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Ainsi soit-elle

Benoîte GROULT,

D 11 décembre 2010     A par Raphaël FRANGIONE - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


La lecture de "Mon évasion", le dernier livre de Benoîte GROULT, me permet de revenir sur le thème de la condition de la femme et sur le processus d’émancipation encore inaccompli. L’actualité nous rappelle la condamnation à la lapidation de l’Iranienne Sakineh Mohammadi-Ashtiani accusée de meurtre et d’adultère.
La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes a été justement l’occasion d’attirer l’attention de tous et en tous continents, sur la violence, tortures et sévices perpétrés quotidiennement à l’encontre des femmes.
Ma réflexion personnelle veut contribuer à la sensibilisation, notamment le monde de la littérature,au problème des violences et plus spécifiquement aux rapports de force inégaux entre l’homme et la femme.
Philippe Sollers a toujours défendu le principe de la révolte qui mène à la liberté de penser et à la justice. Une révolte, bien entendu, qui suppose une pensée et qui s’enrichit de discussions.


«  Il faut que les femmes crient aujourd’hui(...)
qui n’est pas un cri de haine(...) mais un cri de vie
 ».
Benoîte GROULT, Ainsi soit-elle, Le Livre de Poche, 1975, p.220.

Benoîte GROULT ou l’autre côté (humain) du féminisme.

Depuis plusieurs années le panorama littéraire français s’enrichit d’une production éditoriale qui semble rencontrer l’intérêt et le plaisir de bon nombre de lecteurs. La motivation est à rechercher dans le fait que l’autobiographie, en tant que genre littéraire intimiste, fouille dans les recoins les plus mystérieux de la personne/auteur dont on s’attend des révélations autres que celles officielles.

Malgré les risques d’ambiguïtés et d’emphatisation difficiles à déraciner sur le plan de la vérification documentaire, toute création autobiographique a incontestablement du succès. Construite sur l’écriture à la première personne ça permet au narrateur de s’exposer et d’exposer plus ou moins directement son intimité secrète à la curiosité d’un lecteur avide de connaissances et de bizarreries. Autrement dit, le narrateur est à la fois sujet et objet du texte non tant pour créer un événement médiatique, mais pour mieux s’interroger sur les faits, les sensations et les réactions possibles.

« Mon évasion » de Benoîte GROULT est un des textes les plus récents (Grasset, 2008) qui s’insère parfaitement dans ce paysage romanesque français où l’exigence vaniteuse et l’exubérance de tout dire se fondent dans un langage aussi simple que vivant. L’auteure y aime se présenter en tant que femme désirante et cultivée, prête à défendre avec fierté l’ambition à faire partie du monde des lettres et, en même temps, à se laisser aller vers la jouissance la plus effrénée.

Ce dernier point a particulièrement intéressé une partie de la presse et des médias nationaux au point qu’on a parlé d’un possible retour à une sorte de néo-féminisme. Or, que les femmes se préoccupent de leur sexualité mise en rapport direct avec leur fonction sociale, ça n’étonne plus personne, dès que le sociologue Pierre BOURDIEU a largement soutenu dans ses textes la thèse selon laquelle il y a une relation entre les performances sexuelles des partenaires et leur condition sociale. Ce qui étonne c’est que, après Mai 68, c’est encore la femme qui pose la question féminine en termes de nécessité d’une modification profonde de la sexualité dominante et des rapports entre l’homme et la femme dans un contexte non plus d’asservissement mais de collaboration paritaire.

Dès la publication du « Deuxième sexe » (1949) de Simone de BEAUVOIR le débat sur la condition féminine tend essentiellement à la poursuite de trois grands objectifs : [1]. prendre de plus en plus conscience que la diversité entre les sexes n’est que d’ordre physiologique ; 2. légitimer, une fois pour toutes, certaines grandes valeurs humaines et intellectuelles de la femme que les luttes sociales et politiques instituées autour avaient, de facto, méconnues, bien plus, considérées nocives ; 3. reprendre le message de Simone de Beauvoir alors qu’elle affirmait que la fonction de reproduction assurée nécessairement par les femmes passe par une totale libération au niveau culturel et formatif.

