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Jan Karski témoigne

Pièces à conviction, suite...

D 24 avril 2014     A par Albert Gauvin - C 8 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Jan Karski est né à Łódź, en Pologne, le 24 avril 1914.
Voici l’un des dossiers que je lui ai consacré en mars 2010 au moment de la publication du roman de Yannick Haenel, Jan Karski, de la programmation du film de Lanzmann, Le Rapport Karski (sur Arte), et de la réédition du livre de Karski, Mon témoignage devant le monde.
Signalons que la biographie de Tom Wood, Karski : How One Man Tried to Stop the Holocaust, écrite il y a vingt ans, n’est toujours pas traduite en français. Les journalistes français sont curieux, mais... pas trop. Au moment de la polémique Haenel-Lanzmann, aucun n’eut l’idée de contacter leur collègue américain, auteur de la seule biographie "autorisée" de Karski. C’est donc à Pileface que Tom Wood prit l’initiative d’écrire et de répondre (cf. Entretien avec Tom Wood, biographe de Jan Karski) et, ensuite, de confier des passages inédits de son livre.

« L’extermination des Juifs est pour moi incompréhensible. »
Le Rapport Karski, 1978-2010.

« L’humanité a commis un second péché originel :
sur ordre ou par négligence,
par ignorance auto-imposée ou par insensibilité,
par égoïsme ou par hypocrisie,
ou encore par froid calcul. »
Jan Karski, 1981.

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La photo de Jan Karski qui se trouve sur la couverture de l’édition de 2004 (à gauche) a été prise à Washington lors de sa première mission (juin-septembre 1943). A la demande de l’ambassadeur Jan Ciechanowski, elle ne fut pas retouchée, afin de laisser visibles les cicatrices causées par les tortures de la Gestapo au cours de l’été 1940 [1]. Dans la nouvelle édition, la photo a changé.

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Suite de notre dossier sur « Jan Karski ».

Mercredi 17 mars
Le Rapport Karski
Arte, 22 h 05

L’entretien inédit accordé en 1978 à Claude Lanzmann par le résistant polonais Jan Karski, lequel avait alerté les Alliés sur les atrocités perpétrées contre les Juifs. Dans Shoah, Lanzmann avait tenu compte d’une partie de ce récit, l’essentiel étant resté inédit jusqu’à aujourd’hui. La diffusion de cet entretien est un nouvel élément de la polémique entre Yannick Haenel et Lanzmann, le premier ayant imaginé une interprétation romanesque de la rencontre entre Karski et Roosevelt en juillet 1943 (Jan Karski, Gallimard). Le Rapport Karski se veut donc une réponse historique de Claude Lanzmann. Politis.fr, jeudi 11 mars 2010.

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En attendant de voir le film, il nous a semblé utile de faire le point. Documents à l’appui. Car, s’il nous sera donné, le 17 mars 2010, de voir une partie nouvelle de l’entretien avec Karski qu’a filmée Claude Lanzmann en 1978 et qu’il n’avait pas retenue dans Shoah en 1985, des "réponses historiques" existent déjà aux questions que le lecteur peut se poser depuis qu’il a lu le roman de Yannick Haenel et a suivi la polémique que celui-ci a provoquée. Ces réponses viennent d’écrivains, mais aussi d’historiens, spécialistes de la Shoah ou de l’histoire de la Pologne, comme de Jan Karski lui-même.

En effet, d’une part, les historiens sont divisés et tous, on le verra ci-après, ne partagent pas le jugement péremptoire de Lanzmann sur le roman de Haenel ni sur ce qu’il convient de dire au nom de la "vérité historique" [2].
D’autre part, Jan Karski, même s’il s’est tu longtemps — de la fin de la guerre à 1981 —, s’est exprimé, à plusieurs reprises — et publiquement —, depuis octobre 1981, date de la Conférence internationale des libérateurs des camps de concentration organisée par Élie Wiesel et le Conseil américain du Mémorial de l’Holocauste, sur laquelle nous revenons plus loin. Karski, ensuite, a donné son témoignage à des auteurs qui ont écrit sa biographie (Stanislas M. Jankowski écrivit la première, « Emisariusz Witold » en 1991, la seconde fut celle E. Thomas Wood et M. Jankowski, « Karski : How One Man Tried to Stop the Holocaust », Wiley, 1994).
Enfin Karski, après l’entretien filmé par Claude Lanzmann, a aussi répondu devant la caméra aux questions de quelques intervieweurs (en 1995 et 1996), qu’il s’agisse des biographes que j’ai cités ou de Renée Firestone pour l’USC Shoah Foundation Institute.

Comme le remarque Céline Gervais-Francelle, l’auteur de l’introduction à la nouvelle édition du livre de Jan Karski Mon témoignage devant le monde, « malgré Shoah — ou peut-être à cause de Shoah —, Jan Karski est demeuré en France tout aussi méconnu que cette résistance polonaise dont il faisait partie. » Deux faits témoignent de cette méconnaissance : les biographies n’ont pas été traduites en français, les entretiens filmés non plus ; alors que de nombreuses universités de par le monde ont décerné à Karski au cours des années 1990 le titre de docteur honoris causa, aucune université française ne l’a fait. Il y a donc une surdité et un silence français qui est peut-être l’une des causes du tintamarre actuel autour de sa personne. Il est d’autant plus intéressant de constater que c’est aujourd’hui un roman écrit par un écrivain français qui permet enfin de re-connaître et de ressusciter, dans sa complexité, ce héros de la résistance polonaise, ce Juste qu’est Jan Karski ?

Avant d’aborder les documents et les témoignages, il est nécessaire de revenir sur certains aspects de la polémique actuelle.

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Littérature et Histoire

1. Une lecture rapide et superficielle des débats autour du livre de Yannick Haenel pourrait laisser croire qu’il s’agit — comme, hier, autour du livre de Jonathan Litell Les bienveillantes — d’une polémique opposant romanciers et historiens : ce n’est pas si simple. Le 29 janvier 2010, sur France Culture, l’émission La Fabrique de l’Histoire recevait Florent Brayard, historien, chercheur au CNRS (Centre Marc Bloch, Berlin), spécialiste du négationnisme et de la Shoah. Celui-ci, défendant de manière très argumentée d’un point de vue littéraire le roman de Haenel, en donnait une tout autre lecture que celle d’Annette Wieviorka et se réjouissait que les romanciers puissent aussi livrer leur compréhension de l’Histoire. Entre historiens et romanciers, « les régimes de production de la vérité sont très différents ». Conclusion : « Laissons les romans romancer. ».
Florent Brayard développera son analyse dans un article de la revue Les Annales, à paraître au mois de mai prochain.

Extraits de l’émission (15’30) :

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2. Le 1er mars 2010, à l’occasion de la réédition du livre de Karski, Florent Brayard et Christophe Ono-Dit-Biot, critique littéraire, étaient les invités de Guillaume Erner dans Esprit critique sur France Inter. L’un et l’autre revenaient sur le débat ouvert par le livre de Yannick Haenel et parlait du livre — « un document » — de Jan Karski.


Retour sur la polémique Jan Karski - France Inter

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Jorge Semprun : « Je n’aime pas trop le mot Shoah »

Lors de l’entretien ci-dessus, le point de vue de Jorge Semprun est évoqué de manière allusive, voire imprécise. Voici ce que celui-ci déclarait dans un interview du Point, le 19 février 2010 :

[...] vous insistez sur le danger qu’il y aurait à sacraliser, à mythifier la mémoire de cette période. Est-ce pour ces raisons-là que vous n’aimez pas le mot Shoah ?

