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Godard et les femmes (1960-1983)

par Guy Scarpetta, Julia Kristeva et... Jean-Luc Godard

D 13 avril 2011     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans un entretien récent, à Anne Deneys-Tunney qui comparait les films de Jean-Luc Godard à ses romans, Philippe Sollers répondait :

« L’ennuyeux, c’est que Godard a un rapport malheureux à la substance féminine, je ne vous apprends rien. Un rapport plutôt tragique, et donc c’est le contraire de la peinture. Et de la musique aussi, désespérément. Mais c’est un cinéaste important qui a représenté toutes les impasses du cinéma, y compris les siennes propres. C’est le contraire de ce que je fais, si vous voulez. On dira un jour que ça s’est passé à la même époque, quand nous aurons disparu. Et que c’était absolument contradictoire. C’est comme avec Houellebecq. On dira que ça s’est passé plus ou moins à la même époque, mais que c’était l’exact opposé. Et c’est très bien comme ça, il faut qu’on voie les antipodes. C’est très démonstratif. » [1]
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Le N.O. du 10 mai 1985.

J’ai retrouvé, dans Le Nouvel Observateur du 10 mai 1985, une curieuse annonce : celle du synopsis d’un film qui se serait appelé Femmes, adapté du roman de Sollers et réalisé par Jean-Luc Godard. Évidemment, le film ne verra pas le jour. Pourquoi ?

J’ai décidé d’aller voir aux antipodes. J’ai revu des extraits des films de Godard, ceux que j’avais en mémoire. Je me suis souvenu d’un numéro remarquable que la revue art press avait consacré au cinéaste à la fin de l’année 1983.

spécial GODARD, déc. 84, jan-fév. 85. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Ce numéro, coordonné par Dominique Païni et Guy Scarpetta, exprimait ce que beaucoup pensaient alors (j’en étais, j’en suis). A la question « Pourquoi Godard ? », ils répondaient :

« D’abord, parce qu’on l’aime. Parce qu’on a commencé à aimer le cinéma grâce à lui (Le Mépris, Pierrot le fou). Parce qu’il cherche. Parce qu’il invente. Parce que nous tenons Passion ou Prénom Carmen pour des oeuvres d’art, parmi les plus importantes de notre temps, en une période où les véritables oeuvres d’art, au cinéma comme ailleurs, se font plutôt rares. »

Guy Scarpetta consacrait un long article aux divers aspects de l’oeuvre de Godard (son « impureté » fondamentale). Parmi ceux-ci : le regard porté sur les femmes. Julia Kristeva, de son côté, s’interrogeait, en psychanalyste attentive, sur « ces femmes au-delà du plaisir ». J’ai relu ces articles. Ils font sans doute partie, encore aujourd’hui, de ceux qui ont le mieux vu et décrit l’ambiguïté — douloureuse et aimante — du rapport de Godard à la « substance féminine » (pour reprendre la formule qu’aime utiliser Sollers). J’ai tenté d’illustrer ces articles à partir des séquences de films qui m’avaient le plus marqué. Il y a quand même de belles choses et de beaux portraits de femmes aux antipodes. CQFD.

Bande-annonce


Une femme est une femme, 1961 (durée : 1’53")
Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Jean-Claude Brialy
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Femmes

par Guy Scarpetta

[...] La relation des hommes et des femmes, dans tous les films de Godard, repose essentiellement sur du malentendu (grandes scènes, anthologiques, du malentendu définitif : entre Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, dans A bout de souffle ; entre Brigitte Bardot et Michel Piccoli, dans Le Mépris ; entre Macha Méril et Bernard Noël, dans Une femme mariée ; entre Anna Karina et Jean-Paul Belmondo, dans Pierrot le Fou) : à chaque fois, il est impossible de « communiquer », les personnages n’accordent pas le même sens aux mêmes mots, ils ne perçoivent pas les sous-entendus, la « vérité » de l’autre est inaccessible (en somme, la séparation radicale des deux sexes est liée à l’opacité même du langage, à son arbitraire, à ce qui le définit comme lieu du semblant).

Exemples

1. « Je ne t’aime plus »


Le Mépris, 1962 (durée : 3’48")
Michel Piccoli, Brigitte Bardot
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2. « On s’comprend jamais »


Pierrot le fou, 1965 (durée : 3’20")
Anna Karina, Jean-Paul Belmondo
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et quinze ans plus tard :
3. « On a envie de se toucher mais on y arrive qu’en se tapant l’un sur l’autre »


Sauve qui peut (la Vie), 1979 (durée : 2’18")
Isabelle Huppert, Nathalie Baye pdf , Jacques Dutronc
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Mais ce constat (pessimiste) quant au ratage obligé du « rapport sexuel » n’interdit pas, dans cette première période de Godard, un très fort indice de sensualité, notamment dans la figuration des corps de femmes. On pourrait distinguer, ainsi : une sensualité « triomphante », liée par métonymie à la splendeur lumineuse des paysages (Le Mépris, Pierrot le Fou) ; une sensualité plus fragile, plus tendre, celle de l’adolescence (Bande à part, Masculin Féminin, La Chinoise) ; une sensualité ambiguë, presque perverse (ainsi, le morcellement du corps nu de Macha Méril en très gros plans, dans Une femme mariée, ne renvoie pas seulement à son aliénation, à la façon dont elle peine à exister comme une « unité », à la façon dont ses partenaires ne lui renvoient que des images partielles d’elle-même, etc., — mais aussi à un investissement quasi fétichiste du détail physique, du fragment) ; une sensualité insidieuse, à la limite de ce qui pourrait la dissoudre (la façon dont Mireille Darc, dans Week-end, racontant une partouze d’un ton boudeur, blasé, contraint, suscite quand même un trouble certain, — moins par ce qu’elle raconte, puisque le brouillage délibéré de la bande-son rend ses paroles quasi inaudibles, que par la présence de son corps, la crudité ponctuelle de certains mots que l’on saisit au vol, la chaleur et le grain de sa voix), etc... Et même lorsque Godard s’attache à dénoncer l’aliénation féminine (à la presse du coeur, aux stéréotypes de la consommation, aux images publicitaires), si le regard est parfois cruel (l’interview de « Mademoiselle Age Tendre » dans Masculin Féminin), il n’en implique pas moins toute une dimension de tendresse, de désir (le regard critique est en quelque sorte adouci par le charme, la séduction : Une femme mariée, Deux ou trois choses que je sais d’elle).