Tout au long de ces vingt dernières années, les femmes ont poursuivi une nouvelle stratégie. Elles ont cultivé un autre projet plus ambitieux, où la maternité est pensée comme acte de création et de source d’identité et de pouvoir. Elles revendiquent, en fait, le droit à la maternité volontaire récupérant la libre disposition de leur corps et de leurs désirs. Conséquence, cette focalisation sur le sexe, cette excitation constante d’en parler, cette technique ancienne et aisément datable qu’est l’aveu (note 1).

Et voici Benoite GROULT, auteure d’un texte, « Ainsi soit-elle », qui a fait énormément de bruit, à l’époque de sa parution (1975) et qui continue encore aujourd’hui à choquer les lecteurs à cause d’un langage direct, percutant, excessivement rude. A partir de là, c’est un continuum de livres, d’interviews, d’articles, jusqu’à sa récente autobiographie, « Mon évasion », où elle vise à basculer la vieille idée de soumission de la femme au profit d’une forte idée de subjectivité, ce qui a favorisé « son évasion », se libérant de toutes les contraintes externes et désamorçant les tabous avec une franchise exceptionnelle. Ses multiples expériences sont les structures portantes du livre où Benoîte GROULT se raconte et raconte son itinéraire humain et intellectuel. Bien plus qu’un cheminement individuel le texte est la fresque entière d’une époque, d’une période historique cruciale pour l’avenir de la femme en vue d’une libération encore inachevée. Lutte qui a vu les écrivaines au premier rang contre une multitude de lieux communs et de préjugés [2] encore liés aux cultures discriminantes du passé.

Benoîte GROULT raconte sur une base rigoureusement chronologique savie de combats, « une interminable course d’obstacles » (p.9, Mon évasion ), mettant en évidence les difficultés à se délivrer « du carcan des traditions » (p.10, Mon évasion ) par le biais de choix personnels et saignants, non certes par exhibitionnisme, mais pour indiquer aux autres femmes et hommes que grâce à la ténacité et à la lucidité, qualités qu’elle a toujours jalousement gardées, ses aspirations les plus intimes se sont réalisées.

Benoîte GROULT et ses parents.

Une question absolument intéressante qui revient assez fréquemment dans le texte jusqu’à devenir le Thème par excellence de la vie de Benoîte GROULT est la manière toute particulière d’entendre sa féminité ou mieux sa sexualité. Elle manifeste, en fait, ses convictions personnelles, même si minoritaires, sur sa vie future et notamment sur les thèmes du mariage et de la vie de couple, ce qui suscite au sein de sa famille un large débat, parfois vivace.

Ce que Benoîte GROULT, la Rosie du texte, ne supporte pas de sa mère Nicole c’est qu’elle remarque à maintes reprises l’incapacité de sa fille à se réaliser dans le monde des lettres et du journalisme, un milieu d’habitude réservé aux hommes.

Nicole n’admet point qu’on conteste ses idées sur l’éducation et qu’on suive un autre chemin que le sien, car « aux alentours de la dernière guerre on se révoltait peu contre l’autorité familiale, surtout les filles » (p.22, Ainsi soit-elle ). Elle intervient sur tout, sur l’instruction chez les filles qu’elle retient inutile, même dangereuse et sur les manières de s’habiller, de se présenter, de parler. Même la bouche souvent ouverte de Benoîte, lui donnant un air débile, la mettait en colère. D’autre part, travaillant dans la mode, il est naturel qu’elle donne à l’aspect extérieur une importance capitale. Elle est, en fait, impeccable dans toutes les occasions, « partant chaque matin à la conquête du monde » (p.20, Mon évasion ) et c’est pour ce renoncement à se plaire qu’elle considère sa fille aînée une « perdante, les hommes n’aimant que les blondes vaporeuses et les coquettes futiles » (p.23, Mon évasion ). Tendrement attachée à son père respectueux de l’effort sportif et intellectuel de sa fille [3], Benoîte, « la petite colombe » (p.46, Mon évasion), fréquente avec passion ses cours à la Sorbonne, multiplie ses connaissances dans les certificats non sans quelques difficultés en grec et en latin, préférant la lecture et l’apprentissage des savoirs à l’idée de vivre une nouvelle condition féminine.

Contrairement à sa mère, elle est persuadée qu’un des facteurs de la transformation de la condition de la femme est la possibilité d’apprendre, l’acquisition d’un capital culturel et professionnel qui permette de créer les conditions pour une opposition sérieuse et décisive à toutes formes de discriminations et de dominations.

