelque sorte le fruit de toute la vie de mon aimé Prédécesseur et, en particulier, de son témoignage dans la souffrance. Ce jour-là, nous sentions déjà flotter le parfum de sa sainteté, et le Peuple de Dieu a manifesté de nombreuses manières sa vénération pour lui. C’est pourquoi j’ai voulu, tout en respectant la réglementation en vigueur de l’Église, que sa cause de béatification puisse avancer avec une certaine célérité. Et voici que le jour tant attendu est arrivé ! Il est vite arrivé, car il en a plu ainsi au Seigneur : Jean-Paul II est bienheureux !

Je désire adresser mes cordiales salutations à vous tous qui, pour cette heureuse circonstance, êtes venus si nombreux à Rome de toutes les régions du monde, Messieurs les Cardinaux, Patriarches des Églises Orientales Catholiques, Confrères dans l’Épiscopat et dans le sacerdoce, Délégations officielles, Ambassadeurs et Autorités, personnes consacrées et fidèles laïcs, ainsi qu’à tous ceux qui nous sont unis à travers la radio et la télévision.

Ce dimanche est le deuxième dimanche de Pâques, que le bienheureux Jean-Paul II a dédié à la Divine Miséricorde. C’est pourquoi ce jour a été choisi pour la célébration d’aujourd’hui, car, par un dessein providentiel, mon prédécesseur a rendu l’esprit justement la veille au soir de cette fête. Aujourd’hui, de plus, c’est le premier jour du mois de mai, le mois de Marie, et c’est aussi la mémoire de saint Joseph travailleur. Ces éléments contribuent à enrichir notre prière et ils nous aident, nous qui sommes encore pèlerins dans le temps et dans l’espace, tandis qu’au Ciel, la fête parmi les Anges et les Saints est bien différente ! Toutefois unique est Dieu, et unique est le Christ Seigneur qui, comme un pont, relie la terre et le Ciel, et nous, en ce moment, nous nous sentons plus que jamais proches, presque participants de la Liturgie céleste.

« Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » (Jn 20,29). Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus prononce cette béatitude : la béatitude de la foi. Elle nous frappe de façon particulière parce que nous sommes justement réunis pour célébrer une béatification, et plus encore parce qu’aujourd’hui a été proclamé bienheureux un Pape, un Successeur de Pierre, appelé à confirmer ses frères dans la foi. Jean-Paul II est bienheureux pour sa foi, forte et généreuse, apostolique. Et, tout de suite, nous vient à l’esprit cette autre béatitude : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16, 17). Qu’a donc révélé le Père céleste à Simon ? Que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Grâce à cette foi, Simon devient « Pierre », le rocher sur lequel Jésus peut bâtir son Église. La béatitude éternelle de Jean-Paul II, qu’aujourd’hui l’Église a la joie de proclamer, réside entièrement dans ces paroles du Christ : « Tu es heureux, Simon » et « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. ». La béatitude de la foi, que Jean-Paul II aussi a reçue en don de Dieu le Père, pour l’édification de l’Église du Christ.

Voir sur le site du Vatican : Béatification 1er mai 2011.

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Jean-Paul II, pape conciliaire

En octobre 1962, il y a tout juste cinquante ans, le Pape Jean XXIII convoque tous les évêques du monde pour ce qui restera comme un tournant décisif dans l’histoire de l’Église, le Concile Vatican II. Tout jeune évêque de Cracovie, Karol Wojtyla y participe, et s’y affirme progressivement comme une personnalité importante. Auparavant, dans ses écrits philosophiques et théologiques aussi bien qu’auprès des jeunes de son diocèse, il en avait été à bien des égards un précurseur. Plus tard, devenu Jean-Paul II, il en sera un ardent défenseur, travaillant sans relâche à sa juste compréhension et à l’annonce de ses enseignements, et en particulier de l’inaltérable dignité de la personne humaine.

Un grand événement, un grand homme. C’est à travers le prisme du Concile Vatican II que Victor Macé de Lépinay et Pascale Rayet nous dressent dans ce documentaire un portrait de Jean-Paul II.