Les témoins de cette histoire sont en train de disparaître. Quand il n’y en aura plus, qui va continuer à transmettre la mémoire ? Certes, la mémoire historique, statistique, continuera à être transmise, mais la mémoire vivante, la conscience du vécu, aura disparu. Prenons un exemple assez repoussant : si l’on demande aux ex-déportés encore vivants quel est le souvenir le plus troublant qu’ils gardent des camps nazis, tous vous diront que c’est l’odeur des fours crématoires. Une odeur infecte de chair grillée qui était exactement la même que celle qui s’est répandue à New York sur le quartier des tours jumelles après les attentats du 11 Septembre. Comment l’historien ou le sociologue peuvent-ils rendre compte de cette expérience ? Seul le romancier peut ressusciter la mémoire vivante en s’appropriant ce vécu à travers une oeuvre de fiction. Je n’aime pas trop le mot Shoah, parce que je trouve que ce terme hébreu un peu ancien accentue le côté irrationnel de l’antisémitisme. Il est mieux que le mot « holocauste », qui est indécent car il signifie sacrifice volontaire. C’est celui qu’emploient les Américains. Le côté positif du film de Claude Lanzmann est d’avoir trouvé le nom devenu incontournable pour tous. Mais,de mon point de vue, il y a un mot bien plus simple qui dit ce qui est, et que l’on peut traduire dans toutes les langues : c’est « extermination » [3].

Dans son roman « Jan Karski », Yannick Haenel prête au résistant polonais des propos concernant la complicité des Américains, et de Roosevelt en particulier, dans l’extermination des Juifs. Comprenez-vous l’indignation de Claude Lanzmann, qui le traite de faussaire, mais également l’historienne Annette Wieviorka, qui parle de « détournement » ?

Avant de continuer à polémiquer, tout le monde devrait relire le livre de l’historien américain Walter Laqueur « Le terrifiant secret », publié en 1980 [4], et l’on verrait qu’il s’agit d’une fausse discussion. Ce livre fondamental et extrêmement bien documenté révélait l’indifférence des Alliés vis-à-vis des messages polonais. Certes, le portrait de Roosevelt que dresse Haenel dans son roman est discutable mais, pour le reste, je l’approuve. Je l’approuve par principe et, compte tenu des réactions, je soutiens davantage encore sa démarche. Si les jeunes romanciers ne peuvent plus s’emparer de la mémoire, celle-ci va devenir arbitraire et solennelle. En matière de littérature, il n’y a pas de tabou, mais des règles morales que chacun doit savoir se fixer. Cela dit, ce débat pose un autre problème qu’il faudra bien aborder un jour : Claude Lanzmann est-il le seul qui a le droit de parler de la Shoah ?

Propos recueillis par Agathe Fourgnaud, Le Point N°1953

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Documents

Mon témoignage devant le monde

Présentation de l’éditeur

L’inoubliable témoignage de Jan Karski dans Shoah, de Claude Lanzmann, ainsi que le succès de Yannick Haenel avec son " roman documentaire " Jan Karski (Gallimard, prix du roman Fnac 2009 et prix Interallié 2009) ont rendu indispensable et très attendue la réédition de ce monument du récit de guerre.

Mon témoignage devant le monde, publié pour la première fois en France en 1948 et introuvable aujourd’hui, est l’oeuvre magistrale d’un des grands témoins du siècle, Jan Karski (1914-2000).
Ce résistant polonais fut le premier à témoigner de l’extermination des Juifs dans les territoires polonais occupés par les nazis. Mobilisé en septembre 1939, le catholique Karski est fait prisonnier par les Soviétiques, puis remis aux mains des Allemands. En novembre 1939, il réussit à s’évader, arrive à Varsovie et rejoint la Résistance. Dès 1940, il passe en France, pour porter des microfilms au gouvernement polonais en exil à Angers.
A son deuxième passage, il se fait arrêter en Slovaquie et torturer par la Gestapo. Il essaie de se suicider mais finit par s’évader de l’hôpital militaire où il est détenu. Puis il se remet au service de la Résistance, structurée en un véritable Etat secret, avec son gouvernement, son parlement et son armée. A l’été 1942, il pénètre clandestinement dans le ghetto de Varsovie puis dans le camp de concentration d’Izbica Lubelska en se faisant passer pour un garde ukrainien.
C’est habité de ces effroyables visions que le messager Jan Karski quitte définitivement Varsovie en octobre 1942, traverse l’Europe en guerre, porteur d’un message trop lourd pour un homme seul : le peuple juif est en train de disparaître, exterminé par les nazis. A Londres et Washington, Karski plaide auprès d’Eden et de Roosevelt en faveur d’une action destinée à arrêter la Shoah. Mais devant son récit, la plupart de ses interlocuteurs ont une réaction comparable à celle de Felix Frankfurter, juge de la Cour suprême des Etats-Unis, lui-même juif : " Jeune homme, je ne vous dis pas que vous êtes un menteur, mais je ne vous crois pas. "

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Précisions

Céline Gervais-Francelle, auteur de l’introduction, de la mise à jour, de la traduction et des notes, est historienne et maître de conférences d’Histoire contemporaine slave à l’Université Paris I - Sorbonne. On a peu remarqué les précisions qu’elle apporte dans cette introduction. Elles sont pourtant importantes et significatives.
Dès les premières lignes, elle révèle que « c’est en octobre 1981 que Jan Karski sortit de l’oubli, à l’occasion de la Conférence internationale des libérateurs des camps de concentration organisée par Élie Wiesel et le Conseil américain du Mémorial de l’Holocauste. » C’est à cette occasion que Karski rompit, pour la première fois, le silence en faisant une conférence qui avait pour thème : « La découverte de l’existence du plan de "solution finale" ". Karski posait trois questions : « 1. Qu’ont appris les dirigeants occidentaux et l’opinion occidentale ? Et quand l’ont-ils appris ? 2. Par quels moyens ces informations leur sont-elles parvenues ? 3. Quelle a été leur réaction ? Quelles en sont les preuves ? » Dans son intervention figurait ce passage :

« Quand la guerre s’est achevée, j’ai appris que ni les gouvernements, ni les leaders, ni les savants, ni les écrivains n’avaient su ce qu’il était arrivé aux Juifs. Ils étaient surpris. Le meurtre de six millions d’êtres innocents était un secret. « Un terrifiant secret » comme l’a appelé Laqueur. Ce jour-là, je suis devenu un Juif. Comme la famille de ma femme, présente ici dans cette salle. [...] Je suis un Juif chrétien. Un catholique pratiquant [5]. Et bien que je ne sois pas un hérétique, je professe que l’humanité a commis un second péché originel : sur ordre ou par négligence, par ignorance auto-imposée ou par insensibilité, par égoïsme ou par hypocrisie, ou encore par froid calcul.
Ce péché hantera l’humanité jusqu’à la fin de ce monde. Ce péché me hante. Et je veux qu’il en soit ainsi. »

Karski écrit bien : « l’humanité a commis un second péché originel » et « ce péché hantera l’humanité jusqu’à la fin de ce monde. » Ces propos du vrai Karski sont-ils si éloignés de ceux que l’on a tant reprochés à Yannick Haenel qui, dans sa « fiction intuitive », prête à son héros ces pensées — je cite :