Un rapport de haine et d’amour lie « la précieuse Nicole » (p.46, Mon évasion) à sa fille capricieuse et butée [4]. Il tient non seulement à une très grande diversité de caractère, mais surtout parce qu’elles nourrissent une vision de la vie culturellement divergente. A savoir, celle traditionnelle, étriquée de Nicole qui fait du mariage l’aspiration fondamentale pour lequel il faut bien s’équiper, s’habiller, apprendre les mouvements de la danse si l’on veut réussir, le reste n’étant que marginal, et celle de Benoîte qui prône l’idée d’un féminisme orienté vers sa totale émancipation.

Nicole est « une mère tonitruante » (p.91, Mon évasion) et une femme envahissante, préoccupée jusqu’à l’angoisse par le bonheur de sa fille, alternant les excès d’attentions et de reproches. Son idée que la réussite future passe nécessairement par le mariage, ça terrorise déjà la jeune fille qui travaille à atteindre un plus juste équilibre et une identité bien définie. L’attention qu’elle prête aux détails de la vie quotidienne donne la pleine mesure de ses qualités d’observation et de réflexion. Au-delà d’une quête de soi, c’est également une quête des autres. Au fur et à mesure elle se persuade que se faisant bas-bleu elle aura plus de chance de réussite dans la lutte contre les inégalités et les abus. Le Deuxième sexe a eu une influence considérable sur l’approfondissement de sa condition et l’admiration qu’elle porte aux autres femmes contribue à tisser en elle une vraie conscience de genre et à renforcer son sens critique à l’égard de tout modèle social inégalitaire.

L’une d’elles est incontestablement Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans, figure emblématique de femme libre qui a su rompre avec sa condition et ses traditions de femme. Dans l’histoire de la Littérature, Benoîte trouve d’autres fortes personnalités féminines. Christine de Pisan [5], la première femme-poète du Moyen âge, Louise Labé [6], archétype de femme libre et émancipée, et Marguerite de Navarre [7], la s ?ur de François Ier, roi de France, qui favorisa l’élargissement des cultures par sa sensibilité et son mécenatisme, l’attirent énormément. Et encore « l’impudente » (p.45, Ainsi soit-elle) Olympe de Gouges, la belle Flora Tristan, la militante Rosa Luxembourg, « l’ardente » (p.140, Mon évasion) romancière George Sand, la secrétaire d’État à la condition féminine Françoise Giroud, la combative Gisèle HALIMI, activiste du mouvement Choisir-La Cause des femmes, et tant d’autres «  effrontées  » qui ont toujours refusé l’étiquette de femmes-objets et combattu le double rôle d’épouse et de mère.

Malgré les tentatives de marginaliser ces femmes-là, affairées et rebelles, hargneuses ou rêveuses, elles méritent, pour Benoîte, l’admiration la plus sincère, ne fût-ce que pour le courage de s’opposer au patriarcat sans armes ni armure mais par l’instruction, la poésie et l’Art, les premiers pas vers l’indépendance.

« Ainsi soit-elle » (1975) et ses révélations qui font du bruit.

Les thèmes si chers aux soixante-huitards tels que l’émancipation culturelle et sexuelle de la femme, le respect de la personne humaine, l’égalité des chances etc. sont, aujourd’hui, repris avec un essor nouveau. On en discute avec animosité et intérêt croissants dans la presse et en plusieurs débats absolument nécessaires pour maintenir un haut niveau d’attention des gens face à une foule de besoins où c’est toujours l’humain qui est en jeu.

Car on reste souvent offusqués d’apprendre que dans les sociétés contemporaines des millions de femmes, sur tous les continents, sont victimes des fanatismes les plus insensés et des fondamentalismes de tous ordres, religieux et moraux. Dans une trentaine de pays il y a des femmes qui vivent avec un sexe mutilé et qu’encore, en France même, nombre de petites filles d’immigrés africains ont été excisées, malgré l’illégalité de cette pratique aussi abominable qu’inhumaine. Il s’agissait d’empêcher chez les femmes toute possibilité de plaisir. A la clitoridectomie plusieurs peuples africains ajoutent l’infibulation, un dispositif aussi barbare que douloureux largement pratiqué pour les filles afin de garantir au futur mari son honneur intact.