Avec la participation de :
- Marguerite Léna, agrégée de philosophie, membre de la communauté religieuse Saint François-Xavier
- Monseigneur Georges Gilson, archevêque émérite de Sens-Auxerre, ancien prélat de la Mission de France
- Karol Tarnowski, professeur de philosophie à l’Université Jagellonne de Cracovie, ami de Jean-Paul II
- Bernard Lecomte, journaliste et écrivain, auteur de "Jean-Paul II" (Gallimard, 2004)

France Culture

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Canonisation de Jean XXIII et Jean Paul II

En direct

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Rome, le 13 mai 1981 à 17 h 17.
Zoom : cliquez l’image.

L’attentat contre le pape Jean-Paul II
Qui se cache derrière Ali Agça ?

Réalisation : Moritz Enders, Werner Köhne

Qui avait intérêt à s’en prendre à un pape très populaire ? Trente-cinq ans après, le mystère demeure autour de l’attentat dont fut victime Jean-Paul II en 1981. Cette enquête entremêle des éclairages d’experts et d’émouvants témoignages.

Rome, 13 mai 1981. À bord de sa papamobile, une jeep décapotable, Jean-Paul II traverse une place Saint-Pierre noire de monde sous les acclamations de milliers de fidèles. Soudain, des coups de feu éclatent. Touché de plusieurs balles, le souverain pontife survivra à cette tentative d’assassinat. Mais aujourd’hui encore, les motivations du terroriste, Ali Agça, membre du mouvement nationaliste turc des Loups gris, restent incertaines. Les hypothèses les plus extravagantes ont été avancées quant à ses commanditaires : une filière bulgare et derrière elle l’URSS qui redoutait l’influence du pape sur le bloc communiste ? Un complot turco-américain ? Un crime de la Mafia ? Des intrigues internes au Vatican ? Selon certains, l’affaire aurait même impliqué les services secrets occidentaux... Mais l’hypothèse qui arrangeait tout le monde à l’époque consistait à soupçonner un déséquilibré solitaire.
Le criminologue italien Francesco Bruno a fait des études balistiques poussées tendant à prouver qu’il s’agissait non pas de tuer, mais de blesser le pape pour qu’il file doux et se mêle moins de politique internationale. D’autres experts, comme le juge d’instruction Rosario Priore et l’expert de la CIA Melvin Goodman, précisent leurs thèses dans cette enquête, qui laisse aussi la place à l’émotion, à travers les témoignages de proches du pape au moment de l’attentat et dans les minutes qui ont suivi.

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Voici ce qu’écrit Sollers dans le JDD du 30 juillet 2000, deux mois avant sa rencontre avec Jean-Paul II à Rome :

Tête de Turc

Un qui n’a pas fini de nous étonner, c’est Ali Agça, le tueur du pape. À peine libéré d’Italie, à la demande de sa sainte victime, le voilà en prison en Turquie faisant des déclarations étranges. Il demande à Jean-Paul II de démissionner, car, dit-il, il ne peut pas rester au Vatican, « cette poubelle de l’Histoire, ce quartier général du diable ». Ce Turc, de plus en plus énigmatique, annonce donc qu’il va désormais se consacrer à l’abolition de la papauté : « Je déclare une guerre culturelle internationale contre le Vatican. » On ne connaît pas encore son programme dans le détail, mais Rome a de quoi trembler. D’ailleurs, comment savoir d’où émane exactement ce message ? « Poubelle de l’Histoire » est un vieux cliché stalinien. « Quartier général du diable » pourrait venir des extrémistes protestants, des intégristes islamiques ou encore de certains groupes traditionalistes catholiques fanatiques. Mais peut-être Ali Agça a-t-il voulu soutenir à sa manière la Gay Pride de Rome, la Love Parade de Berlin ? Tout est possible, et peut-être même une ultime plaisanterie de l’ex-KGB reconverti dans le gris Poutine. Pauvre pape ! De plus en plus voûté, le voici dans la prison Regina Caeli, à Rome, demandant un statut plus juste pour les détenus. Il dit sa messe, sa main tremble. On l’installe dans un fauteuil au Val d’Aoste, les photographes sont là, il faut qu’il ait l’air de respirer l’air des cimes. Plus de ski ? Eh non. Que pense-t-il de Camp David, des négociations entre Israéliens et Palestiniens ? Long regard au loin sur les neiges. Et le sommet d’Okinawa ? Geste accablé du bras droit.

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Portfolio


[1Comme le pape Pie IX à qui l’on doit la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, le concile Vatican I et la promulgation de l’infaillibilité pontificale.