« L’extermination des Juifs d’Europe n’est pas un crime contre l’humanité, c’est un crime commis par l’humanité. Prétendre que l’extermination est un crime contre l’humanité, c’est épargner une partie de l’humanité, c’est la laisser naïvement en dehors de ce crime. » (Jan Karski, p. 167)

Céline Gervais-Francelle remarque également que « le public français ne fut guère informé du retentissement aux États-Unis et en Israël de l’intervention de Jan Karski à cette conférence d’octobre 1981 », que, après 1985, « malgré Shoah — ou peut-être à cause de Shoah —, Jan Karski est demeuré en France tout aussi méconnu que cette résistance polonaise dont il faisait partie et son État clandestin, phénomène unique dans l’Europe de la Deuxième Guerre mondiale. » Elle ajoute que la réédition de son livre en 2004 « n’a guère entamé les stéréotypes et approximations surinterprétées de quelques historiens » et conclut en écrivant : « Que Jan Karski ait cependant inspiré à deux romanciers, en une même saison littéraire 2009, deux "réanimations" ou "fictions" fort éloignées l’une de l’autre, mais qui ont su mobiliser les curiosités pour le "vrai Karski", nous amène à proposer au lecteur de la présente édition de son beau livre quelques précisions sur sa biographie. »

Il n’est pas dans notre propos de relever toutes les précisions qu’apporte Céline Gervais-Francelle dans son introduction, ses nombreuses notes et les compléments qui se trouvent en fin de volume. Certaines ont trait à des erreurs factuelles de Jan Karski, d’autres à la nécessité où il se trouvait à l’époque de changer les noms propres (n’oublions pas que Mon témoignage devant le monde fut écrit en 1944), d’autres encore sont dues au fait que Karski ne pouvait pas tout dire pour des raisons liées au contexte historique, politique, diplomatique ou, plus simplement, éditorial de la publication de son livre.

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La rencontre avec Roosevelt

à la Maison-Blanche, le 28 juillet 1943

Le mercredi 28 juillet 1943, Franklin D. Roosevelt reçut Jan Karski accompagné de l’ambassadeur Jan Ciechanowski pendant une heure et quinze minutes. Un rapport complet de l’ambassadeur au gouvernement polonais de Londres, daté du 4 août 1943, et une "note" de l’institut Hoover éclairent cet entretien. Par ailleurs, Jan Ciechanowski a consacré un chapitre de ses Mémoires au récit de cette entrevue (cf. La Rançon de la victoire. Les raisons secrètes de l’immolation de la Pologne, Paris, Plon, 1947, ch. XX : "Le maquis polonais à la Maison Blanche"). Enfin, quarante quatre ans après, en décembre 1987, Karski est revenu sur cet entretien à la demande de Stanislaw M. Jankowski, qui a enregistré son récit qu’il résume et cite en 2009 (cf. Karski, Raporty) [note de Céline Gervais-Francelle, Mon témoignage devant le monde, p. 395.]

1. Dans le livre de 1944

« Le président Roosevelt semblait avoir tout son temps et être inaccessible à la fatigue. Il était extraordinairement au courant de la question polonaise et désireux d’avoir de nouveaux renseignements. Les questions qu’il posait étaient minutieuses, détaillées et allaient tout droit aux points essentiels. Il s’enquit de nos méthodes d’éducation et de ce que nous faisions pour sauvegarder les enfants. Il voulut connaître en détail l’organisation de la Résistance et l’importance des pertes subies par la nation polonaise. Il me demanda de lui expliquer comment il se faisait que la Pologne fût le seul pays sans Quisling [6]. Il m’interrogea aussi sur la véracité des récits concernant les méthodes employées par les nazis contre les Juifs. Enfin, il se montra fort intéressé par les techniques de sabotage, de diversion et d’action des maquis.

Il voulait avoir sur chaque sujet une documentation précise et fournie, pour recréer l’atmosphère même, le climat du travail dans la clandestinité et connaître à fond la mentalité des hommes qui livraient ce combat. Il m’impressionna profondément par sa largeur de vue. De même que Sikorski [7], il voyait plus loin que son propre pays, sa vision embrassait l’humanité tout entière. Lorsque je quittai le président, il était aussi frais, reposé et souriant qu’au début de l’entretien. Quant à moi, je me sentais très fatigué.

Toutefois, ce n’était pas une fatigue ordinaire de nature physique, mais bien plus la lassitude satisfaite qu’éprouve le travailleur en donnant son dernier coup de marteau ou l’artiste en signant son oeuvre. Quelque chose s’achevait et il ne restait plus que cette lassitude, mais aussi la satisfaction d’avoir abouti. » (Jan Karski, Mon témoignage devant le monde, p. 330-331)

Dans son introduction, Céline Gervais-Francelle remarque que dans « ses différents rapports », Karski a toujours insisté sur « la priorité donnée par Roosevelt à la situation intérieure de la Pologne et à ses frontières [...] et sur la nécessité d’un compromis avec les Soviétiques. » Elle écrit : « Jan Karski a toujours souligné combien il avait été impressionné par la puissance qu’incarnait Roosevelt. Mais très vite, il avait été amené à réfléchir à cette remarque de Ciechanowski proférée dans la voiture qui les ramenait à l’ambassade : « Eh bien, le président n’a pas dit grand chose. » »

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2. Dans Le Rapport Karski (1978-2010)

Extrait (1’32)

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Quelques mois plus tard...

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Staline, Roosevelt et Churchill
Conférence de Téhéran, 1943
La Conférence de Téhéran qui se déroula du 28 novembre au 1er décembre 1943 fut la première rencontre entre Churchill, Roosevelt et Staline. Deux décisions militaires importantes y furent prises : l’organisation d’un débarquement en Normandie le 6 juin 1944 et le rejet par Staline et Roosevelt du projet britannique d’offensive par la Méditerranée et les Balkans.
Sur le plan politique, Staline accepta le principe de la création d’une organisation internationale, proposé par Roosevelt. Les Trois Grands s’entendirent également sur le principe d’un démembrement de l’Allemagne, sur l’annexion de Königsberg par l’Union soviétique et sur le déplacement de la Pologne vers l’ouest. Concernant la Pologne, on ne fixa pas précisément les nouvelles frontières, car les Britanniques souhaitaient ménager le gouvernement polonais de Londres et Roosevelt ne voulait pas heurter les Américains d’origine polonaise. On envisagea cependant que la frontière orientale pourrait être définie par la ligne Curzon, qui avait déjà servi de base au Pacte germano-soviétique de 1939, et la frontière occidentale par le cours de deux rivières, l’Oder et la Neisse (ligne Oder-Neisse). On ne précisa pas, toutefois, s’il s’agissait de la Neisse occidentale (qui prend sa source en Bohême et se jette dans l’Oder près de Nysa) ou de la Neisse orientale (qui prend sa source en Silésie et se jette dans l’Oder près de Gubin), ce qui devait donner plus tard matière à discussion. Staline exposa également ses revendications en Asie (sud de Sakhaline, îles Kouriles) [8].

D’autres extraits du livre de Jan Karski.
Lire aussi : Churchill, Roosevelt et Staline à Yalta : mais où est donc de Gaulle ?

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Les témoignages de Jan Karski

Ces entretiens sont réalisés en anglais. L’anglais de Jan Karski nous semble cependant suffisamment compréhensible pour un auditeur un peu au fait de la langue pour que nous vous invitions à les écouter et à les voir en complément nécessaire du film de Claude Lanzmann.