Une femme mariée (bande-annonce)

Une femme mariée, 1964 (durée : 3’46")
Macha Méril, Bernard Noel
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Or, ce coefficient de sensualité semble disparaître avec la période « avant-gardiste » de Godard (à partir du Gai Savoir), comme s’il était soumis dès lors à un interdit, à une sorte de censure puritaine. Ou plutôt, on pourrait dire que Godard, depuis 68, a traversé trois formes de puritanisme : 1) le puritanisme marxiste, d’avant-garde (celui pour qui l’effet sensuel ou fantasmatique du cinéma, dont Hollywood est le symbole détesté, relève purement et simplement de l’aliénation, pour qui le plaisir suscité par l’image séductrice des stars est un « opium du peuple ») ; 2) le puritanisme féministe (celui qui, au nom de la dénonciation de la « femme-objet », en vient à soupçonner toute image féminine érotisée, et à exclure tout ce qui peut relever du jeu de la séduction) ; 3) le puritanisme paradoxal issu, par contre-investissement, du triomphe légal de la pornographie : face à la saturation paroxystique de la représentation sexuelle, Godard éprouve le besoin de prendre un parti-pris inverse, de dés-érotiser, par souci « réaliste », la figuration de la nudité (la scène de la vieille femme nue se lavant, dans Numéro Deux), de dé-valoriser le sexe (la mécanique sexuelle froide de la partouze, dans Sauve qui peut la vie, rien moins qu’excitante).

Ce qui est frappant, dans les derniers films, c’est que la sensualité, d’une certaine façon, revient (à travers, notamment, les voix et les corps d’Hanna Schygulla, de Maruschka Detmers, de Myriem Roussel), mais elle ne revient plus « comme avant », elle n’est plus « innocente » ; c’est une sensualité d’après les trois puritanismes, qui en porte irrémédiablement la marque : éclats de chair ou moment de jouissance physique comme arrachés à ce qui les nie, sensualité « surveillée », toujours déjà menacée. D’où les questions que pose Godard : comment suggérer l’indécence sans tomber dans la « mise à plat » pornographique ? Comment produire du trouble sans transformer le spectateur en voyeur fasciné ? Comment capter l’intensité de la nudité tout en échappant aux stéréotypes « érotiques » à la Play Boy ? Il n’est pas indifférent que ces questions prennent toute leur actualité autour d’une transposition moderne de la figure de la Vierge (pièce essentielle dans la stratégie jésuite, baroque, de résistance au puritanisme de la Réforme) [2]. Mais la marge de manoeuvre demeure très étroite, — il n’y a, pour le percevoir, qu’à comparer la « Carmen » de l’opéra de Bizet à celle de Godard : dans l’opéra, la sensualité de Carmen passe par tout un jeu de promesses voilées, de défis, d’offres et de refus, de stratagèmes, de provocation, de séduction ; chez Godard, au contraire, la séduction a été remplacée par la violence (la « rencontre » entre Carmen et José, dans une bagarre, un corps-à-corps, le jeu brutal et répété des portes qui claquent, etc.), le sexe est négativisé, déprécié (l’association entre le corps nu de Carmen et la façon, évoquée par José, dont les prisonniers appellent leur prison « le trou »), — le féminisme est passé par là, y compris dans l’attitude régressive qu’il a pu provoquer chez la plupart des hommes (la séquence où Carmen, farouche, insolente, pisse debout dans des toilettes d’hommes, tandis que Villeret, avec son allure de gros bébé, mange de la Blédine avec les doigts à même un petit pot) ; en somme, les moments sensuels, ceux où triomphe l’éclat charnel de Maruschka Detmers, semblent surgir d’une sorte de débâcle sexuelle de fond, et sans cesse sur le point de s’y engloutir à nouveau.

«  J’ai trouvé... — Quoi ? — ... la prison... pourquoi ça s’appelle le trou. »


Prénom Carmen, 1982 (durée : 7’01")
Maruschka Detmers, Jacques Bonnafé
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Il n’est pas interdit, sur ce plan, d’éprouver une certaine nostalgie pour la première période de Godard, — celle du Mépris, de Pierrot le Fou, celle où la sensualité s’exposait de manière plus directe, peut-être plus heureuse, moins « coupable ».