Par son « Ainsi soit-elle », manifeste féministe, Benoîte GROULT a eu le courage de crier son horreur à l’égard de pseudo-opérations chirurgicales pratiquées sur les plus jeunes filles avec une brutalité et un cynisme atroces, sans aucune anesthésie et sans que les plus élémentaires règles d’hygiène soient respectées. Compte tenu des conditions d’hygiène absolument nulles, les conséquences psychologiques et sanitaires peuvent êtres graves. Les voies urinaires des filles sont très fréquemment compromises et plusieurs cas mortels de septicémie sont dénoncés.

On imagine mal ce que peut représenter pour les fillettes de douze à quinze ans, ainsi torturées, avoir des rapports sexuels ou le premier accouchement ou encore la demande de l’époux, après une naissance, de refaire l’opération. Le plaisir est sadiquement remplacé par la terreur et à la femme il ne reste que l’acceptation résignée de ces odieux traitements sous peine d’être abandonnée, isolée dans son foyer, méprisée par ses propres enfants, et, parfois, même, massacrée par lapidation.

Heureusement, de plus en plus de femmes n’excisent plus leurs filles (au Burkina-Faso cette pratique est déclarée illégale) et les mutilations sexuelles sont très en baisse. De plus en plus de pays (Le Nigeria, le Ghana, l’Egypte, le Sénégal et la Côte d’Ivoire) se dotent de lois contre ces pratiques, grâce à des formes d’engagement individuel et collectif qui assurent plus d’informations et de formations.

On dira que l’époque du féminisme social n’a rien apporté sur le plan de l’égalité des chances, que les luttes des femmes d’hier ont été inutiles, que la Littérature n’a pas abordé ce genre de sujet et que nos religions se sont peu ou pas souciées des terribles conditions de vie des populations abandonnées dans l’asservissement et l’esclavage.

Mais a-t-on bien étudié le poids et le rôle négatifs des traditions populaires, des tabous, des religions et des cultures culpabilisantes et archaïques sur la culture du territoire d’Afrique à vocation essentiellement agricole, résolus à refuser toutes formes d’ouverture au modernisme et à l’innovation ? A-t-on jamais pensé à éduquer à l’ouverture et à la capacité de rassembler leurs solitudes, leurs égoïsmes, afin de créer un mouvement homogène de révolte à l’intérieur d’un projet social plus large et crédible ? Et s’est-on demandés pourquoi en pays comme l’Algérie et l’Inde l’instruction était et est encore une option réservée au mâle dominant par sa naissance, la fortune ou le sexe ?

Autant d’interrogations qui portent sur un concept : le mot « asservissement » est révélateur d’un manque absolu d’instruction fondamentale, d’un socle commun de connaissances, un vide à remplir où que nous soyons, car les abus, le machisme, les méthodes et les mesures coercitives se ressemblent partout. Benoîte Groult, elle, en est profondément convaincue. Elle a suivi toute sa vie le chemin de l’émancipation, sans hésiter, sans dévier, fidèle à son sens de la responsabilité, à ses instincts de femme courageuse, assoiffée d’indépendance et de considération pour ce qu’elle est ou elle fait. A travers la lecture elle apprend la notion de solidarité, solidarité « aux infibulées, aux voilées, aux esclavagisées, aux prostituées exploitées par des souteneurs, aux filles de toutes les couleurs enfermées dans les bordels du monde entier, aux ouvrières qui travaillent à l’usine, qui travaillent à la maison et qui travaillent à faire des enfants... » (p.111, Ainsi soit-elle).

Benoîte GROULT et le féminisme humanitaire.

Féministe, Benoîte GROULT, l’a été implicitement de sa naissance, mais c’est la révélation des mutilations sexuelles en Afrique qui la consacre explicitement partisane de ce mouvement et « féministe consciente » (p.186, Mon évasion).