Holocauste rescue and aid provider Jan Karski Testimony

Interview du 10 mars 1995 par Renée Firestone. VO anglaise (1h 09’14).

Archive du USC Shoah Foundation Institute, une organisation à but non lucratif fondée par le réalisateur Steven Spielberg en 1994, qui a pour mission, entre autres, de recueillir les témoignages des survivants de la Shoah. Il organise la collecte de dizaines de milliers d’interviews, pour recueillir les témoignages de ceux qui ont survécu aux camps de la mort de la deuxième guerre mondiale. Rattachée désormais à l’Université de Sud Californie, l’USC Shoah Foundation Institute travaille à la preservation et à l’accessibilité de ces archives, pour favoriser l’éducation et lutter contre l’intolérance. Elle est là pour se souvenir de cette aberration absolue que fut l’Holocauste.

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« How One Man Tried to Stop the Holocaust »

Interview (VO en anglais), en 1996, de Jan Karski par E. Thomas Wood, auteur de la biographie « Karski : How One Man Tried to Stop the Holocaust » (Wiley, 1994).

« Le raisonnement des politiques et des militaires était que, pour sauver les Juifs, il fallait d’abord gagner la guerre », a déclaré M. Jankowski, co-auteur de « Karski : How One Man Tried to Stop the Holocaust » (Karski ou comment un homme a tenté d’arrêter l’Holocauste)

Quatre extraits (25’07)

1er extrait : Karski, un héros de l’holocauste (5’38)

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2ème extrait (7’38)

Jan Karski raconte une mission en 1941 et 42 pour essayer de sauver la vie d’un couple de Juifs.

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3ème extrait : « Unable to believe » (6’26)

Jan Karski raconte sa célèbre rencontre du 5 juillet 1943 avec Felix Frankfurter, juge de la Cour Suprême des Etats-Unis en 1943. La réaction de Frankfurter illustre bien la capacité humaine de connaître la réalité et, en même temps, de la dénier.

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4ème extrait : « A Lord of Humanity » (5’52)

Jan Karski raconte sa rencontre avec le président Franklin D. Roosevelt le 28 juillet 1943.

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Autres extraits mis en ligne par Tom Wood.

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« Le rapport Karski »

un film de Claude Lanzmann

Interview de 1978. Montage de 2010.

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Vous lirez ci-dessous la présentation du "nouveau" film de Claude Lanzmann sur Le rapport Karski qu’on pouvait lire dans le Nouvel Observateur du 3 mars 2010. L’hebdomadaire publiait également un long article de Claude Weill, Les Alliés ont-ils abandonné les Juifs ? et une Chronologie réalisée par François Sionneau, Shoah : ce que savaient les alliés.
Il est bon de relire l’article de Jan Karski publié par la revue Esprit en 1986 après la sortie du film Shoah (L’article en pdf ). Karski y écrivait : « L’interview a eu lieu chez moi, en 1978. Le tournage a duré deux jours, à peu près huit heures au total. [...] » Dans Le Rapport Karski, Lanzmann ne garde que quarante-huit minutes. Ajoutés aux quarante minutes qui figurent dans Shoah, il reste donc environ six heures trente minutes inédites. Que s’est-il dit pendant tout ce temps ? On peut en avoir une idée en lisant L’Express du 3 mars qui nous livrait une analyse du script de l’entretien — Tout ce qu’avait dit Karski à Lanzmann —, quatre heures et treize minutes de rushes [9], un document dactylographié de 73 pages, en anglais, qui retranscrit, mot à mot, les questions de Lanzmann et les réponses de Karski.

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Le vrai Karski

par Annette Wieworka [10]

"But I reported what I saw" ("Mais j’ai fait mon rapport sur ce que j’ai vu"). Cette phrase clôt le long et bouleversant témoignage de Jan Karski dans "Shoah", un film tout entier dédié à la mise à mort des juifs. Elle ouvre "le Rapport Karski", le nouveau film de Claude Lanzmann [11], qui présente la seconde partie de l’entretien que le courrier de la Résistance accorda au réalisateur. C’est un Karski différent qui apparaît. L’intense émotion de la veille a disparu. Ce n’est plus l’homme réticent, revenant en pensée au prix d’un considérable effort sur lui-même dans le ghetto de Varsovie, mais "Johnny", l’intrépide héros de la Résistance polonaise, accueilli comme tel dans les ambassades polonaises de Londres et de Washington et qui raconte de façon vivante et avec un plaisir évident l’accueil qui lui fut fait. Avec l’admirable honnêteté qui le caractérise, il explique à Lanzmann que le "problème juif n’était pas le seul" et précise : "Pour moi, le problème clé, c’était la Pologne, les exigences soviétiques, la présence de communistes dans le mouvement de la Résistance, la peur éprouvée par la nation polonaise. Qu’allait-il advenir de la Pologne ? C’était là pour moi l’important". Et c’est de cela d’abord dont il s’entretient avec Roosevelt le 28 juillet 1943 au cours d’un entrevue qui dure une heure vingt, où il est accompagné par l’ambassadeur de Pologne à Washington. Karski en retire une immense fierté. Il a été reçu par "le maître du monde", qui dressa pour lui le tableau d’un après-guerre de paix et de liberté que l’homme le plus puissant du monde construirait la guerre terminée. La Pologne y recouvrirait toute sa place.
On sait que l’histoire en décida autrement. A la toute fin de l’entrevue, Karski rend compte de ce qu’il vit dans le ghetto et dans le camp qu’il visita (il croit alors que c’est Belzec). Roosevelt l’entendit. Le soir même, ou le jour suivant, il envoya à Karski les noms de toutes les personnes qui comptaient dans son administration et qui pouvaient suggérer des actions pour qu’il s’entretienne avec elles. Parmi elles, Felix Frankfurter. Juge à la Cour suprême, il est l’un des plus proches conseillers de Roosevelt. Il est juif. Karski le décrit, le mime. Il est petit, et se tasse dans son fauteuil en entendant le récit de ce qu’a été le sort des juifs de Pologne. A cette date — fin juillet 1943 —, après les mois terribles de l’été 1942, la Pologne est pratiquement Judenrein. La réaction de Frankfurter mérite d’être longuement méditée : il admire Karski. Il sait qu’il vient de l’enfer et qu’il s’apprête à y retourner. Pourtant, il ne croit pas à son récit : "Je ne dis pas que vous êtes un menteur, je dis que je ne vous crois pas".
L’émotion dominait le témoignage de Karski dans "Shoah". Dans "le Rapport", il est bouleversant d’intelligence et d’honnêteté. On le voit réfléchir, penser, chercher à tâtons le mot juste pour être au plus près de la vérité. On le voit pris dans une réflexion à portée universelle sur ce qu’est savoir, comprendre, agir. Nous sommes loin, très loin du prêt-à-penser et à-redresser les torts du passé à partir de la position surplombante de celui qui sait. Ou croit savoir. Et on ne doute pas que, loin de sombrer dans le silence et la dépression, Karski fut un très grand professeur de sciences politiques.

A. W. Le Nouvel Observateur du 3 mars 2010

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Tout ce qu’avait dit Karski à Lanzmann

par Boris Thiolay

Claude Lanzmann revient dans un documentaire sur l’homme qui avertit les Alliés de l’extermination des Juifs. L’Express a pu consulter le script de l’entretien qu’avait donné le résistant polonais au réalisateur en 1978 pour Shoah. Un autre éclairage sur ce témoignage.