Pierrot le fou, 1965 (durée : 3’31")
Anna Karina, Jean-Paul Belmondo
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Mais il n’y a pas de retour possible à l’innocence perdue : la vraie question, en fait, aujourd’hui, après l’avant-garde, serait plutôt de savoir comment figurer sexuellement un corps de femme, c’est-à-dire, au fond, comment réinventer l’« effet-star » qui fit l’âge d’or du cinéma hollywoodien, sans le refouler (puritanisme), ni le pasticher (académisme « rétro »). La réponse du nouveau cinéma allemand (Fassbinder, Schroeter, Daniel Schmid) est, de ce point de vue, tout à fait intéressante : loin de nier l’« effet-star » », dans son artificialité érotique (comme le fit d’une certaine façon Godard, à l’époque où ses actrices, de Juliet Berto et Anne Wiazemsky à Isabelle Huppert, pouvaient être perçues comme des « anti-stars », des figures « naturelles »), il s’attache au contraire à l’exacerber, à le cérémonialiser à l’extrême, à le sur-artificialiser (on pourrait dire que les grandes actrices de ce cinéma, d’Ingrid Caven à Magdalena Montezuma, apparaissent comme des « stars paroxystiques »). Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si l’une des présences les plus charnelles des derniers films de Godard est précisément celle d’Hanna Schygulla, qui provient directement de cette esthétique-là. [...]

Guy Scarpetta, art press spécial Godard,
hors série n ° 4, décembre 1984-janvier 1985.

*


ces femmes au-delà du plaisir

par Julia Kristeva

Il y a longtemps que je n’avais pas vu de films de Godard mais l’occasion a fait que, récemment, j’ai pu en voir plusieurs d’affilée. J’ai donc été plongée dans un « bain » de Godard qui m’a fait prendre une conscience plus aiguë de l’importance de son art. Il est de toute évidence un des rares cinéastes aujourd’hui à conjoindre de manière tout à fait radicale et convaincante l’art de l’avant-garde (à mettre l’accent sur la forme, sur son autonomie, sur la fascination assujettissante qu’elle exerce sur les individus) et l’expérience de l’homme moderne déboussolé dans l’histoire contemporaine. On se trouve ainsi, avec ses films, devant une pratique d’un formalisme extravagant et d’un réalisme tout à fait poignant. On a le sentiment d’être de plain-pied dans le monde contemporain. Godard est un des rares artistes à se poser la question : qu’est-ce qu’un homme contemporain ? Mais il le fait à partir de la question complémentaire : comment pourrais-je le montrer ?

Conjonction entre le formel et l’idéologique. Il me semble important, actuellement, d’insister sur cette particularité de l’art de Godard, à la fois très poétique et très engagé, et, à cause de cette conjonction, ni vraiment l’un ni vraiment l’autre. Important, parce qu’on est dans un contexte assez curieux. On assiste, en ce moment, à une dénégation et de l’avant-garde et de la pensée qui s’efforçait d’en saisir le tranchant ; pensée qui avait occupé deux ou trois décennies, disons des années 50 aux années 70-80. Tout ce travail est en train d’être dénigré. D’un côté, par une certaine facilité médiatique qui croit à la spontanéité, à l’expression immédiate du vécu intensif et passionnel. D’un autre côté, par une critique universitaire. Je m’étonnais encore tout récemment de lire, dans une revue prestigieuse, un débat engagé de façon policée et complaisante entre les tenants du « formalisme » et les tenants de « l’histoire », pour découvrir des lapalissades du genre : l’art véhicule des idées mais sous une forme particulière qui est sa forme spécifique. On le savait depuis longtemps, évidemment, et, en plus, des pensées aussi élaborées que celles de la psychanalyse ou de la sémiologie (je pense à Roland Barthes, notamment) avaient essayé de rendre compte — avec précision et émotion — de cette expérience de l’art moderne, qui consiste à restituer des idées et des identités subjectives et morales bouleversées, à partir d’outils de plus en plus sophistiqués mais en même temps de plus en plus accessibles à un vaste public. J’ajouterai, dans la série « régressions », le v ?u de certains romanciers se réclamant d’un réalisme, socialiste ou populiste, je ne sais comment l’appeler, qui veulent en finir avec le jeu des formes comme moyen d’accès à l’expérience réelle des individus.


Un baroque désolé


Deux ou trois choses que je sais d’elle :
collage ou puzzle (1967).
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Pour en revenir à Godard, nous nous trouvons, je crois, devant un geste de synthèse qui permet de cerner la condition de l’homme moderne caractérisée par une perte sans précédent des valeurs, par la désintégration, la dissipation des unités et des identités (ce qui n’est pas sans évoquer l’inconstance et le puzzle mobile de l’art baroque) mais aussi par un manque d’issue transcendante, de perspective de salut. Les religions de l’homme moderne, y compris ses religions politiques, se fissurent quand elles ne sont battues en brèche. C’est ce qui donne à ce « baroque » une connotation dolente et désolée, mais du coup plus réelle, plus véridique pour les années 80. Dans un des films, Sauve qui peut (La Vie), il me semble, un personnage dit que nous sommes à la fin du monde. C’est souvent l’impression, en effet, que donnent les oeuvres de Godard. Comme dans la parole d’une séance d’analyse, nous sommes au bord de quelque chose : ce bord retient une expérience qui n’est pas dévoilée, qui reste non dite, qui est là, qui insiste, qui a son poids mais sur laquelle on n’a ni besoin ni moyen de revenir.

Plus encore et par ailleurs, ce bord ouvre sur quelque chose d’inconnu, d’incertain, pour lequel il n’y a pas, à proprement parler, de l’enthousiasme, mais simplement une joie « performative » : la joie de dire, la joie de faire le film, par exemple. On est donc toujours dans une situation extrêmement précaire, sans pour autant qu’elle soit ni apocalyptique, ni paradisiaque, ni prophétique. Je crois que cet état d’esprit, qui est un trait d’époque, a trouvé chez Godard aussi bien son expression plastique que sa temporalité.