Elle n’a pas participé aux manifestations de Mai 68 parce qu’alors proche de la cinquantaine, mais elle a suivi avec intérêt l’évolution du mouvement, soutenant la parité homme-femme en toutes circonstances, même dans l’emploi non sexiste de la langue. Loin d’elle, bien entendu, l’idée d’accompagner les nouvelles générations. Sa prise de conscience même si « affreusement tardive » (p.183, Mon évasion) est orientée vers l’affermissement d’un monde plus humain, enfin égalitaire. La preuve en est que, animée par son violent appétit de vivre et de regarder autour, elle choisit, à la manière de Simone de Beauvoir (en 1929, à l’âge de vingt et un ans, l’aimable « Castor » de Sartre devenait la plus jeune agrégée de philosophie de France) l’étude et le savoir plutôt que l’activisme militant de ses amies, sûre que malgré les droits acquis, beaucoup reste à faire pour que les femmes participent à part entière au monde. Elle acquiert la conviction que « l’émancipation des femmes, partout dans le monde, devait être le combat de notre siècle...et du suivant » (p.186, Mon évasion) et trouve dans la Littérature et l’écriture l’autonomie professionnelle et économique pour continuer, restant distante des mouvements de pensée, à écrire en toute liberté et, plus aisément, pour manifester son indignation face à une société qui se voulait différentialiste, férocement accrochée à la survivance d’anciens et nouveaux préjugés concernant le monde des femmes.

Son féminisme est, donc, plus humain et libertaire que révolutionnaire. D’autant plus que les conditions historiques et économiques sont différentes. L’élan philosophique est presque inexistant et la mobilisation des jeunes militantes connaît une phase de réflexion. De plus, si quelques nostalgiques des révoltes estudiantines revisitent Simone de Beauvoir c’est pour récupérer la figure de l’intellectuel cultivé et protestataire, de tant qui avaient beaucoup investi dans la lecture et la culture se révélant très performants au niveau du discours. La vérité c’est que les actions « féministes » actuelles, sont plutôt silencieuses. Elles, les nouvelles féministes Facebook, se rendent davantage compte qu’il est extrêmement difficile de tout concilier, l’instruction, le travail, la vie de couple, les loisirs et l’éducation des enfants, et se demandent s’il n’est pas plus juste de donner la priorité aux questions qui concernent la sphère personnelle et intime. La parité salariale, le chômage, la précarité et la discrimination à l’intérieur de l’usine, ça intéresse beaucoup, mais c’est l’avortement (légalisé en France en 1976), la pilule de troisième génération, la fin des préjugés sexistes dans l’éducation, le rapport mère-fille, les thèmes qui font discuter cette nouvelle génération avec des accents soixante-huitards, mais essentiellement moins idéologique, plus individualiste, certainement plus sensible à mieux maîtriser le corps, sans toutefois renoncer à un modèle social qui repense les notions de « couple » et de « famille ».

Conclusion

Du passage de l’ère moderniste à la phase actuelle dite « liquide » d’après l’illustre sociologue polonais, Zygmunt BAUMAN, les femmes redécouvrent ce que Philippe SOLLERS appelle « les valeurs sécuritaires les plus identitaires », à savoir la reconnaissance de l’individualité et l’humanité dans la relation à autrui.

D’autant que le contexte sociétal actuel est « plein de régressions en cours, la plus violente étant celle de l’inculture et de l’illettrisme aggravé », où même les rapports les plus élémentaires sont affaiblis par suite de changements improvisés. D’où la nécessité, pour Sollers, de définir un nouvel esprit relationnel si l’on veut conjurer les risques d’une dépendance de formes conventionnelles de réussite sociale qui n’aura d’autre effet négatif que de ralentir le processus d’émancipation, dévitalisant toute idée réformatrice.

Pour faire face à cet état de complexification et d’incertitude profond il faut maîtriser les relations inter-générationnelles, connaître profondément notre Culture et cultiver un intérêt réel pour les désirs. Il s’agit là de conditions que les femmes sont à même de supporter. L’ambivalence mère-travail qui, d’emblée, peut paraître négative, excessivement lourde de responsabilités et de choix, peut être le fruit d’un travail de conscientisation de sa force et de ses capacités.

Ce qui est inquiétant, soutient encore Philippe Sollers, « c’est l’évacuation de l’histoire...., l’évacuation des références historiques. La victoire du système, c’est de former des gens qui n’ont plus aucune connaissance historique ». C’est paradoxal ! Mais le risque d’être victimes d’une insidieuse tentative d’expropriation des mots, des nuances, du corps et des sens, y compris de l’érotisme, semble possible. Car l’absence de connaissances, ça rend les sujets plus vulnérables, esclaves du système qui s’impose grâce à son pouvoir de séduction, leur permettant de « survivre ».

La Littérature libre et affranchie de tout modèle idéologique peut représenter le salut. C’est la Littérature qui enseigne à comprendre les mécanismes les plus intimes de la vie, à explorer autant que possible le monde de l’inconscient, à apprendre à se défendre des croyances, des idéologies, des faux mythes, à mûrir une meilleure participation à la vie d’ensemble.