Dix ans après sa mort, Jan Karski, figure exceptionnelle et oubliée de la Seconde Guerre mondiale, retrouve une étrange postérité. Ce messager de la Résistance polonaise — il fut le premier témoin direct de l’extermination des Juifs à avoir rapporté aux Alliés, dès la fin de novembre 1942, puis en juillet 1943 au président américain Roosevelt, ce qu’il avait vu — était l’un des protagonistes majeurs de Shoah (1985), le film fondateur de Claude Lanzmann.

Il y relatait la révélation de l’horreur, dans le ghetto de Varsovie. Le 17 mars, les téléspectateurs pourront redécouvrir cet homme hors du commun, dans un nouveau documentaire (48 minutes) de Lanzmann, Le Rapport Karski. Cette fois, le résistant polonais relate longuement sa rencontre avec Roosevelt et Felix Frankfurter, juge à la Cour suprême, qui ne parvient pas à croire "l’impossible". Deux images d’un même homme, donc, diffusées à vingt-cinq ans de distance.

L’Express est aujourd’hui en mesure d’apporter un nouvel éclairage sur le témoignage que Karski avait donné à Lanzmann, à travers une lecture inédite de la totalité des déclarations du résistant polonais. Pourquoi revenir sur le sujet ? Parce qu’il suscite depuis quelques mois une violente controverse. L’élément déclencheur fut la publication, en septembre 2009, d’un roman : Jan Karski. L’auteur, Yannick Haenel, y invente un Roosevelt plus occupé à digérer qu’à prêter attention au génocide des Juifs. "Une falsification grossière de l’Histoire et de ses protagonistes", tempête le réalisateur Claude Lanzmann. En 1978, à l’occasion du tournage de Shoah, Lanzmann avait retrouvé Karski.

Ce dernier lui racontait comment, agent de liaison entre l’"Etat clandestin polonais" fédérant la Résistance et le gouvernement polonais en exil à Londres, il était aussi devenu le témoin oculaire puis le messager de l’extermination. Il relatait sa visite clandestine organisée (fin août 1942) par deux leaders juifs dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp nazi. Là, il avait assisté au chargement d’un train de la mort. Karski détaillait ensuite les appels à l’aide désespérés que les responsables juifs lui demandaient de transmettre aux Alliés. Enfin, il expliquait à quels interlocuteurs il avait pu rapporter ces événements, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

En 1985, lors de la sortie de Shoah sur les écrans, le monde entier est bouleversé par le visage strié de larmes de Karski revivant l’enfer face à la caméra. Ce témoignage éprouvant d’un peu plus de quarante minutes n’inclut pourtant pas le récit des rencontres avec les chefs alliés. Quelques mois après la sortie du film, Jan Karski, tout en affirmant que "Shoah est sans aucun doute le plus grand film qui ait été fait sur la tragédie des juifs", avait regretté que Lanzmann eût laissé de côté ce pan du récit. Il s’étonnait aussi que les actions de la Résistance polonaise et "de milliers de gens ordinaires" pour aider et tenter de sauver des Juifs ne soient pas mentionnées. Il appelait alors un autre film de ses voeux, "non pas pour nier Shoah, mais pour le compléter" [12].

Retour en mars 2010. Jan Karski est toujours à l’affiche. Tout d’abord, avec la réédition de Mon témoignage devant le monde (Robert Laffont), le propre récit du messager polonais, publié en 1944 aux Etats-Unis. Mais aussi, avec la diffusion, sur Arte, du Rapport Karski. Monté à partir des rushs de l’interview de 1978, le film entend rétablir la "vérité historique". Et probablement clore le débat.

Le script

Définitivement ? Pas sûr. Car L’Express a pu consulter le script des quatre heures et treize minutes de rushs de la fameuse interview de 1978. C’est-à-dire principalement les "chutes", les pans du témoignage que Claude Lanzmann n’a pas retenus, ni dans Shoah, ni dans Le Rapport Karski.

Ce script est un document dactylographié de 73 pages, en anglais, qui retranscrit, mot à mot, les questions de Lanzmann et les réponses de Karski. Il correspond à 37 séquences filmées et indexées. L’ensemble est conservé, depuis octobre 1996, aux archives du Musée mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis, à Washington. On peut le consulter ou le visionner sur demande.

A la lecture de ces documents, il n’est pas question de refaire l’Histoire. En 1978, la Shoah n’était pas — en tout cas beaucoup moins qu’aujourd’hui — perçue comme un fait central de la Seconde Guerre mondiale. Pas question, non plus, de revenir sur cette autre question terrible, mais anachronique : les Alliés, alertés dès 1942, auraient-ils pu arrêter l’extermination en exerçant des représailles spécifiques contre l’Allemagne ou en bombardant les camps ? Non, s’accordent à dire les spécialistes.

Par contre, ce script apporte un éclairage sur certains faits historiques rapportés par Karski. Ainsi, à la page 10, il raconte que les deux leaders juifs de Varsovie lui demandent de supplier le président de la République polonaise en exil d’intercéder auprès du pape pour qu’il excommunie les "catholiques qui prennent part, directement ou indirectement, à l’extermination des juifs". Leur supplique est déchirante : "Nous nous estimons fondés à attendre une protection du Vatican. [...] Beaucoup de représentants officiels allemands [...] se considèrent catholiques. [...] Peut-être que Hitler réfléchira si l’excommunication est annoncée publiquement." Cette demande, qui peut aujourd’hui sembler invraisemblable, fut pourtant transmise par Jan Karski, catholique fervent.

"Elle fut suivie d’effets, explique l’historienne Céline Gervais-Francelle, spécialiste de la Pologne, qui a supervisé la réédition du récit de Karski, dont elle connaît parfaitement les tribulations. Le 18 décembre 1942, le président polonais Raczkiewicz a écrit un courrier au pape Pie XII pour le prier d’intervenir." On sait que, en dépit des déclarations officielles du gouvernement polonais, le 10 décembre 1942, puis des gouvernements alliés, une semaine plus tard, sur "l’extermination des Juifs en Europe", la seule réaction du Vatican connue fut le message de Noël 1942. Le Saint-Siège évoquait "les centaines de milliers de personnes [...] en raison de leur race [...] vouées à la mort ou à l’extinction progressive".

La "surdité" des Alliés transparaît mal dans le film

Plus loin dans l’entretien (page 19 du script), Karski rapporte à Lanzmann une autre requête des deux mêmes responsables juifs de Varsovie. "Des Polonais font du chantage envers les juifs, les tuent, les dénoncent à la Gestapo. [...] Le Premier ministre de Pologne doit ordonner que la Résistance intérieure applique [...] des exécutions [...] puis publier les noms dans la presse clandestine. [...] Les autres comprendront que c’est une activité risquée." Claude Lanzmann reprend alors : "C’était une activité risquée de faire chanter les juifs ? Et de les dénoncer ?" Réponse de Karski : "Oui. [...] A partir de février ou mars 1943 — j’ai des documents photocopiés — des exécutions ont eu lieu et les noms furent publiés. La nature du crime était spécifiée."

L’historienne Céline Gervais-Francelle confirme : "L’Etat clandestin polonais prononçait des condamnations "officielles". Les avertissements et les exécutions des dénonciateurs étaient affichés sur les murs, au nom de la République. [...] Un exemple unique parmi les mouvements de résistance en Europe."