Pour ce qui est de la temporalité, elle n’est pas non plus sans rappeler le temps des séances analytiques, Godard insiste beaucoup sur le fait qu’il n’y a pas d’histoire, que raconter des histoires ça l’ennuie. Et pourtant, nous sommes là devant des fragments, des condensés d’histoire résumées par un trait, qui s’adjoignent et qui font que, de temps en temps, nous sommes complètement perdus ; c’est la dissipation totale, le fil est complètement perdu. Ainsi dans Passion : il y a les histoires de la peinture, les histoires de la famille du patron, les histoires du Polonais, les histoires de l’ouvrière... Le spectateur que je suis a l’impression de se trouver dans un vrai chaos, et puis brusquement, dans cette fragmentation temporelle d’instants, quelque chose prend. Une histoire prend ; comme on dit de la mayonnaise, mais aussi de la vérité, qu’elle prend. Seulement, ça n’a pas de suite, ça va nulle part, sinon en Pologne, c’est-à-dire en effet nulle part comme l’a révélé Jarry. Donc, au moment où « ça prend », c’est désamorcé. Le temps est celui de l’instant, mais aussi de l’indéterminé, de l’indécidable.


Machinerie fantasmatique : les hommes

Pour ce qui est de l’expression plastique de cet univers, je crois que les personnages féminins expriment le mieux ce que je tente de cerner. L’univers de l’image en général, mais plus particulièrement encore de l’image cinématographique, c’est l’univers du fantasme. Nous allons au cinéma pour nous laisser séduire par cette chambre obscure où se projettent nos rêves que, dans nos solitudes, nous n’osons pas conduire à leur acmé. Dans les films de Godard, le fantasme est là mais il subit les mêmes opérations que le temps et les histoires. Il est morcelé, il est fragmentaire. Enfin ou plutôt surtout, c’est un fantasme des hommes. Exemple-type : le P.D.G. dans Sauve qui peut (La Vie) qui organise cette scène érotique à la fois sublime et dérisoire.

« Vous savez comment on appelait les femmes au Moyen-Âge ? Des sorcières. »
Pourtant, au premier plan : des fleurs


Sauve qui peut (la Vie) (durée : 2’18")
Isabelle Huppert
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On se rend compte que ce qui fait agir le fantasme, c’est l’auto-érotisme de ce patron, au bout duquel se trouve peut-être ce qui est la clé de sa machinerie fantasmatique : se voir mère fardée, être la maman-putain. Et à l’intérieur de cette matrice, si je puis dire, se meuvent le serviteur ainsi que des femmes désabusées qui participent en étant... ailleurs. D’autres thèmes érotiques présentent aussi des hommes investis dans la quête d’un objet partiel (d’un objet sexuel qui peut être les « nichons » de la petite fille de Dutronc par exemple, alors que les femmes (y compris dans la scène du coït où l’une d’elles simule le grand plaisir) sont en train de penser à comment acheter un appartement ou faire la vaisselle, ou à je ne sais quelles autres activités pratiques qui les décalent complètement de la scène du fantasme. Autrement dit, Godard semble attribuer la fantasmatique érotique à une sorte de fabrique avec une identification auto-érotique secrètement « féminine » propre aux hommes, alors que les femmes sont données comme, je dirais, au-delà du principe de plaisir. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas intéressées par le plaisir ou qu’elles n’en éprouvent pas, avec les délices d’un gâteau, d’un bijou voire du sexe. Mais la dynamique de leur subjectivité est ailleurs. Elle est, me semble-t-il, du moins dans les films que j’ai vus, dans la violence, dans la pulsion de mort, dirait-on avec Freud, et dans la jouissance qui les pousse ailleurs, vers quelque chose d’impossible, auquel elles ne croient pas beaucoup et pourtant qu’elles maintiennent.

La violence, elle éclate à plusieurs reprises dans les films de Godard : scène de guerre ; scènes de lutte comme celle dont est victime Isabelle Huppert dans Sauve qui peut (La Vie) (parce qu’elle veut être indépendante, elle est battue) ;

« Vous croyez qu’on peut être indépendante ? »


Sauve qui peut (la Vie), 1979 (durée : 1’06")
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bagarres entre femmes, comme dans Passion ; ou, de manière plus sournoise, lorsque Dutronc est écrasé par une voiture, c’est l’indifférence de sa fille et de sa femme qui, en fait, l’ont envoyé à la mort. Cette violence est toujours présente, mais comme congelée, comme arrêtée, comme au bord de son expression et de son déchaînement. Et quand elle éclate, c’est comme s’il y avait des raisons sociologiques pour cela : la grève, la lutte des classes... Il faut la rationaliser pour lui permettre d’être.

Il y a aussi ce que j’appelais tout à l’heure la jouissance. Une femme rêve d’un ailleurs, de quelque chose d’impossible, — Nathalie Baye, avec son vélo, qui n’arrête pas de se déplacer, comme une fugueuse, pour chercher un terrain de sport, la vie en plein air,... un homme écolo, n’importe quoi... ;


Sauve qui peut (la Vie), 1979 (durée : 1’32")
Nathalie Baye
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ou bien ces deux femmes, Schygulla et Huppert qui prennent leur voiture pour quêter un bonheur impossible à travers un homme qui s’avère de toute façon impossible à apprivoiser, inaccessible ; ou encore cette femme qui dit à Dutronc qu’elle ne veut pas compter sur mais avec quelqu’un... Ces femmes désirent l’échange, l’intersubjectivité, l’amour, auxquels pourtant elles ne semblent pas croire. Elles ont quelque chose de désabusé, d’intrinsèquement déçu. Des veuves absolues ténébreuses, endeuillées. Des mélancoliques réservées « clean », « neat ». Cette déception propre à l’univers féminin, propre aux films de Godard, est très particulière. Elle est donnée comme le contrepoids et en même temps la prolongation, la réplique, de ce qu’est la jouissance telle qu’elle se manifeste dans la religion catholique antérieure et est telle qu’elle est représentée dans l’art plastique. Ainsi, dès le début de Passion, on comprend que la passion, justement, est celle des grands maîtres : Rembrandt, Gréco, Delacroix..., et celle de l’artiste contemporain, Godard sous la figure de Jerzy, qui essaie de reproduire les chefs-d’oeuvre de ces peintres, et donc d’être à la hauteur de leur exaltation, de leur passion, disons de cette jouissance ancienne. Par contre, le monde moderne auquel participent les femmes (car le contemporain, c’est surtout ces femmes-là : l’ouvrière dans son usine), il est un peu froid ; pendant toute la première partie du film, il n’arrive pas à s’imposer.