[3Lire aussi : Antoine Guggenheim, Jean-Paul II, en Sorbonne : l’éclaircie (L’Infini n° 123, Été 2013, p. 104-111)

[7Rappelons que Angelo Giuseppe Roncalli avait été nonce apostolique en France en remplacement de Mgr Valerio Valeri qui avait soutenu le clergé favorable à Pétain et qu’avant d’être nommé cardinal, puis élu pape, il fut désigné « patriarche de Venise » en 1953. Les Vénitiens s’en souviennent : son portrait est partout.

[8Cf. Paradis, Tel Quel n° 79, février 1979, p. 4. Points 879, p. 276. Paradis inclut régulièrement des références à l’actualité du moment où il s’écrit. C’est pourquoi il est important de le lire aussi dans la « publication permanente » que Sollers en fait dans la revue Tel Quel, puis dans la revue L’Infini, de 1974 à 1983.

[9Points, p. 302).

[10Il s’agit en fait de la main gauche. Cf. photo.

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7 Messages

  • Albert Gauvin | 17 octobre 2018 - 09:31 1

    Le 16 octobre 1978, Karol Wojtyla devenait Jean-Paul II.
    Bernard Lecomte, ancien journaliste à La Croix et auteur d’une récente biographie du pape polonais, revient sur ce jour qui a marqué l’histoire. LIRE ICI.


  • Alma | 23 février 2016 - 17:07 2

    Dans les écrits de Sollers, il y a aussi cette courte entrée en date du vendredi 16 octobre dans L’Année du Tigre, son Journal de l’année de 1998 publié au Seuil :
    « […]
    Encyclique de Jean-Paul II, Foi et raison (contre le scepticisme, l’historicisme, le pregmatisme, le scientisme et, finalement, le nihilisme) : ‘‘ Une fois la vérité retirée à l’homme, il est réellement illusoire de prétendre le rendre libre. Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble.’’ »
    Les lettres secrètes de Jean-Paul II à Anna-Teresa Tymieniecka dont on parle ces jours-ci sont certainement un pas vers la vérité…


  • Albert Gauvin | 21 février 2016 - 17:09 3

    L’attentat contre le pape Jean-Paul II — Qui se cache derrière Ali Agca ?

    Qui avait intérêt à s’en prendre à un pape très populaire ? Trente-cinq ans après, le mystère demeure autour de l’attentat dont fut victime Jean-Paul II en 1981. Cette enquête entremêle des éclairages d’experts et d’émouvants témoignages. VOIR ICI.


  • A.Gauvin | 30 avril 2014 - 13:18 4

    Tweeté (de l’Orient ?) et retweeté par VaticanCommunication le 26 avril à 19h09.

    La photo de Jean-Paul II et de Sollers en octobre 2000.
    Le livre La Divine Comédie est ici bien visible.

    Tweeté le 26 avril 2014 à 19h09. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


  • A.G. | 28 avril 2014 - 11:40 5

    Le vrai sujet

    De la double canonisation qui vient d’avoir lieu à Rome, je retiens les deux reliquaires embrassés par le Pape François et dans lesquels vous êtes tenus de penser que sont présents deux fragments terrestres de deux saints désormais au Paradis céleste. Tout le reste est anecdotique et échappe à tout le monde comme aux caméras.
    Rien à ajouter, et bonne soirée.

    Philippe Sollers
    Venise, dimanche 27 avril 2014, 19h30

    Voir l’intervention (vidéo) au début de cet article.


  • A.G. | 18 octobre 2012 - 12:53 6

    Jean-Paul II, pape conciliaire

    Un grand événement, un grand homme. C’est à travers le prisme du Concile Vatican II que Victor Macé de Lépinay et Pascale Rayet nous dressent dans ce documentaire un portrait de Jean-Paul II.

    France Culture

    A signaler la réédition de Vatican II : l’effet de la cure par Philippe Sollers (1985) dans la dernière somme de Sollers Fugues.


  • Alma | 2 mai 2011 - 19:50 7

    1983 (Femmes)
    Vous ne trouvez pas curieux que le quatrième verset du Notre Père soit manquant ? Récité en duo par le narrateur et le Saint-Père, le « Que ta volonté soit faite » résonne d’autant plus qu’il brille par son absence... Et je sais que vous rapportez fidèlement le texte du roman puisque j’ai fait la même remarque ailleurs, dans les années 1980...