Vers la fin de l’entretien, Jan Karski relève un autre point : l’indifférence, l’absence de réaction ou de questions de certains de ses interlocuteurs quand, à la fin de son rapport, il aborde le sort des Juifs. Cordell Hull, secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères) américain, par exemple : "Manque total d’intérêt [pour le sujet], résume-t-il. La conversation était détournée sur la Résistance polonaise [...], le problème avec l’Union soviétique." Le délégué apostolique Cigognani, représentant du pape aux Etats-Unis ? "Il était très intéressé par la foi des Polonais dans d’aussi terribles circonstances : "Suivent-ils toujours notre sainte mère l’Eglise ?" Même impression concernant l’archevêque Spellman (New York), les cardinaux Stritch (Chicago) ou Mooney (Detroit). "Aucune réaction", se rappelle-t-il, avant d’ajouter : "Je ne dis pas ça pour critiquer ou condamner l’un d’entre eux. Chacun avait ses propres problèmes."

Karski, l’homme qui avait tenté de secouer la conscience du monde, fait alors un constat terrible : "L’opinion publique savait à l’époque [1944]. Les gouvernements savaient, évidemment. Les grands intellectuels aussi. Beaucoup d’entre eux ont essayé de faire ce qu’ils pouvaient. [...] Les Juifs ont été abandonnés à la mort." Ce constat, l’ancien émissaire de la Résistance polonaise l’avait réitéré publiquement les années suivantes.

Interrogé par L’Express, Claude Lanzmann explique : "Dans le montage de Shoah, j’avais écarté certaines séquences parce que j’estimais qu’elles n’avaient pas leur place ou qu’elles affaiblissaient l’architecture et la tension dramatique de mon film. Certaines étaient redondantes."

Il poursuit : "Continuer à dire que Shoah est un film anti-polonais, comme on l’a soutenu à sa sortie en 1985, est une absurdité, un faux procès. La meilleure preuve, c’est le rôle majeur qu’y tient Karski. C’est lui, le résistant polonais, qui bouleverse le monde en racontant ce qu’il a vu. Shoah dure 9 h 30 et Karski est présent à l’écran pendant quarante minutes. Il considérait que Shoah était le plus grand film jamais réalisé sur l’Holocauste."

Pour autant, le Karski tirant les conséquences de la surdité des Alliés face aux preuves de l’extermination ne figurait pas dans Shoah, en 1985. Il transparaît difficilement dans Le Rapport Karski.

Boris Thiolay, L’express du 10 mars 2010.

*


Affaire Karski, l’épilogue (?)

par Christophe Ono-dit-Biot

Le 17 mars, Claude Lanzmann dévoile sur Arte une séquence inédite de Shoah. Le Point a pu la voir.

Ça y est. C’est la fin. La vérité par la bouche de celui qui a vu. Qui a vu l’extermination des juifs dans le ghetto de Varsovie à l’été 1942. Et qui a vu Franklin Roosevelt à Washington, le 28 juillet 1943, mandaté par deux leaders juifs pour témoigner à l’oreille du maître du monde libre de l’extermination des Juifs. La fin, donc, de la polémique de l’hiver, la polémique "Jan Karski" , où tout le monde aura parlé au nom du résistant, décédé en 2000, donc muet. D’un côté, la "conscience", Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah. De l’autre, le "jeune insolent", Yannick Haenel, auteur d’un livre désigné comme "roman" mais intitulé Jan Karski, personnage historique auquel Haenel fait dire que les Alliés sont complices de l’extermination des Juifs d’Europe, qu’il y a eu un "antisémitisme d’Etat anglo-américain organisé et impuni".

Résumé des derniers épisodes : Lanzmann accuse Haenel de falsifier l’Histoire avec son roman à thèse, de faire de Karski "un pleurnichard", "un procureur qui met le monde entier en accusation pour n’avoir pas sauvé les Juifs". Et cette mise en scène d’un Roosevelt totalement inattentif à ce que Karski raconte, qui "digère l’extermination des Juifs d’Europe" en regardant les jambes de sa secrétaire ? Grotesque ! tonne Lanzmann. Haenel accuse aussi : en rédigeant ses Mémoires, Histoire d’un Etat secret, publiés à New York en 1944 (réédités aujourd’hui chez Robert Laffont), Karski s’est autocensuré. On était encore en guerre et la Pologne attendait l’aide des Alliés. S’il a écrit que Roosevelt l’avait minutieusement interrogé sur la résistance polonaise et le sort des Juifs, c’était purement diplomatique... Lanzmann prévient : la vérité sortira de la bouche même de Karski, le 17 mars, lorsque sera diffusée, sur Arte, une séquence tournée fin 1978, non montrée dans Shoah et où Karski raconte, avec sa voix à lui, son entrevue avec Roosevelt.

Lanzmann : "Sur les Juifs, [Roosvelt] a t-il posé des questions particulières ?", Karski : "Non, pas une seule".

Une apostille à Shoah ? Cette polémique, déclenchée tout de même quatre mois après la sortie du livre à succès de Haenel, était-elle un teasing ? Nous avons pu voir le film que diffusera Arte le 17 mars. C’est très fort. On y voit un Karski impeccable, cravaté, regard clair, assez loin du Karski de Shoah, qui cherchait ses mots, les yeux fixés sur le vide, en quête de phrases qui, elles, cherchaient leur souffle. Le Karski du deuxième jour de l’interview, celui qui se souvient qu’il a aussi été un messager. Il décrit un Roosevelt "très grand seigneur" (en français). Imite face à la caméra le président des Etats-Unis, lui prête sa voix : "Monsieur Karski, on m’a informé de votre grande contribution à la cause des Alliés, et je suis sûr que vous voulez m’informer de ce qui se passe en Pologne." Karski confesse à Lanzmann : "Vous devez comprendre que, dans ma mission, le problème principal n’était pas le problème juif, mais ce qu’il allait advenir de la Pologne." Ensuite, il raconte à Roosevelt ce qu’il a vu dans le ghetto : "sans aide de l’extérieur, les Juifs vont mourir en Pologne". "Que vous a-t-il répondu ?" demande Lanzmann. Réponse de Karski : "Rien." Il se remet à imiter Roosevelt : "Les nations alliées vont gagner cette guerre. Justice sera faite. Les criminels seront punis. " " Vous direz aux leaders polonais que nous ne les laisserons jamais tomber, ils ont un ami en la personne du président des Etats-Unis."

Roosevelt, ensuite, l’interroge sur la résistance et sur les chevaux qui ont servi aux Allemands pendant la campagne de Russie : étaient-ils polonais, ces chevaux ? Lanzmann l’interrompt : "Pardonnez-moi d’insister, mais c’est le sujet de mon interview : sur les Juifs, a t-il posé des questions particulières ? — Non, scande Karski, pas une seule. — Comment expliquez-vous cela ? — Je ne sais pas", dit Karski. Il ajoute qu’à la demande expresse de Roosevelt il a pu rencontrer ensuite plusieurs personnages influents de Washington (dont certains, juifs, comme le juge Frankfurter, qui lui dit qu’il ne le "croit pas").