Le début de Passion

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Et puis, peu à peu, les choses se contaminent et la passion bascule dans le camp de la vie moderne, dans le camp de la vie des femmes. Jerzy sert d’abord d’intermédiaire entre elles ; elles se le disputent à travers une jalousie très succinctement indiquée ; puis il disparaît. Elles se trouvent alors toutes deux ensemble, elles prennent la voiture pour le retrouver... Le voyage continue. Ce n’est pas le voyage dans l’au-delà de la peinture et de la religion, mais il y en a quand même un. Une certaine chaleur et une sexualité désexualisée se réalisent là, dans cet entre-femmes Schygulla/Huppert.


Ces femmes qui n’y croient pas

Cette problématique de la passion lucide et retenue, ce côté blessé, endeuillé et néanmoins possible m’a fait penser à deux choses. Deux choses qui peuvent paraître contradictoires. La première, c’est qu’il s’en faut de peu pour que cet univers de Godard, très fortement imprégné de la présence de ces femmes-là, rappelle ce que Dante avait décrit dans le troisième Chant de L’Enfer et qu’il appelle « la cité dolente ». C’est un univers désolé, endeuillé, peuplé par des gens qui ne sont ni soumis à Dieu ni rebelles à Dieu. Ils sont entre deux. Il les appelle d’ailleurs « la secte des chétifs fâcheux à Dieu et à ses ennemis ». On évite les bords. Pas de paroxysme. C’est ni Dieu ni son envers. Cette situation de retenue, de mélancolie rentrée, de désolation, est décrite par Dante comme un enfer. D’ailleurs le péché de la cité dolente se paye par quelque chose d’horrible : il n’y a pas d’espérance de mort, ces gens ne peuvent pas mourir, l’univers de Godard n’est pas sans être menacé par l’ombre de la « cité dolente » Elle se manifeste par un certain ennui qui parfois saisit le spectateur. Celui-ci s’ennuie parce qu’il attend la séduction, le fantasme mené jusqu’au bout et la gratification. Cependant si une telle menace existe, elle est néanmoins dépassée par la jubilation de la performance esthétique, par la beauté des tableaux, par exemple, que le cinéaste polonais imite des grands peintres et qui, dans le cadre du cinéma, deviennent des chefs-d’oeuvre de réalisation plastique. Elle est dépassée aussi par la beauté sans fard et une certaine joie dans le jeu, de ses actrices.

Je suis très sensible au traitement à la fois impitoyable et chaleureux auquel il soumet les visages féminins. Je n’ai jamais vu Schygulla aussi ravagée et en même temps aussi touchante : on voit les rides, toutes les imperfections de la peau. Le jeu des deux images dans la séquence vidéo de Passion accentue cet aspect défait du visage.

« Prends-moi dans tes bras »


Passion, 1983 (durée : 1’16")
Hannah Schygulla, Jerzy Radziwilowicz
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Mais, à travers la décomposition apparaît la défaillance dans ce qu’elle peut avoir de prometteur et de porteur, de démesure ou de dépassement vers... nulle part. Il y a toujours une déception et cependant elle est un gage de vie. Prenons aussi Huppert, que j’aime beaucoup. C’est à mon sens une des meilleures actrices de sa génération. Dans le film de Godard, c’est étrange, elle n’arrive pas à être abîmée. Elle est constamment lisse, son visage ne se prête pas à la décomposition. Par contre elle montre un autre aspect de cet impact du féminin chez Godard : elle est toujours au seuil de la passion ou de l’enfance, mais elle ne bascule jamais ni dans l’une ni dans l’autre. On lui trouve une fragilité infantile mais ce n’est jamais l’infantilisme que manifestent certains hommes chez Godard. Elle est prête à entrer dans un jeu passionnel et pourtant elle est toujours retenue par une lucidité qui voisine presque le cynisme. D’où ce côté à la fois petite fille et calculatrice, dure, qu’ont en général les femmes chez Godard.

Ce rôle très particulier des femmes, est-il un fantasme de Godard ? est-il significatif de la situation de la femme contemporaine ? est-il intrinsèquement, universellement féminin ? Difficile de répondre... Ce qui me frappe, dans ce qui reste du mouvement féministe contemporain, c’est le constat de l’abîme qui sépare les sexes, de l’incompatibilité des désirs ou des projets des deux sexes, projets sexuels ou existentiels... Au sein de cette incompatibilité, a émergé une figure, un rôle féminin qui n’est pas seulement le contre-coup opposé à la figure de la militante : la séductrice. C’est plutôt une femme qui a radiographié sa sexualité, qui ne la refoule pas, qui donc peut se donner une liberté sexuelle certaine, mais qui en même temps garde une certaine blessure, un mécontentement et par-delà tout cela, un acharnement à vivre, une grande violence et une étonnante adaptabilité à la vie moderne. Ça, c’est un trait d’époque que Godard a capté sur le vif.