Aristote a dit : « L’homme est un animal qui désire le savoir », cet irrésistible désir d’infini, de contacts. Dans « Mon évasion » résonnent les échos de cette quête de l’humain et de la jouissance qui pour Benoîte GROULT est la forme suprême de la liberté.

* Les chiffres entre parenthèses renvoient aux éditions parues chez Grasset en 2008, relativement à « Mon évasion » et chez Le Livre de Poche en 1975, relativement à « Ainsi soit-elle ».

Prof. Raphaël FRANGIONE



[1Dans sa monumentale « Histoire de la sexualité » (Éd. Gallimard), le philosophe Michel FOUCAULT revient à plusieurs reprises sur cette « technologie de l’aveu », l’énième dispositif adopté par le Pouvoir politique afin de contrôler de l’intérieur les désirs et les plaisirs de l’individu, ses instincts sexuels fautifs et déviants de ses finalités naturelles. Il s’agit de rendre docile, de discipliner les individus explorant même les champs de perversions et du pathologique. Dans ce passage d’une société disciplinaire à une société normalisatrice la psychanalyse freudienne n’est que précieuse.

Reprenant la pratique de la confession, le Pouvoir veut quadriller les corps pour qu’on puisse extraire une utilité maximale. Rien d’autre qu’enfermer l’intimité pour mieux intervenir selon ses modes négatifs de l’interdit et de la domination et éviter, ainsi, le moindre désordre au sein de la société. Réaliser, en somme, une sorte de normalisation qui décourage tout mécanisme d’opposition. Bien entendu, le philosophe Foucault ne fait référence qu’au Pouvoir comme institution qui est indissolublement répressif, tandis que les micro-pouvoirs, eux, sont productifs. Dans son étude Michel Foucault propose une nouvelle définition du Pouvoir, non seulement entendu comme appartenant au Prince de qui tire son origine mais aussi qui vient de partout et exercé sur la base « d’une multiplicité de points de résistance ».

[2Il serait gênant de les énumérer tous. Nous nous limitons aux affirmations qui nous semblent les plus grossières prétextant un stade d’ignorance et de mauvaise foi exorbitant :

· Au Siècle des Lumières J.J. Rousseau soutenait que l’éducation de la femme devait être relative aux hommes : leur plaire, les consoler, leur rendre la vie agréableet douce ;

· Le respect de la femme dépend du fait d’être mariée ;

· La femme ne trouve que dans l’amour conjugal son plein épanouissement ;

· Le cerveau masculin est plus lourd que celui des femmes d’où plus d’intelligence et de capacités argumentatives ;

· On a écrit que les femmes intelligentes et cultivées perdent de précieuses qualités féminines et risquent de connaître des troubles sexuels ;

· Le travail et le militantisme détruisent la féminité d’où les féministes sont toutes moches.

[3Ils ont le même goût pour la montagne et pour les skis. Ils aimaient faire des randonnées dans la neige, respirant l’air glacial du petit matin, « sans itinéraires balisés » (p.48, Mon évasion) et, arrivés au sommet, redescendre, triomphants, de l’autre versant, dessinant « sur la surface vierge des traces en zigzag.. » (p.50, Mon évasion).

[4Les deux femmes cultivent des vues, des goûts et des sentiments contraires et controversés. Benoîte admire de sa mère « surtout ce goût forcené de la vie » (p.79, Mon évasion) et son talent artistique et créatif. Ce qu’elle déteste c’est l’attitude de Nicole à tout dire et à tout faire, cet air triomphant, son dynamisme excessif et ses pressants conseils sur comment entortiller les hommes.

[5Elle prit la défense des femmes en 1399 contre les satires de Jean de Meung.

[6Poète française du XVIe siècle rattachée à l’école lyonnaise et surnommée “la belle cordière” parce qu’elle était fille et femme de cordier. Célèbre son recueil de sonnets amoureux construit à la manière de l’italien Pétrarque, alors très à la mode.

[7Elle était une des femmes les plus instruites de son temps et fit de sa cour de Navarre un des foyers les plus prestigieux de l’humanisme français. Elle aussi est auteure d’un recueil de nouvelles, L’Heptaméron, à la manière du Décameron de l’italien Boccaccio.

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