GIF

Et Karski de conclure par quelques mots qui éclaireront l’Histoire mieux que cent polémiques lorsque Lanzmann, enfin, lui demande : " Comment jugez-vous les gens qui, après votre rapport, n’ont pas saisi la signification de ce que vous leur disiez ? Est-il possible de réaliser la destruction des Juifs quand on vit à Washington, un tout autre univers ? " " Ce genre d’événements, répond Karski, n’était jamais arrivé. Pour un être humain normal, cultivé, avec des responsabilités politiques — pour chacun de nous d’ailleurs —, le cerveau ne peut fonctionner que dans certaines limites : ce que notre environnement, avec les livres, la connaissance, les informations, a mis dans notre cerveau. Et, à un certain point, nos cerveaux n’ont sans doute plus la capacité de comprendre. "

Christophe Ono-dit-Biot, Le Point du 15 mars 2010.

Est-ce vraiment l’épilogue, comme le titre le Point ? nous préférons laisser les questions ouvertes.

*


Lanzmann présente « Le Rapport Karski »

Le mercredi 17 mars, aux Matins de France Culture.

1ère partie (15’52)

Retour sur la polémique...
Un problème de génération ?

*

2ème partie (32’23)

Lanzmann explique pourquoi il n’a pas gardé la totalité du témoignage de Karski dans Shoah.
" Qu’est-ce que c’est que savoir ? "
(Avec la tribune d’Alain-Gérard Slama sur le rôle des historiens (3’50)).
" Très peu pouvait être fait. "
Discussion (très intéressante) avec Danièle Sallenave, Marc Kravetz, Olivier Duhamel...
" Les Juifs, à l’époque, c’était secondaire. "
" C’est un scandale, oui, c’est un scandale. "
" Tarentino, j’aime bien sa gueule ! "

Crédit France Culture

*


Les Alliés voulaient-ils savoir ?

Le 17 mars, France Culture, Du grain à moudre (39’)
Avec Saul Friedländer (Au téléphone). Historien.
Christian Destremeau. Historien.
Céline Gervais-Francelle. Historienne, Professeur à Paris 1. A établi la nouvelle édition du texte Jan Karski, Mon témoignage devant le monde. Voir plus haut : Précisions.
Claude Weill. Journaliste, Le Nouvel Obs. Auteur d’un important article dans un récent numéro du magazine : Les Alliés ont-ils abandonné les juifs ?.

Crédit France Culture

*

Lire aussi Touche pas au Karski !, l’article d’Antoine Perraud sur Mediapart.

*

[1Source : Jan Karski, Mon témoignage devant le monde, R. Laffont, 2010.

[2J’en ai déjà donné des exemples dans mes précédents dossiers.

[3Sur le mot Shoah », on se reportera à ce qu’en dit Claude Lanzmann (cf. La question du titre), à l’article d’Henri Meschonnic « Pour en finir avec le mot shoah » et à la réponse de Lanzmann (« Ce mot de Shoah ».

[4

[6Vidkun Abraham Lauritz Jonnsøn Quisling (18 juillet 1887 - 24 octobre 1945), était un militaire et homme politique norvégien. Major dans l’armée royale norvégienne de 1911 à 1921, il fut ministre de la défense de 1931 à 1933. Il est surtout connu aujourd’hui pour avoir été en Norvège le principal artisan de la collaboration avec l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, et pour avoir dirigé de 1942 à 1945 le gouvernement collaborateur norvégien.

[7Le général Władysław Eugeniusz Sikorski (20 mai 1881 à Tuszów Narodowy - 4 juillet 1943 à Gibraltar), militaire et homme politique polonais, général et chef des forces armées polonaises, et premier ministre du Gouvernement polonais en exil de 1939 à 1943.

[8Source wikipedia.

[9Un peu moins donc que dans les souvenirs de Karski.

[10Historienne, spécialiste de la Shoah et de l’histoire des Juifs au XXe siècle.

[11Diffusé par Arte, le mercredi 17 mars à 22h05.

[12Je renvoie à l’article complet de Jan Karski publié par la revue Esprit.

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8 Messages

  • A.G. | 19 avril 2010 - 17:35 1

    Témoignage sur les témoignages

    Entretien avec Jorge Semprun 1/3 (Mediapart)

    Dans ce premier volet de l’entretien accordé par Jorge Semprun à Antoine Perraud et Sylvain Bourmeau pour Mediapart, l’écrivain évoque le vertige de l’ultime témoin, et revient sur la polémique entre Yannick Haenel et Claude Lanzmann à propos de Jan Karski.


    Entretien avec Jorge Semprun 1/3 (Mediapart)
    envoyé par Mediapart


  • anonyme | 11 avril 2010 - 04:23 2

    Je suis, avec M. Jankowski, le biographe de Jan Karski. Je regrette que je ne parle pas le français assez bien pour participer au débat de ces derniers mois. Je ne prends pas position sur le bien-fondé des arguments de quelqu’un, puisque je n’ai pas encore été en mesure de lire le roman de M. Haenel. Je peux dire avec confiance, cependant, que je connais les détails factuels de la vie de professeur Karski et peut comprendre les sentiments qu’il a exprimé à la fin de sa vie sur ses activités pendant la guerre plus complètement que quelqu’un d’autre.

    J’ai pu regarder "Le rapport Karski" aujourd’hui, après avoir obtenu une copie d’un ami en France. J’espère faire une déclaration complète en français bientôt sur des questions de fait liées à des images de M. Lanzmann. Une différence notable entre ce que Karski rappeler ainsi que les documents d’archives montrent à fait, c’est qu’il a rencontré le juge Frankfurter avant sa rencontre avec Roosevelt - pas après, comme il le dit dans le film.

    Je crois, et Karski m’a dit en 1994 qu’il croyait, que la réaction négative Frankfurter à son récit des témoins oculaires concernant le ghetto et le camp près de Belzec avait fait d’omettre toute mention de ces expériences lors de réunions ultérieures, sauf quand il était en réunion avec les Juifs . La transcription in extenso qu’il dictait heures après la rencontre avec FDR omet toute mention de son expérience personnelle, bien qu’il ne fournir des détails sur l’étendue des massacres et des mauvais traitements infligés aux Juifs en Pologne. (La transcription est disponible en polonais à la Hoover Institution, en Californie.)

    Je serai heureux de donner mon exposé complet sur ces questions et serons heureux de répondre aux questions des journalistes ou des chercheurs qui me contacter à cette adresse : tom@the-wood-family.org.

    Avec nos excuses pour des erreurs linguistiques, je joins la version anglaise de ces commentaires ci-dessous.

    —E. Thomas Wood
    Nashville, Tennessee

    I am, with M. Jankowski, the biographer of Jan Karski. I regret that I do not speak French well enough to participate in the debate of recent months. I take no position about the merits of anyone’s arguments, since I have not yet been able to read M. Haenel’s novel. I can say confidently, however, that I know the factual details of Professor Karski’s life and understand the feelings he expressed late in his life about his wartime activities more completely than anyone else.

    I was able to watch "The Karski Report" today after obtaining a copy from a friend in France. I hope to issue a full statement in French soon about factual issues related to M. Lanzmann’s footage. One notable difference between what Karski remembered and what archival documents show to be factual is that he met with Justice Frankfurter before he met with Roosevelt — not afterward, as he says in the film.

    I believe, and Karski told me in 1994 that he believed, that Frankfurter’s negative reaction to his eyewitness narrative concerning the Ghetto and the camp near Belzec had caused him to omit any mention of those experiences in subsequent meetings, except when he was meeting with Jews. The verbatim transcript that he dictated hours after the meeting with FDR omits any mention of his personal experiences, although he did provide details of the extent of the killings and maltreatment of Jews in Poland. (The transcript is available in Polish at the Hoover Institution in California.)