A la troisième partie de la question : est-ce intrinsèquement féminin ?, je répondrai par cette phrase de Lacan qui dit quelque part qu’une femme « est psychanalyste née » et qu’il corrige tout de suite en soulignant que celles qui sont peut-être le moins bien analysées régentent le champ psychanalytique. Ce qui veut dire qu’à se tenir à son refoulement, une femme peut devenir, sinon psychanalyste, du moins responsable, maître ou maîtresse, dans le domaine de la psychanalyse comme ailleurs. En somme le problème qui se pose est de savoir si cet au-delà du principe de plaisir qui me semble caractériser la sexualité féminine, (celles des femmes de Godard en particulier), accède à une vérité du sexuel — et dans ce cas, une femme peut jouer le rôle d’analyste sans qu’elle soit derrière un divan mais aussi bien dans la vie quotidienne ou à l’intérieur d’un film, pour dire par exemple la vérité du fantasme masculin, ou bien au contraire est-ce que cet au-delà du principe de plaisir, avec son exposition à la violence, à la mort, à la jouissance..., n’est pas le comble du refoulement ?


Sauve qui peut (la Vie). Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Est-ce qu’il n’y a pas une amorce possible de tyrannie chez ces êtres accomplis, si lucides et si désabusés ? Dans ce cas, leur côté lucide, désabusé, ferait trop vite l’économie du fantasme de l’homme qui en tant que tel, y compris dans son enfantillage auto-érotique ou régressif qui avoue son adhérence au féminin, au rouge à lèvres, etc, comporte, lui aussi, et peut-être plus encore, sa vérité d’incomplétude, d’abjection et d’aspiration insatiable au non-sens.

Si l’on voulait aller au bout de cette logique, on pourrait imaginer facilement qu’une de ces deux potentialités féminines se retourne contre l’infantilisme de l’homme, et qu’elle ironise ou réprime sournoisement son fantasme. D’ailleurs souvent le fantasme érotique chez Godard correspond à une sexualité masculine auto-érotique qui évite le coït au profit de la fellation ou de la sodomie. D’où évocation de la masturbation, de la relation homosexuelle éventuelle et, pour finir, la mise à nu de la face féminine de l’homme. C’est ce qu’on entend de la part de patients qui ont une forte activité auto-érotique : le coït, la pénétration sont vécus comme soit désagréables parce qu’ils opposent le corps de l’autre, et évoquent la castration. En réalité, cet être-pour-le-sexe dont on nous dit qu’il est l’être de la femme et de l’homme modernes, impose moins un espoir de jubilation ou de plaisir réciproques, que la prise en considération de l’autre, et donc nous confronte à la castration que l’existence de l’autre inflige.

Or, c’est précisément ce qui est évité par l’homme dans les fantasmes tels qu’on les voit aussi dans les films de Godard. D’ailleurs pourquoi pas ? Allons encore une fois jusqu’au bout : la castration « assumée » serait une sorte de normalisation aphone, aphasique et sans créativité. Il y a dans la perversion quelque chose qui est en rapport avec l’innovation artistique ; le fait même d’imiter les grands maîtres, (Jerzy dans Passion) de refaire leurs tableaux, n’est pas sans relations avec cette sexualité auto-érotique, morcelante et recomposante. Par contre, il n’y a pas d’assujettissement explicite nommé, des femmes de Godard au principe de la castration, du manque ou du renoncement. Au contraire, tel le phoenix, elles renaissent des cendres de la cité dolente, qu’elles incarnent par ailleurs ; comme elles sont aussi le contrepoids de cette agitation révolutionnaire qu’elles déplacent vers les régions plus banales et plus réelles de l’amour (Prénom, Carmen). Il y a, néanmoins, à travers leur tristesse, leur rigueur, leur lucidité, à travers ce deuil, cette mélancolie secrète, retenue, le constat d’une perte. Peut-être s’agit-il là de la perte de l’objet maternel, du fantasme chagrin de ne pouvoir plus compter sur cet objet maternel. On ne peut plus compter sur maman ; donc il faut se débrouiller, quitte à retrouver dans cette débrouille une Hanna Schygulla avec qui on vivra une sororité distante.


Un voyeur de l’autre côté du désir

Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’un univers comme celui-ci ait conduit Godard à interroger la maternité dans un film qui n’est pas encore sorti : Je vous salue Marie. (On pense aux interrogations de Sollers sur la Vierge.) A visionner le sexe féminin, c’est-à-dire ce qui est de l’ordre de l’invisible, dans son autre désir, désir dominant peut-être chez la femme du moins à certaine époque· le désir d’enfanter. Il est sans doute nécessaire que le visible se confronte à l’invisible, à l’irreprésentable, essaie de le pénétrer, si je puis dire, et que par le même mouvement la caméra interroge la fonction maternelle, la naissance, l’accouchement, le fait de donner la vie. Fantasme limite de l’homme créateur en même temps qu’horizon toujours quelque part inatteignable pour la femme elle-même, y compris quand elle est mère (« est-ce que je le suis comme ma mère l’était ? »). Peut- être que l’idéalisation ultime est celle de la mère. Dieu dérobe une déesse, on le sait. Marie sacrée, un jour ou l’autre Godard devait l’aborder sur sa lancée de voyeur de la modernité dont je parlais au début et qui consiste à démonter les fantasmes fondamentaux. Mallarmé pensait déjà que l’art moderne est « un démontage impie de la fiction ». L’impie, c’est à la fois l’impitoyable et l’irreligieux qui peuvent ne pas toucher le féminin dans son essence de secret vaginal et maternel, d’invisible clé du destin de l’espèce. La reproduction : envers opposé et solidaire du désir... Autre point à noter : les scènes sont suggérées plutôt que montrées (ainsi la séquence avec le P.D.G. et Isabelle Huppert).


Hannah Schygulla et Isabelle Huppert dans Passion. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

On peut se demander si là aussi ce n’est pas davantage un regard de femme qui se pose sur ces scènes. La fantasmatique féminine est beaucoup plus pudique et réservée, plus puritaine, si on veut. On a le sentiment que la caméra alors est un oeil de femme. On est assez loin du voyeurisme, de l’exhibitionnisme plus pervers de la sexualité masculine qui s’adonnerait plus volontiers à une démonstration pornographique. Rares sont les femmes qui entreraient dans ce jeu, et quand elles le font (des textes le prouvent, peut-être même des films), c’est soit dans l’anonymat, soit au risque de décompensations qui conduisent très vite à des limites schizoïdes.

Godard serait-il le cinéaste qui a le plus de sympathie pour la femme moderne, sympathie qui n’est pas loin parfois de la pure et simple identification ? Il est probablement un de ceux qui ont le mieux compris la femme moderne, y compris dans son refoulement ou dans son au-delà du refoulement, avec ses deux bords de porteuse de vérité et de frein. Sa radiographie est sans complaisance. On peut regretter qu’il n’y ait pas plus de séduction, qu’il n’aille pas avec plus de faste dans la mise en image du plaisir, mais c’est comme ça. Est-ce la marque du protestantisme ? Il est, quoi qu’il en soit, à l’unisson avec l’imaginaire féminin contemporain. Lequel, ai-je assez insisté ?, est ambivalent : de la censure possible à l’éveil probable d’une vérité. « Je te vois » disent ces héroïnes. Ce qui peut vouloir dire « je te condamne ; ne fais pas ça ! » Mais en même temps cela peut vouloir dire : « passons ; vas-y. Mais le sexe est ailleurs ». Un tel univers peut déboucher sur un surplus de jouissance, avec son halo de régression, d’évasion, d’utopie, d’ésotérisme..., ou sur un surplus de violence comme le monde d’aujourd’hui. Godard n’a pas de réponse. Il en cause. Il en fait des images. Il en a la vision. Sa prétention modeste n’est pas de proposer des solutions, mais de montrer, par indices, sans vraiment dévoiler. Rarement l’image a été aussi proche de l’ellipse...

Julia Kristeva, Propos recueillis.

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Epilogues

1. « Est-ce que vous m’aimez ? »

C’est la question que pose Raymond Devos dans cette magnifique séquence de Pierrot le fou (1965). N’en dit-elle pas plus que l’on ne croit sur les personnages masculins chez Godard et leur solitude fondamentale ? Sur Godard lui-même ? « Vous entendez, cette musique ? » Cette plainte ? Cette folie toujours menaçante (« Est-ce que je suis fou ? ») ? La réponse, en tout cas, est (même si on l’entend à peine) : « vous entendez ? vous n’avez rien compris ! »


Pierrot le fou, 1965 (durée : 4’10")
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2. « Au revoir ! »


Passion, 1983 (durée : 30")
Hannah Schygulla
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Vingt ans après...

Jean-Luc rencontre Anna...


ou quand le réel égale la fiction.

Bains de minuit, 1987 (durée : 10’31")
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1981 : Isabelle Huppert dialogue avec Godard

En 1981, pour parler de Sauve qui peut la vie, le dernier film du cinéaste Jean-Luc Godard, Spécial Cinéma propose une émission à la forme inhabituelle, car montée, sonorisée, à la façon du style cinématographique du réalisateur franco-suisse. C’est surprenant, et on y retrouve Godard et l’actrice principale Isabelle Huppert.

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Quarante ans après

Isabelle Huppert présente Passion

@Rétrospective Jean-Luc Godard - Cinémathèque Française 31/01/2020.

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[2Voir Émile Mâle, L’Art religieux du XVIIe siècle, éd. Armand Colin.

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3 Messages

  • Albert Gauvin | 19 octobre 2022 - 10:33 1

    Antonin Proust, l’ami de Manet : « C’est curieux comme les républicains sont réactionnaires quand ils parlent d’art. » La preuve, tout en nuances.


  • Albert Gauvin | 12 octobre 2022 - 00:06 2

    Sensuelles, fragiles, provocatrices, épouses et/ou prostituées, émancipées ou soumises : nombreuses furent les femmes dans l’oeuvre de Jean-Luc Godard. De la garçonne Jean Seberg à la dénudée Brigitte Bardot sans oublier bien-sûr l’envoûtante Anna Karina ... Le réalisateur suisse, disparu à l’âge de 91 ans, aimait filmer les femmes, à sa manière, sans fioritures, mais sans point de vue féministe. LIRE ICI.


  • Albert Gauvin | 18 mai 2018 - 12:50 3

    Juliet Berto et Anne Wiazemsky, muses de Godard et icônes de Mai 68


    © ARCHIVES DU 7EME ART / PHOTO12
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    En 1967, sous la caméra de Godard, Juliet Berto et Anne Wiazemsky annonçaient la révolte et le bouleversement qu’allait être Mai 68. Jeunes et rêveuses, elles devenaient, sans le savoir, le symbole d’une époque et d’une génération.