    I shall gladly provide my full statement on these matters and will be happy to answer questions from journalists or researchers who contact me at this address : tom@the-wood-family.org.


  • A.G. | 4 avril 2010 - 23:22 3

    Pièces à conviction (suite).

    Qu’est-ce que savoir ? Qu’est-ce que croire ?
    _ Vous trouverez ci-dessous le dernier entretien de Claude Lanzmann avec Jean Marie Colombani diffusé le 2 avril 2010 sur Public Sénat. Lanzmann y réitère ce qu’il a écrit dans son article de Marianne du 23 janvier et réaffirme sa conviction selon laquelle les Juifs ne pouvaient pas être sauvés lors de la dernière guerre.


    envoyé par publicsenat.


  • A.G. | 30 mars 2010 - 19:26 4

    Ho ! Jean Petit ! Vous avez mal lu ! Nabe a toute sa place et même ici, même quand il a tout faux, il m’est arrivé de rire.
    _ Mais, devant votre enthousiasme, je m’incline et, au risque de mentir, je vous laisse donc... le dernier mot.


  • Jean Petit | 30 mars 2010 - 15:35 5

    Bien sûr que si, il y a toujours un dernier mot. Il doit y avoir un dernier mot. Celui qui rend tous les suivants inutiles. Et si un écrivain renonce à avoir le dernier mot, ce n’est même pas la peine qu’il commence.
    Vous vous défaussez, trahissant au passage l’esprit de la démarche de Haenel et Sollers dans cette affaire, en voulant sortir ce dossier de la littérature pour le ramener à un simple recueil de témoignages, alors que le coeur de la question est là : Haenel a tout faux parce qu’il écrit faux, comme on le dit d’un chanteur qui chante faux. Le contraire du faux ce n’est pas le vrai. Ou pas seulement. Le contraire du faux, en Art, c’est le juste. La note juste ou la couleur juste ou le mot juste. Voilà de quoi il s’agit. Voilà le critère ! Et sur ce site consacré à un auteur censé placer la littérature au dessus de toute autre valeur de jugement il est dommage que la question soit évacuée.
    Nabe soulève, lui, cette question centrale.
    Qualifier le passage de L’Homme qui arrêta d’écrire et que vous n’avez pas lu de "nul littérairement" est pour le moins hâtif. Sollers qui écrivait au sujet de Nabe "Niez le si ça vous arrange, ça ne changera rien, il a déjà sa place, toute sa place."aurait lui, je crois, pleinement conscience de la force littéraire de ce passage qui vous échappe apparemment.
    LesEntretiens avec le Professeur Y auxquels vous me renvoyez n’ont rien à voir. D’ailleurs Antoine Galimard n’est pas du tout maltraité dans le livre (sauf par Sollers), et sa femme Annie est même un personnage particulièrement positif.
    Non, la question est de savoir comment Sollers, pour se protéger de toute figure en mesure de lui faire de l’ombre, en est arrivé à s’entourer à ce point de médiocres, Haenel et Meyronnis étant les plus symboliques, et à endosser lui-même leur médiocrité. Et se retrouver ainsi englué dans cette dans cette affaire Karski, où par la figure de Nabe, la littérature tourne manifestement le dos et inflige un rateau à ceux qui prétendent coucher avec elle.
    Sollers n’avait pas besoin de ça en plus, reconnaissez-le. Mieux vaut mille fois un bon ennemi.


  • ho | 30 mars 2010 - 14:59 6

    Bonjour !
    "nul littérairement"... à couper le souffle quand on voit celui de l’auteur en question !! Il est d’ailleurs intéressant de constater que toute critique négative de "l’homme qui arrêta d’écrire" proviennent de non-lecteurs du livre. Il est vrai que commander un livre pour l’éreinter, c’est un investissement !
    Dans votre cas, j’imagine qu’il est dur de se laisser aller au style d’un texte quand votre idole n’y est pas à son avantage...


  • A.G. | 30 mars 2010 - 00:10 7

    J’ai découvert le point de vue de Nabe aujourd’hui. Résumons : Haenel n’est pas un "vrai" écrivain, il est "bidon" ; Nabe est un grand écrivain "antisioniste". Soit.
    _ Je n’ai pas commandé et donc pas lu le dernier roman de Nabe. Je n’ai lu que l’extrait concernant "Galimard" et "Solers", je l’ai trouvé nul littérairement. J’ai relu, pour me remettre, des extraits des entretiens avec le professeur Y de Céline.
    _ J’ai lu l’entretien que Nabe a donné à La revue littéraire, je l’ai vu à Ce soir ou jamais, je l’ai trouvé tel qu’en lui-même.
    Mais je ne suis qu’un lecteur et pas un écrivain et, de plus, je me garderai bien d’en dire plus sans avoir lu le livre en entier. Et il y a tant à lire !

    Vous l’aurez sans doute remarqué, ce dossier sur Karski essaie de confronter divers points de vue sur ce qu’il en est du témoignage, celui (ceux !) de Karski, ceux d’écrivains ou d’historiens, et ceux qui parlent au nom de LA vérité. Lanzmann — avec SON Rapport Karski — veut avoir le dernier mot (et vous voudriez que Nabe lui donne) : il n’y a pas de dernier mot !

    Ni apologue ni épilogue, donc.


  • Jean Petit | 29 mars 2010 - 15:07 8

    Bonjour,

    Je lis avec intérêt votre dossier sur Jan Karski. Vous posez de façon prudente la question de savoir si l’affaire Karski trouve son épilogue dans le Point avec l’article de Christophe Ono-dit-Biot.
    Prudence justifiée, puisque l’affaire Karski donne lieu a un rebondissement très intéressant, et trouve sans doute là son véritable épilogue dans l’importante Interview accordée par Marc-Edouard Nabe dans Le Point lui-aussi, mais le 25 mars. Article intitulé :"Lanzmann a raison".

    Nabe, peu soupçonnable de complaisance envers Lanzmann est en effet le premier et le seul véritable écrivain à prendre la défense de ce dernier contre Yannick Haenel. Voilà qui mérite réflexion il me semble !

    http://www.alainzannini.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1814%3Ale-point-25-mars2010&catid=74%3Ainterviews-presse&Itemid=93

    Ce qui me semble particulièrement remarquable est le fait que Nabe se place précisément sur le plan littéraire, terrain où entendent se réfugier Haenel et ses soutiens, pour attaquer ce dernier.

    Il explique également au passage pourquoi il est impossible à Philippe Sollers d’aller beaucoup plus loin dans la défense de son poulain.
    Il est étonnant que cette pièce importante du dossier ne soit pas reprise sur votre site.

    De manière plus générale est étonnant également le silence autour des pages cruciales du dernier roman de Nabe, l’Homme qui arrêta d’écrire, qui mettent en scène la relation de Philippe Sollers à ses protégés Yannick Haenel et François Meyronnis.
    Je n’ose imaginer que personne à pileface.com n’a lu le livre. Il est donc regrettable que jusqu’ici, alors que votre site a toujours su donner sa place au jugement de Nabe sur Sollers, aucun sollersien n’ait pu ou su réagir à ces passages dont l’interview au Point est le droit prolongement.

    Le moins qu’on puisse dire c’est que si la réponse de Nabe n’appelle le débat c’est alors qu’elle le clôt définitivement.

    Bien à vous.

    Voir en ligne : Marc-Edouard Nabe : "Lanzmann a raison"