    Dans ses dernières années, elle n’avait plus qu’une obsession. Ce mois charnière de l’année 68, « ce beau mois de mai », qu’elle avait vécu puis fantasmé. Anne Wiazemsky s’était enivrée de l’effervescence de la jeunesse en colère. Elle avait 21 ans à l’époque mais ne montait pourtant pas sur les barricades de la Sorbonne, préférant zigzaguer entre les grévistes, perchée sur ses patins à roulettes. « Nous venions d’emménager dans un appartement […] au 17 rue Saint-Jacques, dans le Ve arrondissement […] idéalement situé, près de la Sorbonne, du boulevard Saint-Michel et de la Seine », écrit-elle dans Un an après, récit autobiographique publié en 2015, deux ans avant son décès. Elle s’était lassée de son logement qui avoisinait L’Élysée et la Place Beauvau et avait voulu s’installer dans un quartier estudiantin et fourmillant. De l’animation, elle n’en manqua plus : de son balcon, elle pouvait observer la clameur des manifestants, avec à ses côtés, son Jean-Luc dont elle était la nouvelle muse. Godard, de 17 ans son aîné, l’avait épousée en juillet 1967 sur un coup de foudre, ou plutôt un coup de tête. Ils se sépareront trois années plus tard.

    Ainsi, on comprend aisément pourquoi Anne Wiazemsky appréciait tant « ce beau mois de mai » 1968 : il était le paroxysme de sa passion, le croisement de ses plus belles années, du moins les plus folles. Celles où elle a certainement le plus aimé. Celles où elle a brillé sur grand écran, avant de l’abandonner petit à petit pour se consacrer à sa plume : elle jouait alors pour Pasolini, Ferreri, Cournot et surtout Godard, bien évidemment.

    Une longue marche

    Si Anne Wiazemsky est tant attachée à Mai 68, c’est qu’elle l’a elle-même incarné. Petite-fille de François Mauriac et fille d’un diplomate aristocrate russe, elle n’avait été mêlée que très rarement aux problèmes du petit peuple, jusqu’à son inscription en philosophie à Nanterre. Tous les matins, sur le chemin de la faculté, elle croise les ouvriers qui triment pour quelques kopecks, et traverse les bidonvilles de la banlieue nord. Elle découvre également un monde en pleine métamorphose : en 1967, Nanterre bouillonne déjà, bien avant que d’autres foyers s’enflamment l’année suivante. Anne Wiazemsky fréquente les groupes marxistes-léninistes qui se revendiquent maoïstes – ceux qui inspireront à Godard La Chinoise –, mais aussi des anarchistes, à l’instar de Daniel Cohn-Bendit qu’elle citera dans ce même long-métrage. Godard, 37 ans, pipe au bec, l’accompagne régulièrement dans ces pérégrinations estudiantines.

    Ce sera donc le sujet de son prochain film, qui sortira dans les salles en août 1967 : cinq jeunes confortablement installés dans un appartement bourgeois, qui passent leur été à philosopher et à refaire le monde. Outre Brecht qu’ils lisent religieusement, leur maître à penser est Mao Zedong, le président du parti communiste chinois. Comme une métaphore de leur pensée, leur salon est encombré de petits livres rouges. Ces jeunes gens – Jean-Pierre Léaud, traits encore juvéniles, en tête – représentent cette nouvelle génération qui ne veut surtout pas « ressembler à ses parents ». En voix off, Anne Wiazemsky conclut ce film, en le présentant comme « tout le contraire d’un grand bond en avant, les timides premiers pas d’une très longue marche ». Cette marche, ce sera Mai 68, les slogans, la grève générale, jusqu’à la fuite du Général de Gaulle à Baden-Baden.

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    « La France en 67, c’est comme des assiettes sales »


    Anne, Jean-Pierre, Juliet.
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    Dans La Chinoise, une autre voix féminine s’élève : celle de Juliet Berto, comédienne débutante également repérée par Godard qui l’avait fait jouer quelques mois plus tôt dans Deux ou trois choses que je sais d’elle. Elle interprète Yvonne, jeune paysanne fraîchement débarquée de sa campagne et pas encore dégrossie. Candide certes, mais intrinsèquement révoltée. Dans une scène du quotidien – une scène de vaisselle –, elle résume en une phrase la température de son temps : « La France en 67, c’est comme des assiettes sales ». Avec ces quelques mots, Juliet Berto, 20 ans – exactement le même âge qu’Anne Wiazemsky – devient l’icône de toute une génération. Elle incarne le renouveau du cinéma mais aussi, à plus large échelle, celui de la société. Elle fascine les réalisateurs : elle tourne dans cinq films en 1968 et Claude Miller lui écrit même un court-métrage, Juliet dans Paris. Tout comme Yves Simon qui l’érige en symbole d’une époque avec une chanson, Au pays des merveilles de Juliet, sortie en 1973 :

    Sur les vieux écrans de soixante-huit,
    vous étiez Chinoise, mangeuse de frites
    Ferdinand Godard vous avait alpaguée
    De l’autre côté du miroir d’un café

    Maman on va cueillir des pâquerettes
    Au pays des merveilles de Juliet

    Récemment interrogée par franceinfo :, l’historienne Florence Montreynaud a qualifié Mai 68 de « révolte d’hommes », pour ne pas dire « révolution machiste ». À l’heure où les célébrations – certains préfèreront commémorations – du cinquantième anniversaire se multiplient, les femmes semblent en être les grandes absentes. Mais dans cette masse masculine de révoltés, une femme, une actrice, s’est bien distinguée. Ainsi le réalisateur Noël Simsolo parlait de Juliet Berto : « c’est une insurgée pour laquelle le plus petit compromis tient place d’injures suprêmes et inacceptables. »

    Pierrick Geais, Journaliste pour Vanity Fair.

    LIRE AUSSI : A propos de La Chinoise (suite)
    Jean-Luc Godard & Anne Wiazemsky

    PS : Juliet Berto, pseudonyme d’Annie Jamet, est née à Grenoble le 16 janvier 1947 et morte à Breux-Jouy, le 10 janvier 1990. Voici son portrait par Gérard Courant (1984).